A vous maintenant, qui dites : « Aujourd’hui ou demain nous irons dans telle ville, nous y passerons une année, nous trafiquerons et nous gagnerons ! » — Vous, qui ne savez pas ce qui arrivera demain ! car, qu’est-ce que votre vie ? Vous êtes une vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui ensuite disparaît. Vous devriez dire au contraire : « Si Dieu le veut, nous vivrons et nous ferons ceci ou cela. » Mais maintenant vous vous glorifiez dans vos pensées orgueilleuses. C’est chose mauvaise que de se glorifier de la sorte. Celui donc qui sait faire ce qui est bien, et qui ne le fait pas, commet un péché.
Mes chers frères,
La version d’Ostervald, même la version révisée, entre en matière moins brusquement que celle dont nous nous sommes servis. Au lieu de : « A vous maintenant ! » elle emploie la tournure plus longue, plus calme, moins véhémente : « Je m’adresse maintenant à vous… » comme si l’on avait éprouvé le désir de diminuer un peu la vivacité de l’attaque dirigée contre les faiseurs de projets dans les versets qui suivent. Nous ne pensons pas que cette atténuation ait été voulue par le traducteur ; mais il est probable que plusieurs des lecteurs de l’Épître de Saint-Jacques l’approuvent et sont prêts à la maintenir. Peut-être même trouvent-ils cette atténuation insuffisante. C’est l’ensemble de notre texte qui les surprend. C’est la sévérité de l’auteur à l’égard des gens qui songent au lendemain et qui s’arrangent d’avance en vue d’un but à atteindre, qui les étonne. — Pourquoi donc les prendre ainsi à partie ? — Préparer, combiner, prévoir et pouvoir serait-ce un péché ? Faudrait-il nous renfermer étroitement dans l’heure présente et n’en jamais sortir ? Autant vaudrait alors nous interdire de penser à quoi que ce soit, car toute pensée aboutit nécessairement à l’avenir ! D’ailleurs, qu’est-ce qu’une vie sans règle, une existence sans plan directeur, sans route tracée ? Quel progrès attendre, quel succès espérer lorsqu’on livre tout au hasard ! Depuis quand la prévoyance a-t-elle cessé d’être une vertu ? — Calculer avec une exactitude toujours plus grande les chances favorables ou contraires, déterminer l’emploi de ses journées, de ses minutes, n’est-ce pas pour tous les hommes, dans toutes les conditions et toutes les vocations le vrai moyen de faire de son temps l’emploi le plus sage, le plus utile, le plus consciencieux possible ? — Vous voyez bien que loin d’être une chose mauvaise et coupable, les pensées d’avenir sont au contraire une chose bonne, légitime, nécessaire ! — Tout cela est juste. Et voilà pourquoi précisément Saint-Jacques, après avoir énergiquement signalé la folie présomptueuse des hommes qui font leurs projets sans se soucier le moins du monde de la volonté de Dieu, qui agissent, raisonnent, sentent et vivent comme s’ils étaient eux-mêmes leur unique Providence, leur montre ce que serait leur conduite si l’orgueil ne les rendait pas si égoïstes, si impies, si aveugles ; comment ils feraient s’ils étaient vraiment sages, vraiment prévoyants. Saint-Jacques ne s’indigne pas contre ceux qui se préparent un plan d’activité, mais contre ceux qui le préparent mal. Il n’a jamais songé à nous interdire les pensées d’avenir. Non ! Il a lu cette sentence de l’Ancien Testament : « l’homme bien avisé voit venir le mal et l’évite ; » il a entendu le Sauveur exiger de ses disciples qu’ils sachent discerner les signes des temps ; il s’est associé aux projets, aux grands et nombreux projets formés par les apôtres ; lui même a dit, sans doute, tout comme Saint-Paul : « j’irai dans telle ville, j’y passerai un mois ou une année, j’y prêcherai, j’y gagnerai des âmes à Jésus-Christ ; » mais il l’a fait en ajoutant, en sous-entendant toujours : « Si Dieu le veut ; » il l’a fait de façon à donner gloire au Seigneur au lieu de lui ravir sa gloire.
Comparons, mes frères, ces deux manières de dresser ses plans d’avenir, et puissions-nous, après avoir reconnu et condamné le mal, après avoir distingué et approuvé ce qui est juste et sage, nous souvenir que celui-là commet un péché, qui sait faire le bien et qui ne le fait pas. Amen.
Pour représenter les faiseurs de projets insensés, l’écrivain sacré n’a pas choisi quelque grand ambitieux qui se livre sans contrainte à toutes les fantaisies de son imagination, quelque rêveur construisant dans les nuages des châteaux en Espagne pour y loger sa vanité ; tout au contraire, il a pris, comme à dessein, des gens pratiques et positifs entre tous : c’est un commerçant, un industriel, un artisan peut-être, dans tous les cas, quelqu’un qui sait compter, se décider à temps, qui a un but et qui voit comment il y marchera. Il connaît exactement les heures de départ et d’arrivée, il ne risque pas de s’égarer en route, de faire un détour inutile, de manquer une correspondance ; il se tient toujours au courant de l’état du marché ; il obtient au moment voulu les informations les plus sûres ; il est actif, entreprenant, tout à ses affaires ; ce n’est pas un déplacement, une absence même prolongée qui le feront hésiter quand il jugera nécessaire d’aller chercher des débouchés nouveaux. Lorsqu’il a dit : « Aujourd’hui, demain, j’irai dans telle ville, j’y trafiquerai… » vous pouvez compter sur sa parole ; il ne fait point de projets en l’air. Il est persévérant aussi ; il a, en un mot, tout ce qu’il faut pour réussir. Rien d’étonnant, dès lors, s’il jouit de l’estime générale, si ses opinions ont du poids dans la société, si on le cite comme un exemple de savoir-faire. — Pourtant, mes frères, c’est bien à cet homme que Saint-Jacques s’attaque, c’est sa conduite qu’il trouve aussi absurde que coupable. Pourquoi donc ? — Examinez-le d’un peu près ce sage selon le monde. Ne lui trouvez-vous pas une ressemblance frappante avec quelqu’un que vous connaissez ? Son visage ne vous rappelle-t-il pas un visage que vous avez rencontré ailleurs ? « Les terres d’un homme riche avaient beaucoup rapporté, » raconte l’Évangile selon Saint-Luc ; cet homme riche, ce gros propriétaire, n’a pas les vêtements d’un voyageur, la tournure d’un trafiquant ; néanmoins, on ne peut s’y méprendre, il appartient à la même famille que le personnage de notre texte. Lui aussi, il fait des projets : « J’abattrai mes greniers, j’en bâtirai de plus grands, j’y amasserai toute ma récolte et tous mes biens. » Ces deux hommes sont frères. Leur langage les trahit : ils parlent avec le même accent, l’un de ses greniers, de sa récolte, l’autre de sa raison sociale, de son entreprise, de ses gains. Soyez-en bien certains, dans ces deux cœurs habite et règne le même maître : l’égoïsme, qui y prend toute la place : l’un n’a pas une pensée pour ses semblables affamés et malheureux, quand il règle l’usage de ses biens surabondants, l’autre ne voit dans les habitants des villes où il se rend que des acheteurs et des vendeurs, des instruments de trafic. Ce n’est pas tout ; remarquez encore qu’ils ont le même regard, un regard qui s’en tient à la terre et aux choses de la terre, qui ne consulte le ciel que pour lui demander à l’avance si le temps pluvieux ou sec fera hausser ou non le prix des denrées ; ils prennent la vie par le même côté, ils l’entendent de la même façon et quand le trafiquant se retirera des affaires, ce qu’il se dira à son tour, rendant hommage à ses mérites, c’est ceci : « Mon âme, tu as beaucoup de biens en réserve pour plusieurs années ; repose-toi, mange, bois et te réjouis ! »
Au point de vue religieux, enfin, même en supposant qu’ils se rattachent à des églises différentes, il est bien évident que ces deux hommes appartiennent en réalité à la même congrégation : celle des gens qui, pratiquement, regardent Dieu comme une quantité négligeable, des gens qui se sont si bien accoutumés à oublier l’invisible qu’ils sont incrédules sans s’en douter, et impies sans s’en apercevoir.
Or, sur tous les membres de cette famille-là, la Parole divine prononce la même sentence : Dans l’Ancien Testament, comme dans le Nouveau, dans l’Évangile comme dans les Épîtres, ce que nous lisons, c’est ceci : « Insensés. »
Il suffit à Saint-Jacques, pour mettre en relief la folie de ceux qui disposent de l’avenir comme s’ils étaient les maîtres, de cette ironique remarque : « Vous qui ne savez pas ce qui arrivera demain ! » C’est qu’elle éclate partout, cette folie.
Quoi ! tu l’as décidé, aujourd’hui, demain, tu iras dans telle ville. — Peut-être ! Tes mesures sont prises, ta place est retenue. — Et pourtant ! qui sait ? — Sous la voûte, sombre où passe la route que tu veux suivre, est-il bien certain qu’aucun tassement ne se prépare ? N’y a-t-il point là un peu d’eau qui suinte, quelques pierres qui se désagrègent lentement ? il n’en faudrait pas tant pour anéantir définitivement tous tes projets, cela suffit pour déranger tous tes plans. Ta prévoyance s’est donc trouvée en défaut, ô homme qui te croyais sage ! Est-ce pour cela que tu as tant de peine à supporter sans irritation les contrariétés que tu rencontres ? Hélas ! il est bien naturel que nous froncions le sourcil, lorsqu’un incident quelconque vient troubler nos arrangements si nous nous figurons dominer sur le présent et sur l’avenir !
Mais revenons au voyage que tu as décidé. Tu pars, tu arrives sans encombre dans la ville de ton choix. Tu as fixé dès maintenant la durée de ton séjour, la nature de tes occupations. Tu trafiqueras… Est-ce tellement probable, par le temps de grèves, de ligues douanières ou autres où nous vivons ? N’insistons pas ; les affaires auront leur cours normal. Mais n’as-tu jamais songé à une autre éventualité, qui se présente souvent, très souvent dans la vie des hommes ? Supposons qu’un jour tu te sentes un peu de fièvre, un peu de toux, quelque malaise physique. Le médecin te dit : Nous guérirons cela, mais il y faut des soins. Laissez vos occupations ordinaires. La maladie est là, elle se prolonge ; les forces s’en vont, la souffrance est ta compagne de tous les jours. Quand tu te demandes avec calme où tu en es, ton bon sens répond : Carrière brisée, vie manquée, existence sans but. Et dans ton cœur, ce qui s’agite, ce sont des pensées de désespoir, de regrets brûlants. Et si tu écoutes plus attentivement encore, tu entendras ta conscience te dire : Insensé ! tu as bâti sur le sable et tout s’écroule !
Ah ! si du moins ils acceptaient, en s’humiliant, la sévère leçon de l’épreuve, tous ceux que le Seigneur cherche à instruire, à sauver, en dissipant leur aveuglement ! S’ils consentaient à ouvrir les yeux pour comprendre enfin que, sans Dieu, sans la foi qui nous unit à lui, nous ne sommes, nous ne pouvons être, nous, nos joies, nos projets, notre bonheur, qu’une vapeur qui paraît pour un peu de temps et qui ensuite disparaît.
Oui, si le résultat de toutes les déceptions, de toutes les ruines, c’était de leur faire comprendre, admettre, qu’une seule chose est nécessaire, qu’une seule opération est véritablement avantageuse, celle qui consiste à vendre tout ce que l’on a, pour acheter la perle de grand prix, alors, ils pourraient parler de gain. Car elle vient, elle vient pour tout homme, l’heure où pour la dernière fois ici-bas, Dieu fait entendre plus redoutable que jamais sa sentence : Insensé, et il ajoute, cette nuit même, ton âme te sera redemandée. Or, que servirait-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perdait son âme, et que donnerait-il en échange ?
Vous représentez-vous ce que c’est, qu’être ainsi réveillé dans ses rêves, que partir ainsi tout joyeux, plein d’entrain, le cœur et la tête remplis de brillants projets, et de sentir tout à coup le sol s’entr’ouvrir sous ses pas, et de ne plus voir devant soi que cette fosse béante qu’éclairent seules, tout au fond, les sinistres lueurs du jugement, et d’où monte, malgré le silence, quelque chose qui ressemble à des pleurs et à des grincements de dents ? Oh ! s’il y a au monde des gens qu’il faut plaindre, des malheureux dont il faut avoir pitié, ce sont bien ces pauvres aveuglés. Ayons pour eux de la pitié, assez de pitié pour devenir impitoyables à l’égard de toutes les pensées orgueilleuses. Poursuivons-les partout, imitons Saint-Jacques qui se précipite sans perdre un instant sur tous les ennemis de la gloire de son Dieu. Dès qu’une de ces pensées mauvaises se montre, attaquons-la ! la déclaration de guerre la plus brève sera la meilleure : A toi maintenant !
Mais où les trouver, ces adversaires à combattre ? Ils sont rares les hommes qui rêvent tout haut, qui font leurs plans et leurs projets en public. Aussi, mon frère, ce dont il s’agit ici, n’est-ce pas des pensées du prochain, mais de tes pensées à toi ; de celles que nourrit ton cœur. C’est là qu’il faut les poursuivre, de là qu’il faut les arracher, car elles y sont ; et celles qui se cachent sous une robe de pasteur ne sont pas moins redoutables, pas moins haïssables que les autres.
Et comment les reconnaître, les distinguer, parmi tous nos projets, tous nos plans d’avenir, ceux qui sont le produit de notre orgueil ?
Voici des signes qui nous aideront à faire ce triage : Toutes les fois que nos pensées d’avenir auront ce résultat de cacher à nos yeux le vrai terme de notre voyage ici-bas, toutes les fois qu’elles serviront comme de draperie pour voiler cette réalité importune et déplaisante : notre mort possible à tout instant, et absolument certaine, alors, n’en doutons pas, n’hésitons pas, il faudra frapper.
En second lieu, mes frères, lorsque dans les arrangements que nous prenons, dans les suppositions que nous faisons, les choses se présentent de telle manière, que les hommes et les événements ne sont là que pour nous servir, pour nous faire valoir, pour nous donner l’occasion de montrer notre supériorité, la grandeur de notre dévouement, — et cela peut arriver même quand nous projetons des œuvres de charité et quand nous nous préoccupons d’entreprises religieuses, — alors, aucune confusion n’est possible ; les couleurs de l’égoïsme sont toujours celles de l’ennemi.
Quand nos desseins, enfin, les plans que nous arrêtons, prennent à nos yeux une importance si grande que tout ce qui en retarde la réalisation nous semble une offense personnelle, qui provoque notre mauvaise humeur, que tout ce qui en empêche l’accomplissement nous paraît un irréparable malheur, et nous pousse au murmure, au découragement ou à la révolte, il y a là la preuve que nous avons usurpé la place de Dieu, que nous avons voulu jouer à la Providence.
Or, mes frères, je vous le demande, sont-elles difficiles à découvrir, dans nos vies, les pensées d’avenir qui revêtent l’un ou l’autre de ces caractères ? — Ah ! n’est-ce pas, nous ne risquons pas, même en laissant de côté le prochain, de n’avoir point d’ennemis à combattre. Il y en a tant au contraire qu’une inquiétude doit nous venir : Comment les repousser tous ? Notre texte va nous répondre : Au lieu de vous livrer à vos pensées orgueilleuses, c’est le conseil de Saint-Jacques, vous devriez dire : « Si Dieu le veut, nous vivrons et nous ferons ceci ou cela. » — Eh quoi ! une formule, une façon de s’exprimer ! Changer notre manière de parler, cela changerait la nature de nos pensées ? Oh ! non ; Saint-Jacques n’a pas songé à nous fournir une phrase cabalistique qui suffirait à neutraliser le poison de nos désirs présomptueux. Cette seconde manière de parler, qu’il nous recommande et qui doit remplacer la précédente, correspond à une seconde façon de faire des projets, à une autre manière d’être et de vivre, à une attitude toute nouvelle à prendre vis-à-vis de Dieu. Il s’agit, mes frères, vous ne vous y trompez pas, de replacer, dans nos cœurs, le Seigneur sur son trône et de l’y laisser ; il s’agit de nous mettre à ses pieds, nous, ses serviteurs, et d’y rester. Dire : « Si Dieu le veut, » c’est être bien persuadé que la volonté de Dieu est bonne, agréable et parfaite ; c’est croire bien sincèrement que l’Éternel règne, qu’à lui est la sagesse et la puissance au siècle des siècles. C’est être bien résolu à vouloir ce qu’il veut ; c’est s’efforcer d’entrer dans ses plans, de concourir à l’exécution de ses projets, de deviner ses pensées d’avenir pour y conformer les nôtres.
Remarquez-le, mes frères, en nous ordonnant une pareille attitude, la Parole de Dieu ne veut pas nous enlever toute initiative, nous empêcher de faire aucune espèce de projets. On l’a compris ainsi quelquefois ; et il s’est trouvé des chrétiens qui ont fait ce raisonnement : « Puisque nous risquons si fort de nous égarer dès que nous faisons par nous-mêmes un seul mouvement, restons immobiles jusqu’à ce qu’il plaise à Dieu de nous pousser dans la direction qu’il a choisie ; et ils se sont donné comme tâche d’attendre passivement l’impulsion que devait leur communiquer le Saint-Esprit. Involontaire imitation de cet impotent qui, sous les portiques du réservoir de Bethesda, attendait depuis tant d’années le mouvement de l’eau et auquel le Sauveur a dit tout d’abord : « Veux-tu être guéri ? » Non, Dieu ne désire pas l’anéantissement des facultés qu’il nous a données ; il veut au contraire les voir s’épanouir et il nous fournit l’occasion de les développer en les consacrant à son service.
Que diriez-vous d’un écolier qui, persuadé que son maître écrit ou dessine mieux que lui, ne ferait jamais un trait, ni une lettre sans que sa main soit tenue, guidée, contrainte par la main plus habile de son supérieur ? Evidemment un pareil élève ne sait pas encore pourquoi il prend des leçons et celui qui a mission de l’instruire devra le lui faire comprendre.
Nous aussi, mes frères, nous avons à apprendre à faire des plans : notre Maître, c’est Celui dont les projets admirables et infaillibles se déroulent à travers les siècles ; Celui qui ne se trompe jamais, qui n’a jamais rien à effacer, à reprendre, à retoucher dans ses desseins. Il faut nous mettre et nous tenir à son école pour arriver à savoir dire : « Si Dieu le veut, nous ferons ceci ou cela. » — Le Maître nous fournit les lignes directrices ; il établit que pour être conformes à ses principes à lui, tous les traits de l’esquisse que nous avons à faire doivent converger vers ce centre unique : La gloire de notre Père céleste, et passer par ces deux points : le vrai bien de nos frères et notre propre salut. Il place devant nous des exemples et des modèles ; il nous donne des conseils, approuvant ceci, condamnant cela. Parfois aussi sa main ferme saisit celle de l’élève, qui se sent alors comme lié par l’Esprit ; ou bien il nous laisse faire quelques écarts et prenant à son tour le crayon de nos doigts débiles, il redresse un contour mal fait, qui nous plaisait peut-être et que nous admirions ; il tire parti de la manière la plus inattendue, de ce qui nous paraissait être une erreur aussi regrettable qu’évidente.
Mes frères, n’est-ce pas, il doit faire bon travailler sous les yeux, sous la constante surveillance d’un tel Maître, et c’est ainsi que nous devrions toujours dresser tous nos plans, afin qu’ils ne portent plus la marque trois fois néfaste de notre orgueil, qu’ils ne soient plus ni une offense à Dieu, ni un outrage à la charité, ni une atteinte portée à nos intérêts les plus précieux.
Fais des projets, mon frère, qui que tu sois ; combine, arrange, calcule ; emploie ta raison, ton bon sens ; décide d’abattre et de rebâtir tes greniers, s’ils sont trop petits ; arrête ton départ pour l’heure la plus favorable, si ton trafic ou ton usine t’obligent à t’éloigner. Dis : « nous ferons ceci ou cela et nous le ferons aussi bien, aussi sagement que possible. » Il ne faut pas que les enfants de ce siècle soient toujours plus prudents dans leur génération que les enfants de lumière.
Mais tout cela, fais-le, projette-le sous le regard de ton Dieu et avec le désir de le glorifier. En sa présence, il faudra bien que tu te souviennes de ton néant, et que tu sentes que lui seul est sage. Tu le consulteras si tu te confies en son amour ; tu lui soumettras réellement tes essais si tu veux, être à son service. Et quand il rectifiera quelque chose, quand il corrigera d’un geste quelque détail, ou quand il bouleversera de fond en comble ce que tu lui présentes, au lieu de te fâcher comme un enfant boudeur, ou de désespérer comme un malheureux qui a tout perdu, tu remercieras le Père qui ne te laisse pas t’égarer ; et malgré tes larmes et tes souffrances, tu rendras grâces à Celui qui substitue les plans de sa sagesse infinie à ceux de ton esprit borné.
Faisons des projets, mes frères, mais faisons-les dans la communion et avec l’esprit de Celui qui est venu sur la terre non pour être servi, mais pour servir ; faisons-les comme des gens qui croient de tout leur cœur que, pour eux, Jésus-Christ s’est donné ; alors, nous ne risquerons pas de faire tourner à l’avantage de notre amour-propre et de notre vanité même ce que nous nous figurions entreprendre pour le bien de notre prochain.
Faisons des projets, enfin, recherchons soigneusement les meilleurs moyens de mettre en valeur le talent que notre Maître nous a donné, de venir à bout de la tâche qu’il nous a confiée ; mais faisons-les en prévision du compte à rendre, en attendant comme un bonheur le retour de notre bienfaiteur. Alors, nous pourrons, sans fausses illusions, travailler jusqu’au bout avec l’énergie que donne l’espérance et jeter à pleines mains dans les sillons de Dieu la semence des moissons de l’avenir, même en sachant que nous ne serons pas là pour la récolte.
Voilà le bien, mes frères, voilà notre service raisonnable, voilà ce que nos consciences, notre intelligence nous recommandent, ce que la Parole de Dieu nous ordonne. Ah ! souvenons-nous que le serviteur qui aura connu la volonté de son Maître et qui ne l’aura pas faite, sera battu de plus de coups. Et à cette heure, avec le Seigneur et sous son regard, formons le projet de dire désormais toujours : « Si Dieu le veut… » Et toi, ô notre Père céleste, toi qui donnes la volonté et l’exécution, rends-nous capables de le vouloir et de le faire.
Henri Meyrat
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