Que le sentiment de nos adversaires rend le langage de l’Écriture obscur et incompréhensible, faux et illusoire, absurde et peu raisonnable, impie et plein de blasphème.
C’est la dernière vérité que nous nous étions proposé de justifier dans cette section, et c’est ici, à mon avis, le principal et plus essentiel moyen de faire voir que si la théologie que nous combattons est véritable, Jésus-Christ et les apôtres nous ont engagés dans l’erreur.
Pour le faire mieux comprendre, nous rapporterons les passages de l’Écriture, que nous devons citer sur ce sujet, à trois classes principales : la première comprend ceux qui marquent l’origine de Jésus-Christ ; la seconde contient ceux qui prouvent sa préexistence ; et la troisième, ceux qui font sensiblement connaître la gloire de sa divinité. Examinons-les par ordre.
Les passages de l’Écriture qui marquent l’origine de Jésus-Christ sont en assez grand nombre : tels sont les suivants. Jean 6.62 : Que sera-ce donc si vous voyez le Fils de l’homme monter là où il était premièrement ? Jean 6.51 : Je suis le pain descendu du ciel. Jean 3.13 : Nul n’est monté au ciel si ce n’est celui qui est descendu du ciel. Jean 3.31 : Celui qui est venu d’en haut est par dessus tout. Celui qui est de la terre est terrestre, et annonce les choses de la terre. Celui qui est venu du ciel est par-dessus tout. 1 Corinthiens 15.4 : Le premier homme étant de terre, est de poudre ; le second homme est le Seigneur qui est du ciel. Jean 6.38 : Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté ; mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Jean 16.8 : Je suis issu de mon Père, je suis venu au monde ; et maintenant je laisse le monde, et je retourne à mon Père. Jean 8.42 : Je suis venu de Dieu, et je ne suis point venu de moi-même, car c’est lui qui m’a envoyé. Ephés.4.9 : Or, ce qu’il est monté, qu’est-ce, sinon qu’il était premièrement descendu dans les parties les plus basses de la terre ?
On ne trouve dans ces passages, expliqués à la manière de nos adversaires, ni sens, ni vérité ni raison, ni sagesse, ni humilité ; mais on y trouve des caractères opposés ; car tout ce que nous trouvons en Jésus-Christ conçu comme un simple homme par sa nature, c’est, premièrement, qu’il a eu une âme formée immédiatement de Dieu ; en second lieu, que sa chair a été épurée par l’opération du Saint-Esprit ; pour un troisième, qu’il a reçu les dons du Saint-Esprit qui lui étaient nécessaires pour faire les fonctions de son ministère, et les a reçus dans une mesure extraordinaire ; en quatrième lieu, qu’il a été installé dans sa charge, et qu’il a été envoyé aux hommes de la part de Dieu. Or il ne nous paraît pas que toutes ces choses puissent jamais établir la vérité de ces expressions que nous avons marquées ci-dessus.
Car si, parce que l’âme de Jésus-Christ a été immédiatement créée de Dieu, il s’ensuit que Jésus-Christ peut être dit être descendu du ciel, être venu du ciel, être issu de Dieu, être un pain descendu du ciel, avoir été dans le ciel au commencement, tous les hommes peuvent avoir part à ces éloges ; on peut dire de chacun de nous qu’il a un esprit qui retourne à Dieu qui l’a donné. Ainsi l’on pourra dire de chacun de nous : Que sera-ce donc si vous le voyez monter là où il était premièrement ? Je suis descendu du ciel ; je suis venu de mon Père, et suis venu au monde ; et maintenant je quitte le monde, et m’en retourne à mon Père, etc.
On doit dire à peu près la même chose de ce que le corps de Jésus-Christ a été formé immédiatement par la vertu du Saint-Esprit. Cela ne suffit pas pour fonder toutes ces expressions : Je suis descendu du ciel. Je suis venu de Dieu. J’étais premièrement au ciel. Cela paraît de ce qu’Adam a été formé, quant à son corps, immédiatement par les mains de Dieu ; et cependant non seulement l’Écriture ne parle pas ainsi d’Adam, mais elle tient un langage tout opposé : Le premier homme étant de terre, est de poudre ; le second homme, qui est le Seigneur, est du ciel. D’ailleurs, la figure serait un peu forte, si Jésus-Christ était dit venu de Dieu, descendu du ciel, et avoir été premièrement au ciel, parce que le corps de Jésus-Christ a été formé par le Saint-Esprit.
On dira que Jésus-Christ n’a pas seulement été divinement conçu, mais encore qu’il a été rempli des dons et des grâces du Saint-Esprit, et qu’à cet égard il peut être dit venu de Dieu, ou descendu du ciel, parce que c’est un ouvrage divin, ou un homme rempli des grâces de Dieu, ou suscité divinement, ou à peu près dans le même sens, que tout bon don et tout présent parfait est d’en haut, et descendant du Père des lumières (Jacques 1.17) ; ou dans le sens que Jésus-Christ demandait si le baptême de Jean était du ciel ou des hommes ; et dans un sens opposé à celui de ces paroles d’un apôtre : Car cette sagesse ne vient point d’en haut, mais elle est terrestre, animale, diabolique (Jacques 3.15). Diverses raisons nous montrent la disparité de cette comparaison. Premièrement, il y a une grande différence entre parler ainsi de quelques qualités qui ne sont point susceptibles proprement et par elles-mêmes de mouvement local, et desquelles par conséquent on ne peut dire que dans un sens figuré, qu’elles vont, qu’elles viennent, qu’elles montent, qu’elles descendent, et parler ainsi de quelques personnes qui, étant susceptibles de ce mouvement local proprement et à la lettre, peuvent être dites monter et descendre sans figure. D’ailleurs les circonstances d’un texte, ce qui suit et ce qui précède, le but du discours, la manière et la qualité des expressions, font voir que ces paroles qu’on produit en exemple doivent être prises dans un sens figuré et métaphorique ; au lieu que toutes ces choses nous font comprendre que Jésus-Christ est dit être descendu du ciel proprement et à la lettre. Car, qui ne voit que dans ces paroles : Que sera-ce si vous voyez le Fils de l’Homme monter là où il était premièrement, il s’agit d’une ascension locale et proprement dite ? Et qui peut douter que, si ce mot de monter est littéral, ces paroles qui suivent immédiatement ne le soient aussi : Là où il était premièrement ? Qui peut douter que dans celles-ci : Je suis issu de mon Père, et je suis venu au monde, et maintenant je quitte le monde, et m’en retourne à mon Père ; qui peut douter que dans le sens naturel de ces paroles Jésus-Christ ne soit venu au monde, et descendu de devers son Père, dans le même sens qu’il doit quitter le monde et retourner vers son Père ? De sorte qu’étant retourné vers son Père, et ayant quitté le monde dans un sens propre et littéral, il s’ensuit aussi qu’il est descendu de devers son Père proprement et véritablement. Enfin, si ceux qui reçoivent les dons du Saint-Esprit, ou qui sont envoyés de Dieu, ou qui sont particulièrement l’ouvrage de sa vertu et de sa puissance, pouvaient être dits être descendus du ciel, il n’y aurait rien de si juste que de dire tout cela des saints apôtres ; car on peut dire d’eux, et qu’ils ont reçu l’Esprit de Dieu venant d’en haut, et qu’ils l’ont reçu dans une mesure bien extraordinaire, et qu’ils ont été divinement envoyés, et qu’ils peuvent être considérés ou à l’égard de leur régénération, ou à l’égard de leur ministère, comme étant très particulièrement l’ouvrage de Dieu. Cependant il est certain que jamais l’Écriture ne dit qu’ils soient descendus du ciel ; encore moins peut-on dire que tout cela soit répété dans chaque page de ce livre divin, et qu’on mêle ces expressions avec d’autres expressions propres et littérales. Ajoutez à cela que Jean-Baptiste était saint à plusieurs égards et en plusieurs manières, l’ouvrage de Dieu, saint dès le ventre de sa mère, rempli du Saint-Esprit, et envoyé de Dieu, formé et suscité extraordinairement. Cependant, non seulement il n’est pas dit de Jean-Baptiste qu’il soit descendu du ciel ; mais il est dit qu’il est de la terre. Celui, dit-il lui-même, qui est venu d’en haut est par-dessus tous. Celui qui est de la terre est terrestre, et annonce les choses de la terre. Celui qui est venu du ciel est par-dessus tous.
Les ennemis de la divinité de Jésus-Christ ne pouvant ni satisfaire les autres, ni se satisfaire eux-mêmes là-dessus, feignent, pour se tirer d’embarras, que Jésus-Christ est monté au ciel après sa naissance et sa conversation sur la terre, et qu’après y avoir été quelque temps pour y être instruit des vérités qu’il devait enseigner aux hommes, il en est descendu pour remplir les devoirs de son ministère ; et ils prétendent que c’est là le fondement de toutes ces diverses façons de parler qui ont quelque chose d’extraordinaire et de surprenant. Tout cela est bientôt dit, et plutôt imaginé encore ; mais lorsqu’on examinera cette supposition, on la trouvera opposée à la vérité, et même à la vraisemblance.
Car, premièrement, sur quel fondement nous font-ils cette histoire ? Est-ce sur le témoignage de quelque historien ou de quelque évangéliste qui l’a rapportée ? Si cela est, on nous fera plaisir de nous le montrer. Est-ce sur le désir que nos adversaires auraient que cela fût ainsi, pour pouvoir défendre leurs hypothèses avec plus de facilité ? Si c’est ce dernier, ils ont un juste sujet de se défier de leur principe, et nous en avons une plus juste raison encore. Mais, à dire le vrai, cela serait d’une fâcheuse conséquence, que toutes les fois que nous trouverions des expressions de l’Écriture qui ne s’accorderaient pas avec nos sentiments, il nous fût permis de faire une histoire à plaisir, et de la défendre comme si elle faisait partie de la révélation.
Et en effet, si Jésus-Christ est monté corporellement dans le ciel, il s’est fait en cela même un grand miracle. Mais le moyen de croire, sur la foi de nos adversaires, un grand miracle qui ne nous a point été révélé ? Si Jésus-Christ est monté au ciel, cette ascension, dont nos adversaires croient d’ailleurs si bien reconnaître la nécessité, doit faire une partie considérable de son histoire, et du moins elle n’est pas moins importante que la visite que Marie rendit à Elisabeth, que la venue des mages, que la conduite d’Hérode effrayé par leur venue, que la description du manger et des vêtements de Jean-Baptiste, que le récit du voyage que Jésus-Christ fit à Jérusalem à l’âge de douze ans, que sa présence aux noces de Cana, sans oublier le miracle qu’il y fit ; que la tentation de Jésus-Christ au désert ; et il était pour le moins aussi nécessaire à notre édification que l’historien nous représentât Jésus-Christ ravi par l’esprit dans le ciel, que de nous le faire voir entre les mains du démon, qui le met tantôt sur les créneaux du temple, et tantôt le porte sur une montagne. Il me semble qu’il importait autant de nous dire qu’il avait été quelque temps dans le ciel, que de nous le représenter séjournant dans la ville de Nazareth ; et que s’il était nécessaire de ne point passer sous silence l’ouverture des cieux qui se fit à son baptême, la colombe qui descendit du ciel, symbole du Saint-Esprit, il ne l’était pas moins de nous apprendre que Jésus-Christ avait été enlevé corporellement dans le ciel. Et en effet, nos adversaires, qui veulent que le séjour que Moïse fit sur la montagne de Sina pendant que Dieu l’instruisait de ce qu’il avait à dire au peuple d’Israël, fût un type de celui que Jésus-Christ a fait dans le ciel lorsqu’il y est monté pour y être instruit du conseil de Dieu, devraient considérer qu’il n’y a aucune apparence que le type ait été marqué si exactement dans l’histoire de l’Ancien Testament, et que la vérité qui répond à ce type, qui est mille et mille fois plus considérable que le type même, eût été couverte du voile du silence. Et à quel principe pourrait-on attribuer ce silence sur un événement si important, en des historiens qui rapportent des choses de bien moindre conséquence ?
Mais je m’exprime faiblement. Je soutiens qu’après trois ou quatre grands événements, qui sont la mort de Jésus-Christ, sa résurrection et son ascension au ciel, qui sont comme le fond et la substance de l’Évangile, il n’y avait point d’objet dans l’histoire de Jésus-Christ qui fût plus important à savoir, ni plus considérable parmi les événements de sa vie, que celui dont il s’agit ici. Je n’en excepte point la transfiguration de Jésus-Christ sur la montagne du Tabor ; événement que les évangélistes nous apprennent avec ses circonstances d’un commun accord. Car il est plus beau et plus nécessaire de considérer Jésus-Christ montant au ciel pour s’y entretenir plus particulièrement avec son Père, que de le voir sur le Tabor s’entretenir avec Moïse et Elie de l’issue de ses souffrances.
Que pourrait-on dire après cela pour excuser ce silence des évangélistes ? Dira-t-on que ces historiens sacrés se sont uniquement proposé de faire l’histoire de l’abaissement de Jésus-Christ, et que c’est pour cela qu’ils ont passé sous silence un événement qui semble avoir plus de rapport avec sa glorification qu’avec son abaissement ? Ce principe est faux. Les évangélistes n’oublient aucune des circonstances les plus glorieuses de la naissance, de la vie, de la mort et de la résurrection de leur divin Maître. A sa naissance il est loué par les armées célestes, et adoré quelque temps après par les mages. Pendant sa vie il commande aux vents, aux tempêtes, aux démons, aux maladies et à la mort, et il monte sur une montagne pour être transfiguré en la présence de trois de ses disciples. Dans son agonie il est assisté par les anges. A sa mort il ouvre les pierres et les tombeaux, il déchire le voile du temple, et éteint la lumière du jour. A sa résurrection, les anges de Dieu roulent la pierre qui fermait son sépulcre, et apparaissent à ceux qui le cherchent. Et lorsqu’il monte au ciel, les nuées se présentent pour former le char qui le porte dans le séjour de la gloire. Il faudrait avoir renoncé à la lumière naturelle pour dire, après cela, que les évangélistes ont tu cette première ascension de Jésus-Christ au ciel, parce qu’ils n’ont voulu parler que de son abaissement. Mais si ce n’est pas là ce qu’ils disent, que pourront-ils jamais inventer pour justifier un silence si extraordinaire, si peu naturel, et si incompréhensible ?
Mais après tout cela, je voudrais ici demander à nos adversaires quelle nécessité ils conçoivent qu’il y a eu que Jésus-Christ montât au ciel. Car, puisque ce n’est point le récit de l’évangéliste qui fonde leur opinion à cet égard, il faut bien qu’ils l’établissent sur quelque espèce de nécessité. Socin dit deux choses sur ce sujet : premièrement, qu’il fallait que Jésus-Christ fût conforme à Moïse qui avait été son type, et que comme’ Moïse avait été quelque temps avec Dieu sur la montagne, il était nécessaire que Jésus-Christ fût quelque temps avec Dieu dans le ciel. Il ajoute que Jésus-Christ a dû monter dans le ciel pour y être plus particulièrement instruit des vérités qu’il devait enseigner aux hommes.
Mais, pour commencer par la réfutation de cette dernière réponse, il me semble que le mouvement local est peu nécessaire pour pouvoir être enseigné de Dieu. Les apôtres n’ont pas été enlevés dans le ciel en corps et en âme. Cependant ils ont été parfaitement instruits des mystères du royaume des cieux ; et il faut bien que leur instruction ait été pleine et entière, puisque les livres qu’ils ont composés sont la règle de notre foi. Que s’il n’a pas été nécessaire que les disciples de Jésus-Christ montassent au ciel pour s’instruire des vérités du salut, il l’a été bien moins que Jésus-Christ y montât pour cet effet, lui qui avait reçu sans mesure cet esprit de sagesse et de vérité, lui qui, étant saint dès sa conception, fermait la bouche aux docteurs à l’âge de douze ans. Hé quoi ! Jean ne monta point au ciel pour y connaître le conseil de Dieu, et cependant il s’écrie, en voyant venir Jésus-Christ à son baptême : Voici l’agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde ! paroles qui contiennent une idée très distincte des mystères de la religion, et qui peuvent être considérées comme un très parfait abrégé de l’Évangile. Et pourquoi le maître aurait-il plus de peine à être instruit, que n’en a eu le serviteur ?
Ce n’était pas, dira-t-on, une absolue nécessité que Jésus-Christ montât au ciel pour y apprendre le conseil de Dieu ; mais il le fallait seulement par la nécessité qu’il y avait que Jésus-Christ fût en cela conforme à Moïse qui avait été son type. Car comme Moïse fut médiateur entre Dieu et le peuple d’Israël, Jésus-Christ est médiateur entre Dieu et les fidèles ; comme Moïse annonça aux Israélites le dessein que Dieu avait de les retirer de leur servitude d’Egypte, Jésus-Christ a déclaré aux hommes le conseil de la miséricorde de Dieu, qui est de les racheter de la condamnation et de la mort éternelle. Mais il est étonnant que les docteurs, si célèbres par leur subtilité et par leurs lumières, raisonnent d’une manière si peu juste. Hé quoi donc, il suffit que j’imagine des rapports dans les anciens types, pour avoir le droit d’ajouter ce qu’il me plaira à l’histoire de l’Évangile ! Il faut donc désormais que je dise que Jésus-Christ a été bègue parce que Moïse l’a été. Il faut que Jésus-Christ ait été berger, et même homicide ; car tout cela est arrivé à Moïse. Non, diront nos adversaires, cela n’est pas nécessaire, parce que toutes ces choses ne regardent que la personne particulière de Moïse, et non sa qualité de médiateur. Ce n’est pas ce qui arrive à Moïse en tant que Moïse, mais ce qui arrive à Moïse en tant que type, qui doit s’accomplir en Jésus-Christ. Or il est certain que Moïse a été avec Dieu sur la montagne, non en tant que Moïse, mais en tant que médiateur.
Mais s’il est permis d’outrer les rapports qui peuvent être dans les types, que ne pourra-t-on point soutenir ? Moïse monta deux fois sur la sainte montagne, pour être instruit de la loi ; faudra-t-il dire que Jésus-Christ est aussi monté deux fois dans le ciel ? Moïse jeûna quarante jours sur la montagne et jeûna deux fois ; faudra-t-il dire que Jésus-Christ est allé jeûner deux fois dans le ciel pendant cet espace de temps ? Moïse descendant de la montagne, rompit les tables de la loi ; faudra-t-il dire la même chose de Jésus-Christ ? Moïse descendant de la montagne pour la seconde fois, apporta de secondes tables qui ne devaient point être rompues ; tout cela convient-il encore à Jésus-Christ ? Lorsque Moïse descendit de la montagne, sa face fut si resplendissante, que les Israélites n’en pouvant supporter l’éclat, ce législateur fut obligé de mettre un voile sur son visage pour pouvoir converser avec eux ; dira-t-on de même que la face de Jésus-Christ était resplendissante comme le soleil après qu’il fut descendu du ciel, et qu’il fut obligé de se voiler le visage ? Je ne pense pas qu’on veuille pousser le parallèle jusque-là ; et par conséquent il est juste de convenir que les rapports des types ne pouvant pas être poussés avec excès, il n’est pas permis de fonder la vérité d’un fait, d’ailleurs inconnu, sur ces rapports, qui, à moins qu’ils ne soient marqués dans l’Écriture, peuvent passer pour des jeux de notre imagination.
Il paraît donc que cette supposition de nos adversaires, qui veulent que Jésus-Christ soit monté corporellement dans le ciel avant que de se manifester au monde, est entièrement fausse. Mais accordons-leur qu’elle est véritable, leurs affaires n’en seront pas plus avancées, puisque ce principe ne suffit pas pour justifier toutes ces expressions qui marquent que Jésus-Christ est venu ou descendu du ciel.
Car, premièrement, si Jésus-Christ est monté dans le ciel, il n’y a été que pendant quelque temps : il n’y est point monté comme dans un lieu où il ait établi son séjour ordinaire, et ce n’est que de sa seconde ascension que tout cela se peut dire. Comment donc l’Écriture dit-elle qu’il devait monter là où il était premièrement ? Là où il était premièrement : peut-on parler ainsi de quelques jours de séjour que Jésus-Christ a fait dans le ciel ? saint Paul fut ravi jusqu’au troisième ciel ; aurait-on pu dire à sa mort : Son âme s’en va là où il était premièrement ? Jésus-Christ montait à Jérusalem aux fêtes solennelles, et l’Évangile nous apprend qu’il y monta dès l’âge de douze ans ; aurait-on pu dire de lui la seconde fois qu’il y alla : Jésus-Christ monte là où il était premièrement ? Ne serait-ce pas là un langage illusoire, et qui marquerait que Jésus-Christ aurait établi auparavant sa demeure à Jérusalem ? Et pour me servir d’un exemple connu de nos adversaires, aurait-on pu dire de Moïse, lorsqu’on le vit monter sur la montagne pour la seconde fois, qu’il montait là où il était premièrement ?
En second lieu, il est remarquable que l’Écriture ne dit pas ordinairement que Jésus-Christ est monté au ciel, mais qu’il est descendu du ciel, qu’il est venu du ciel, qu’il est venu de Dieu, qu’il est issu de son Père, et qu’il s’en retournera vers lui comme il est venu de lui ; expressions qui marquent que Jésus-Christ est descendu du ciel comme de son lieu naturel, et non pas qu’il est monté dans le ciel par un miracle au-dessus de la nature, pour être seulement là quelques heures ou quelques jours. Et en effet, l’Écriture ne dit pas de saint Paul qu’il est descendu du ciel, qu’il est venu du ciel, qu’il est venu de Dieu, quoique tout cela soit vrai, parce que ce n’est passa descente du ciel, mais son ascension dans le ciel qui est surprenante, admirable, et un événement considérable et important.
Si Jésus-Christ n’est monté dans le ciel que dans le sens de nos adversaires, il valait bien mieux nous répéter souvent que Jésus-Christ était monté au ciel, que non pas nous dire si souvent que Jésus-Christ était descendu du ciel. Car que Jésus-Christ soit descendu ciel, cela va sans dire, s’il est vrai qu’il y soit monté, puisque nous le voyons présent devant nos yeux ; mais qu’il soit monté, c’est là ce que nous ne savons point, et qu’il fallait nous apprendre. On dit des triomphateurs de la vieille Rome qu’ils montaient au Capitole, parce que c’est ce qu’il y a de plus remarquable dans cette action. On ne s’avise guère de dire qu’ils descendaient du Capitole, parce que cette descente n’est pas ce qu’il y a de plus considérable dans l’événement. On disait que les Juifs montaient tous les ans à Jérusalem pour y adorer ; cela était nécessaire à savoir, mais non pas que les Juifs descendaient tous les ans de Jérusalem, quoique l’un fût aussi véritable que l’autre, parce que ce n’est point cette descente à laquelle l’esprit doit l’aire la principale attention. Ainsi, s’il est vrai que Jésus-Christ monta dans le ciel, et descendit du ciel peu de temps après y être monté, il était sans comparaison plus nécessaire de parler de son ascension que de sa descente. Cependant l’Écriture nous parle ordinairement de sa descente, et point de son ascension.
Il est facile d’éclaircir la chose par un exemple. Si nous voyions un étranger qui nous tînt ce langage : Je suis venu du Japon. Je retourne au Japon. Vous me verrez bientôt retourner là où j’étais premièrement. Je suis parti du Japon, et j’ai abordé dans ce pays-ci, non pour faire mes affaires, mais les affaires du roi du Japon. Vous autres, vous êtes de cette terre ; mais moi je suis du Japon. Je suis venu de devers le roi du Japon, et suis abordé dans ce pays ; et de même je quitte ce pays, et m’en retourne vers le roi du Japon ; car c’est lui qui m’a envoyé. Or ce que je dois y retourner, qu’est-ce, sinon que j’avais été envoyé en ce pays-ci ? Celui qui est de ce pays-ci, parle comme les gens de ce pays : mais un homme qui vient du Japon, parle comme venu du Japon. Nul de vous n’a été au Japon, si ce n’est moi qui suis venu du Japon, et qui y suis établi, (ou simplement) qui suis au Japon. J’atteste la conscience de nos adversaires, et je prends tous les hommes à témoin de l’impression naturelle que ces paroles doivent faire sur notre esprit. Ces paroles nous donnent-elles naturellement cette pensée, que celui qui parle ainsi est un Européen : un homme de ce pays-ci qui a été au Japon quinze jours ou un mois, et qui doit bientôt y retourner ? Ou nous font-elles entendre que c’est un homme originaire du Japon, et qui y habite comme dans son lieu naturel et dans sa patrie, et qui doit bientôt retourner vers les siens ? Certainement il est naturel qu’un tel homme dise et répète qu’il est venu du Japon, qu’il est sorti du Japon, qu’il est du Japon ; mais pour un Européen qui n’y aura été que quinze jours ou un mois, il dira et il répétera qu’il a passé jusqu’au Japon, qu’il est allé au Japon, qu’il a vu le Japon.
En troisième lieu, il est remarquable que l’Écriture élève Jésus-Christ au-dessus de tous précisément par cette raison qu’il est venu d’en haut. Or cette raison est bonne, et conclut fort bien dans la supposition que Jésus-Christ vient du ciel, comme un homme qui en est, pour ainsi dire, originaire :qu’il vient du ciel comme de son lieu naturel et de sa patrie ; mais elle ne conclura rien dans la supposition que Jésus-Christ vient du ciel après y être monté miraculeusement, et y avoir été quelque temps, ou si elle conclut, nous pourrons dire, par la même raison, que saint Paul est aussi par-dessus tous, car il a eu cet honneur.
Pour un quatrième, Jésus-Christ ne se contente pas de dire qu’il est descendu du ciel ; mais il rend la raison de cette descente. Je ne suis point venu, dit-il, pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Jésus-Christ se met en peine de donner la raison pour laquelle il est descendu du ciel et il ne pense point a dire la raison pour laquelle il y est monté ; c’est un renversement de langage et de sens commun, si le principe de nos adversaires est véritable. Car c’est tout comme si Moïse venait dire aux Israélites, sans les avoir avertis qu’il est monté sur la montagne, et qu’il a eu commerce avec Dieu : Je suis descendu de la montagne pour telle ou pour telle raison. Car on aurait pu lui dire : Cette montagne n’était pas le lieu de votre demeure ; nous sommes surpris que vous y soyez monté, mais nous ne le sommes point que vous en soyez descendu. Dites-nous premièrement pourquoi vous y êtes monté, et après vous nous ferez savoir pourquoi vous en êtes descendu.
En cinquième lieu, il est remarquable que l’Apôtre fait une opposition entre le premier et le second Adam en ces termes : Le premier homme étant de terre, est de poudre. Le second homme est le Seigneur qui est du ciel. Comme donc la terre est le lieu naturel du premier homme, il faut que le ciel soit le lieu naturel du second. Comme ces paroles, le premier homme étant de terre, ne marquent pas simplement que le premier homme ait été pendant quelques moments attaché à la terre, et qu’ensuite il s’en soit relevé, mais qu’avant que d’être animé par le souffle de Dieu, il avait toujours été dans la terre comme dans son origine ou dans son lieu naturel ; de même aussi ces paroles : le second homme est du ciel, ne marquent pas simplement que Jésus-Christ soit du ciel, parce qu’il est venu du ciel après y avoir été quelques moments ; mais bien qu’avant qu’il descendit sur la terre il avait toujours été dans le ciel comme dans son origine ou dans son lieu naturel.
Il est évident par les considérations précédentes que tous ces passages deviennent obscurs et inintelligibles dans l’hypothèse de ceux qui prétendent que Jésus-Christ soit un simple homme par sa nature. On fera voir avec la même facilité que cette hypothèse rend ces passages faux, absurdes, et en quelque sorte impies ou injurieux à la Divinité.
En effet, ces passages font naturellement quatre impressions sur notre esprit. La première est, que Jésus-Christ avant sa naissance était dans le ciel comme dans son lieu naturel. Car quel autre sens pourrait-on donner à ces expressions ? Que sera-ce si vous voyez le Fils de l’homme monter là où il était premièrement ? Celui qui est venu d’en haut. Celui qui est venu du ciel. Le second homme et le Seigneur qui est du ciel. Or cette expression est fausse, s’il est vrai que Jésus-Christ ne soit qu’un simple homme ; et il n’est pas nécessaire de s’arrêter à faire voir une chose si incontestable.
La seconde est, que Jésus-Christ a le ciel pour son origine bien plus particulièrement que les autres hommes. Car l’Écriture oppose Jésus-Christ aux autres hommes, en ce que les autres sont d’en bas, et que lui il est d’en haut ; en ce que les autres sont de la terre, et que lui est du ciel. Or cette pensée est encore fausse, si Jésus-Christ n’est qu’un simple homme par sa nature. Car en ce cas-là il faudra dire que nous sommes d’en haut, que nous sommes du ciel, dans le même sens que Jésus-Christ ; et que Jésus-Christ est d’en bas, de la terre, dans le même sens que nous. Jésus-Christ simple homme ne peut être dit être d’en haut ou du ciel, que parce qu’il a Dieu pour son principe, ou que Dieu l’a envoyé, ou que Dieu lui a destiné la gloire du ciel, ou que Dieu l’a enrichi de ses dons. Or tout cela convient aux autres hommes. Dieu est le principe qui produit immédiatement leur âme. Dieu a produit immédiatement le corps et l’âme du premier homme. Dieu a envoyé les prophètes et les apôtres, comme il a envoyé Jésus-Christ. Dieu destine la gloire du ciel à tous ceux qui croiront en ce divin Sauveur. Et Dieu a toujours sanctifié ses fidèles et rempli de sa vertu ceux qui ont fait des miracles. Ainsi aucun de ces caractères n’étant propre à Jésus-Christ, mais ces trois caractères étant communs à Jésus-Christ et aux autres hommes, il nous paraît que les autres hommes peuvent être dits en ce sens-là d’en haut, venir du ciel, venir de Dieu, comme Jésus-Christ. Il faut ajouter à cela, que Jésus-Christ est d’en bas, de la terre, dans le même sens que les autres hommes. Car nous sommes dits être d’en bas, venir de la terre, parce que nous sommes composés d’une nature grossière et terrestre, ou parce que notre corps a été premièrement tiré de la terre, ayant été formé du limon. Or Jésus-Christ a aussi bien que nous une nature corporelle, et le corps de Jésus-Christ, aussi bien que le notre, a été formé de cette matière qui sortit premièrement de la terre. Et il ne sert de rien de dire qu’elle a été épurée par l’opération du Saint-Esprit. Car ce limon, dont le corps du premier homme fut composé, fut aussi façonné immédiatement par la puissance de Dieu. Enfin Jésus-Christ simple homme peut être considéré en deux manières, ou comme un homme, ou comme un envoyé de Dieu. Si vous le considérez comme un envoyé de Dieu, j’avoue qu’il vient de Dieu, qu’il descend du ciel, parce que sa vocation vient de Dieu immédiatement ; mais comme la vocation des prophètes était en cela toute semblable à la sienne, puisque les prophètes étaient envoyés de Dieu immédiatement, il s’ensuit qu’à cet égard Jésus-Christ ne vient d’en haut, n’est du ciel, que comme les prophètes l’ont été. Si nous considérons Jésus-Christ comme un homme, il est venu du ciel à l’égard de son corps, ou à l’égard de son âme. Si l’on dit qu’il est venu du ciel à l’égard de son âme, parce que son âme a été formée immédiatement par la vertu de Dieu, tous les autres hommes ont le même avantage, puisqu’il a été dit d’eux tous :La terre retourne à la terre dont elle a été prise, mais l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné. Que si l’on prétend que Jésus-Christ est venu du ciel à l’égard de son corps, parce que son corps a été produit par la vertu de Dieu, ce caractère lui est commun avec les autres hommes. Si c’est parce qu’il a été produit miraculeusement, cela lui est commun avec Isaac et avec Jean-Baptiste. Si c’est parce que son corps a été produit sans intervention d’homme, cela lui est commun avec le premier Adam. On dira peut-être que Jésus-Christ est dit être venu d’en haut ou du ciel, parce qu’il avait été rempli du Saint-Esprit. Mais cette réponse ne peut avoir de lieu pour plusieurs raisons. Premièrement, parce qu’il n’est pas seulement dit de Jésus-Christ qu’il est venu d’en haut, mais encore qu’il était premièrement au ciel. Or cette dernière expression ne peut pas signifier que Jésus-Christ étant sur la terre avait reçu les dons du Saint-Esprit ; d’ailleurs les apôtres furent baptisés du Saint-Esprit ; cependant on n’a jamais dit qu’ils fussent venus d’en haut, qu’ils fussent sortis de Dieu, qu’ils eussent été au ciel premièrement.
La troisième impression que ces passages font naturellement sur notre esprit, est que non seulement Jésus-Christ vient d’en haut, est du ciel dans un sens plus noble que les autres hommes, et que le premier homme ; mais encore que c’est précisément par la que le second Adam, qui est Jésus-Christ, a un avantage glorieux sur le premier d’Adam qui est notre premier père. C’est ce qui est particulièrement énoncé dans ces paroles. Le premier homme étant de terre, est de poudre. Le second homme est le Seigneur qui est du ciel. Or tout cela est faux, s’il est vrai que Jésus-Christ soit un simple homme par sa nature ; car il vient de la terre, si cela est, comme le premier Adam en est venu ; et celui-ci était venu du ciel à peu près dans le même sens que Jésus-Christ, comme cela a été déjà justifié.
Enfin la dernière pensée que ces passages font naturellement venir dans l’esprit, est que Jésus-Christ s’est abaissé en quelque sorte, parce qu’il est venu d’un lieu plein de gloire, qui est le ciel, sur la terre, qui est le séjour de la bassesse. Or ce qu’il est monté, qu’est-ce, sinon qu’il était premièrement descendu dans les parties les plus basses de la terre ? A-t-on accoutumé de dire d’un homme qui est simple homme par sa nature, qu’il est descendu dans les parties les plus basses de la terre ?
Ainsi il nous paraît que ces passages que nous avons examinés ne font naturellement que des impressions fausses, si le sentiment de nos adversaires a lieu. Mais il faut aller plus avant, et il est bon de montrer après cela que ces passages présentent un sens absurde et ridicule, étant entendus comme nos adversaires les entendent ; et pour cela nous n’avons qu’à les considérer avec leur commentaire. Nos adversaires expliquant ces paroles de Jésus-Christ en saint Jean : Que sera-ce donc, si vous voyez le Fils de l’homme monter là où il était premièrement ? prétendent que ces paroles : là où il était premièrement, doivent se prendre dans un sens figuré. Ils ajoutent que Jésus-Christ veut dire en cet endroit, que le Fils de l’homme avait été au ciel avant qu’il montât au ciel par sa résurrection, non seulement parce que déjà avant ce temps-là il était continuellement dans le ciel par la méditation et par la pensée, mais encore parce qu’il connaissait tellement toutes les choses célestes, c’est-à-dire tous les secrets les plus divins, et que toutes les choses qui sont et qui se font au ciel, lui étaient tellement connues et manifestes, qu’il les voyait comme si elles lui eussent été présentes ; et qu’ainsi, bien qu’il fût sur la terre, il ne laissait pas d’être aussi dans le ciel. Mais combien ce passage devient-il absurde et ridicule en l’expliquant ainsi : Que sera-ce si vous voyez le Fils de l’homme monter là où il était premièrement par la méditation ou par la pensée ? Car où est-ce que l’on trouvera qu’être au ciel signifie penser au ciel ? Pourquoi Jésus-Christ se sert-il d’un verbe qui signifie le passé, lorsqu’il s’agit d’exprimer le présent ? Et si lorsque Jésus-Christ tenait ce langage, il était au ciel par la pensée et par la méditation, pourquoi ne pas dire : Que sera-ce si vous voyez le Fils de l’homme monter là où il est présentement ? Que veut dire cette expression : là où il était auparavant ? (τΤὸ πρότερον) Et quel sens peut on raisonnablement donner à cet auparavant ? Par quel esprit de divination pourrait-on connaître que Jésus-Christ parlant littéralement, comme chacun en convient, lorsqu’il dit : Si vous voyez monter, le sens littéral finisse au milieu de la phrase, et qu’il faille entendre le reste en figure, quoique ces deux expressions : monter là où il était, aient un tel rapport, que tous les hommes les prendront dans un même sens, c’est-à-dire, toutes deux dans le sens propre, ou toutes deux dans le sens littéral ? Comment s’empêcher de reconnaître ici une opposition cachée entre le lieu où Jésus-Christ était premièrement, qui est le ciel, et le lieu où il s’est trouvé ensuite, qui est la terre ; de sorte que comme il s’est trouvé sur la terre dans un sens propre, il faut qu’il eût été dans le ciel dans un sens littéral ? Lequel des hommes s’est jamais exprimé de la sorte, et nous a dit : Je m’en vais au Japon où j’étais premièrement, pour dire : Je vais au Japon où j’étais déjà par le désir ou par la pensée ? Les fidèles sont exhortés d’élever leur cœur en haut là où est Jésus-Christ ; mais jamais on n’a dit que les fidèles doivent monter en haut là où il était premièrement. On peut bien dire que notre cœur est dans le ciel, là où est notre trésor, parce que la métaphore reçoit du jour des autres paroles qui l’accompagnent ; mais on ne saurait dire sans un impertinent galimatias : Que sera-ce, lorsque l’on nous verra monter là où nous étions premièrement ? pour dire : là où nous étions par la pensée, parce que n’y ayant rien qui ne conduise naturellement au sens littéral dans ces paroles, l’esprit est choqué d’une métaphore qu’il trouve placée de travers sur son chemin.
Mais continuons à examiner ces passages avec la glose de nos adversaires. Ces paroles : je suis descendu du ciel, ne signifient autre chose, selon leur opinion, si ce n’est : Ma chair a été créée et formée par un conseil et par une vertu admirable de Dieu, et par là elle est venue de Dieu même. C’est pourquoi, quand il est dit que Jésus-Christ est descendu du ciel, cela ne signifie autre chose, si ce n’est qu’il est venu de Dieu même. Mais comment entendre après cela ces paroles : Le premier homme étant de terre, est de poudre ; le second homme étant le Seigneur, est du ciel ? Le corps d’Adam fut formé par une vertu admirable de Dieu ; il est donc venu de Dieu en ce sens ; il est donc descendu du ciel. D’ailleurs, qui ne voit que ces paroles : Je suis descendu du ciel, non pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de celui qui m’a envoyé, signifient toute autre chose que : Ma chair a été formée par la vertu du Saint-Esprit ? Car il y a ici un envoi qui précède une descente, et une descente qui suit un envoi.
Il faut ajouter à tout cela, que ce langage ne serait conforme ni à la modestie ni à ce respect qu’on doit à la Divinité. Premièrement, Jésus-Christ, s’il n’est qu’un simple homme, vient de la poudre et de la terre aussi bien que le premier ; en second lieu, on ne peut point dire d’un simple homme : Mais le second étant le Seigneur, est du ciel. On ne parle point ainsi d’un homme qui, appartenant naturellement à la terre, n’est fait l’héritier du ciel que par grâce ; au contraire, pour parler conformément à la vérité et à la modestie, il faudrait tenir un langage tout opposé, et dire : Jésus-Christ étant de terre, est de poudre naturellement ; mais par la grâce et par la bonté de Dieu, il est fait le Seigneur du ciel. Or, comme l’on ne peut manquer de modestie à cet égard sans tomber dans l’impiété, parce qu’on ne peut en cela s’attribuer de gloire qu’on ne dérobe à Dieu, il est clair que le langage de l’Écriture devient non seulement obscur et inintelligible, non seulement faux et illusoire, non seulement absurde et peu raisonnable, mais encore plein d’orgueil et d’impiété, supposé que l’on doive s’arrêter au sentiment de ceux qui font de Jésus-Christ un simple homme par sa nature. Car c’est à combattre ce sentiment qu’on s’est particulièrement arrêté dans ce chapitre. L’hypothèse arienne aura son tour dans les autres parties de cet ouvrage.