Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre VI

Preuve de la même vérité, tirée des passages de l’Écriture qui marquent la préexistence de Jésus-Christ.

L’Écriture nous donne toutes ces idées de Jésus-Christ qu’il existait avant qu’il naquit ; qu’il était avant Jean-Baptiste, et du temps des prophètes qui étaient même remplis de son esprit ; qu’il était avant qu’Abraham fût ; qu’il était au commencement de toutes choses, dès le commencement du temps ; qu’il était avant tous les siècles. Car :

1. il est dit de lui qu’il a été en forme de Dieu, et qu’ensuite il s’est anéanti pour prendre la forme de serviteur ; ce qui marque que Jésus-Christ existait avant son abaissement, et par conséquent avant sa naissance.

2. L’Écriture dit de lui : qu’il a été fait de la semence de David selon la chair. Cela marque qu’il y a en lui une nature distincte de la nature humaine, à l’égard de laquelle il n’a pas été fait de la semence de David.

3. Il est appelé Dieu manifesté en chair. Cela montre que dans cette nature charnelle qui a commencé de paraître, il y a un Dieu qui n’avait pas toujours paru.

4. Il est dit que cette Parole, qui était dès le commencement, et qui était Dieu, a été faite chair. Cela signifie que la Parole était avant l’existence de cette chair.

5. Jésus-Christ dit de lui-même qu’il est issu de son Père, et qu’il est venu au monde, et que derechef il quitte le monde, et s’en va vers son Père. Cela est faux, ou il faut que Jésus-Christ ait été avant qu’il vint au monde.

6. Jésus-Christ assure avec serment qu’il est avant Abraham. En vérité je vous dis, avant qu’Abraham fût, je suis. Il faut qu’il ait parlé faussement, ou qu’il soit avant qu’Abraham fût : c’est l’impression naturelle de ses paroles.

7. Saint Pierre dit, en parlant du salut qui nous a été apporté par Jésus-Christ : Duquel salut les prophètes (qui ont prophétisé de la grâce qui était réservée pour vous) se sont enquis, et l’ont diligemment recherché, recherchant soigneusement quand et en quel temps l’Esprit prophétique de Christ, qui était en eux, rendant témoignage auparavant, déclarait les souffrances qui devaient arriver à Christ, les gloires qui s’en devaient ensuivre. On ne peut dire avec vérité que l’Esprit prophétique de Christ a été dans les prophètes, à moins qu’on ne reconnaisse que Jésus-Christ existait du temps des prophètes. Jésus-Christ a un Esprit qu’il envoie sur les apôtres, et un esprit prophétique dont il inspirait les prophètes. Il a donc existé du temps des prophètes comme du temps des apôtres : cela est convaincant. Car de dire que l’esprit des prophètes était l’Esprit de Christ, parce qu’il prophétisait touchant le Christ, c’est supposer que les apôtres extravaguent dans leurs expressions. Les prophètes ont prédit la venue des apôtres ; dira-t-on pour cela : l’esprit prophétique des apôtres qui était dans les prophètes.

8. Il est dit de Jésus-Christ qu’il était au commencement, qu’il était avec Dieu, qu’il était Dieu et que par lui toutes choses ont été faites. Tout cela est faux, ou il faut reconnaître que Jésus-Christ existait non seulement avant sa naissance, mais encore avant la naissance du monde.

9. Il est dit que ses issues sont dès le commencement, dès les temps anciens, ou dès les jours du siècle, et ce qui explique cela, un apôtre nous apprend qu’il a fait les siècles (Hébreux 1.2-4). Il s’ensuit donc que Jésus-Christ a été dès le commencement du temps, et même avant le temps et les siècles.

10. Il fait cette prière à Dieu son Père : Et maintenant, Père, glorifie ton Fils de cette gloire qu’il a eue par-devers toi avant que le monde fût. Ce discours manque de sens et de vérité, ou il faut que Jésus-Christ ait été, ou qu’il ait possédé sa gloire avant la naissance du monde.

11. Jésus-Christ est nommé très souvent dans l’Écriture l’Alpha et l’Oméga, le commencement et la fin, le premier et le dernier. Ou ce titre lui est attribué faussement, ou il faut demeurer d’accord que Jésus-Christ a existé avant toutes les créatures.

Pour juger de l’impression que ces passages font naturellement dans l’esprit, il ne faut que considérer l’impression qu’ils ont faite sur les hommes depuis tant de siècles qu’il y a que l’Écriture qui les contient est composée. Que les sociniens prennent tels arbitres qu’il leur plaira pour juger de ce que ces expressions signifient dans leur simplicité naturelle. S’ils se défient des orthodoxes, oseront-ils bien aussi se défier des ariens, qui non plus qu’eux n’ont pas été préoccupés pour la divinité souveraine de Jésus-Christ ? Si les ariens leur paraissent suspects, se défieront-ils du témoignage des mahométans, lesquels, aussi bien que les sociniens, rejettent non seulement le dogme de la divinité de Jésus-Christ, mais encore celui de sa préexistence, et qui cependant leur diront qu’ils voient dans ces passages ce que nous y voyons ; ce qui les oblige à rejeter l’Écriture du Nouveau Testament, comme étant ou toute supposée, ou essentiellement corrompue ? Je ne sais si nous n’avons pas lieu de croire que c’est là le sentiment secret de nos adversaires, lorsqu’on les voit apporter un si grand nombre d’explications de ces passages, si différentes, et quelquefois contradictoires.

Ce n’est pas apparemment l’impression simple et naturelle de ces paroles : Avant qu’Abraham fût, je suis, qui a suggéré à Socin cette interprétation qu’il dit lui-même lui avoir tant coûté de peine et d’efforts de méditation, et que Dieu ne lui fit connaître qu’après qu’il la lui eut demandée très instamment, et qu’il eut passé plusieurs jours en prières : explication qui, après tout cela, n’a pas été approuvée des docteurs de la secte qui l’ont suivi. Il ne faut pas s’en étonner ; car si Jésus-Christ en disant : Avant qu’Abraham fût, etc., a voulu dire : Je suis avant qu’Abraham soit, ce qui est exprimé par le nom d’Abraham, c’est-à-dire le père de plusieurs nations, avant que les gentils soient devenus les enfants d’Abraham ; on peut dire qu’il n’y eut jamais rien de plus illusoire ni de plus captieux que son discours. II est même évident qu’il manque de vérité, puisque cette expression : Avant qu’Abraham fût, ne signifie point avant qu’Abraham fût Abram, comme celle-ci, avant que le grand Pompée fût, ne signifie point avant que Pompée fût surnommé ou fût en effet le Grand ; mais elle veut dire : avant que celui qui a été honoré de ce titre existât, avant qu’il fût au monde. D’ailleurs, cette glose de Socin rend le discours de Jésus-Christ plein d’absurdité. Car quelle grande merveille était-ce que Jésus-Christ fût avant que les gentils fussent devenus les enfants d’Abraham, puisqu’on pouvait dire la même chose de la moindre personne qui vécût alors ? Un socinien moderne a mieux répondu, lorsqu’il prétend que Jésus-Christ est avant Abraham dans le même sens qu’il est l’Agneau immolé dès la fondation du monde. Car, quoiqu’il s’en faille bien que cette réponse ne satisfasse, l’on peut certainement la regarder comme une défaite plausible et bien trouvée. Mais, premièrement, on peut distinguer deux parties dans le sacrifice de Jésus-Christ, comme nous distinguons deux natures en lui : la partie corporelle de ce sacrifice, et l’oblation actuelle que Jésus-Christ fait de sa chair mourante et déchirée sur la croix. La partie spirituelle de ce sacrifice est l’oblation en esprit que Jésus-Christ fait à Dieu son Père pendant tous les siècles. Car il n’y a point de doute que le sacrifice d’Abel ne fût rejeté aussi bien que celui de Caïn, si le Fils éternel de Dieu ne le faisait agréer à son Père, en lui offrant dès lors en esprit cette chair et ce sang qu’il devait prendre dans l’accomplissement des temps pour nous racheter de nos péchés. De sorte que, si le sacrifice de Jésus-Christ n’existait point dans sa partie corporelle dès la fondation du monde, il existait dans sa patrie spirituelle : c’était une immolation et une oblation qui se faisait dès lors en esprit par le Fils de Dieu réellement existant. Ajoutez à cela que, quand on reconnaîtra quelque figure dans ces paroles, l’Agneau immolé dès la fondation du monde, cette figure s’explique assez par ce terme d’égorgé ou immolé, par ce qui suit et ce qui précède, et par les autres circonstances du discours. Mais ici tout nous conduit au sens littéral. C’est une objection très littérale qu’on a faite à Jésus-Christ, en lui disant : Tu n’as pas encore cinquante ans. Enfin, cette expression qui marque la préexistence de Jésus-Christ : Avant qu’Abraham, etc., a l’avantage d’être soutenue par un grand nombre d’expressions semblables ; ce qu’on ne peut point dire de l’autre. Car, afin que les choses soient égales, il faut supposer que l’Écriture nous dit que Jésus-Christ étant en forme de victime, voulut ensuite être en forme d’homme ; qu’il venait de souffrir lorsqu’il vint au monde ; que les prophètes ont vu couler son sang, et qu’on en a fait aspersion sur eux ; que les Israélites secouèrent la tête du temps de Moïse en le voyant attaché à une croix ; qu’il mourut avant qu’Abraham fût ; qu’il partit du temps de Noé portant sa croix sur lui, et la faisant voir aux hommes incrédules et impénitents ; que sa mort et sa crucifixion sont dès les temps anciens ; qu’il souffrit la mort avant tous les siècles ; que Jésus-Christ sur le Calvaire fit à Dieu cette prière : Père, me voici tout prêt à endurer les mêmes souffrances que j’ai souffertes par-devers toi avant que le monde fût. Ne diriez-vous point qu’un tel discours est rempli de fausseté, et même d’extravagance ? Ne le diriez-vous pas, quoiqu’on vous fit voir que Jésus-Christ est appelé l’Agneau de Dieu qui est égorgé dès la fondation du monde ?

Mais il y a plus que cela. Le passage de l’Apocalypse qu’on cite pour répondre à la preuve que nous tirons de celui de l’Évangile, peut être interprété d’une telle sorte, qu’il devient inutile à nos adversaires. Le voici tout entier. Tous ceux donc qui habitent en la terre l’adoraient (s’entend la bête dont il a parlé), desquels les noms ne sont point écrits au livre de vie de l’Agneau immolé dès la fondation du monde. Rien n’empêche qu’on ne reconnaisse dans ces paroles une de ces transpositions qui sont si ordinaires dans l’Écriture, et même dans toutes sortes d’auteurs, et qu’on ne rende ces paroles par celles-ci : Desquels les noms ne sont point écrits dès la fondation du monde dans le livre de l’Agneau immolé, ou de l’Agneau qui a été immolé. En effet, cette expression : dès la fondation du monde, tombe naturellement sur celle-ci : écrits au Livre de vie ; car il s’agit d’une prédestination qui est de toute éternité, par laquelle on rend raison de ce que les habitants de la terre se perdent dans le temps en adorant la bête ; mais on ne voit point qu’il fût nécessaire de parler en cet endroit de la vertu éternelle du sacrifice de la croix, et de la relever par cette expression : immolé dès la fondation du monde. Toute la difficulté qu’on trouve dans l’explication qui unit cette expression : dès la fondation du monde, avec celle-ci : dont les noms, sont écrits au livre de vie, c’est qu’il semble que le terme de tué ou d’immolé devient par là hors d’œuvre, et qu’il valait beaucoup mieux dire : dont les noms sont écrits au livre de vie de l’Agneau, que de dire, dont les noms sont écrits au livre de vie de l’Agneau immolé, ou qui a été immolé. Mais cette difficulté n’est rien, si l’on considère que dans l’Apocalypse Jésus-Christ ne nous est pas seulement représenté comme un agneau, mais comme un agneau sacrifié, et que c’est sous cette dernière idée qu’il est traité si magnifiquement. Ainsi les vingt-quatre anciens nous sont représentés chantant une chanson nouvelle, et disant : Tu es digne de prendre le livre et d’ouvrir les sceaux ; car tu as été mis à mort, etc., et quelque temps après : L’Agneau qui a été mis à mort est digne de prendre puissance et richesses, etc. Comme donc c’est sous l’idée d’agneau immolé que Jésus-Christ paraît dans ces révélations, il ne faut pas s’étonner s’il est parlé de ceux qui sont écrits au livre de l’Agneau immolé, et non simplement de ceux qui sont écrits au livre de l’Agneau.

Ainsi l’exemple cité par nos adversaires n’étant plus d’aucun usage, il faut, malgré qu’ils en aient, qu’ils se réduisent à quelqu’une de ces deux réponses qu’on avait faites à ce passage : Avant qu’Abraham, etc., et qu’on dise que Jésus-Christ est avant Abraham en destination et dans le décret de Dieu ; ou que Jésus-Christ est avant qu’Abraham soit Abraham, c’est-à-dire le père de plusieurs nations, avant qu’il soit ce qui est signifié par le nom d’Abraham. Mais ces deux réponses sont si faibles qu’on ne doit point perdre son temps à les réfuter. Car, lequel de ces deux sens qu’on attribue à Jésus-Christ, on lui fait dire la plus grande puérilité du monde. N’est-ce pas une chose bien surprenante que Jésus-Christ existe dans le décret de Dieu avant qu’Abraham existe réellement ? Cela peut se dire de tous les hommes qui ont vécu depuis le siècle de ce patriarche, sans aucune exception. Ne serait-ce pas aussi une grande merveille que Jésus-Christ existât avant que les gentils fussent devenus les enfants d’Abraham ? Cela convenait au moindre des disciples du Seigneur Jésus, et même à Judas qui le trahit. Et est-ce pour confirmer des inepties de cette nature que Jésus-Christ aura employé une assévération si grave et si forte, en disant : En vérité je vous dis, avant, etc.

Mais quand il y aurait quelque difficulté dans ce passage, qui est si clair, si exprès et si beau, il serait juste de l’expliquer par tant d’autres passages parallèles qui marquent évidemment la préexistence de Jésus-Christ. Il est facile d’inventer des subtilités et des distinctions, mais il ne l’est pas de se satisfaire après les avoir inventées. Ainsi, quand on me dira, comme font quelques uns, que Jésus-Christ a été premier que les prophètes, qu’Abraham en excellence et en dignité, et que nous entendons d’une antériorité de temps, si l’on peut s’exprimer ainsi, ce que l’Écriture ne dit que d’une antériorité de dignité et d’excellence, l’esprit n’acquiescera point à cette réponse. Car comment cela peut-il nous sauver de ces passages qui disent que Jésus-Christ est le premier et le dernier ? Il est le premier dans le sens qu’il doit être le dernier. Il n’est pas le dernier en dignité. Ce n’est donc pas de la primauté d’excellence qu’il s’agit en cet endroit. Comment nous est-il représenté sans commencement de jours ? Comment dit-il à l’occasion de l’objection que les Juifs lui faisaient sur son âge, en lui disant : Tu n’as pas encore cinquante ans, et tu dis : J’ai vu Abraham ; avant qu’Abraham fût je suis ? Et comment cette petite subtilité peut-elle mettre à couvert nos adversaires de la force invincible de ces autres passages qui marquent sa préexistence avec tant de clarté ? Nous ne pouvons les examiner tous dans le détail ; ce dessein nous engagerait dans une longueur que nous voulons éviter ; mais nous en examinerons quelques-uns avec un soin particulier.

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