Traité de la divinité de Jésus-Christ

Chapitre VII

Suite de la preuve, par des passages de l’Écriture qui marquent la préexistence de Jésus-Christ.

Le premier qui se présente se trouve Philippiens 2.6, que notre version a ainsi traduit : Qu’il y ait donc un même sentiment entre vous qui a été aussi en Jésus-Christ, lequel étant en forme de Dieu, n’a point réputé à rapine d’être égal à Dieu. Toutefois, il s’est anéanti soi-même, ayant pris la forme de serviteur, fait à la ressemblance des hommes ; et étant trouvé en figure comme un homme, il s’est abaissé soi-même, et a été obéissant jusqu’à la mort, même jusqu’à la mort de la croix.

Notre explication laisse à chaque parole son sens, sa situation et sa signification naturelle ; car nous croyons pouvoir les rendre par celles-ci : Lequel étant en forme de Dieu, étant Dieu, et participant de la gloire divine par-devers son Père, n’a point estimé que ce fût un larcin de s’égaler avec son Père ; et toutefois il s’est anéanti soi-même en prenant la forme d’un serviteur, naissant dans la bassesse, devenant homme et semblable aux hommes du commun, et puis se rendant obéissant jusqu’à souffrir la mort, même la mort de la croix.

Mais on doit faire un autre jugement de la glose socinienne, qui change les paroles, le sens et la situation naturelle des termes. La voici : Lequel étant en forme de Dieu, c’est-à-dire lequel commandant aux créatures et aux éléments lorsqu’il était sur la terre, comme s’il avait été quelque Dieu, n’a point reconnu et conservé avec opiniâtreté son égalité avec Dieu, comme font ceux qui dérobent quelque chose, lesquels la retiennent avec attachement ; mais il a renoncé à cette égalité avec Dieu pour s’anéantir soi-même, prenant la forme de serviteur en obéissant, au lieu qu’il commandait auparavant, étant traité comme un esclave, et devenant semblable aux hommes du commun ; au lieu qu’il était auparavant en forme de Dieu par la puissance dont il était revêtu, et se montrant obéissant jusqu’à la mort de la croix.

Toutes ces expressions, en forme de Dieu, d’être égal avec Dieu, il n’a point réputé à rapine, il s’est anéanti soi-même, il a pris la forme de serviteur, souffrent dans cette explication une violence manifeste.

Premièrement, il est naturel, lorsqu’on trouve dans l’Écriture quelque expression singulière, de l’expliquer par d’autres passages parallèles, ou du moins qui aient quelque rapport avec elle. Ce terme, étant en forme de Dieu, paraît extraordinaire à nos adversaires, et de là vient qu’ils en donnent des explications si étudiées. Il serait donc naturel, s’ils voulaient agir de bonne foi, qu’ils le comparassent à d’autres expressions qui semblent signifier à peu près la même chose. Ainsi saint Jean dit de Jésus-Christ qu’il était au commencement, et qu’il était Dieu ; et saint Jean, expliquant et paraphrasant cette expression, dit que toutes choses ont été faites par lui, et que sans lui rien de ce qui a été fait n’a été fait. Et saint Paul nous fait entendre qu’avant que Jésus-Christ se soit montré sous la forme d’un serviteur, et qu’il se soit anéanti, il était en forme de Dieu. Il me semble qu’il ne faut pas faire de fort grands efforts de raisonnement pour voir que ces deux passages sont conformes ; que celui qui est appelé la parole était Dieu et en forme de Dieu au commencement. De sorte que, comme la parole était Dieu avant qu’elle eût été faite chair, comme l’évangéliste saint Jean nous le fait comprendre, il s’ensuit aussi que Jésus-Christ était en la forme de Dieu avant que d’être fait chair, et d’avoir pris la nature humaine, comme saint Paul nous le fait connaître.

On peut dire hardiment, en second lieu, que ni dans le langage divin, ni dans le langage humain, on ne trouvera point qu’être en la forme de Dieu, signifie faire des miracles, ou commander aux vents, aux tempêtes, aux maladies et aux démons. D’où est-ce qu’on a pris une signification de ce terme si extraordinaire ? Qu’ils nous citent quelque prophète, quelque évangéliste, ou quelque apôtre qui ait parlé de cette manière.

Ajoutez à cela que si, pour être en forme de Dieu, il suffisait de faire de grands miracles dans toutes les parties de la nature, on pourrait dire que Moïse a été en forme de Dieu, car il a fait des prodiges étonnants dans l’air, dans la mer, sur la terre ; les apôtres auraient été en forme de Dieu, car ils ont fait de grands miracles, et même, en quelque sens, de plus grands que Jésus-Christ, comme ce divin Sauveur le leur avait promis expressément.

On me dira peut-être que Jésus-Christ faisait ces miracles en son nom et par sa propre puissance, au lieu que les apôtres ne les faisaient qu’au nom du Seigneur Jésus, et par le pouvoir dont il les avait revêtus, comme saint Pierre le dit aux Juifs après avoir guéri le boiteux qui se tenait à la porte du temple : Hommes Israélites, leur dit-il, pourquoi vous étonnez-vous de ceci, ou pourquoi avez-vous les regards attachés sur nous, comme si, par notre puissance ou par notre sainteté, nous avions fait marcher celui-ci ? Cette considération, bien loin de diminuer la force de notre raisonnement, ne fait que nous fournir une quatrième preuve.

Car si Jésus-Christ a fait des miracles au nom et par la puissance de son Père, je dis qu’il n’était pas plus indépendant de Dieu lorsqu’il faisait ses miracles, que ses apôtres l’étaient lorsqu’ils faisaient les leurs. Si donc les disciples n’ont pu être dits en forme Dieu, parce qu’ils ne faisaient rien qu’au nom et par le pouvoir de leur maître, celui-ci n’aura pu être aussi en la forme de Dieu, parce qu’il ne faisait rien qu’au nom et par la puissance de Dieu. Que si Jésus-Christ a fait ses miracles en son nom et par sa propre puissance, on se contredit soi-même le plus grossièrement du monde, puisqu’une des plus fortes objections que nos adversaires croient nous fairea, est prise de ce que Jésus-Christ est venu, non pour faire sa volonté, mais la volonté de celui qui l’a envoyé ; de ce qu’il a déclaré ouvertement que ce n’était pas lui, mais son Père, qui était le premier auteur des œuvres merveilleuses qu’il faisait ; que sa doctrine n’était pas sa doctrine mais celle de son Père, et que celui qui croit en lui, ne croit point en lui, mais en celui qui l’a envoyé ; que le Père était le véritable auteur de la résurrection de Christ ; que le Père fait toutes choses par le Fils ; que le Fils ne peut rien de par lui-même.

a – Crellius, de uno Deo, lib. I, sect. I.

Nous prenons une cinquième preuve de ce que les sociniens ne peuvent marquer en quel temps Jésus-Christ a été en forme de Dieu, sans se contredire, ou sans démentir l’Écriture. Car, ou ç’a été pendant les trente ans qu’il a vécu en qualité de personne privée, ou ç’a été depuis qu’il commença les fonctions de son ministère, et pendant les trois ou quatre ans qui se sont passés depuis son baptême jusqu’à sa mort. Si c’est pendant les trente ans qu’il a passés comme personne privée, l’exposition socinienne ne peut subsister, puisque pendant ces trente ans nous ne lisons point qu’il ait fait des miracles considérables. Si c’est depuis son baptême et pendant les trois ans de son ministère, il s’ensuit qu’il a commencé d’être en forme de Dieu aussitôt qu’il a commencé de s’abaisser et de s’anéantir le plus profondément, lorsqu’il a été livré entre les mains du démon pour être tenté en diverses manières, étant porté tantôt sur une haute montagne, tantôt sur les créneaux du temple, etc., lorsqu’il a commencé de souffrir toutes les incommodités de la vie et tous les outrages de la persécution. Peut-on sans extravagance appeler cet état d’extrême indigence, de honte et d’afflictions, être en forme de Dieu ?

Ajoutez à cela que Jésus-Christ n’a fait de grands miracles qu’après s’être abaissé. C’est après s’être trouvé dans une crèche à sa naissance, après avoir échappé à la fureur d’un tyran avide de son sang, après avoir fui en Egypte, et avoir été élevé au sortir de son exil à Nazareth, ville inconnue, après avoir travaillé de ses mains pendant trente ans dans la triste boutique d’un charpentier, que Jésus-Christ fit de grands miracles. Si donc Jésus-Christ a été en forme de Dieu parce qu’il commandait aux créatures en faisant des miracles, il s’ensuit qu’il a été en forme de Dieu après avoir commencé de s’humilier et de s’anéantir ; ce qui est évidemment contre le texte.

L’union de ces deux termes, étant en forme de Dieu, il n’a point réputé à rapine d’être égal avec Dieu, ou, comme Socin l’explique, il n’a point retenu avec obstination son égalité avec Dieu, nous fournira une sixième preuve. Car il paraît que Jésus-Christ était en forme de Dieu à peu près de la même manière et par le même principe qui faisait qu’il était égal avec Dieu. Or, ce n’est point par ses miracles qu’il se montrait égal avec Dieu, ni devant Dieu, ni devant les hommes : non devant Dieu, puisqu’il ne faisait que les œuvres que Dieu lui avait données à faire ; non devant les hommes, puisqu’il priait Dieu devant eux pour leur montrer que Dieu l’exauçait, comme il s’en explique auprès du tombeau de Lazare.

Enfin, si Jésus-Christ a été en forme de Dieu parce qu’il a agi avec un empire souverain sur les créatures, il s’ensuit qu’il a été beaucoup plus en la forme de Dieu dans sa mort que pendant sa vie. Car pendant sa vie il faisait véritablement de grands miracles ; mais ou il les faisait seulement en présence de trois disciples privilégiés, Pierre, Jacques et Jean, se cachant même des troupes en quelques occasions ; ou il ne faisait que des miracles particuliers, et dont les impressions ne pouvaient pas être si publiques ; au lieu que lorsque Jésus-Christ est sur la croix, il déchire le voile du temple, il obscurcit les astres, il fend les pierres, il ouvre les tombeaux, et ressuscite les corps des saints, etc., miracles publics, éclatants, et qui font voir mieux que tous les autres l’empire suprême que Jésus-Christ a sur toutes les créatures. Cela étant, au lieu que le texte que nous examinons nous fait comprendre que Jésus-Christ, après avoir été en forme de Dieu, s’est anéanti en souffrant la mort, et se revêtant d’une forme qui est opposée à celle-là, il faudra dire, par un renversement de sa pensée, que Jésus-Christ étant d’abord en forme de serviteur, et s’étant rendu obéissant jusqu’à la mort, après s’être anéanti, a pris la forme de Dieu sur la croix.

Je passe sous silence la remarque qu’on peut faire sur les deux termes ὐπάρκων et de λαβών opposés l’un à l’autre dans le discours de l’Apôtre.

Cette preuve, quoique moindre que les précédentes, ne nous paraît pourtant point méprisable. Car lorsque l’Apôtre parle de la forme de Dieu, il se sert du premier de ces deux termes ; il dit que Jésus-Christ existait en la forme de Dieu ; ce qui marque que cette forme était non une forme accidentelle et passagère, mais une forme fixe et durable. Mais lorsqu’il parle de la forme de serviteur, il se contente d’employer la seconde de ces expressions, et de dire qu’il l’a reçue ; ce qui marque non une forme essentielle et permanente, mais une forme accidentelle ; parce que celui qui reçoit une forme est censé ne l’avoir pas toujours eue.

Mais comme l’Écriture explique l’Écriture, il ne faut que comparer ce passage que nous examinons avec d’autres passages de l’Écriture qui signifient à peu près la même chose, pour en trouver le véritable sens.

Pour cet effet, il faut établir pour premier principe que ces paroles : lequel étant en forme de Dieu n’a point réputé à rapine d’être égal à Dieu, mais il s’est anéanti soi-même, etc., marquent non seulement la dignité et l’excellence de Jésus-Christ, mais la marquent dans des termes très forts. Pour savoir après cela dans le détail en quoi consiste cette excellence ou cette perfection, il ne faut que ramasser les passages de l’Écriture qui marquent l’excellence et la dignité de Jésus-Christ, et tâcher, en les comparant à celui-ci, de connaître en quoi consiste cette forme de Dieu.

Lorsque nous apprenons que Jésus-Christ a été en forme de Dieu, qu’il a été égal à Dieu, et qu’ensuite il s’est anéanti lui-même pour prendre la forme de serviteur, nous concevons deux états, un état de gloire et un état d’abaissement ; un état de gloire qui précède, et un état d’abaissement qui suit.

Lorsque nous considérons ces paroles d’un Apôtre : il a été fait de la semence de David selon la chair, nous avons l’idée de deux êtres de Jésus-Christ ; l’un à l’égard duquel on ne peut dire qu’il a été fait de la semence de David, l’autre à l’égard duquel on ne peut dire rien de semblable ; l’un qui a commencé à la conception de Jésus-Christ, l’autre qui a devancé cette conception. Qui ne voit l’accord qui est entre ces deux passages ? Car si Jésus-Christ a été avant qu’il fût fait de la semence de David selon la chair, il a été en forme d’homme ou en forme de Dieu. Il n’a pas été en forme d’homme, car si cela était, il aurait été en forme de chair, et ainsi il aurait été en forme de chair avant que d’être fait selon la chair de la semence de David. Que s’il n’a pas été en forme d’homme, il s’ensuit qu’il a été en forme de Dieu ; et cela étant, qui ne voit que ces deux passages s’expliquent parfaitement ?

C’est ce qui paraît beaucoup plus convaincant, lorsqu’à ces deux passages vous en ajoutez un troisième, qui est celui qui exprime la grandeur du mystère de piété, savoir : Dieu manifesté en chair, Jésus-Christ était avant qu’il fût en chair. Cela paraît, puisqu’il a été fait de la semence de David, non absolument, mais seulement selon la chair. Jésus-Christ était Dieu, puisque Dieu a été manifesté dans cette chair qui a été faite de la semence de David. Avez-vous trouvé le sens de ces deux passages en les comparant ? vous ne trouverez plus rien de difficile dans ces paroles : étant en forme de Dieu, il n’a point réputé à rapine d’être égal à Dieu, mais il s’est anéanti soi-même, etc. Car il paraît par la comparaison de ces trois passages, qu’avant l’existence de cette chair qui a été faite de la semence de David, de cette chair dans laquelle Dieu a été manifesté, etc., Jésus-Christ était, qu’il était Dieu, en forme de Dieu, et qu’il pouvait être réputé par conséquent égal à Dieu.

Vous ajouterez un nouveau rayon de lumière à toute cette évidence, quand vous y joindrez ces paroles du Sauveur du monde : Je suis issu de mon Père, et je suis venu au monde, et derechef je quitte le monde et je m’en vais au Père. Car on peut dire que Jésus-Christ, considéré dans ce premier état auquel il est issu de son Père, et avant qu’il vienne au monde, n’est point chair ; il n’est point encore fait de la semence de David ; il n’est point encore en forme de serviteur ; il n’est point manifesté en chair. Qu’est-il donc ? Il est le Fils, l’issu, ou l’unique issu de son Père ; il est ce Dieu qui doit être manifesté en chair ; il est en forme de Dieu. Cette vérité a déjà beaucoup d’évidence ; mais il la faut mettre encore dans un plus grand jour.

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