Commentaire sur les Actes des Apôtres

Chapitre XV

15.1

Or, quelques-uns, étant descendus de la Judée, enseignaient les frères, disant : Si vous n’avez été circoncis selon la coutume de Moïse, vous ne pouvez être sauvés.

Après que S. Paul et Barnabas se furent vaillamment acquittés en divers combats contre les ennemis manifestes de l’Evangile, saint Luc commence maintenant à raconter comment ils ont été éprouvés par une guerre domestique. Ainsi fallait-il que leur doctrine fut approuvée en toutes sortes, et que leur ministère fut au vif examiné, afin qu’on connut mieux qu’ils étaient fortifiés de Dieu contre tous les assauts de Satan et du monde. Car leur doctrine est grandement confirmée par cela, que malgré qu’elle fut ébranlée par tant de coups impétueux, néanmoins elle est demeurée ferme, et son cours n’a peu être être rompu par tant d’empêchements. Pour cette raison saint Paul dit magnifiquement qu’il a expérimenté combats par dehors, craintes par dedans, 2 Corinthiens 7.5. Principalement cette histoire est digne d’être notée. Car combien que nous ayons tous en horreur naturellement la croix, et toutes sortes de persécutions, nonobstant, il y a plus grand danger que les dissensions domestiques ne nous fassent du tout perdre courage, ou pour le moins débilitent. Quand les tyrans écument leurs rages, la chair craint vraiment, et tous ceux qui ne sont garnis de l’Esprit de force, ont tout le cœur saisi de tremblement ; mais, à proprement parler, les consciences ne sont point alors atteintes d’aucune tentation ; car là on reconnaît une condition comme destinée à l’Eglise. Mais quand il advient que les frères se font la guerre entre eux, et que l’Eglise endure des troubles dedans soi, il ne se peut faire que les esprits infirmes ne soient troublés, et mêmes qu’ils ne soient abattus ; et principalement quand il y a combat de la doctrine, laquelle seule est le lien sacré de fraternelle unité. Bref, il n’y a rien qui apporte plus de dommage à l’Evangile que les dissensions domestiques ; d’autant que non seulement ils ébranlent les consciences débiles, mais aussi donnent occasion de médire aux méchants. Par quoi il faut noter cette histoire diligemment, à ce que nous sachions que ce n’est point un exemple nouveau, si nous voyons qu’entre ceux qui font profession d’un même Evangile, il advient néanmoins quelque débat et différent dans la doctrine, quand les hommes glorieux et pleins de vent ne peuvent autrement acquérir le renom, duquel ils brûlent d’une cupidité insensée, sinon en mettant en avant leurs songes. Il est vrai qu’il est bien certain que tout ainsi qu’il y a un Dieu seul, aussi n’y a-t-il qu’une vérité, qui est sa vérité. Pour cette cause quand saint Paul veut exhorter les fidèles à consentement mutuel, il use de cet argument, qu’il y a un Dieu seulement ; il n’y a qu’une foi, il n’y a qu’un seul baptême, etc. Ephésiens 4.5. Mais quand nous voyons se lever des hommes méchants, lesquels tâchent de démembrer l’Eglise par factions et tumultes, et corrompre l’Evangile par inventions bâtardes et fausses, ou bien le rendre suspect, la finesse et ruse de Satan nous doit être notoire. Par quoi saint Paul remontre ailleurs, que les hérésies viennent en avant, à cette fin que ceux qui sont éprouvés, soient manifestés, 1 Corinthiens 11.19. Et de fait, Dieu déjouer l’astuce de Satan par un merveilleux conseil, en examinant la foi des siens par telles épreuves, et en ornant sa Parole, d’une noble victoire, et fait que sa vérité apparaisse d’autant plus reluisante, que les méchants ont tâché de l’obscurcir. Mais il nous faut bien considérer diligemment toutes les circonstances de cette histoire, qui sont notées par S. Luc.

Qui étaient descendus, etc. Cette couverture avait grande efficace alors pour décevoir, même envers les bons. Ce n’était point sans cause que toutes les Eglises avaient en grand honneur Jérusalem ; car elles la révéraient et honoraient comme leur mère, d’autant que l’Evangile avait pris origine de là, et était découlé de cette fontaine comme par canaux ou ruisseaux. Ces abuseurs viennent ; ils se couvrent du nom ou autorité des apôtres ; ils se vantent qu’ils n’apportent rien qu’ils n’aient appris d’eux ; pour le moins ils éblouissent les yeux des ignorants de cette fumée ; les inconstants et malins empoignent de grand désir cette belle couleur qui leur est offerte ; la crise de l’Eglise qui était comme une tempête et orage, ébranle ceux qui autrement étaient bons et modérés, en sorte qu’ils sont contraints de chanceler. Et pourtant il nous faut noter cette astuce malicieuse de Satan, qu’il abuse des noms des saints personnages, pour décevoir et éblouir les yeux aux simples, lesquels s’amusant à la révérence des hommes, ne s’osent enquérir du fait. Il est vrai que S. Luc n’exprime pas de quelle affection ces garnements ont été poussés ; toutefois il est vraisemblable qu’un pervers zèle les a induits à s’opposer aux saints apôtres Paul et Barnabas. Car il y a un tas d’esprits chagrins, qui ne prennent goût sinon a ce qui procède d’eux. Ils avaient vu garder en Jérusalem la Circoncision et les autres cérémonies de la Loi ; en quelque lieu qu’ils viennent, ils ne peuvent rien endurer de nouveau, ou rien qui soit divers de ce qu’ils avaient vu. Comme si l’exemple d’une seule Eglise devait obliger toutes les autres a certaine Loi et règle. Or combien que telles gens soient transportés d’un sot zèle pour émouvoir des troubles, toutefois leur ambition et obstination propre les sollicite au-dedans. Cependant Satan a ce qu’il demande, à savoir que les esprits des fidèles éblouis des apparences qu’on leur propose, à grand peine peuvent discerner le noir du blanc, le bon du mauvais. Premièrement donc il nous faut garder de cette peste, que les uns ne donnent point Loi aux autres selon leur façon de faire ; que l’exemple d’une seule Eglise ne soit en préjudice à la règle commune. D’avantage, il nous faut aussi donner garde, que les personnes des hommes n’empêchent l’inquisition du fait et de la cause, ou qu’elles ne l’obscurcissent. Car si Satan se transfigure en Ange de lumière (2 Corinthiens 11.14) et s’il usurpe souvent le nom sacré de Dieu par une audace pleine de sacrilège, se faudra-il étonner si par une même impudence il prend les noms des saints personnages pour décevoir ? L’issue à la fin montrera que les apôtres n’avaient rien moins au cœur, que d’imposer le joug de la Loi aux Gentils ; toutefois Satan tâchait de se mettre en avant par cette tromperie. Ainsi en advient-il bien souvent, que ceux qui combattent contre la doctrine du Fils de Dieu, se dissimulent sous le titre de serviteurs fidèles de celui-ci. Par quoi voici le seul et souverain remède pour obvier à ce danger, qu’on vienne avec jugements purs et entiers pour s’enquérir du fait. Il faut aussi venir au-devant du scandale, afin que nous ne pensions pas que les fidèles serviteurs de Dieu aient guerre ou débat l’un contre l’autre, pourtant que Satan abuse faussement de leurs noms, pour mettre en combat des vaines ombres, afin qu’il étonne les simples.

15.2

Or comme il se produisit de l’agitation et que Paul et Barnabas eurent avec eux une vive discussion, ils résolurent que Paul et Barnabas, et quelques autres d’entre eux, monteraient à Jérusalem, auprès des apôtres et des anciens, au sujet de cette question.

Ce n’était point une petite tentation, que saint Paul et Barnabas ont été tirés en un combat plein d’émotion. Déjà il y avait trop de mal seulement en ce désaccord ; mais voici un autre mal beaucoup plus dangereux, quand la contention commence à être tellement embrasée, qu’ils sont contraints de combattre contre leurs frères comme ennemis, et d’entrer en bataille contre eux. Avec ce il y a l’infamie, de laquelle ils se voyaient chargés envers les rudes et simples ; comme s’ils eussent troublé la paix de l’Eglise par leur obstination. Car il en advient ainsi coutumièrement, qu’après que les fidèles serviteurs de Christ ont été injustement tourmentés, après toutes les fâcheries, ils soutiennent encore toute la haine et malveillance. Il faut donc qu’ils soient munis d’une magnanimité invincible, afin qu’ils puissent rejeter et mépriser tous les mauvais bruits qu’on sème d’eux. Pour cette cause saint Paul se glorifie ailleurs, qu’il a passé outre en son ministère par le milieu des séditions, 2 Corinthiens 6.5. Au demeurant, il faut que les serviteurs de Christ gardent une telle modération, qu’autant qu’ils pourront ils aient en horreur toute dispute, et quand Satan suscitera des troubles et débats, qu’ils tâchent de les apaiser ; bref, qu’il n’y ait rien qu’ils ne fassent pour entretenir unité et concorde. Mais aussi quand ils verront la vérité de Dieu assaillie, qu’ils ne fuient le combat pour la défense de celle-ci ; et ne craignent point de s’opposer hardiment, voire quand le ciel et la terre se devraient brouiller ensemble.

Et quant à nous, étant exhortés par cet exemple, toutes fois et qualités que nous voyons advenir des bruits et troubles en l’Eglise, apprenons à prudemment discerner qui sont ceux de qui vient la faute, afin que ne condamnions follement et à la volée les fidèles ministres de Christ, desquels nous devons plutôt louer la gravité, en ce qu’ils reçoivent si hardiment les violentes impétuosités de Satan. De plus, proposons-nous la providence admirable de notre bon Dieu, par laquelle il a arrêté la rage de Satan, à ce qu’il n’arrête complètement le cours de la doctrine de saint Paul. Car s’il lui eût été permis de nuire autant qu’il voulait, il est certain que la foi des Gentils eût été renversée, et l’Evangile que saint Paul et Barnabas avaient prêché, fut tombé bas, et aussi la porte eût été fermée à la vocation des Gentils. Tiercement, apprenons qu’il faut aller de bonne heure au-devant de tous conflits, de peur que les étincelles ne montent en grandes et hautes flammes. Car Satan se sert des soufflets des dissensions, pour allumer autant de feux. Mais d’autre part, quand nous voyons que la primitive Eglise a été troublée de séditions, et que les meilleurs ministres du Fils de Dieu ont été exercés par tumultes, si le semblable nous advient aujourd’hui, ne nous étonnons point comme d’une chose nouvelle et non advenue ; mais demandant bonne issue au Seigneur telle qu’il donna alors ; cheminons toujours d’une même constance et foi par le milieu des bruits et émotions tempêtueuses.

Si vous n’êtes circoncis. Saint Luc déclare en bref par ces paroles, quel était le point de la question ; à savoir que ces abuseurs voulaient astreindre les consciences à garder nécessairement la Loi. Il est vrai qu’il ne fait ici mention que de la Circoncision ; mais il apparaît facilement par la déduction du texte, que la question qu’ils ont soulevée, était de garder toute la Loi. Au demeurant, pour ce que la Circoncision était comme une entrée solennelle pour venir aux autres cérémonies, pour cette cause il comprend ici toute la Loi sous une partie. Ces ennemis de saint Paul ne niaient point que Christ fût le Messie ; mais combien qu’ils fissent profession de son nom, nonobstant ils gardaient ensemble les cérémonies anciennes de la Loi. Il pouvait sembler de prime abord, que cette erreur était tolérable. Pourquoi donc ne dissimule saint Paul, pour le moins un peu de temps, afin qu’il n’ébranle pas l’Eglise avec un débat ? La disputation était des choses externes, pour lesquelles lui-même défend ailleurs de combattre trop aigrement. Mais il y avait trois causes d’importance qui l’ont contraint d’y contredire. Car si l’observation de la Loi est nécessaire, le salut des hommes est attaché aux œuvres, lequel doit être fondé en la seule grâce de Christ, si nous voulons que la foi soit en tranquillité et en repos. saint Paul donc voyant que le service de la Loi était opposé à la foi de la justice gratuite, il ne fallait qu’il se tût, sinon qu’il eût voulu trahir Jésus-Christ. Car comme ainsi soit que ces garnements adversaires niassent qu’aucun peut être sauvé, qui ne gardât la Loi de Moïse ; par ce moyen ils ravissaient la gloire du salut à Christ, pour la transférer totalement aux œuvres ; et ainsi renversant l’assurance de la foi, ils mettaient les pauvres âmes en trouble perpétuel. D’avantage, ce n’était pas une chose de petite importance, de dépouiller les âmes fidèles de la liberté acquise par le sang de Christ. Combien que la liberté intérieure de l’Esprit fut commune aux pères aussi bien qu’a nous, néanmoins nous savons ce que saint Paul dit, (Galates 4.1, 3) à savoir qu’ils ont été enclos sous la garde de la Loi comme enfant, en sorte qu’ils n’étaient guère différents des serviteurs ; mais que nous, après la manifestation du Fils de Dieu, sommes délivrés de la pédagogie de la Loi, et en plus grande liberté, d’autant que (par manière de dire) le temps de la tutelle est fini.

Le troisième vice de cette doctrine était, qu’elle mêlait des ténèbres parmi la lumière de l’Evangile, ou pour le moins mettait entre-deux comme des nuées obscures, à ce que le Soleil de justice, à savoir Christ, ne donnât pleine clarté. En somme, c’eût été bientôt fait de toute la Chrétienté, si saint Paul n’eut obvié à tels commencements. Il prend donc querelle, non point pour le prépuce extérieur de la chair, mais pour le salut gratuit des hommes ; d’avantage, il débat pour délivrer les consciences fidèles de la malédiction de la Loi, et de la condamnation de mort éternelle ; finalement, afin qu’ayant ôté tous empêchements, il fasse reluire la clarté de la grâce de Christ comme en un ciel beau et serein. Joint que ces garnements faisaient grande injure et outrage à la Loi, vu qu’ils corrompaient méchamment le vrai et bon usage de celle-ci. Le vrai office de la Loi c’était de mener par la main comme un pédagogue les enfants à Christ. Par quoi on ne la pouvait pirement abâtardir, que quand sous ombre de celle-ci on diminuait la vertu et grâce de Christ. En cette sorte il faut considérer les sources de toutes questions, de peur que nous ne soyons traîtres à la vérité de Dieu en nous taisant, toutes les fois que nous la voyons être assaillie par les embûches de Satan. Et ne fléchissons point pour quelques dangers qui se présentent devant nos yeux ; et que nos cœurs ne deviennent lâches pour quelque opprobre et blâme dont on nous charge ; car il nous faut constamment maintenir la pure religion, voire quand le ciel devrait être mêlé avec la terre. Il est bien vrai qu’il ne faut point que les serviteurs de Christ soient querelleux ; et pour cette cause si quelque contention survient, ils doivent plutôt tâcher à l’apaiser par leur modération, que de se mettre à débattre là-dessus ; d’avantage, ils se doivent bien garder de tous débats superflus et inutiles, et de provoquer des différends pour choses qui ne sont pas d’importance. Mais quand ils verront que Satan lèvera tellement les cornes, que la religion ne pourra demeurer en son entier si on ne vient au-devant, il est nécessaire qu’ils prennent courage, et soient hardis, et qu’ils se lèvent pour résister. Il est vrai que le nom de paix est favorable et plaisant ; mais maudite est la paix qui est achetée avec si grande perte, que par celle-ci nous perdions la doctrine de Christ, par laquelle seule nous sommes unis en sainte unité. Les Papistes nous rendent aujourd’hui grandement odieux, comme si nous avions suscité des tumultes mortels, par lesquels le monde est ébranlé ; mais il nous est bien facile de nous défendre ; que les blasphèmes contre Dieu que nous avons tâché de réprimer, étaient si exécrables, que nous ne nous pouvions et ne devions nous taire ; et que pourtant on n’a nulle raison de nous blâmer, d’autant que nous avons entrepris la guerre contre les hommes pour une cause, pour laquelle nous devenons batailler même contre les Anges. Que les Papistes crient tant haut qu’ils voudront, nous nous contentons de l’exemple de Paul et Barnabas, à ce que nous ne soyons froids à maintenir la doctrine de vraie religion, quand les ministres de Satan la corrompent tant qu’ils peuvent. Car leur émotion forcenée ne doit surmonter la constance des serviteurs de Dieu. Voici S. Paul s’oppose ardemment aux faux-apôtres ; de ce combat il y eut âpre sédition ; et toutefois le Saint Esprit ne le blâme point pourtant, mais plutôt loue à bon droit la magnanimité et hardiesse qu’il avait donnée à son serviteur.

On ordonna que Paul et Barnabas, etc. L’Esprit de Dieu leur suggéra ce remède pour faire cesser ce tumulte, qui pouvait sans cela s’étendre plus loin avec grand esclandre. Dont aussi nous sommes enseignés que toujours il faut chercher des moyens propres pour apaiser les disputes. pour ce que Dieu recommande si soigneusement la paix, que les fidèles montrent par effet qu’il ne tient point à eux que l’Eglise ne soit en repos. Il est vrai qu’il faut que la vérité ait toujours le premier lieu envers eux, et pour la maintenir il ne leur faut craindre aucuns tumultes ; toutefois ils doivent tellement modérer leur ferveur, qu’ils ne refusent point un moyen de bonne concorde ; et qui plus est, ils doivent inventer d’eux-mêmes toutes les voies et moyens qu’ils pourront, et être ingénieux à les chercher. Nous devons donc garder cette médiocrité, qu’étant transportés de véhémence excessive de quelque fol zèle et inconsidéré, nous ne sortions hors des limites. Car il faut que nous soyons courageux en la défense de la vraie doctrine, et non obstinés ni téméraires. Apprenons donc à conjoindre ces deux belles vertus que le Saint Esprit loue en S. Paul. Quand il est tiré par les méchants au combat, il ne fait difficulté de se présenter de bon cœur ; mais recevant paisiblement le remède offert, il montre combien il s’en faut qu’il désire de combattre. Autrement il se pouvait vanter qu’il ne se souciait des apôtres, et insister obstinément sur cette défense. Mais l’amour de la paix ne lui a point permis de fuir et rejeter le jugement de ceux-ci. Joint que quelque mauvaise et fausse opinion eût peu détourner les rudes et infirmes, s’ils eussent vu deux hommes se séparer précisément de tous les serviteurs rie Christ. Or les fidèles Docteurs ne doivent nullement mépriser ce moyen d’entretenir la foi, à savoir qu’ils montrent qu’ils consentent avec l’Eglise. Il est bien vrai que S. Paul ne dépendait point de la volonté des apôtres pour changer d’opinion, s’il les eût trouvés contraires à lui ; comme même il n’eût point accordé le contraire aux Anges, comme il se glorifie Galates 1.8. Mais afin que les méchants ne le calomniassent point, lui imposant ce blâme, qu’il fut un homme trop adonné à soi-même et orgueilleux, et se plaisant en méprisant fièrement les autres, il s’est présenté de son propre gré à rendre raison de sa doctrine, comme il était raisonnable et grandement utile à toute l’Eglise. D’avantage, il se présentait pour se trouver devant les apôtres, ayant certaine confiance qu’il obtiendrait la victoire d’autant qu’il savait bien quelle devait être leur opinion et jugement ; comme ainsi soit qu’ils fussent conduits et gouvernés d’un même Esprit. Toutefois on peut ici demander à quelle intention ceux d’Antioche ont envoyé S. Paul et Barnabas aux autres apôtres. Car s’ils avaient en si grande révérence ces garnements qui étaient venus de nouveau de Jérusalem et estimaient tant leur autorité qu’ils demeurassent en doute, jusques à ce que l’Eglise de Jérusalem en eût prononcé ou d’un côté ou d’autre, leur foi avait été vaine et complètement nulle jusqu’à cette heure-là. Mais la réponse est facile, à savoir qu’ils étaient bien assurés de l’issue ; vu qu’ils savaient que tous les apôtres étaient pareillement envoyés par un même Christ, avec semblables charges et mandements, et qu’ils avaient reçu tous un même Esprit. Et ne faut point douter que ce conseil n’ait été donné par gens de bien et sages, qui étaient bien assurés que ces garnements prétendaient faussement le nom de Pierre et de Jacques. Par quoi ils ne cherchaient autre chose sinon que les apôtres maintinssent la bonté de cette cause en donnant leurs voix. Tous les saints Conciles ont été du commencement assemblés à cette fin ; et ce afin que les hommes graves et dûment exercés en la parole de Dieu, jugeassent et appointassent les différends, non point à leur appétit, mais par l’autorité de Dieu. Il est besoin de noter ces choses, à celle fin que les Papistes n’ébranlent personne par leurs crieries pleines de vent, lesquels nous mettent en avant leurs Conciles pour opprimer et ensevelir Christ avec son Evangile, et pour éteindre toute la lumière de la vraie religion ; comme si toutes les définitions et arrêts des hommes devaient être réputés pour oracles célestes. Mais si les saints Pères faisaient aujourd’hui leurs Conciles, ils crieraient tous d’une même voix, que rien ne leur a été moins licite, ou même qu’ils n’ont rien eu moins en fantaisie, que d’enseigner quelque chose, sinon que Christ eût auparavant dicté les paroles, lequel leur a été précepteur unique, comme aussi il est à nous. Je laisse à parler que les Papistes s’appuient seulement sur des Conciles avortés, dans lesquels on ne peut voir sinon une ignorance lourde et barbarie étrange. Mais il faut nécessairement que les meilleurs Conciles et les plus exquis soient rangés à cet ordre, qu’ils soient soumis à la parole de Dieu. On trouve par écrit une complainte bien dure et âpre de Grégoire Nazanzénien, que d’aucun Concile on n’eut jamais bonne ni heureuse issue. On ne peut nier ceci, que tout ce qu’il y a eu d’excellence en l’Eglise, n’ait commencé cent ans après à tomber en décadence. Si donc ce saint Personnage était encore vivant, de quelle ardeur repousserait-il les badinages des Papistes, lesquels sans honte quelconque mettent en avant des masques et tours de passe-passe en lieu de vrais et légitimes Conciles ; et même à cette fin que la parole de Dieu soit chassée aussitôt qu’une petite poignée de gens tout à fait lourds et sots, aura décrété quelque chose à son appétit ?

15.3

Eux donc, après avoir été accompagnés par l’Eglise, poursuivaient leur route à travers la Phénicie et la Samarie., racontant la conversion des païens, et ils causaient une grande joie à tous les frères.

De ce que gens ont été donnés pour compagnie à Paul et Barnabas au nom de toute l’Eglise, et pour les conduire, nous pouvons recueillir que tous les fidèles tenaient leur parti, et qu’ils n’avaient fait autre conclusion, sinon qu’ils avaient une cause commune avec eux. Par quoi ils ont eu un même regard à envoyer Paul et Barnabas, pour lequel ceux-ci ont accordé de faire le voyage, à savoir pour réprimer ces esprits troubleurs, lesquels se vantaient faussement d’avoir les Apôtres pour eux. Ce qu’il ajoute tantôt après, qu’en passant ils contèrent aux frères de la conversion admirable des Gentils, nous est un témoignage qu’ils ne vinrent point en crainte en Jérusalem ; mais qu’aussi lors ils confessèrent hardiment ce qu’ils avaient enseigné auparavant. Ils ne viennent donc point comme pour défendre leur cause devant des juges ; mais afin que ce qui avait été Divinement ordonné d’abolir les cérémonies, fut approuvé par sentence commune tant d’un côté que d’autre. Car combien qu’ils ne méprisassent point le jugement des apôtres, toutefois il n’était pas raisonnable qu’ils comparussent comme coupables et criminels ; car ils savaient que ni eux ni les apôtres ne pouvaient autrement prononcer ni juger de cette affaire. Voilà pourquoi ils se réjouissent assurément de ce qu’ils avaient fait. Avec cela il y a la joie des fidèles, par laquelle ils déclarent qu’ils souscrivent à la doctrine de Paul et à la vocation des Gentils.

15.4

Et arrivés à Jérusalem, ils furent reçus par l’Eglise et par les apôtres et par les anciens, et ils racontèrent toutes les choses que Dieu avait faites avec eux.

Par ce mot d’Eglise, il entend le peuple et tout le corps. Puis après il assigne un Heu particulier aux apôtres et Anciens, desquels principalement Paul et Barnabas ont été recueillis. Au reste, pour ce que les apôtres n’avaient point demeure arrêtée en Jérusalem, mais allaient souvent de lieu en autre, en quelque part que l’occasion les appelait, cette Eglise-là avait ses Prêtres ou Anciens, auxquels était commis le gouvernement ordinaire de l’Eglise. Nous avons déclaré ailleurs quelle différence il y a entre l’une et l’autre charge. Or il apparaît quelle fraternelle humanité il y avait chez les Apôtres et Anciens, que non seulement ils font un recueil gracieux à Paul et Barnabas, mais après avoir entendu le rapport de la bonne issue de leur labeur, ils magnifient la grâce de Dieu. S. Luc répète ici derechef cette forme de parler que nous avons vue au chapitre précédent, quand il dit qu’ils racontèrent toutes les choses que Dieu avoir faites avec eux, ou par eux. En laquelle il nous faut se rappeler ce que j’ai remontré ci-dessus, que Dieu n’est point ici proposé, comme faisant une partie de l’œuvre avec eux ; mais toute la louange de l’œuvre lui est attribuée. Quand donc il est dit qu’il a fait avec Paul et Barnabas, c’est-à-dire qu’il a fait par eux ; comme il est dit, qu’il fait miséricorde avec nous, quand il nous aide et assiste en nos nécessités.

15.5

Mais quelques-uns de la secte des pharisiens, qui avaient cru, s’élevèrent, disant : Il faut les circoncire et leur ordonner de garder la loi de Moïse.

Ce n’est point sans cause que S. Luc nomme une sorte de gens, qui se sont aussi efforcés de troubler saint Paul en Jérusalem. Or il est vraisemblable que le mal est procédé de cette fontaine, et que S. Luc exprime maintenant plus clairement, que de la même secte dont étaient venus les auteurs de cette perverse dissension, maintenant aussi il en sort des soufflets pour allumer cette contention. Car combien qu’ils eussent fait profession d’être des disciples de Christ, toutefois il y avait encore en eux des reliques de leur premier naturel. Or nous savons quel orgueil, quelle arrogance enflée il y avait chez les Pharisiens ; toutes lesquelles choses ils eussent mises en oubli, s’ils eussent vraiment vêtu Christ ; comme saint Paul n’avait rien de reste de la religion Pharisaïque. Mais la plus grande part avait tiré une habitude de la longue coutume, laquelle il n’était pas facile d’ôter tout incontinent. Comme ainsi soit que l’hypocrisie régnât principalement entre eux, ils étaient trop adonnés aux cérémonies extérieures, lesquelles servent de couverture à tous les autres vices. L’orgueil aussi les rendait enflés, en sorte que par une façon de faire tyrannique ils voulaient assujettir tous les autres à leurs déterminations. On sait bien combien les moines sont malades de ces deux maladies. Cela est aussi cause qu’ils sont plus cruels que tous autres à opprimer l’Eglise ; il n’y en a point qui soient si impudents, ou si fiers à mépriser la parole de Dieu. D’avantage on en voit plusieurs qui étant sortis de ces creux pleins de factions et monopoles, combien qu’ils aient jeté le froc et la coqueluche de moine, toutefois ne désapprennent jamais les méchantes mœurs, desquelles ils ont été là abreuvés.

15.6

Et les apôtres et les anciens s’assemblèrent pour examiner cette affaire.

Saint Luc ne dit point que toute l’Eglise fût assemblée ; mais seulement ceux qui avaient savoir et jugement, et qui à raison de leur office étaient juges compétents de cette cause. Il se peut bien faire qu’ils aient disputé de la cause devant le peuple ; mais afin que nul ne pensât que le peuple eût été indifféremment admis pour traiter la matière, saint Luc exprime nommément les apôtres et Anciens, comme aussi ils étaient les plus idoines et suffisant pour en connaître. Au demeurant, sachons qu’ici est limitée de Dieu la forme et l’ordre qu’il faut tenir pour assembler des Conciles, quand il y a quelque différent, lequel sans cela ne pourrait être apaisé. Car comme ainsi soit que plusieurs s’élevassent tous les jours contre saint Paul, cette seule dispute laquelle tirait un danger prochain d’une grande ruine, et était déjà montée jusqu’à combats d’inimitiés, le fait aller en Jérusalem.

15.7

Mais une grande discussion s’étant engagée, Pierre se leva et leur dit : Hommes frères, vous savez que dès longtemps Dieu a fait un choix parmi vous, afin que les païens entendissent par ma bouche la parole de l’Evangile, et qu’ils crussent.

Combien qu’il y eût de gens graves élus, voire des Docteurs publics de l’Eglise, nonobstant ils n’ont peu être d’accord du premier coup entre eux. On voit bien par cela comment déjà lors Dieu a exercé son Eglise par l’infirmité des hommes, afin qu’elle apprît à être humblement sage. Joint qu’en cette assemblée où il présidait, il a permis que le principal article de toute la doctrine Chrétienne fût diversement débattu, afin que ne nous nous étonnions pas, si quelque fois il advient que ceux qui au demeurant seront gens de bien et savants, tombent en erreur par ignorance. Car il y eu avait aucuns qui n’étaient point tant aigus, qu’ils pussent bien juger la grandeur de la matière. Ainsi quand ils jugent qu’il faut observer la Loi, étant transportés de zèle inconsidéré de la Loi, ils ne voient point en quel profond et horrible labyrinthe ils jettent tant les âmes des autres, que les leurs, ils pensaient que la Circoncision était un signe inviolable et éternel de l’alliance de Dieu ; ils avaient aussi une semblable opinion de toute la Loi. Par quoi saint Pierre s’arrête principalement à cela, qu’il veut montrer le nœud de toute la question, qui était inconnu à beaucoup d’entre eux. Or son propos contient deux membres. Car il s’arme premièrement de l’autorité de Dieu, pour débattre qu’il ne faut contraindre les Gentils à garder la Loi. En second lieu, il remontre que tout le salut des hommes est complètement renversé, si on jette ce filet sur les pauvres consciences. La première partie donc en laquelle il explique qu’il a été envoyé et ordonné de Dieu pour enseigner les Gentils, et que le Saint Esprit est descendu sur eux, tend à ce but, que ce n’a point été à la volée que les cérémonies de la Loi ont été abolies par les hommes ; mais que Dieu est auteur d’un tel abolissement. Or quand il a mis en avant l’autorité de Dieu, toute doute est ôté. Car c’est toute notre sagesse d’acquiescer au commandement de Dieu, et beaucoup plus estimer sa volonté que toutes les raisons des hommes, maintenant il nous faut considérer les paroles de Pierre, par lesquelles il prouve que ceci est donné de Dieu aux Gentils, qu’ils sont affranchis du joug de la Loi.

Hommes frères, vous savez, etc. Il les appelle pour témoins, afin que nul ne pense qu’il doive tenir propos d’une chose obscure ou ambiguë. L’histoire était notoire à tous. Quant au reste, il montre qu’ils sont aveugles en pleine lumière, d’autant qu’ils ne considèrent point l’œuvre de Dieu comme il appartient ; même d’autant qu’ils n’avaient appris dès longtemps ce qui avait été montré ouvertement. Or il appelle longtemps, le commencement de la prédication de l’Evangile ; comme s’il disait, dès longtemps, comme dès la première origine de l’Eglise, depuis que Christ a commencé de recueillir un peuple à soi.

Dieu a élu d’entre vous, etc. Ce verbe a élu, emporte autant comme, il a décrété ou ordonné. Combien que saint Pierre comprend aussi tant l’élection gratuite de Dieu que le choix par lequel il adoptait les Gentils pour être son peuple. Il a donc élu, c’est-à-dire, faisant le choix il a voulu que les Gentils entendent par ma bouche la doctrine de l’Evangile, afin qu’il montrât en eux un exemple de l’adoption gratuite. Quand il dit, d’entre nous, cette particule vaut autant que devant nos yeux, ou nous étant témoins, ou au milieu de nous. Car il signifie qu’il ne explique rien qui ne leur fut familièrement connu ; comme une chose qui avait été faite présentement devant leurs yeux. C’est une manière de parler assez usitée, tant entre les Grecs qu’entre les Hébreux ; sinon qu’on l’aime mieux résoudre comme font d’aucuns : Il m’a élu de cette notre compagnie.

Et crussent. Ceci a été un sceau pour confirmer la vocation des Gentils. L’office d’enseigner était enjoint par oracle et révélation à Pierre ; mais le fruit qui provient de la doctrine, anoblit son ministère, et le rend authentique. Car comme ainsi soit que les élus soient illuminés en la foi par une grâce particulière du Saint Esprit, la doctrine ne profitera de rien, sinon que dans la mesure où le Seigneur démontrera sa vertu dans les Ministres, en enseignant au dedans les entendements de ceux qui les écoutent, et en tirant leurs cœurs. Quand donc Dieu commandait que la doctrine de l’Evangile parvint jusques aux Gentils, il les a consacrés à soi, à ce qu’ils ne fussent plus profanes. Mais lors la consécration solennelle fut parfaite en tout et par tout, quand il engrava en leurs cœurs la marque d’adoption par la foi. La sentence qui suit incontinent après, doit être prise pour plus ample déclaration. Car saint Pierre annexe avec la foi les grâces visibles du Saint Esprit, desquelles il fait mention ; comme de fait elles n’étaient rien qu’un accessoire de la foi. Comme ainsi soit donc que les Gentils fussent entés au peuple de Dieu sans la Circoncision et les autres cérémonies, saint Pierre recueille que c’était mal fait de leur imposer nécessité de garder la Loi. Toutefois cet argument de l’élection ne semble point être assez ferme, que le Saint Esprit est descendu sur eux. Car les grâces étaient telles, qu’on ne pouvait déduire argument de celles-ci, qu’ils fussent réputés du rang des fidèles. Car il n’y a que l’Esprit de régénération qui discerne les enfants de Dieu des étrangers. Je réponds à cela, que combien qu’aucuns, qui au demeurant étaient gens vains, fussent doués du don des langues, toutefois saint Pierre prend ceci pour une chose toute arrêtée, comme de fait elle était notoire ; à savoir que Dieu avait scellé en Corneille et ses parents son adoption gratuite, par une grâce visible du Saint Esprit, tout ainsi que s’il eût montré au doigt qu’ils sont ses enfants.

Et Dieu qui connaît les cœurs. Il attribue ce titre à Dieu pour le regard et circonstance de la présente matière ; et faut aussi suppléer ici une antithèse ou opposition tacite, à savoir que les hommes sont plus adonnés à la pureté externe, pour autant qu’ils jugent selon leur sens lourd et terrien ; mais Dieu regarde les cœurs. Pierre donc remontre que c’est faire tout au rebours, d’asseoir jugement sur cette matière selon le sens et raison humaine ; vu qu’ici il faut seulement estimer la pureté intérieure des cœurs, laquelle nous est cachée. Par ce moyen il bride et réprime notre folle témérité, à ce que ne nous attribuant plus qu’il n’est de besoin, nous ne murmurions contre le jugement de Dieu ; comme s’il disait : Si la raison du témoignage lequel Dieu leur a rendu, ne t’apparaît point, pense combien grande différence il y a entre toi et lui. Car selon ton naturel lourd et entendement grossier, tu es retenu par une splendeur externe, laquelle n’a point de lieu quand on vient au tribunal céleste, là où il est spirituellement connu des cœurs. Au demeurant, il nous faut retenir cette doctrine générale, que les yeux du Seigneur ne regardent point les pompes fardées des œuvres, mais la pureté du cœur, comme il est dit, Jérémie 5.3. Quand on traduit, Qui connaît les cœurs, ce que saint Luc dit en Grec n’est pas assez exprimé ; car il y a mot à mot, Dieu connaisseur des cœurs, ou juge des cœurs ; et il oppose Dieu aux hommes, qui jugent plutôt par l’apparence extérieure.

15.8

Et Dieu, qui connaît les cœurs, leur a rendu témoignage, en leur donnant le Saint-Esprit aussi bien qu’à nous ;

15.9

et il n’a fait aucune différence entre nous et eux, ayant purifié leurs cœurs par la foi.

Il est bien vrai qu’il y avait quelque différence, vu que les Gentils avaient été soudainement reçus d’un état d’incirconcision en l’alliance de la vie éternelle, au lieu que la Circoncision avait préparé les Juifs à la foi. Mais saint Pierre entend que Dieu avait attiré les uns et les autres à l’espérance d’un même héritage, et qu’ils avaient été élus à un pareil degré de dignité et honneur, à ce qu’ils fussent enfants de Dieu, membres de Christ ; bref, semence d’Abraham, et lignée sacerdotale, et sacrificature royale. Dont il s’ensuit que cela ne se pouvait faire sans sacrilège, qu’ils fussent estimés immondes et profanes, depuis que Dieu les avait choisis pour son héritage, et dédiés pour être vaisseaux sacrés de son temple. Car ayant rompu la paroi qui mettait division entre eux, il a conjoint les Gentils avec les Juifs, afin qu’ils fussent unis en un même corps ; et (par manière de dire) il a mêlé la Circoncision avec le prépuce, afin que tant les domestiques que les étrangers soient un en Christ, et fassent une même Eglise ; et qu’il n’y ait plus ni Grec ni Juif, Ephésiens 2.14.

Ayant purifié leurs cœurs par foi. Ce membre répond à ce qu’il a dit ci-dessus, que Dieu connaît bien les cœurs des hommes. Comme s’il disait, que Dieu qui connaît les cœurs, a purifié les Gentils au dedans, quand il leur a fait cet honneur de les adopter, afin qu’ils eussent une netteté, spirituelle. Mais il ajoute de plus, que cette pureté consiste en foi. Premièrement donc il remontre que sans les cérémonies les Gentils ont la vraie sainteté, laquelle est suffisante devant le siège judicial de Dieu. D’avantage, il remontre que cette sainteté est obtenue par foi, et qu’elle procède de celle-ci. Or saint Paul recueille en cette sorte, que le prépuce ne garde point l’homme d’être réputé juste et saint devant Dieu, pour autant qu’en la personne d’Abraham la Circoncision a suivi la justice, et selon l’ordre du temps elle a été la dernière, Romains 4.10. Mais on a fait ici une question, à savoir si la pureté des Pères anciens a été différente de celle que Dieu a maintenant conférée aux Gentils. Car il semble que saint Pierre veuille séparer expressément les Gentils d’avec les Juifs par cette marque, qu’ils n’ont nul besoin d’aucune aide de la Loi, ayant assez de la seule pureté du cœur. Je réponds qu’ils ne sont différents les uns des autres que de la forme, et non point de la substance ; car Dieu a toujours regardé la pureté intérieure du cœur. Les cérémonies ont été données au peuple ancien seulement à cette fin qu’elles aidassent la foi de celui-ci. Ainsi la pureté quant aux figures et exercices a été temporelle, jusques à la venue de Christ ; laquelle n’a plus maintenant de lieu entre nous. Comme le vrai service de Dieu demeure toujours un et semblable, depuis le commencement du monde jusques à la fin, à savoir spirituel ; toutefois il y a grande différence en la forme visible. Nous voyons donc maintenant que les Pères n’ont point obtenu justice par cérémonies, et n’ont point été purs par celles-ci devant Dieu, mais par la netteté du cœur. Car les cérémonies d’elles-mêmes ne servaient de rien à les justifier ; mais c’étaient seulement des aides, lesquelles purifiaient seulement par accident, comme on dit, en sorte toutefois qu’il y avait la même vérité entre les Pères anciens que nous avons aujourd’hui. Or tout ce qui était des ombres et comme survenant d’ailleurs, est maintenant évanoui par la venue de Christ. Ainsi les ombres étant chassées, il ne reste plus sinon la simple pureté du cœur. On peut par ce moyen facilement résoudre la difficulté que les Juifs pensent être impossible à résoudre. La Circoncision est appelée alliance éternelle, Genèse 17.13 ; ils disent donc qu’elle ne devait être abolie. Si on réplique que ceci ne se rapporte point au signe ou à la figure visible, mais plutôt à la chose figurée ou signifiée, ce sera bien répondu ; mais il y a une autre solution que j’ai dite, que vu que le Royaume de Christ a été comme une restauration ou renouvellement du monde, il n’y a point d’absurdité s’il a mis fin à toutes les ombres de la Loi ; car la perpétuité de la Loi est fondée en Christ.

Je viens maintenant au second membre, où saint Pierre constitue la purification des Gentils en la foi. Pourquoi ne dit-il en une perfection de vertus, ou bien en sainteté de vie, sinon d’autant que la justice est donnée d’ailleurs aux hommes, et ne vient point d’eux-mêmes ? Car si ainsi était que les hommes acquissent justice en vivant droitement et justement ou qu’ils fussent purs de nature devant Dieu, cette sentence de saint Pierre tomberait bas. Le Saint Esprit donc prononce ouvertement par ces paroles, que généralement tout le genre humain est pollué et souillé d’ordures ; d’avantage, que les souillures de celui-ci ne peuvent être autrement nettoyées que par la grâce de Christ. Car puisque la foi nous est un remède par lequel Dieu nous subvient gratuitement, elle est opposée tant à la nature commune de tous, qu’aux propres mérites et bienfaits d’un chacun. Or quand je dis ici, que tout le genre humain est condamné de pollution, j’entends que nous n’apportons rien du ventre de nos mères que vraies ordures, et qu’il n’y a nulle droiture en notre nature qui nous fasse trouver grâce devant Dieu. Il est vrai que l’âme de l’homme a été ornée de dons excellents en sa première origine ; mais toutes les parties de celle-ci sont tellement corrompues par le péché, qu’il n’y a plus une seule goutte de pureté résidente en cette. Il faut donc que nous cherchions la pureté hors de nous. Car si on réplique qu’elle peut être recouvrée par les mérites des œuvres ; il n’y a rien plus absurde que d’attribuer à la nature corrompue une faculté de mériter. Il reste donc que les hommes cherchent ailleurs ce qu’ils ne trouveront jamais en eux. Et de fait, l’office de la foi c’est de transférer en nous ce qui appartient au Fils de Dieu en propre, et le faire notre par communication gratuite. Ainsi il y a relation et correspondance mutuelle entre la foi et la grâce de Christ. Car la foi ne nous purifie point comme une vertu ou quelque qualité infuse en nos esprits ; mais pour ce qu’elle reçoit la pureté offerte en Christ. Il faut aussi noter cette façon de parler, que Dieu a purifié les cœurs ; par laquelle saint Luc fait Dieu auteur de la foi, et montre que la pureté est au bénéfice de celui-ci. En somme, il signifie que ce que les hommes ne se peuvent donner à eux-mêmes, leur est conféré par la grâce de Dieu. Mais vu qu’il a été dit ci-dessus, que la foi prend de Christ pour transférer en nous, il nous faut voir maintenant comment nous sommes purifiés par la grâce de Christ, à ce que nous soyons agréables à Dieu. Il y a deux manières de purger. Premièrement, Jésus-Christ en effaçant tous les jours nos péchés, lesquels il a purgés une fois par son sang, nous présente purs et justes devant la face de son Père. D’avantage, mortifiant les cupidités rebelles de la chair par son Saint Esprit, il nous réforme en sainteté de vie. Je comprends volontiers toutes ces deux façons sous ces paroles, d’autant que saint Luc ne touche pas seulement une espèce de purgation, mais il enseigne que toute sa perfection consiste sans les cérémonies de la Loi.

15.10

Maintenant donc, pourquoi tentez-vous Dieu, en mettant sur le cou des disciples un joug que ni nos pères ni nous n’avons pu porter ?

C’est l’autre partie de la prédication de saint Pierre, par laquelle il démontre combien est pernicieuse cette doctrine, laquelle les ennemis de saint Paul voulaient mettre en avant ; à savoir d’autant qu’elle mettait en désespoir les esprits de tous fidèles. Il est vrai que du premier membre il infère et conclut que c’est tenter Dieu, si les Gentils sont contraints à cette nécessité de garder la Loi ; mais il monte plus haut et entre jusques à la source de la cause. Car jusque ici il a déduit par raisons, qu’on fait injure et outrage aux Gentils, si on requiert d’eux plus que Dieu ne veut ; et comme ainsi soit qu’il les ait égalés au peuple saint, et leur ait fait cet honneur de les adopter pour siens, que ce serait une chose malséante et fort absurde qu’ils fussent rejetés, et que par ce moyen la libéralité de Dieu fût restreinte et amoindrie. Bref, que ce leur est assez qu’ils ont la foi, combien qu’ils n’aient point les cérémonies de la Loi. Or maintenant il prend un plus haut principe ; que ceux qui attachent le salut des hommes aux œuvres de la Loi, ne leur laissent aucune bonne espérance de reste ; mais plutôt que tout le monde est jeté en une horrible ruine, s’il ne peut autrement obtenir salut, sinon en gardant la Loi. Nous verrons tantôt ci-après par quels arguments il prouve cela. Quant aux mots, comme ainsi soit que l’Ecriture remontre que Dieu est tenté en diverses sortes, S. Pierre signifie en ce passage, que Dieu (par manière de dire) est provoqué de propos délibéré, quand on impose plus pesante charge aux hommes qu’ils ne peuvent porter, et que c’est limiter et restreindre sa puissance, quand on serre le joug lequel lui-même lâche. Ce qui n’est autre chose que contrefaire les Géants, et batailler contre nature.

Pour mettre un joug, etc. Le simple sens des paroles est, que Dieu est tenté, quand on impose plus grande charge sur les consciences, qu’elles ne peuvent porter. Et de fait, par cela déjà le salut des âmes reçoit un mauvais coup et est fort endommagé ; d’autant que par ce moyen il faut nécessairement qu’elles viennent a être accablées de désespoir, ce qui amène en même temps leur perdition. Mais l’injure qu’on fait à Dieu n’est pas moins insupportable, à savoir quand on lui ôte son droit, et que les hommes ne peuvent souffrir qu’il ait la liberté de nous affranchir. Au reste, la chose même en soi montre qu’il ne parle point seulement des cérémonies. Je confesse bien que la servitude de la pédagogie ancienne était rigoureuse et pénible ; mais ce serait une chose trop absurde, de l’appeler un joug importable ; et nous savons que non seulement les fidèles, mais beaucoup d’hypocrites se sont dûment et pleinement acquittés de l’observation extérieure des cérémonies. Qui plus est, il ne serait pas trop difficile de satisfaire à la Loi morale, si elle se fut seulement contentée d’une obéissance corporelle, et n’eut point requis une justice spirituelle. Car il est donné à plusieurs de pouvoir réprimer leurs pieds et leurs mains ; mais de modérer tellement toutes ses affections et pensées, qu’il y ait une parfaite abstinence et pureté tant en l’âme qu’au corps, c’est bien une chose plus que difficile. Et pourtant ceux-là sont ridicules qui restreignent aux cérémonies les paroles de saint Pierre, lesquelles expriment combien les hommes sont faibles à accomplir la justice du cœur, laquelle non seulement surmonte de beaucoup toute leur puissance et force mais aussi est du tout contraire à leur nature. Mais ce qui a fait ainsi parler ceux qui tiennent cette opinion, c’est qu’ils se sont abusés à une raison, à savoir que la question n’avait été soulevée que des cérémonies ; mais ils ne se sont point souvenus que saint Pierre a plus attentivement et prudemment considéré, comme il était convenable, quel labyrinthe cette erreur qui semblait bien être légère, tirait avec soi. Les faux-apôtres disaient que nul homme ne pouvait obtenir salut, s’il ne gardait les cérémonies. Or si le salut des hommes est attaché aux œuvres, il ne sera plus fondé sur la grâce de Jésus-Christ ; et par ce moyen la réconciliation gratuite tombera bas.

D’autre part, puisque les forces des hommes ne sont pas assez suffisantes pour garder la Loi, il n’y en a pas un qui puisse éviter la malédiction, laquelle Dieu dénonce là aux transgresseurs ; et ainsi ils ne peuvent tous attendre que désespoir, vu qu’ils voient que la Loi les condamne comme coupables de mort éternelle. Il est possible que les faux apôtres supprimaient malicieusement ces conséquences, et n’en disaient mot. Mais saint Pierre vient jusques à la source, afin de découvrir le poison mortel de cette doctrine. C’est ainsi qu’il nous faut faire, toutes les fois que Satan sème obliquement des erreurs méchantes et pernicieuses.

Il y en a certains aujourd’hui qui nous estiment trop contentieux, quand nous débattons si fort qu’il ne faut point prier pour les trépassés. Car c’est une coutume fort ancienne, et semble bien qu’il n’y a pas grand danger, quand encore les prières ne profiteraient de rien. Voire, et qui plus est c’est un article favorable, d’autant qu’il a une belle couleur de compassion humaine. Tel est le jugement des ignorants, pour ce qu’ils ne cherchent, point la source. Car si nous admettons cette doctrine, qu’on doit faire oraisons pour les trépassés, il faudra en même temps recevoir ceci, que maintenant en endurant ils s’acquittent envers le jugement de Dieu, d’autant qu’ils n’ont point satisfait pour leurs péchés en cette vie mortelle. Mais quoi ? par ce moyen la vertu de la purgation parfaite par Christ est transférée aux œuvres des hommes. D’avantage, la règle de bien prier est renversée, si ainsi est qu’il soit licite aux hommes de prier à l’aventure sans parole de Dieu. En quoi il y a aussi une si grande absurdité qu’on ne la doit laisser passer. Bref, on ne jugera jamais droitement d’aucune question, si on n’épluche diligemment la source pour déduire toutes les conséquences, que la doctrine qui est mise en différend tire avec soi. Pourtant il ne se faut point étonner si saint Pierre pour tirer les faux-apôtres hors de leurs cachettes, dispute généralement de toute la Loi. Car il ne fait sinon découvrir aux simples la chose qui était caché, afin que tous voient combien est pernicieuse la doctrine laquelle éteint la grâce de Christ, et plonge les âmes en un horrible abîme de désespoir.

Lequel ni nous ni nos Pères n’avons pu porter. Saint Pierre ne débat point seulement que c’est que les hommes ont accompli de fait, mais ce qu’ils ont pu accomplir ; et ne parle point du commun populaire seulement, mais des saints Pères. Or puis qu’il dit que ceux-ci mêmes n’ont peu porter le joug de la Loi, on voit clairement par cela, qu’il est impossible aux hommes de garder la Loi. Je sais qu’on a reçu communément la sentence de saint Jérome, et qu’on en a fait comme une maxime indubitable ; à savoir, si quelqu’un dit qu’il soit du tout impossible de garder la Loi, qu’il soit en exécration. Mais il ne faut entendre aucune parole d’homme, quand elle est répugnante à la sentence de l’Esprit de Dieu. Nous entendons ce que l’Esprit prononce ici par la bouche de saint Pierre, non point de la volonté et des œuvres des hommes, mais de leur faculté et puissance. Saint Paul y consent aussi, affirmant qu’il a été impossible à la Loi de nous donner la vie, parce qu’elle était faible en la chair. Certes si quelqu’un pouvait accomplir la Loi, il y trouverait la vie promise. Mais puisque saint Paul dit qu’on ne peut obtenir la vie par la Loi, il s’ensuit que là est requise une justice plus haute, que celle que l’homme peut accomplir. Je confesse bien que saint Jérome n’attribue pas entièrement aux forces de nature la faculté d’accomplir la Loi, mais en partie à la grâce de Dieu aussi ; comme il s’expose puis après, que l’homme fidèle peut accomplir la Loi, mais c’est quand il est aidé par la grâce du Saint Esprit. Mais encore cet adoucissement n’est point véritable. Car si nous considérons seulement les forces de nature, non seulement les hommes ne seront pas assez forts pour porter le joug de la Loi, mais ne pourront seulement bouger le petit doigt pour accomplir la moindre partie de la Loi.

Et de fait, si ceci est véritable, Que toutes les pensées du cœur de l’homme sont perverses dès l’enfance, (Genèse 8.21) Que toutes les affections de la chair sont ennemies de Dieu, (Romains 8.7) Qu’il n’y en a pas un qui cherche Dieu, (Psaumes 14.3) et autres semblables sentences, lesquelles on rencontre tant de fois en l’Ecriture, et principalement celles que S. Paul amène au chap. 3 des Romains non seulement la faculté et puissance de l’homme sera faible et imparfaite à accomplir la Loi, mais aussi du tout nulle à la commencer. Il faut donc résoudre que les fidèles mêmes, après qu’étant régénérés par l’Esprit de Dieu, ils s’adonnent et s’efforcent à suivre la justice de la Loi, n’accomplissent que la moitié, ou bien quelque petite portion de celle-ci, et non point le tout. Car S. Pierre ne parle pas ici ou d’Epicurus, ou de quelques hommes profanes, mais d’Abraham, de Moïse, et des autres saints Pères, autant qu’il y en eût jamais au monde, voire les plus parfaits. Et nonobstant il dit que ceux-ci ont succombé sous le joug de la Loi ; d’autant que leurs forces en étaient accablées. Pour rendre cette doctrine odieuse, on objecte que c’est faire injure au Saint Esprit, quand on ôte à sa grâce et aide la faculté d’accomplir et garder la Loi. Mais la solution est bien facile ; à savoir que nous ne traitions point quelle vertu a la grâce du Saint Esprit, mais combien est grande la mesure de la grâce que Dieu départit à un chacun de ses fidèles en cette vie. Car il faut toujours considérer que c’est que Dieu promet qu’il fera. Et ne nous enquérons point à la volée si une chose se peut faire, quand lui-même assure qu’elle ne se trouvera jamais, et qu’il ne veut point qu’elle soit. Il promet aux fidèles la grâce et assistance de l’Esprit, par laquelle ils résistent aux concupiscences de la chair, et les puissent dompter ; nonobstant il ne promet pas qu’ils les puissent abolir du tout. Il promet la grâce laquelle les fasse cheminer en nouveauté de vie, non pas toutefois courir en telle promptitude que la Loi le requiert. Car il veut les avoir redevables tout le temps de leur vie, à ce qu’ils aient leur recours à demander pardon. S’il n’est point licite de séparer le conseil de Dieu et l’ordre qu’il a institué d’avec sa vertu, c’est une chicane folle et frivole, de laquelle nos adversaires s’efforcent de nous charger, quand ils crient que nous diminuons la puissance de Dieu ; plutôt eux-mêmes transforment Dieu, quand ils débattent que son conseil peut être changé.

Les Pélagiens aussi pressaient S. Augustin d’une même calomnie ; auxquels il répond, que quand encore il serait possible d’accomplir la Loi, nonobstant ce lui est assez que l’Écriture assure qu’il n’y eût jamais homme qui l’ait accomplie, et n’y en aura point jusques à la fin du monde. Par lesquelles paroles il se dégage de leur subtilité importune. Mais il n’y avait nulle difficulté qu’il ne vint à accorder franchement et ouvertement, ce qu’il pouvait dire suivant l’autorité du Saint Esprit. Car il faut limiter la grâce de l’Esprit, en sorte qu’elle convienne avec les promesses. Or nous avons déjà montré ci-dessus, jusques où les promesses s’étendent. Certes il n’y a personne qui mette ceci en débat, à savoir si Dieu peut rendre les hommes parfaits, si son bon plaisir est tel ; mais tous ceux qui séparent sa puissance d’avec son conseil, duquel ils ont témoignage évident en l’Écriture, rêvent malheureusement. Dieu démontre plus de cent fois et ouvertement ce qu’il veut et ce qu’il a délibéré de faire ; de passer plus outre c’est un sacrilège. Il y a eu une raison philosophique qui a ému saint Jérome de foudroyer son excommunication contre saint Pierre et saint Paul : c’est que les lois devaient être modérées selon la puissance et faculté de ceux auxquels elles sont données. Or je confesse bien que cette raison doit avoir lieu dans les lois et ordonnances humaines ; mais cependant je nie qu’elle soit valable quant à la Loi de Dieu ; laquelle quand elle requiert que nous soyons justes, ne regarde point ce que l’homme peut, mais ce qu’il doit.

Mais il y a une autre question plus difficile qui se présente ; à savoir si vraiment la Loi n’a pas été donnée à cette fin de contraindre les hommes à obéir à Dieu ? Or cela se ferait en vain, si les fidèles n’étaient dressés par l’Esprit de Dieu à la garder. Et outre plus, cette protestation solennelle de Moïse ôte tout scrupule, quand il remontre qu’il donne des commandements aux Juifs, non point pour lire, mais pour accomplir de fait, Deutéronome 30.12. Dont on peut recueillir, que quand la Loi a été donnée aux Juifs, un fardeau leur a été imposé, par lequel ils fussent sujets de rendre obéissance à Dieu, afin qu’ils ne vécussent point à leur appétit. Je réponds à cela, que la Loi est réputée un joug en deux sortes. Car en tant qu’elle bride les concupiscences charnelles, et qu’elle donne une règle de bien et saintement vivre, il est bien raisonnable que les fidèles et enfants de Dieu plient le col sous ce joug. Mais en tant qu’elle commande étroitement ce que nous devons et sommes obligés de rendre à Dieu, et qu’elle ne promet la vie sinon sous condition d’une obéissance parfaite ; au contraire elle annonce malédiction, si on a failli en quelque partie que ce soit : c’est un joug du tout impossible à porter.

Je dirai ceci un peu plus clairement. La simple doctrine de bien vivre par laquelle Dieu nous invite à soi, est un joug auquel il nous faut tous soumettre volontairement et de bon gré. Car il n’y a rien tant absurde, que de dire que Dieu ne gouverne et ne conduise point la vie des hommes ; mais que sans bride ils se lâchent où leur appétit les mène. Il ne faut donc refuser le joug de la Loi, si on considère la simple doctrine de celle-ci. Mais il y a d’autres sentences qui qualifient la Loi d’une autre façon, à savoir : Qui aura fait ces choses vivra en celles-ci, Lévitique 18.5. De même : Maudit est quiconque ne sera point permanent en toutes les choses qui sont écrites, Deutéronome 27.26 ; en sorte qu’elle commence à être un joug importable. Car tandis que salut n’est point promis sinon à une observation entière de la Loi, et que toute transgression est appelée en jugement, c’est fait entièrement du genre humain. Selon ce regard saint Pierre affirme que Dieu est tenté, quand le fardeau de la Loi est imposé sur les consciences, par l’arrogance et audace des hommes. Car il ne veut pas nier que les hommes ne doivent être conduits et gouvernés par la doctrine de la Loi, et ainsi il accorde qu’ils sont sous le joug ; mais pour ce que c’est l’office de la Loi non seulement d’enseigner, mais aussi de proposer aux hommes la condamnation de mort éternelle pour les humilier, considérant cette qualité être conjointe à la doctrine, il débat que les âmes des fidèles ne doivent point être liées sous le joug de la Loi ; pour ce que par ce moyen il faudrait nécessairement qu’elles fussent plongées en ruine éternelle. Au reste, quand non seulement la grâce du Saint Esprit est présentée pour nous gouverner, mais aussi la rémission gratuite des péchés pour nous racheter et absoudre de la malédiction de la Loi, lors est accompli ce que dit Moïse, que le commandement n’est point par-dessus nous, Deut.30.11 ; et lors aussi nous sentons combien le joug de Christ est doux et gracieux, et combien sa charge est légère, Mathieu 11.30. Car d’autant que nous savons que ce qui défaut en nous par l’infirmité et grande faiblesse de notre chair, nous est remis par la clémence et bonté de Dieu, nous recevons joyeusement et sans aucune fâcherie ce qu’il nous enjoint. Par quoi, moyennant que la rigueur de la Loi soit ôtée, la doctrine de la Loi ne sera point scrupuleusement tolérable, mais aussi joyeuse et douce. Et ne nous faudra point refuser la bride laquelle nous conduit et gouverne paisiblement, et ne nous presse point plus rudement qu’il est expédient.

15.11

Au contraire, c’est par la grâce du Seigneur Jésus que nous croyons être sauvés, de la même manière qu’eux aussi.

Saint Pierre fait comparaison de ces deux choses, comme de deux opposites et contraires l’un à l’autre ; à savoir d’avoir espérance de salut eh la grâce de Christ et d’être sous le joug de la Loi. Laquelle comparaison donne grand lustre à la justification qui est par Christ. Car nous recueillons de cela, que ceux-là sont justifiés par foi, lesquels étant délivrés du joug de la Loi cherchent salut en la grâce de Christ. Or j’ai dit ci-dessus, que le joug de la Loi est lié de deux cordes. La première est : Qui aura fait ces choses, vivra en celles-ci, Lévitique 18.5. La seconde : Maudit est quiconque ne sera point permanent en tous ces commandements, Deutéronome 27.26. Maintenant retournons au membre contraire. Si nous ne pouvons autrement obtenir salut par la grâce de Christ que quand le joug de la Loi est ôté, il s’ensuit que notre salut ne consiste point en l’observation de la Loi ; et d’autre part, que ceux qui croient en Christ, ne sont point sujets à la malédiction de la Loi. Car si celui qui est encore empêtré du joug de la Loi, pouvait être sauvé par grâce, l’argument de saint Pierre ne serait pas bien concluant, lequel on voit bien être déduit des choses répugnantes, en ce sens : Nous espérons salut par la grâce de Christ ; nous ne sommes donc point sujets au joug de la Loi. Sinon qu’il y eût désaccord entre la grâce de Christ et le joug de la Loi, saint Pierre aurait fait un argument de Sophiste. Par quoi il faut nécessairement que tous ceux qui cherchent vie en Christ, se reculent de la justice de la Loi. Car cette répugnance ne se rapporte pas à la doctrine, mais à la cause de justifier.

En quoi aussi est réfutée la glose de ceux qui exposent que nous sommes justifiés par la grâce de Christ, d’autant que nous régénérant par son Esprit, il nous donne force pour accomplir la Loi. Ceux qui ont une telle imagination, combien qu’il semble qu’ils lâchent un bien peu le joug de la Loi, toutefois ils tiennent les pauvres âmes attachées des deux cordes de celle-ci. Car cette promesse aura toujours sa vigueur : Qui fera ces choses, vivra en celles-ci. De l’autre part, la malédiction est sur la tête de ceux qui n’auront point parfaitement accompli la Loi. Par quoi, il nous faut bien donner une autre définition de la grâce de Christ, sur laquelle repose la confiance de salut, que ceux-ci ne font ; à savoir que c’est une réconciliation gratuite acquise par le sacrifice de sa mort, ou bien que c’est une rémission gratuite des péchés (qui est une même chose) laquelle apaisant Dieu fait que d’ennemi ou juge sévère il nous est rendu Père propice. Je confesse bien que nous sommes régénérés par la grâce de Christ en nouveauté de vie ; mais quand on parle de la confiance du salut, nous nous devons seulement souvenir de l’adoption gratuite, laquelle est conjointe avec la purgation et pardon des péchés. Car si les œuvres viennent en compte, et si elles nous confèrent justice pour le moins en partie, le joug de la Loi ne sera point rompu. Et par ce moyen cette opposition que fait ici saint Pierre tombera bas.

Comme eux aussi. Saint Pierre atteste ici que combien que la servitude de la Loi fut imposée aux Pères, quant à l’apparence extérieure, toutefois leurs consciences étaient libres et affranchies. En quoi est repoussée l’absurdité, laquelle autrement pouvait grandement troubler les esprits fidèles. Car comme ainsi soit que l’alliance de vie que Dieu a faite avec ses serviteurs soit éternelle, et telle qu’il l’a faite dès le commencement il la gardera jusques à la fin du monde, ce serait une chose absurde et nullement tolérable, qu’on nous proposât aujourd’hui une autre façon diverse pour obtenir salut, que celle que les Pères anciens avaient. Saint Pierre donc affirme que nous avons un fort bon accord avec les Pères, d’autant qu’eux ont mis aussi bien l’espérance de leur salut en la grâce de Christ, que nous faisons aujourd’hui. Et ainsi accordant la Loi avec l’Evangile quant à la fin de la doctrine, il ôte aux Juifs tout le scandale qu’ils se forgeaient à cause de la contradiction. Dont il apparaît que la Loi n’a été donnée aux Pères pour chercher salut en elle ; et que les cérémonies n’y ont point été ajoutées, afin qu’ils acquissent justice en les observant ; mais que la seule fin de toute la Loi était, qu’en rejetant toute la confiance des œuvres, ils missent tout leur espoir en la grâce de Christ. Par lequel point aussi est manifestement réfutée la rêverie de ceux qui pensent que le peuple ancien se contentant des biens terrestres, n’a point eu l’Esprit dressé à la vie et héritage céleste. Mais saint Pierre met les Pères en même société de foi avec nous, et assigne un salut commun à eux et à nous. Et toutefois encore y en a-t-il, auxquels cet insensé et frénétique Servet est agréable, avec ses sacrilèges si puants et détestables. D’avantage, il nous faut noter que saint Pierre souligne que la foi des Pères anciens a été toujours fondée en Christ, vu que la vie n’a pu jamais être trouvée ailleurs, et qu’il n’y a point eu d’autre moyen, par lequel les hommes parvinssent à Dieu. Ce passage donc convient avec ce que dit Hébreux 13.8, Jésus-Christ qui était hier, et qui est aujourd’hui, est aussi le même éternellement.

15.12

Or toute la multitude se tut ; et ils écoutaient Barnabas et Paul racontant tous les miracles et les prodiges que Dieu avait faits par eux au milieu des païens.

Saint Luc signifie par ces paroles, que l’Esprit de Dieu régnait tellement en cette assemblée, qu’ils s’accordèrent tout incontinent à la raison. Auparavant il y avait entre eux une disputation bouillante ; maintenant après que saint Pierre a exposé le conseil de Dieu, et qu’il a traité la question selon la doctrine de l’Écriture, voilà, tout le bruit est apaisé, et se taisent ceux qui inconsidérément maintenaient une erreur auparavant. Or c’est ici la vive image d’un concile légitime ; auquel aussitôt que la seule vérité de Dieu a été mise en avant, elle a mis fin à tous différends. Et de fait, elle a assez d’efficace pour apaiser tous désaccords, quand l’Esprit de Dieu préside, attendu derechef que lui seul est gouverneur idoine tant pour conduire et gouverner les langues de ceux qui doivent parler par-dessus les autres, qu’à ranger les autres en obéissance, à cette fin qu’ils ne soient trop adonnés à eux-mêmes, mais qu’ôtant toute opiniâtreté ils s’assujettissent à Dieu. Et il ne faut point douter que ceux-là n’aient été quelque petit nombre de gens étourdis et obstinés, comme il advient ordinairement en une grande troupe. Toutefois la vérité de Dieu a surmonté, en sorte que le silence (duquel saint Luc fait mention) a été un témoignage évident d’une commune obéissance. Or saint Pierre avait usé en ceci d’une modération singulière ; qu’ayant souffert qu’un chacun mît en avant ce qu’il avait, il a différé son opinion jusques à tant que la cause ait été débattue d’un côté et d’autre, afin qu’il n’ôtât à aucun la liberté de parler.

Et écoutaient Barnabas et Paul. On peut facilement recueillir de ces paroles, qu’auparavant ils ne furent point entendus avec silence. Car comme ainsi soit que la plus grande partie eût cette persuasion, qu’ils avaient mal fait d’admettre en l’Eglise les Gentils qui étaient profanes au regard des Juifs, ils n’eussent rien entendu patiemment de tout ce que ceux-ci eussent dit, sinon que cette fausse opinion eût été premièrement corrigée ; mais tout eût été tiré en mauvaise part. Nous voyons quel poison c’est, quand les hommes ont conçu sans propos une aliénation, laquelle occupe tellement leurs esprits, qu’elle ferme tous les passages à la vérité. Il nous faut apprendre de ceci, combien cette sentence est véritable : Toutes choses sont saintes aux sains, Tite 1.15. Car il n’y a rien si salutaire, que les affections vicieuses ne convertissent en dommage. Au reste, le récit de Paul et Barnabas tend à cela, qu’ils démontrent que leur Apostolat entre les Gentils a été approuvé de Dieu ; vu qu’il avait été confirmé et établi par miracles, qui sont comme les sceaux de celui-ci.

15.13

Et après qu’ils se furent tus, Jacques prit la parole et dit : Hommes frères, écoutez-moi.

Plusieurs des anciens Docteurs de l’Eglise pensent que ce Jacques était l’un des disciples, lequel était surnommé le Juste, et Oblias ; la mort inhumaine duquel est expliquée par Josèphe au livre XX des Antiquités. Mais à la mienne volonté que les anciens Docteurs se fussent plus amusés à connaître le personnage, qu’à célébrer la sainteté d’un homme inconnu par louanges controuvées et fabuleuses. C’est un conte puéril, qu’ils disent que lui seul pouvait entrer au Saint des Saints. Car si en cette entrée il y avait quelque religion, il eût fait contre la Loi de Dieu, vu qu’il n’était point souverain Sacrificateur. D’avantage, c’était superstition d’entretenir en cette sorte un service du temple, selon les ombres et figures anciennes. Je laisse là telles autres rêveries. Or ils s’abusent grandement en ceci, qu’ils disent que ce Jacques n’était point l’un des douze apôtres. Car ils sont contraints de confesser que c’est celui à qui saint Paul fait cet honneur de le nommer le premier entre les trois colonnes de l’Eglise, Galates 2.9. Il est certain que quelqu’un qui eût été d’un ordre inférieur n’eût point été ainsi excellent par-dessus les Apôtres. Car saint Paul lui donne le titre d’Apôtre. Et ce que saint Jérome amène, n’est point digne d’être expliqué, à savoir que le nom d’apôtre est là pris en général ; vu qu’il est là traité expressément de la dignité de l’ordre Apostolique, en tant que Christ a préféré les apôtres aux autres Docteurs de l’Eglise. Avec ce on peut facilement recueillir de ce passage, que ce Jacques n’était point en petite estime ; attendu qu’il confirmé tellement les paroles de Pierre par sa voix, que tous les autres suivent son opinion. Et nous verrons derechef ci-dessous Actes 21.18, quelle autorité il avait en la ville de Jérusalem. Les anciens pensent que cela s’est fait, pour ce qu’il était Évêque du lieu. Mais il n’est point vraisemblable que les fidèles aient changé à leur appétit l’ordre que Christ avait mis. Par quoi je ne doute point que ce ne fut le fils d’Alphée, et le cousin de Christ ; en ce sens aussi il est appelé son frère. S’il a été Évêque de Jérusalem ou non, je n’en détermine rien ; et de fait, cela ne sert pas grandement au propos, sinon que par cela on peut facilement repousser l’impudence du Pape, d’autant que le secret de ce Concile est arrêté plutôt par l’autorité de saint Jacques, que de saint Pierre. Et certes Eusèbe au commencement du second livre ne fait point de difficulté d’appeler ce Jacques (quiconque il soit) l’Évêque des apôtres. Que les Romanisques fassent maintenant leurs parades, et qu’ils se vantent que leur Pape est le chef de l’Eglise universelle, d’autant qu’il est successeur de saint Pierre, qui a souffert qu’un autre présidât sur lui, si on ajoute foi à Eusèbe.

Hommes frères, écoutez-moi, etc. Le propos de saint Jacques contient principalement deux membres. Car en premier lieu, il confirmé la vocation des Gentils par le témoignage du Prophète Amos. Secondement, il souligne ce qui est utile de faire pour entretenir la paix et concorde entre les fidèles ; en sorte toutefois que la liberté demeure sauve aux Gentils, et que la grâce de Christ ne soit point obscurcie. Quant à ce que Pierre est ici appelé Siméon il se peut bien faire que ce nom ait été lors prononcé en diverses sortes. Et touchant ce qu’il dit que Dieu a visité pour prendre un peuple des Gentils, cela se rapporte a la miséricorde de Dieu, par laquelle il a daigné recevoir des étrangers en sa famille. Il est vrai que la manière de parler est rude ; mais elle contient une doctrine utile, d’autant qu’il fait Dieu auteur de la vocation des Gentils ; et prononce que c’est de sa grâce et bonté qu’ils ont commencé à être réputé de son peuple, quand il dit, qu’il les a pris. Mais il passe plus outre, disant qu’il les a visités pour les prendre. Car le sens est, que du temps que les Gentils étaient détournés de Dieu, il les a regardés d’un œil bénin. Car nous ne pouvons sinon nous reculer toujours tant plus loin de lui, jusques à ce qu’il nous prévienne le premier par son regard paternel.

Son nom. Le traducteur Latin ancien a traduit, A son nom, ce qui signifie presque autant ; combien qu’on pouvait encore traduire autrement, à savoir : Pour l’amour de son nom, ou sur son nom. Et le sens ne conviendra pas mal ainsi, que le salut des Gentils est fondé au nom, ou en la vertu de Dieu ; et que Dieu en les appelant n’a regardé à autre chose qu’à la gloire de son nom. Toutefois j’ai retenu ce qui était le plus reçu et usité ; à savoir que mettant les Gentils du nombre de son peuple, il les a appelés de son nom, et acceptés des siens ; comme il sera dit bientôt après, que son nom est invoqué sur tous ceux qui sont recueillis en son Eglise. Le mot aussi Premièrement, peut être exposé en deux sortes ; ou que Corneille et ses cousins ont été comme les prémices, par lesquelles Dieu a commencé la vocation des Gentils ; ou on le peut aussi prendre par comparaison, que déjà un exemple de l’adoption des Gentils avait été montré en Corneille et les siens, avant que Barnabas et Paul eussent publié l’Evangile aux Gentils. Et ce second sens me semble le meilleur.

15.14

Syméon a raconté comment Dieu a pris soin de choisir, pour la première fois, d’entre les païens un peuple qui portât son nom.

15.15

Et avec cela concordent les paroles des prophètes, selon qu’il est écrit :

Nous entendons ici que les apôtres n’ont rien dit de leur autorité ; mais ont suivi en humilité et révérence ce qui était décrété et ordonné par la Parole de Dieu, et n’ont point dédaigné, ou estimé n’être convenable à leur dignité, de s’avouer disciples de l’Écriture. Il nous faut aussi noter de ce passage, que l’usage de la doctrine des Prophètes est encore en vigueur, laquelle aucuns frénétiques voudraient exterminer de l’Eglise. Il allègue seulement un Prophète, et toutefois il dit Prophètes en nombre pluriel ; signifiant par cela qu’entre tous les Prophètes il y a un tel consentement, que ce que l’un a dit, est un témoignage commun de tous, pour ce que tous parlent d’un accord ; et par manière de dire, un chacun à part parle en la personne de tous. Joint que toutes les Prophéties et oracles des Prophètes étaient tellement recueillis ensemble, qu’ils faisaient un même corps ou volume. Par quoi, on pouvait à bon droit et proprement attribuer en commun aux Prophètes, ce qui était pris de quelque endroit de tout le volume.

15.16

Après cela je reviendrai, et je réédifierai le tabernacle de David qui est tombé, et je réédifierai ses ruines et je le redresserai,

Pour ce que saint Jacques n’allègue point de mot à mot le passage qui est en Amos, il faut voir en quoi il est différent ; combien qu’il n’est besoin d’éplucher curieusement quelle différence ou diversité il y a dans les mots, pourvu qu’il nous apparaisse que la Prophétie convient proprement à la présente matière. Après que Dieu a promis de restaurer le tabernacle de David, il ajoute aussi qu’il fera que les Juifs posséderont le résidu d’Edom. En tout le contenu de ce texte rien n’apparaît encore dont on puisse recueillir la vocation des Gentils. Mais ce qui s’ensuit incontinent après au texte du Prophète du résidu des Gentils, sur lequel sera invoqué le nom de Dieu, montre ouvertement qu’il y aura une même Eglise composée des Juifs et des Gentils. Car ce qui était lors particulier seulement aux Juifs, est donné aussi bien aux Gentils. Car Dieu met en un même degré d’honneur les Gentils avec les Juifs, quand il veut que son nom soit invoqué sur eux. Anciennement du temps du règne de David, les Iduméens et les peuples voisins étaient sujets aux Juifs ; mais combien qu’ils fussent tributaires au peuple de Dieu, toutefois ils étaient hors de l’Eglise. Ceci donc est une chose nouvelle et non accoutumée, que Dieu les répute du saint peuple, en sorte qu’il est appelé également Dieu des Gentils aussi bien que des Juifs. Car il est certain qu’en cette sorte ils sont égalés en un même degré d’honneur. Dont il apparaît clairement que le témoignage du Prophète convient fort bien au présent propos. Car Dieu fait promesse qu’il réparera le tabernacle qui était tombé bas, et qu’en cette restauration les Gentils rendront obéissance au Royaume de David, non seulement pour lui faire hommage, et être tributaires, ou pour prendre les armes au commandement du Roi ; mais afin qu’ils aient un Dieu commun, et que les Gentils et Les Juifs soient une même famille de Dieu.

Toutefois on pourrait faire une question, pourquoi il a mieux aimé alléguer cette prophétie que beaucoup d’autres, qui contiennent plus claire probation de la matière, de laquelle est ici faite mention ; comme saint Paul en allègue plusieurs de cette façon, Romains 15.9-11. Je réponds premièrement, que les Apôtres n’ont point voulu par ambition entasser les passages de l’Ecriture ; mais ils ont simplement regardé à ceci, qui leur était plus que suffisant, à savoir, de prouver que leur doctrine était prise et tirée de la parole de Dieu. D’avantage, je dis que cet oracle d’Amos est plus évident qu’on ne pense coutumièrement. Il est question de la réparation de la maison royale, qui était ruinée. Le Prophète décrit la misérable ruine de celle-ci. La promesse donc qui est ajoutée incontinent après, à savoir qu’il y aura derechef un trône dressé, auquel seront assis des Rois de la postérité de David, lesquels domineront sur les Gentils, appartient proprement à Jésus-Christ. Ainsi le Royaume de Christ étant dressé, s’ensuit nécessairement ce qui est aussi dit par le Prophète, que le nom de Dieu sera réclamé sur les Gentils. Nous voyons donc maintenant, que S. Jacques n’a point choisi ce passage à la volée. Car si le Royaume de Christ ne peut être autrement établi, sinon que Dieu soit invoqué par tout le monde, sinon aussi que les Gentils soient unis avec son peuple saint ; ce serait une absurdité qu’ils fussent exclus de l’espérance de salut. Et faut que la paroi qui était entre deux, et qui séparait les uns des autres sous la Loi, tombe bas, Ephésiens 2.14. Car les cérémonies avaient ce but entre les autres, qu’elles discernaient le saint peuple de Dieu des autres nations et gens profanes. Maintenant que la différence est ôtée, aussi faut-il que les cérémonies soient abolies. Ce mot Je retournerai, n’est point en Amos ; mais le changement d’état qu’il dénonce, est fort bien exprimé par cela.

Le tabernacle de David, etc. Ce n’est point sans cause que le Prophète Amos propose devant les yeux ce dégât difforme et cette ruine horrible de la maison royale. Car si les fidèles n’eussent eu cette persuasion, qu’après que le Royaume de David aurait été réduit à néant, le Christ toutefois ne laisserait pas de venir, qui non seulement remettrait les choses ruinées en leur premier ordre, mais aussi élèverait-il jusqu’aux cieux la gloire de ce royaume par une prospérité admirable, ils fussent cent fois tombés en désespoir. Après le retour de la captivité de Babylone, ils avaient soutenu tant de déconfitures, qu’il ne s’en fallait pas beaucoup qu’ils ne fussent du tout ruinés. Puis après, ce qui était de reste a été peu à peu consumé par dissensions domestiques. Qui plus est, quand Dieu les relevait de ces misères extrêmes, la façon de l’aide qu’il donnait, était comme une matière de désespoir. Car la domination que les Maccabées prirent, fut lors ôtée à la lignée de Judas. Pour ces causes le Saint Esprit répète souvent par le Prophète, que le Christ ne viendrait point que premièrement le Royaume de David ne fut mis bas, afin qu’ils ne désespérassent de leur salut au milieu de si grandes et extrêmes calamités. Ainsi dit Esaïe 11.4, qu’un rejeton sortira d’un tronc vil et méprisable. Et nous aussi mettons devant nos yeux que Dieu use de ce moyen admirable quand il veut restaurer son Eglise, qu’il la bâtit de ruines et démolissements. De plus, ce passage nous montre quel est le vrai et bon établissement de l’Eglise ; à savoir, quand le trône de David est haut élevé, et quand Christ est seul éminent, à ce que tous soient assemblés pour lui faire hommage et rendre obéissance. Combien que le Pape ait opprimé l’Eglise par sa tyrannie pleine de sacrilège, néanmoins il se vante orgueilleusement du titre de l’Eglise. Et qui pis est, sous cette ombre vaine du titre de l’Eglise, il déçoit et abuse les simples gens pour éteindre la lumière de la pure doctrine. Mais si on vient à considérer la chose comme il appartient, il sera bien facile de repousser une moquerie si lourde. Car ayant ôté Jésus-Christ hors de son trône royal, lui seul puis après occupe la domination. Il confesse bien de parole qu’il est vicaire ou lieutenant de Christ ; mais en effet bannissant honnêtement le Fils de Dieu, et le renvoyant aux cieux, il tire à soi toute la puissance de celui-ci. Car Jésus-Christ ne règne point autrement que par la doctrine de son Evangile, laquelle est vilainement foulée aux pieds par cette idole horrible et exécrable. Mais quant à nous, souvenons-nous qu’il y aura un état légitime de l’Eglise entre nous, si nous obéissons tous jusqu’à un au Roi souverain Jésus-Christ ; afin qu’il n’y ait qu’une bergerie et un berger, Jean 10.16.

15.17

afin que le reste des hommes recherchent le Seigneur, savoir toutes les nations sur lesquelles mon nom est invoqué, dit le Seigneur, qui fait ces choses,

Ce mot de Requérir, n’est point au texte du Prophète ; mais saint Jacques l’a ajouté pour plus ample déclaration ; et toutefois il n’est point superflu. Car pour être réputés du peuple de Dieu, et afin qu’il nous reconnaisse pour siens, il faut que de notre côté nous soyons affectionnés à le chercher. Et il est vraisemblable que saint Luc a compris en bref, les choses que S. Jacques a traitées entre les Juifs en leur langage naturel ; dont il est advenu que l’exposition de la matière a été ajoutée avec les paroles du Prophète. Au lieu que le Prophète met, Le résidu des Gentils, S. Luc suivant la traduction Grecque qui était puis familière, a mis, Le résidu des hommes ; mais c’est en même sens ; à savoir qu’il faut que le retranchement précède pour purger les ordures du monde ; comme aussi il en est advenu. Il nous faut aussi appliquer cette doctrine à notre temps. Car d’autant que le monde est si corrompu, qu’il ne pourrait être tout rangé en l’obéissance du Fils de Dieu, il jette au vent les ordures et mauvaises herbes envoyant diverses calamités, afin qu’il recueille finalement à soi ce qui demeurera de reste.

15.18

lesquelles sont connues de toute éternité.

Il prévient, à ce que la chose ne soit odieuse à cause de la nouveauté. Car un soudain changement pouvait être suspect ; et troublait par cette occasion les esprits des faibles. Saint Jacques donc vient au-devant, soulignant que ceci n’a point été une chose nouvelle à Dieu, combien qu’elle soit soudainement advenue contre toute opinion des hommes. Car Dieu avait prévu devant la création du monde ce qu’il devait faire ; et dès le commencement la vocation des Gentils était cachée en son conseil étroit. Dont il s’ensuit qu’il ne la faut estimer selon le sens humain. Or S. Jacques regarde aux paroles du Prophète, quand il affirme que Dieu lui-même, qui devait faire toutes ces choses, est auteur aussi de la prophétie. Le sens donc est : Que vu que Dieu parle par son Prophète, il est certain qu’il a prévu dès lors, voire de toute éternité, qu’il n’y aurait ni prépuce, ni autre chose quelconque, qui le peut empêcher d’adopter les Gentils en sa famille. Il y a cependant ici une exhortation générale ; à savoir que les hommes ne mesurent point selon leur petite capacité les œuvres de Dieu, desquelles il n’y a bien souvent que lui seul qui en connaisse la raison ; mais plutôt qu’ils s’écrient avec admiration, que ses voies sont impossibles à trouver, et que ses jugements sont un abîme trop profond, Romains 11.33.

15.19

C’est pourquoi j’estime qu’il ne faut point créer des difficultés à ceux des païens qui se convertissent à Dieu,

Il dit que les Gentils ne doivent point être exclus de l’Eglise pour le désaccord des cérémonies, vu qu’ils y étaient divinement reçus. Toutefois il semble qu’il répugne à soi-même, quand il dit qu’il ne les faut point troubler ; et toutefois il leur ordonne quelques observations. La solution est facile, laquelle je poursuivrai plus amplement ci-après. Premièrement, il ne requiert rien d’eux, qu’ils ne fussent tenus de garder pour entretenir entre eux amitié fraternelle. D’avantage, ces commandements ne pouvaient apporter aucun trouble ni inquiétude à leurs consciences, vu qu’ils savaient bien qu’ils étaient affranchis devant Dieu ; et cette fausse et perverse religion, laquelle les faux-apôtres avaient tâché d’introduire, était ôtée. On fait ici une question, pourquoi c’est que saint Jacques enjoint seulement ces quatre choses aux Gentils. Aucuns disent que cela avait été pris de la coutume ancienne des Pères, lesquels n’avaient accoutumé de faire alliance avec aucun peuple, lequel ils pussent contraindre à obéissance, sinon sous cet accord. Mais pour ce qu’on ne produit point aucun auteur idoine de ce fait, de moi je laisse cela en doute et en suspens. Au reste, on peut voir évidemment une raison probable, pourquoi ils ont fait cette ordonnance spéciale des choses dédiées aux idoles, du sang et de chose étouffée. Il est vrai que c’étaient choses indifférentes ; toutefois elles avaient quelque chose de particulier outre les autres cérémonies de la Loi. Nous savons comment Dieu commande étroitement de fuir les choses qui sont répugnantes à la profession externe de la foi, et lesquelles il y a quelque apparence ou soupçon d’idolâtrie. Afin donc qu’il ne demeurât aucune macule de superstition chez les Gentils, et que les Juifs n’aperçoivent en eux chose qui ne fut point accordante avec le pur service de Dieu, il ne se faut point étonner s’il leur est ordonné de s’abstenir des choses consacrées aux idoles pour éviter scandale. Le mot Grec duquel use saint Luc, à savoir, Alisgima, signifie toutes sortes de profanation ; et pourtant je n’ai point changé la traduction commune Latine ; mais il est pris quelque fois pour les sacrifices. Et par aventure le sens ne conviendrait point mal à propos à l’intention de saint Jacques ; et peut être que le sens serait plus simple et plus naturel en prenant le mot en cette signification au présent passage. Car quand saint Luc répétera bientôt ci-après cette même détermination des apôtres, il mettra Idolothita, qui signifie choses offertes aux idoles.

Quant au sang et la chose étouffée, non seulement il était défendu aux Juifs par la Loi de Moïse d’en user, Deutéronome 12.23, mais tout incontinent après le déluge, loi en avait été donnée à tout le monde, Genèse 9.4. Dont il est advenu que ceux qui n’étaient point du tout abâtardis, avaient le sang en horreur. Je ne parle point seulement des Juifs, mais de plusieurs d’entre les Gentils. Je confesse bien que ce commandement aussi a été temporel ; toutefois il était tel, qu’il s’étendait plus loin qu’à un seul peuple. Il ne se faut donc étonner si plus grand scandale pouvait être engendré de cela, auquel il a semblé bon aux apôtres de remédier.

Mais quant à la paillardise, il en survient une question plus difficile ; d’autant qu’il semble avis que saint Jacques la met entre les choses indifférentes, desquelles il se faille garder seulement pour le regard du scandale. Mais il y avait une autre cause, pourquoi il a mis la paillardise au rang des choses qui n’étaient illicites d’elle-mêmes. On soit plus qu’il ne serait de besoin, comment partout il y a eu un débordement de paillardise ; principalement entre les Orientaux cette maladie était trop enracinée, comme de fait ils sont plus enclins à paillardise. Il est certain qu’il n’y a région, là où on ait moins saintement gardé la chasteté et foi de mariage. D’avantage, il n’est point ici parlé (selon mon opinion) de toutes paillardises indifféremment ; comme sont les adultères et les paillardises exorbitantes, par lesquelles toute honnêteté et chasteté est publiquement violée et corrompue ; mais je pense qu’il dénote le concubinage, lequel les Gentils avaient si bien tiré en coutume, qu’ils en avaient fait presque une loi. Quant à ce donc que saint Jacques met une corruption vulgaire avec des choses qui ne sont point vicieuses d’elles-mêmes, il n’y a point d’inconvénient ; pourvu que nous sachions bien que ce n’a point été son intention de mettre en un même ordre des choses distantes si loin l’une de l’autre. Car ce que les hommes infâmes cherchent ici couverture de leurs vilaines ordures et paillardises, est facile à repousser. Saint Jacques (disent-ils) couple ces deux choses, manger le sang et paillarder. Mais les compare-t-il ensemble comme choses semblables, ou pour le moins comme choses là où il n’y ait point de diversité ? Mais plutôt, seulement il regarde la coutume perverse et la façon corrompue des hommes, qui s’était éloignée de la première loi de nature et ordre que Dieu avait institué. Touchant le jugement de Dieu, il en faut chercher la connaissance en la doctrine de l’Écriture, qui toujours doit avoir lieu. Or ce que l’Ecriture en prononce est tout notoire ; à savoir que la paillardise est maudite devant Dieu ; et par cette l’âme et le corps de l’homme sont souillés, le saint temple de Dieu est pollué, et Jésus-Christ mis par pièces ; et que Dieu prend vengeance tous les jours des paillards, et que quelque jour il en fera une merveilleuse et horrible punition. Les procureurs et avocats de la paillardise, tant bavards et ingénieux soient-ils, ne pourront jamais par leurs douces et belles paroles couvrir la turpitude de cette ordure tant gravement condamnée par le Juge céleste.

15.20

mais leur écrire de s’abstenir des souillures des idoles, de la fornication, des animaux étouffés et du sang.

15.21

Car, dès les temps anciens, Moïse a, dans chaque ville, ceux qui le prêchent, étant lu dans les synagogues chaque jour de sabbat.

Selon mon opinion ce passage a été mal exposé, et tiré en un sens tout opposite et contraire. Car les expositeurs songent que ceci a été ajouté par S. Jacques, d’autant que c’était une chose superflue de bailler quelque ordonnance aux Juifs, vu que la doctrine de la loi leur était familière, et était lue par chacun Sabbat. Et voici le sens lequel ils en tirent, nous nous contentons d’exiger ces deux ou trois points des Gentils, lesquels ne sont point accoutumés à porter le joug delà Loi. Quant aux Juifs, ils ont Moïse, duquel ils en peuvent apprendre d’avantage. Aucuns aussi recueillent de ce lieu, qu’il faut aujourd’hui même que les Juifs gardent la Circoncision avec ses dépendances. Mais c’est sottement argumenté ; voire quand cette interprétation que j’ai expliquée, serait vraie. Mais S. Jacques tend bien à un autre but tout divers ; c’est à savoir qu’il remontre qu’il ne se peut faire que les cérémonies soient abolies si soudainement et comme d’une secousse, d’autant que déjà dès longtemps les Juifs étaient accoutumés à la doctrine de la Loi ; et que Moïse avait ses prêcheurs ; et pourtant il fallait racheter la concorde jusqu’à bien peu de temps, auquel la liberté acquise par Christ serait peu à peu plus clairement connue. C’est ce que vulgairement on dit, qu’il fallait que les cérémonies anciennes fussent ensevelies avec honneur. Ceux qui sont savants en la langue Grecque, reconnaîtront en la traduction, que je n’ai point traduit sans cause ce dernier membre ainsi : Vu que dans les synagogues il est lu par chaque Sabbat, à savoir pour éviter toute ambiguïté et sens double.

15.22

Alors il parut bon aux apôtres et aux anciens, avec toute l’Eglise, de choisir des hommes d’entre eux et de les envoyer à Antioche, avec Paul et Barnabas, savoir Jude, nommé Barsabas, et Silas, qui étaient des principaux d’entre les frères.

Cette tempête n’a point été apaisée sans une singulière grâce de Dieu, en sorte qu’après la cause bien épluchée, tous d’un même accord aient consenti à la vraie doctrine. On peut aussi recueillir de ceci, quelle a été la modestie du peuple, en ce qu’après avoir déféré le jugement aux apôtres et autres docteurs, maintenant aussi il souscrit à leur décret et arrêt. D’autre part aussi, les apôtres ont montré leur modestie, en ce qu’ils n’ont rien résolu de la cause commune des fidèles, sinon que le peuple y fut admis. Car de fait, cette tyrannie est procédé de l’orgueil des Pasteurs, que les choses qui appartiennent à l’état commun de toute l’Eglise, sont soumises à l’appétit, voire au plaisir exorbitante de quelque petit nombre rie gens sans y appeler le peuple. Or les apôtres et les anciens se sont prudemment avisés d’envoyer Judas et Silas, afin que la chose ne fut point suspecte. Nous savons combien il est difficile de réprimer les calomnies des méchants, de satisfaire à plusieurs qui sont trop sévères et chagrins, d’arrêter ceux qui sont inconstants et ignorants, d’ôter de l’Esprit des gens les erreurs qu’ils ont conçues, guérir les âmes, apaiser les débats, et d’abolir les faux bruits. Par aventure les ennemis de Paul et Barnabas eussent dit que ces lettres eussent été obtenues par flatteries, ou eussent inventé quelque nouvelle chicane ; les ignorants et faibles eussent été soudainement troublés. Mais quand avec les lettres il y a gens d’autorité pour traiter à fond l’affaire gravement et en présence, tout mauvais soupçon est ôté.

15.23

Ils envoyèrent par leur entremise, cette lettre : Les apôtres et les anciens et les frères, aux frères qui sont d’entre les païens, à Antioche et en Syrie et en Cilicie, salut.

15.24

Comme nous avons appris que quelques-uns, sortis d’entre nous, vous ont troublés par des discours, bouleversant vos âmes, auxquels nous n’avions donné aucun ordre :

Nous voyons comment ces saints personnages n’ont nulle acception des personnes, laquelle corrompt toujours les saints et droits jugements. Ils confessent que ces garnements étaient de leur troupeau ; et nonobstant ils ne les épargnent pas, et la faveur perverse ne les fait point incliner à couvrir leur erreur ; mais qui plus est, en les condamnant franchement, ils ne s’épargnent point eux-mêmes. Et en premier lieu ils leur arrachent ce masque duquel ils avaient abusé pour tromper. Ils se vantaient de bien connaître l’intention des apôtres ; les apôtres leur reproches les mensonges de cette fausse couverture, disant qu’ils ne leur en avaient donné aucune charge. D’avantage, ils les accusent encore plus rigoureusement et rudement, de ce qu’ils ont troublé l’Eglise, qu’ils ont subverti les pauvres âmes. Car par ce moyen ils les rendent odieux et détestables à tous fidèles, d’autant qu’ils ne peuvent être reçus en compagnie, que en même temps ils n’apportent ruine. Au reste, il est dit que les faux docteurs renversent les âmes, pour ce que c’est la vérité qui les édifie. Par ce moyen cette façon de parler contient une doctrine générale. Si nous ne voulons de notre propre gré que nos âmes soient traînées à perdition pour n’être plus temples du Saint Esprit, et si nous ne désirons leur ruine, il nous faut diligemment garder de ceux qui tâchent à nous détourner de la pureté de l’Évangile. Quant à ce qu’ils disent de garder la Loi, cela n’appartient sinon aux cérémonies. Toutefois il faut toujours se rappeler qu’il a été tellement traité des cérémonies, que cependant la justice et le salut des hommes dépendait de ce point-là. Car les faux apôtres commandaient de les garder, comme si la Loi eût conféré justice, et comme si le salut eût dépendu des œuvres.

15.25

il nous a paru bon, étant tombés d’accord, de choisir et de vous envoyer des hommes, avec nos bien-aimés Barnabas et Paul,

Ils opposent ces louanges aux calomnies que les faux apôtres avaient tâché de mettre sur Paul et Barnabas. Et premièrement, pour ôter toute opinion de dissension, de laquelle plusieurs étaient préoccupés en leurs esprits, ils attestent qu’ils sont de bon accord ensemble. Puis après ils louent Paul et Barnabas pour l’ardeur de leur zèle et leur magnanimité excellente, en ce qu’ils n’ont point craint d’exposer leurs vies pour Christ. Or c’est-ci une vertu excellente en un ministre de l’Évangile, et laquelle mérite grande louange, quand non seulement il sera diligent à exécuter l’office d’enseigner, mais aussi quand il sera prêt de mettre sa vie au danger présent pour maintenir la doctrine qu’il annonce tout ainsi que le Seigneur éprouve la foi de ses fidèles et leur constance par tels témoignages ; aussi, par manière de dire, il les anoblit des marques de vertu, à ce qu’ils soient excellents en son Eglise. Pour cette cause S. Paul expose les flétrissures de Jésus-Christ, (Galates 6.17) lesquelles il portait en son corps, comme un bouclier pour repousser les garnements qui empêchaient et troublaient sa doctrine. Or combien que plusieurs vaillants et courageux docteurs de l’Eglise ne viennent point jusques à ce but, qu’ils combattent jusque’au danger de leur vie pour maintenir l’Evangile, pour ce que la nécessité ne le requiert point ; nonobstant cela n’empêche point que toutes les fois que Christ produit ses martyrs à des combats dignes de mémoire, ce ne soit pour les autoriser. Cependant ceux qui n’ont nulle nécessité de combattre, qu’ils ne laissent pas pourtant d’être prêts de verser leur sang, toutes les fois que le bon plaisir de Dieu sera tel. Au reste, les apôtres ne louent point la constance et force de Paul et Barnabas, sinon en bonne et juste cause. Car si cela suffisait de se fourrer hardiment dedans les dangers, les Martyrs du Fils de Dieu ne différeraient en rien des frénétiques et étourdis, ni des escrimeurs, qui pour donner passe-temps aux autres se mettent en danger de mort. voici donc pourquoi Paul et Barnabas sont loués, non pas que simplement ils se soient exposés aux dangers, mais pour ce qu’ils n’ont point fait de difficulté de mourir pour le nom de Christ. Il est possible aussi que l’intention des apôtres a été de taxer obliquement ces garnements, qui n’avaient jamais souffert pour Christ, et qui sortant de leurs nids où ils avaient toujours vécu à leur aise, étaient venus pour troubler les Eglises, lesquelles avaient coûté si cher aux vaillants champions de Christ.

15.26

hommes qui ont exposé leurs vies pour le nom de notre Seigneur Jésus-Christ.

15.27

Nous avons donc envoyé Jude et Silas ; eux aussi vous diront de bouche les mêmes choses.

15.28

Car il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous de ne vous imposer aucune autre charge que ces choses qui sont nécessaires :

Quant à ce que les apôtres et les Anciens s’adjoignent pour compagnons au Saint Esprit, ils ne s’attribuent rien à part en cela, mais cette façon de parler vaut autant comme s’ils disaient que le Saint Esprit les a guidés et conduits ; et qu’étant inspirés par lui, ils ont ordonné ce qu’ils écrivent. Car telle manière de parler est assez fréquente en l’Ecriture, à savoir qu’elle met en second lieu les Ministres, après avoir premièrement exprimé le nom de Dieu. Quand il est dit que le peuplé a cru à Dieu et à Moïse son serviteur (Exode 14.31) la foi n’est point déchirée par cela, en sorte qu’elle se soit assujettie en partie à Dieu, en partie à un homme mortel. Quoi donc ? Comme ainsi soit que le peuple eût Dieu pour seul auteur de sa foi, il a ajouté foi aussi à son serviteur Moïse, duquel il était inséparable. Et certes il ne pouvait autrement croire à Dieu qu’en recevant la doctrine proposée par Moïse ; comme auparavant en rejetant et méprisant Moïse, ils avaient rejeté le joug de Dieu. Et par cela est repoussée l’impudence de ceux qui se vantant de la foi à pleines bouches, méprisent cependant le ministère de l’Eglise avec une impiété orgueilleuse. Car tout ainsi que ce serait un partage sacrilège, si la foi dépendait à part d’un homme, voire au moindre point que ce fut ; aussi ceux qui ne tenant compte des Ministres, par lesquels Dieu parle, font semblant de le recevoir pour maître, se moquent ouvertement de lui. Les Apôtres donc nient qu’ils aient forgé de leur cerveau cette ordonnance qu’ils donnent aux Gentils, mais seulement ont été Ministres du Saint Esprit ; et ce afin d’autoriser de l’autorité de Dieu ce qu’ils ont reçu de lui, et donnent de main en main. Ainsi quand S. Paul fait mention de son Evangile, il ne met point en avant un nouveau Evangile, lequel il ait forgé de soi-même, mais il prêche ce même Evangile qui lui a été commis par Christ. Or les Papistes se montrent ridicules, quand ils veulent prouver par ces paroles, que l’Eglise a par devers soi quelque propre autorité ; et qui plus est, ils se contredisent eux-mêmes. Car quelle couleur ont-ils pour débattre que l’Eglise ne peut errer, sinon d’autant qu’elle est immédiatement gouvernée par le Saint Esprit ? Pour cette cause ils se vantent à hauts cris, que leurs inventions, pour lesquelles nous les rédarguons, sont oracles du Saint Esprit. C’est donc grande folie à eux de mettre en avant ce mot : Il nous a semblé bon. Car si les apôtres ont sans le Saint Esprit à part ordonné quelque chose, cette première maxime tombera incontinent bas : Que rien n’est décrété par les Conciles, qui ne soit ordonné et dicté par le Saint Esprit.

Que ces choses nécessaires. Sous couleur de ce mot les Papistes triomphent orgueilleusement, pensant avoir gagné la victoire, comme s’il était licite aux hommes de faire des lois et ordonnances, par lesquelles nécessité soit imposée aux consciences. Voici qu’ils disent : Sous peine de péché mortel il faut garder tout ce que l’Eglise commande et ordonne, pour autant que tout ce que les apôtres concluent et ordonnent, ils prononcent qu’il le faut garder nécessairement. Mais il est bien facile de repousser une si sotte chicane. Car cette nécessité n’a point eu de vigueur plus de temps que le danger y était que l’unité fut rompue. Ainsi, à proprement parler, cette nécessité a été accidentelle, ou venant d’ailleurs, à savoir telle qu’elle ne consistait au fait, mais seulement en ce qu’on se gardât de donner scandale. Ce qui apparaît par ce que cette ordonnance a été quelque temps après abolie. Car quand il est question de choses qui sont nécessaires d’elles-mêmes, il faut que les lois soient perpétuelles. Or nous savons qu’aussitôt que ce débat et tumulte cessa, S. Paul mit à néant cette ordonnance, à savoir quand il enseigne que rien n’est immonde (Romains 14.4) et donne liberté de manger de toutes viandes, même de celles qui ont été sacrifiées aux idoles, 1 Corinthiens 10.25. Par quoi les Papistes ne gagnent rien de prendre ce mot pour lier les consciences, vu que la nécessité, de laquelle, il est ici question, n’a regardé qu’aux hommes en l’usage extérieur, afin qu’il n’en advint aucun scandale ; et cependant la liberté devait demeurer en son entier devant Dieu. C’est en vain aussi qu’ils tâchent de tirer cette résolution de tout ce passage, que puissance est donnée à l’Eglise, d’ordonner et décréter aucune chose outre la parole de Dieu. Le Pape a fait à son appétit des ordonnances outre la parole de Dieu, par lesquelles il gouvernât l’Eglise ; et n’en a point fait seulement dix, ou vingt, ou trente, mais il en a fait un amas infini ; en sorte que non seulement elles oppriment les pauvres âmes par une façon barbare et tyrannique, mais aussi sont tourments cruels Et horribles pour les mettre en désespoir.

Et voici les criards du Pape, pour excuser une telle cruauté, allèguent que les apôtres mêmes ont défendu aux Gentils ce qui n’était point défendu par la parole de Dieu. Mais je nie que les apôtres aient rien ajouté à la parole de Dieu. Ce qu’on pourra facilement connaître, pourvu qu’on veuille regarder de bien près quelle a été leur intention. J’ai naguère remarqué qu’ils ne pensaient rien moins que d’établir une ordonnance perpétuelle, par laquelle ils tinssent les fidèles obligés. Quoi donc ? C’est qu’ils appliquent un remède bon et propre pour entretenir paix et concorde fraternelle entre les Eglises ; à ce que pour quelque temps les Gentils s’accommodent aux Juifs. Or s’il y a chose qui soit de la Parole, il est bien certain que cette-ci en est ; à savoir que la charité doit régner entre nous au sujet des choses indifférentes ; c’est-à-dire, que l’usage extérieur des choses qui d’elles-mêmes sont en liberté, soit rapporté à la règle de charité. En somme, si la charité est le lien de perfection, et la fin de la Loi ; si le commandement de Dieu est que les fidèles s’étudient à être bien unis ensemble, et qu’un chacun serve à ses prochains en édification, il n’y a homme si ignorant qui ne voie bien que ce qui est ordonné ici par les Apôtres, est contenu en la parole de Dieu. Seulement ils accommodent à leur temps une règle générale. Souvenons-nous aussi de ce que j’ai naguère touché, que c’a été une loi politique, qui n’était point pour lier ni obliger les consciences, ni pour introduire aucun service bâtard de Dieu ; lesquels deux vices l’Ecriture condamne et réprouve par toutes traditions humaines. Et encore prenons le cas (ce qui toutefois n’est point) que ce qui a été arrêté et ordonné en ce Concile, n’est point de la parole de Dieu ; nonobstant cela ne favorise nullement aux Papistes. Qu’il soit licite aux Conciles de décréter et établir quelque chose par la révélation du Saint Esprit outre la parole de Dieu expresse. Certes on ne devra attribuer cette autorité sinon aux Conciles légitimes. Or donc qu’ils prouvent que les Conciles auxquels ils nous veulent obliger et assujettir, aient été saints et chrétiens. Mais je ne poursuivrai point plus longuement ce point, pour ce qu’il a été traité au commencement du chapitre. Ceci suffira pour maintenant, que les lecteurs entendent que les apôtres ne sortent point hors des limites de la parole de Dieu, quand ils ordonnent une loi externe, selon que le temps le requérait, par laquelle ils puissent entretenir les Eglises en concorde fraternelle.

15.29

que vous vous absteniez de ce qui a été sacrifié aux idoles et du sang et des animaux étouffés et de la fornication ; choses dont vous vous trouverez bien de vous garder. Portez-vous bien !

15.30

Eux donc, ayant pris congé, descendirent à Antioche, et après avoir assemblé la multitude, ils remirent la lettre.

Ils firent en ceci comme ils devaient qu’ils appelèrent tout le peuple pour écouter la lecture des lettres. Car si quelque fois il advient qu’il y ait quelque différend touchant l doctrine de la foi, il est bien raisonnable évidemment que le jugement soit déféré à gens savant et exercés en l’Écriture, et principalement aux Pasteurs qui ont été dûment ordonnés ; toutefois pour ce qu’il appartient à tous ensemble de connaître certainement ce qu’il faut tenir, les Docteurs et Pasteurs doivent communiquer avec toute l’Eglise ce qu’ils auront ordonné par la parole de Dieu. Car il n’y a rien plus malséant et convenable à un ordre saint et chrétien, que de rejeter de la doctrine commune le corps du peuple, comme si c’était un troupeau de pourceaux ; comme on voit sous la tyrannie du Pape. Car d’autant que l’Antéchrist Romain et ses Évêques cornus n’espéraient point que le peuple fut jamais assez obéissant, jusques à ce qu’il fût amené à une grosse et lourde ignorance, ils ont forgé que c’était un bon abrégé de la foi et bien expédient, que le peuple fut complètement ignorant, et s’arrêtât à leurs ordonnances entièrement. Au contraire, il faut garder en ceci une modération, à savoir que les superintendances légitimes demeurent inviolables, et que mutuellement la peuple obtienne sa liberté, à ce qu’il ne soit opprimé servilement.

15.31

Et quand ils l’eurent lue, ils furent réjouis de la consolation qu’elle renfermait.

Vu que ces lettres sont si brèves, et ne contiennent sinon un simple récit, quelle consolation pouvait revenir de cela aux fidèles ? Or il faut noter qu’en cela il y avait assez ample matière de consolation, qu’après avoir connu le consentement des apôtres, d’un côté tout un chacun a été apaisé ; d’autre part, au lieu qu’il y avait désaccord, tous se réconcilièrent ensemble. Car ce faux bruit étant semé, que tous les Apôtres étaient contraires à Barnabas et Paul, certains qui croyaient trop facilement furent ébranlés de ce bruit ; et plusieurs flottaient dans le doute. Les méchants prenaient occasion de là de médire, les autres étaient chatouillés de curiosité et amour de nouveauté ; aucuns aussi s’étaient séparés des autres ; maintenant quand ils voient que le jugement de la principale Eglise s’accorde avec la doctrine de Paul et Barnabas, ils ont ce que tous les enfants de Dieu doivent désirer grandement, à savoir qu’ils soient de bon accord entre eux, et leurs cœurs soient saisis d’une droite foi, et vivent en paix les uns avec les autres.

15.32

Jude et Silas, qui eux aussi étaient prophètes, exhortèrent et fortifièrent les frères par beaucoup de discours.

La cause pourquoi ces deux frères avaient été envoyés, c’était afin qu’eux aussi ratifiassent les lettres par le témoignage de leurs voix. Autrement les apôtres n’eussent écrit des lettres si courtes, et eussent touché quelque cas des mystères de la foi, et les eussent exhortés bien au long à l’étude de la vraie religion. Maintenant il est expliqué par saint Luc que ces deux-ci Judas et Silas ont fait quelque chose d’avantage ; à savoir qu’ayant le don de prophétie, ils ont édifié l’Eglise en général. Comme s’il disait qu’ils ont fait fidèlement leur office, non seulement en cette présente cause, mais aussi en enseignant et exhortant les frères, ont apporté grand profit à l’Eglise. Cependant il nous faut bien noter qu’il dit qu’ils ont exhorté l’Eglise, pour ce qu’ils étaient Prophètes. Car cela n’est pas donné à tous, de se mêler d’une si excellente charge. Pour cette raison il se faut bien garder qu’aucun n’outrepasse follement ses bornes et limites, comme S. Paul exhorte 1 Corinthiens 7.20, et Ephésiens 4.1, qu’un chacun se contienne dedans la mesure de la grâce qu’il aura reçue. Par quoi ce n’est pas sans cause que saint Luc explique que le don d’enseigner est un don particulier, afin qu’aucun désirant se montrer ou par ambition, quand la puissance et faculté lui défaut, ou par un zèle inconsidéré, ou par quelque autre folle cupidité, ne vienne à troubler l’ordre de l’Eglise.

Lesquels étaient aussi Prophètes. Comme ainsi soit que ce mot Prophète, ait diverses significations, il ne signifie pas ici ceux qui avaient le don de prédire les choses à venir ; car ce titre eût été entrelacé mal à propos, puis qu’il est question d’autre matière ; mais saint Luc entend que Judas et Silas avaient une grande et excellente intelligence des mystères de Dieu, en sorte qu’ils étaient fidèles messagers de Dieu. Comme quand saint Paul (1 Corinthiens 15) parle de la prophétie, et la préfère à tous les autres dons, il ne propose point les révélations des choses à venir ; mais il la loue et recommande par ce fruit, qu’elle édifie l’Eglise par doctrine, exhortation et consolation. En cette sorte saint Luc assigne l’exhortation aux Prophètes, comme la principale partie de leur office.

15.33

Et après qu’ils eurent passé là quelque temps, ils prirent congé en paix des frères pour retourner vers ceux qui les avaient envoyés.

C’est-à-dire, que quand ils se départirent, les frères prenant congé d’eux, les recommandèrent à Dieu, comme les amis ont accoutumé de faire les uns envers les autres. Or en parlant des deux, il ne comprend que l’un ; car il n’y en eût qu’un qui s’en retourna en Jérusalem. Et bientôt après il y a une correction ajoutée en la suite du texte ; qu’il sembla bon à Silas de demeurer là. Mais quand saint Luc les conjoint tous deux ensemble, il veut seulement montrer que l’Eglise fut remise en paix, avant que Judas et Silas eussent pensé à s’en retourner. Finalement il ajoute que tant que Paul et Barnabas furent en Antioche, ils ne firent rien qu’enseigner et exhorter ; cependant toutefois ils donnèrent lieu à plusieurs pour faire le semblable. Dont on peut facilement recueillir qu’il y avait une même affection en tous sans envie ; et que chacun a mis en avant ce qu’il pouvait faire pour profiter à l’Eglise. Toutefois il semble bien qu’il fasse mention de plusieurs autres tout à propos, à cette fin qu’on ne pense pas que cette Eglise ait été délaissée par le départ de Paul et Barnabas ; comme ainsi soit qu’il y eût abondance de bons Docteurs. D’avantage, ceci tend à magnifier derechef la bénédiction de pieu, laquelle a incontinent recommencé à montrer sa vigueur en cette Eglise, où un peu auparavant Satan avait tâché de mettre une dissipation pitoyable et horrible.

15.34

[Toutefois Silas jugea à propos de rester là.]

15.35

Mais Paul et Barnabas séjournaient à Antioche, enseignant et annonçant, avec plusieurs autres aussi, la parole du Seigneur.

15.36

Or, après quelques jours, Paul dit à Barnabas : Retournons visiter les frères dans toutes les villes où nous avons annoncé la parole du Seigneur, pour voir comment ils vont.

En cette histoire il faut premièrement noter combien S. Paul est soigneux des Eglises qu’il avait instituées. Il est vrai que son labeur n’est point inutile en Antioche ; mais pour ce qu’il se souvient qu’il a été Divinement ordonné apôtre, et non point Pasteur d’un seul lieu, il garde le cours de sa vocation. D’avantage, tout ainsi qu’il n’était nullement convenable qu’il fut attaché à un certain lieu ; aussi il pense qu’il est obligé à tous ceux qu’il a engendrés au Seigneur ; et pourtant il ne les veut point frauder de son labeur. Joint qu’il ne pouvait licitement mépriser cette oeuvre qu’il avait commencée en ces lieux-là, qu’elle ne s’écoulât bientôt après. Néanmoins on peut facilement recueillir que saint Paul a demeuré en l’Eglise d’Antioche jusques à ce qu’il eût vu qu’il y eût un état bien réglé en cette, et une bonne concorde établie. Car nous expérimentons quelle importance, ont les principales Eglises pour retenir les autres qui sont moindres. Si en quelque village, qui ne sera guère renommé, il y survient quelque bruit et tumulte, ou quelque scandale s’y lève, le bruit n’est pas répandu fort loin, et les voisins n’en sont pas beaucoup émus. Mais si quelque ruine advient à un lieu de grand renom, cela ne se pourra faire que la chute n’en soit grandement dommageable, ou pour le moins que les autres petits bâtiments qui sont à l’entour, n’en soient étonnés. Saint Paul donc demeurant pour quelque temps en Antioche, a pourvu aussi aux autres Eglises. Et ainsi en cet exemple il ne nous faut pas moins observer sa prudence que sa diligence ; pour ce qu’il advient souvent qu’une ardeur excessive de vouloir avancer les choses ne nuit pas moins que la paresse et oisiveté des Pasteurs.

Comme ils se portent. Saint Paul connaissait bien quelle est la légèreté des hommes, et que leur naturel est enclin à vices, et aussi que si quelque chose est droitement ordonnée, entre eux, elle ne dure pas volontiers longuement, et principalement que les Eglises déchoient ou s’abâtardissent facilement si elles ne sont assiduellement cultivées. Cela est bien vrai, qu’il n’y a chose sous le ciel laquelle dut être si ferme que l’édifice spirituel de la foi, vu que la fermeté en est fondée au ciel ; cependant toutefois il y en a bien peu, dans les cœurs desquels la parole de Dieu ait pris vive et forte racine ; et pourtant il n’y a guère d’hommes qui aient fermeté. D’avantage, ceux mêmes qui ont leur ancre attachée et bien fichée en la vérité de Dieu, ne laissent pas pourtant d’être sujets à diverses agitations ; par lesquelles combien que leur foi ne soit du tout renversée, si est-ce néanmoins qu’elle a besoin de confirmation. Avec ce nous voyons quelles artilleries applique Satan pour livrer l’assaut, et de quelles ruses il s’efforce secrètement, tantôt de démolir des Eglises entières, tantôt de renverser un chacun fidèle en particulier. Ce n’est donc point sans bonne cause que saint Paul a eu une crainte soigneuse de ses disciples, qu’ils ne se maintinssent autrement qu’il était de raison ; et pourtant il désire d’obvier de bonne heure au mal, si aucun en est advenu ; ce qui ne se peut faire sans visitation.

15.37

Or Barnabas voulait prendre avec eux Jean, surnommé Marc.

Saint Luc explique ici un fâcheux désaccord, et tel qu’il doit à bon droit étonner tous les fidèles. La société laquelle était entre saint Paul et Barnabas, était consacrée par oracle céleste. Ils avaient longtemps travaillé sous ce joug, auquel le Seigneur les avait couplés, et ce sans avoir dissension, et avaient en beaucoup de sortes ensemble expérimenté une faveur excellente de Dieu. Et qui plus est, cette issue tant heureuse et admirable, de laquelle saint Luc a ci-dessus fait mention, était une singulière bénédiction de Dieu. Lors qu’ils avaient été tant de fois presque accablés de tant de tempêtes et orages de persécutions, et que tant d’ennemis les pressaient souvent de bien près ; lors aussi qu’il y eût une sédition domestique par tout émue contre eux, tant s’en faut que pour tout cela ils se fussent séparés, que lors même leur consentement a été plus fort éprouvé ; maintenant pour une cause légère et de bien petite conséquence, et laquelle on pouvait appointer sans grande difficulté, ils rompent ce lien sacré de leur vocation Divine. Certainement cela ne s’est peu nullement faire, que tous les fidèles n’aient été grandement troublés. Or vu qu’il y a eu une si violente impétuosité de contention entre ces deux tant sains personnages, qui s’étaient par beaucoup d’années accoutumés à endurer toutes choses, que nous peut-il advenir, à nous qui n’avons pas encore nos affections ainsi domptées et assujetties à l’obéissance de Dieu, mais se manifestent outre mesure souvent ? Vu qu’une si petite et légère occasion a départi ceux qui s’étaient entretenus en sainte et bonne unité entre tant de tentations terribles, combien aura facile entrée Satan à séparer ceux qui n’ont nulle ou bien froide affection à entretenir la paix entre eux ? Quelle fierté a-ce été à Barnabas de rejeter opiniâtrement le conseil de saint Paul, envers lequel il se devait porter en telle modestie, que l’enfant envers son père, et estimer qu’il ne lui pouvait advenir chose plus honorable que d’être son compagnon ? Peut-être aussi qu’aucuns pourraient désirer en saint Paul une plus grande humanité, pour ce qu’il ne pardonne pas à son coadjuteur fidèle une si légère faute. Ainsi nous sommes exhortés par cet exemple, que si les fidèles serviteurs de Christ ne sont soigneux et bien attentifs à se donner garde, plusieurs fentes sont ouvertes au diable, par lesquelles il pourra entrer pour troubler le bon accord qui est entre eux.

Mais voyons quelle cause il y avait entre Paul et Barnabas de se séparer ainsi. Car il y en a aucuns qui attribuent la faute à la rigueur immodérée de saint Paul ; et les raisons qu’ils amènent, ont quelque apparence de prime abord. Jean Marc est ici rejeté, pour ce qu’il s’était retiré de la compagnie de saint Paul. Mais quoi ? il ne s’était pas pourtant révolté de Christ. C’était un jeune homme, qui n’était pas encore bien accoutumé à porter la croix ; et bien, il avait laissé Paul en chemin, et s’en était retourné en sa maison. Il fallait excuser son âge. C’était un nouveau apprenti, qui au commencement était succombé sous les ennuis et fâcheries ; ce n’était pas à dire que pour cela il dut être couard soldat pour le temps de la vie. Or maintenant vu qu’il est retourné à Paul, et que par cela il montrait un témoignage excellent de repentance, ce n’est point humanité (ce semble) de le rejeter ainsi. Car ceux qui de leur propre gré se punissent eux-mêmes de leurs offenses, doivent être traités plus bénignement. Il y avait aussi d’autres causes qui devaient fléchir Paul à clémence. La maison de Jean Marc était comme le logis ordinaire de l’Eglise. Sa mère au milieu d’une bien grave persécution avait recueilli les fidèles. Lors qu’Hérode était embrasé de cruauté, et que tout le peuple était ému de rage, là se faisaient les saintes assemblées, comme on a vu ci-dessus, Actes 12.12. Pour le moins il fallait bien faire quelque chose pour cette femme tant sainte et vertueuse, afin qu’on ne l’exclut point par quelque rigueur excessive. Elle désirait que son fils fut tout à fait adonné à prêcher l’Evangile ; maintenant combien ceci lui pouvait-il être grief, voyant que le labeur de son fils était rejeté pour une faute légère ? Maintenant vu que Jean Marc non seulement, veut que son offense lui soit pardonnée, mais aussi la corrige de fait, Barnabas a belle couleur pourquoi on lui doive pardonner. Néanmoins on peut facilement recueillir de la déduction du texte, que le conseil de S Paul a été approuvé par l’Eglise. Car Barnabas s’en sépare incontinent, et se met sur mer pour aller en Chypre avec son compagnon. Il n’est point là fait mention des frères ; comme s’il s’en était allé sans prendre congé d’eux. Mais les frères par leurs prières recommandent Paul à la grâce de Dieu ; dont il apparaît que l’Eglise tenait son parti. D’avantage, quant à ce que puis après Dieu déploie ouvertement la vertu de son Esprit en bénissant Paul, et qu’il donne issue heureuse à ses labeurs, et les bénit par sa grâce, et qu’il laisse Barnabas comme enseveli ; on peut de cela prendre une conjecture vraisemblable, qu’il a plu à Dieu qu’un tel exemple de sévérité fut montré. Et à la vérité l’offense de Jean Marc était plus grave qu’on ne pensait coutumièrement. Il est vrai qu’il ne s’était pas révolté de la foi de Jésus-Christ ; toutefois il avait laissé sa vocation comme apostat. Le fait donc était de très mauvais exemple, si tout incontinent il eût été reçu à sa vocation, de laquelle il s’était retiré. Il avait destiné son labeur à Christ sous cette condition, qu’il n’était plus en sa liberté. Il ne lui était non plus licite de fausser sa foi en cet endroit, qu’à un mari de quitter sa femme, ou à un enfant d’abandonner son père. Et l’infirmité n’excuse point la déloyauté, par laquelle la sainteté de la vocation avait été violée. Et il nous faut bien noter que S. Paul ne l’a pas du tout rejeté. Il le réputait pour frère, moyennant qu’il se contentât d’être du rang et ordre commun du populaire. Il ne le voulait admettre à l’office public d’enseigner, duquel il était vilainement déchu par sa propre faute. Or il y a grande différence entre ne vouloir aucunement pardonner à aucun, et refuser seulement de l’admettre à quelque honneur ou office public. Toutefois il se peut faire que Paul et Barnabas aient tous deux excédé mesure ; comme il advient bien souvent que les accidents pervertissent et corrompent une cause qui autrement est bonne. S. Paul fait bien en ceci, et selon que requérait la discipline, qu’il ne veut recevoir pour compagnon ou adjoint celui duquel il avait expérimenté l’inconstance une fois. Mais aussi quand il voyait que Barnabas le requérait de grand désir, et poursuivait la réception de Jean Marc ; si instamment, il pouvait acquiescer à son désir, il est certain que nous devons beaucoup plus estimer la vérité de Dieu que la grâce et la faveur de tout le monde ; si est-ce toutefois qu’il faut aviser avec bonne prudence, de quelle importance est cette affaire duquel il est ici question. Car si quelqu’un faisait montre de sa constance en une chose de néant et de nulle édification, et s’il s’aiguise au combat, et ne cesse de poursuivre jusques au bout ce qui lui aura une fois semblé bon, ce sera une obstination sotte et perverse. Il y pouvait bien aussi avoir quelque moyen entre deux, que Paul eût accordé quelque chose pour l’importunité de son compagnon Barnabas ; et pour cela il ne se fut point détourné de la vérité. Il ne devait pas évidemment flatter Jean Marc, ni dissimuler son offense ; mais il n’y avait scrupule de conscience qui le dût empêcher, qu’après avoir dit franchement ce qui lui semblait bon, toutefois il ne souffrît d’être vaincu en cette cause, laquelle ne tirait point avec soi aucun dommage ne de la pure doctrine, ni du salut des hommes. Je remontre ceci à cette fin que nous apprenions de modérer notre affection, mêmes en causes justes, et bonnes, à ce qu’elle ne vienne être trop bouillante.

15.38

Mais Paul jugeait convenable de ne pas prendre avec eux celui qui les avait quittés depuis la Pamphylie, et qui ne les avait pas accompagnés dans leur œuvre.

15.39

Et il en résulta un dissentiment tel qu’ils se séparèrent l’un de l’autre, et que Barnabas, prenant Marc avec lui, s’embarqua pour l’île de Chypre.

15.40

Mais Paul, ayant fait choix de Silas, partit, après avoir été recommandé à la grâce du Seigneur par les frères.

15.41

Et il traversait la Syrie et la Cilicie, affermissant les Eglises.

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