La Cité de Dieu

LIVRE DIX-SEPTIÈME
DE DAVID À JÉSUS-CHRIST

Saint Augustin suit le développement de la Cité de Dieu au temps des Rois et des Prophètes, depuis Samuel et David jusqu’à Jésus-Christ, et il indique dans les saintes Ecritures, particulièrement dans les livres des Rois, des Psaumes et de Salomon, les passages où Jésus-Christ et l’Eglise sont annoncés.

CHAPITRE PREMIER

DU TEMPS DES PROPHÈTES.

Comment se sont accomplies et s’accomplissent encore les promesses de Dieu à Abraham à l’égard de sa double postérité, le peuple juif, selon la chair, et toutes les nations de la terre, selon la foi, c’est ce que le progrès de la Cité de Dieu, selon l’ordre des temps, va nous découvrir. Nous avons fini le livre précédent au règne de David ; voyons maintenant ce qui s’est passé depuis ce règne, dans la mesure où peut nous le permettre le dessein que nous nous sommes proposé en cet ouvrage. Tout le temps écoulé depuis que Samuel commença à prophétiser jusqu’à la captivité de Babylone et au rétablissement du temple, qui arriva soixante-dix ans après, ainsi que Jérémie l’avait prédit[1], tout ce temps, dis-je, est le temps des Prophètes. Bien que nous puissions avec raison appeler prophètes Noé et quelques autres patriarches qui l’ont précédé ou suivi jusqu’aux Rois, à cause de certaines choses qu’ils ont faites ou dites en esprit de prophétie touchant la Cité de Dieu, d’autant plus qu’il y en a quelques-uns parmi eux à qui l’Ecriture sainte donne ce nom, comme Abraham[2] et Moïse[3], toutefois, à proprement parler, le temps des Prophètes ne commence que depuis Samuel, qui, par le commandement de Dieu, sacra d’abord roi Saül, et ensuite David, après la réprobation de Saül. Mais nous n’en finirions pas de rapporter tout ce que ces Prophètes ont prédit de Jésus-Christ, tandis que la Cité de Dieu se continuait dans le cours des siècles. Si l’on voulait surtout considérer attentivement l’Ecriture sainte, dans les choses même qu’elle semble ne rapporter qu’historiquement des Rois, on trouverait qu’elle n’est pas moins attentive, si elle ne l’est plus, à prédire l’avenir qu’à raconter le passé. Or, qui ne voit avec un peu de réflexion quel travail ce serait d’entreprendre cette sorte de recherche, et combien il faudrait de volumes pour s’en acquitter comme il faut ? En second lieu, les choses même qui ont indubitablement le caractère prophétique sont en si grand nombre touchant Jésus-Christ et le royaume des cieux, qui est la Cité de Dieu, que cette explication passerait de beaucoup les bornes de cet ouvrage. Je tâcherai donc, avec l’aide de Dieu, de m’y contenir de telle sorte, que, sans omettre le nécessaire, je ne dise rien de superflu.

[1] Jérém. XX, 11.

[2] Gen. XX, 7.

[3] Deut. XXXIV, 10.

CHAPITRE II

CE NE FUT PROPREMENT QUE SOUS LES ROIS, QUE LA PROMESSE DE DIEU TOUCHANT LA TERRE DE CHANAAN FUT ACCOMPLIE.

Nous avons dit au livre précédent que Dieu promit deux choses à Abraham : l’une, que sa postérité posséderait la terre de Chanaan, ce qui est signifié par ces paroles : « Allez en la terre que je vous montrerai, et je vous ferai Père d’un grand peuple » ; et l’autre, beaucoup plus excellente et qui regarde une postérité, non pas charnelle, mais spirituelle, qui le rend père, non du seul peuple juif, mais de tous les peuples qui marchent sur les traces de sa foi. Celle-ci est exprimée en ces termes : « En vous seront bénies toutes les nations de la terre[1] ». Ces deux promesses lui ont été faites beaucoup d’autres fois, comme nous l’avons montré. La postérité charnelle d’Abraham, c’est-à-dire le peuple juif, était donc déjà établi dans la terre promise, et, maître des villes ennemies, il vivait sous la domination de ses rois. Ainsi, les promesses de Dieu commencèrent dès lors à être accomplies en grande partie, non-seulement celles qu’il avait faites aux trois patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, mais encore celles qu’il fit à Moïse, par qui le peuple hébreu fut délivré de la captivité d’Egypte et à qui toutes les choses passées furent révélées, lorsqu’il conduisait ce peuple dans le désert. Toutefois, ce ne fut ni sous Jésus fils de Navé[2], ce fameux capitaine qui fit entrer les Hébreux dans la terre promise, et qui la divisa, selon l’ordre de Dieu, entre les douze tribus, ni sous les Juges, que s’accomplit la promesse que Dieu avait faite de donner aux Israélites toute la terre de Chanaan, depuis le fleuve d’Egypte jusqu’au grand fleuve d’Euphrate[3]. Elle ne le fut que sous David et sous son fils Salomon, dont le royaume et toute cette étendue. Ils subjuguèrent, en effet, tous ces peuples et en firent leurs tributaires. Ce fut donc sous ces princes que la postérité d’Abraham se trouva établie en la terre de Chanaan, de sorte qu’il ne manquait plus rien à l’entier accomplissement des promesses de Dieu à cet égard, sauf cet unique point que les Juifs la posséderaient jusqu’à la fin des siècles ; mais il fallait pour cela qu’ils demeurassent fidèles à leur Dieu. Or, comme Dieu savait qu’ils ne le seraient pas, il se servit des châtiments temporels dont il les affligea pour exercer le petit nombre des fidèles qui étaient parmi eux, afin qu’ils instruisissent à l’avenir les fidèles des autres nations en qui il voulait accomplir l’autre promesse par l’incarnation de Jésus-Christ et la publication du Nouveau Testament.

[1] Gen. XLI, 1-3.

[2] Comp. saint Augustin, Quœst. in Jesum Nase, qu. 21, et saint Jérôme, Epist. CXXIX, ad Dardanun.

[3] Gen. XV, 18.

CHAPITRE III

LES TROIS SORTES DE PROPHÉTIES DE L’ANCIEN TESTAMENT SE RAPPORTENT TANTÔT À LA JÉRUSALEM TERRESTRE, TANTÔT À LA JÉRUSALEM CÉLESTE, ET TANTÔT À L’UNE ET À L’AUTRE.

Ainsi toutes les prophéties, tant celles qui ont précédé l’époque des Rois que celles qui l’ont suivie, regardent en partie la postérité charnelle d’Abraham, et en partie cette autre postérité en qui sont bénis tous les peuples cohéritiers de Jésus-Christ par le Nouveau Testament, et appelés à posséder la vie éternelle et le royaume des cieux. Elles se rapportent moitié à la servante qui engendre des esclaves, c’est-à-dire à la Jérusalem terrestre, qui est esclave avec ses enfants, et moitié à la cité libre, qui est la vraie Jérusalem, étrangère ici-bas en quelques-uns de ses enfants et éternelle dans les cieux ; mais il y en a qui se rapportent à l’une et à l’autre, proprement à la servante et figurativement à la femme libre.

Il y a donc trois sortes de prophéties, les unes relatives à la Jérusalem terrestre, les autres à la céleste, et les autres à toutes les deux. Donnons-en des exemples. Le prophète Nathan fut envoyé à David pour lui reprocher son crime et lui en annoncer le châtiment. Qui doute que ces avertissements du ciel et autres semblables, qui concernaient l’intérêt de tous ou celui de quelques particuliers, n’appartinssent à la cité de la terre ? Mais lorsqu’on lit dans Jérémie : « Voici venir le temps, dit le Seigneur, que je ferai une nouvelle alliance qui ne sera pas semblable à celle que je fis avec leurs pères, lorsque je les pris par la main pour les tirer d’Egypte ; car ils ne l’ont pas gardée, et c’est pourquoi je les ai abandonnés, dit le Seigneur. Mais voici l’alliance que je veux faire avec la maison d’Israël : « Après ce temps, dit le Seigneur, je déposerai mes lois dans leur esprit ; je les écrirai dans leur cœur, et mes yeux les regarderont et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple[1] ». Il est certain que c’est là une prophétie de cette Jérusalem céleste où Dieu même est la récompense des justes et où l’unique et souverain bien est de le posséder et d’être à lui. Mais lorsque l’Ecriture appelle Jérusalem la Cité de Dieu et annonce que la maison de Dieu s’élèvera dans son enceinte, cela se rapporte à l’une et l’autre cité : à la Jérusalem terrestre, parce que cela a été accompli, selon la vérité de l’histoire, dans le fameux temple de Salomon, et à la céleste, parce que ce temple en était la figure. Ce genre de prophétie mixte, dans les livres historiques de l’Ancien Testament, est fort considérable ; il a exercé et exerce encore beaucoup de commentateurs de l’Ecriture qui cherchent la figure de ce qui doit s’accomplir en la postérité spirituelle d’Abraham dans ce qui a été prédit et accompli pour sa postérité charnelle. Quelques-uns portent ce goût si loin qu’ils prétendent qu’il n’y a rien en ces livres de ce qui est arrivé après avoir été prédit, ou même sans l’avoir été, qui ne doive se rapporter allégoriquement à la Cité de Dieu et à ses enfants qui sont étrangers en cette vie. Si cela est, il n’y aura pins que deux sortes de prophéties dans tous les livres de l’Ancien Testament, les unes relatives à la Jérusalem céleste, et les autres aux deux Jérusalem, sans qu’aucune se rapporte seulement à la terrestre. Pour moi, comme il m’a semblé que ceux-là se trompent fort qui excluent toute allégorie des livres historiques de l’Ecriture, j’estime aussi que c’est beaucoup entreprendre que de vouloir en trouver partout. C’est pourquoi j’ai dit qu’il vaut mieux distinguer trois sortes de prophéties, sans blâmer toutefois ceux qui, conservant la vérité de l’histoire, cherchent à trouver partout quelque sens allégorique. Quant aux choses qui ne peuvent se rattacher ni à l’action des hommes ni à celle de Dieu, il est évident que l’Ecriture n’en parle pas sans dessein, et il faut conséquemment tâcher de les rappeler à un sens spirituel.

[1] Voyez l’écrit de saint Augustin contre Fauste le manichéen, aux livres XII et XVI.

CHAPITRE IV

FIGURE DU CHANGEMENT DE L’EMPIRE ET DU SACERDOCE D’ISRAËL, ET PROPHÉTIES D’ANNE, MÈRE DE SAMUEL, LAQUELLE FIGURAIT L’ÉGLISE.

La suite des temps amène la Cité de Dieu jusqu’à l’époque des Rois, alors que, Saül ayant été réprouvé, David monta sur le trône, et que ses descendants régnèrent longtemps après lui dans la Jérusalem terrestre. Ce changement, qui arriva en la personne de Saül et de David, figurait le remplacement de l’Ancien Testament par le Nouveau, où le sacerdoce et la royauté ont été changés par le prêtre et le roi nouveau et immortel, qui est Jésus-Christ. Le grand-prêtre Héli réprouvé et Samuel mis en sa place et exerçant ensemble les fonctions de prêtre et de juge, et d’autre part, David sacré roi au lieu de Saül, figuraient cette révolution spirituelle. La mère de Samuel, Anne, stérile d’abord, et qui depuis eut tant de joie de sa fécondité, semble ne prophétiser autre chose, quand, ravie de son bonheur, elle rend grâces à Dieu et lui consacre son fils avec la même piété qu’elle le lui avait voué. Voici comme elle s’exprime : « Mon cœur a été affermi dans sa confiance au Seigneur, et mon Dieu a relevé ma force et ma gloire. Ma bouche a été ouverte contre mes ennemis, et je me suis réjouie de votre salut. Car il n’est point de saint comme le Seigneur, il n’est point de juste comme notre Dieu, il n’est de saint que vous. Ne vous glorifiez point, et ne parlez point autrement ; qu’aucune parole fière et superbe ne sorte de votre bouche, puisque c’est Dieu qui est le maître des sciences, et qui forme et conduit ses desseins. Il a détendu l’arc des puissants, et les faibles ont été revêtus de force. Ceux qui ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient affamés se sont élevés au-dessus de la terre, parce que celle qui était stérile est devenue mère de sept enfants, et celle qui avait beaucoup d’enfants est demeurée sans vigueur. C’est Dieu qui donne la mort et qui redonne la vie ; c’est lui qui mène aux enfers et qui en ramène. Le Seigneur rend pauvre ou riche, abaisse ou élève ceux qu’il lui plaît. Il élève de terre le pauvre, et tire le misérable du fumier, afin de le faire asseoir avec les princes de son peuple et de lui donner pour héritage un trône de gloire. Il donne à qui fait un vœu de quoi le faire, et il a béni les années du juste, parce que l’homme n’est pas fort par sa propre force. Le Seigneur désarmera son adversaire, le Seigneur qui est saint. Que le sage ne se glorifie point de sa sagesse, ni le puissant de sa puissance, ni le riche de ses richesses ; mais que celui qui eut se glorifier se glorifie de connaître Dieu et de rendre justice au milieu de la terre. Le Seigneur est monté aux cieux et a tonné ; il jugera les extrémités de la terre, parce qu’il est juste. C’est lui qui donne la vertu à nos rois, et il exaltera la gloire et la puissance de son Christ[1] ».

Croira-t-on que c’est là le discours d’une simple femme qui se réjouit de la naissance de son fils, et sera-t-on assez aveugle pour ne pas voir qu’il est beaucoup au-dessus de sa portée ? En un mot, quiconque fait attention à ce qui est déjà accompli de ces paroles, ne reconnaît-il pas clairement que le Saint-Esprit, par le ministère, de cette femme (dont le nom même, en hébreu, signifie grâce), a prédit la religion chrétienne, la Cité de Dieu, dont Jésus-Christ est le roi et le fondateur, et enfin la grâce même de Dieu, dont les superbes s’éloignent pour tomber par terre et dont les humbles sont remplis pour se relever ? Il ne resterait qu’à prétendre que cette femme n’a rien prédit, et que ce sont de simples actions de grâces qu’elle rend à Dieu pour lui avoir donné un fils ; mais que signifie en ce cas ce qu’elle dit : « Il a détendu l’arc des puissants, et les faibles ont été revêtus de force. Ceux qui ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient affamés se sont élevés au-dessus de la terre, parce que celle qui était stérile est devenue mère de sept enfants, et celle qui avait beaucoup d’enfants n’a plus de vigueur ? » Est-ce qu’Anne a eu sept enfants ? Elle n’en avait qu’un quand elle disait cela, et n’en eut en tout que cinq, trois garçons et deux filles[2]. Bien plus, comme il n’y avait point encore de rois parmi les Juifs, qui la porte à dire : « C’est lui qui donne la force à nos rois, et qui relèvera la gloire et la puissance de son Christ », si ce n’est pas là une prophétie ?

Que l’Eglise de Jésus-Christ, la cité du grand roi, pleine de grâces, féconde en enfants, répète donc ce qu’elle reconnaît avoir prophétisé d’elle il y a si longtemps par la bouche de cette pieuse mère ! qu’elle répète : « Mon cœur a été affermi dans sa confiance au Seigneur, et mon Dieu a relevé ma force et ma gloire ». Son cœur a été vraiment affermi sa puissance a été vraiment augmentée, parce qu’elle ne l’a pas mise en elle-même, mais dans le Seigneur son Dieu. « Ma bouche a été ouverte contre mes ennemis » ; et en effet, la parole de Dieu n’est point captive au milieu des chaînes et de la captivité. « Je me suis réjouie de votre salut ». Ce salut, c’est Jésus-Christ lui-même, que le vieillard Siméon, selon le témoignage de l’Evangile, embrasse tout petit, mais dont il reconnaît la grandeur, quand il s’écrie : « Seigneur, vous laisserez aller votre serviteur en paix, parce que mes yeux ont vu votre salut[3] ». Que l’Eglise répète donc : « Je me suis réjouie de votre salut ; car il n’est point de saint comme le Seigneur, il n’est point de juste comme notre Dieu » ; Dieu, en effet, n’est pas seulement saint et juste, mais la source de la sainteté et de la justice. « Il n’est de saint que vous » ; car personne n’est saint que par lui. Ne vous glorifiez point, et ne parlez point hautement ; qu’aucune parole fière et superbe ne sorte de votre bouche, puisque c’est Dieu qui est le maître des sciences, et personne ne sait ce qu’il sait ». Entendez que celui qui n’étant rien se croit quelque chose, se trompe soi-même[4] » ; car ceci s’adresse aux ennemis de la Cité de Dieu, qui appartiennent à Babylone, à ceux qui présument trop de leurs forces et se glorifient en eux-mêmes au lieu de se glorifier en Dieu. De ce nombre sont aussi les Israélites charnels, citoyens de la Jérusalem terrestre, qui, comme dit l’Apôtre, « ne connaissant point la justice de Dieu[5] », c’est-à-dire la justice que Dieu donne aux hommes, lui qui seul est juste et rend juste, « et voulant établir leur propre justice », c’est-à-dire prétendant qu’ils l’ont acquise par leurs propres forces sans la tenir de lui, « ne sont point soumis à la justice de Dieu », parce qu’ils sont superbes et qu’ils croient pouvoir plaire à Dieu par leur propre mérite, et non par la grâce de celui qui est le Dieu des sciences, et par conséquent l’arbitre des consciences, où il voit que toutes les pensées des hommes ne sont que vanité, à moins que lui-même ne les leur inspire, « Il forme et conduit ses desseins ». Quels desseins, sinon ceux qui vont à terrasser les superbes et à relever les humbles ? Ce sont ces desseins qu’il exécute lorsqu’il dit : « L’arc des puissants a été détendu, et les faibles ont été revêtus de force ». L’arc a été détendu, c’est-à-dire que Dieu a confondu ceux qui se croyaient assez forts par eux-mêmes pour accomplir les commandements de Dieu, sans avoir besoin de son secours. Et ceux-là « sont revêtus de force » qui crient à Dieu dans le fond de leur cœur : « Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible[6] ». – « Ceux qui ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient affamés se sont élevés au-dessus de la terre ». Qui sont ceux qui ont du pain en abondance, sinon ceux même qui se croient puissants, c’est-à-dire les Juifs, à qui les oracles de la parole de Dieu ont été confiés ? Mais, parmi ce peuple, les enfants de la servante sont devenus languissants, parce que dans ces pains, c’est-à-dire dans la parole de Dieu, que la seule nation juive avait reçue alors, ils ne goûtent que ce qu’il y a de terrestre ; au lieu que les Gentils, à qui ces pains n’avaient pas été donnés, n’en ont pas eu plutôt mangé que la faim dont ils étaient pressés les a fait élever au-dessus de la terre pour y savourer tout ce qu’ils renferment de céleste et de spirituel. Et comme si l’on demandait la cause d’un événement si étrange : « C’est, dit-elle, que celle qui était stérile est devenue mère de sept enfants, et que celle qui avait beaucoup enfants est demeurée sans vigueur ». Paroles qui montrent bien que tout ceci n’est qu’une prophétie à ceux qui savent que la perfection de toute l’Eglise est marquée dans l’Ecriture par le nombre sept. C’est pourquoi l’apôtre saint Jean écrit à sept Eglises[7], c’est-à-dire à toute l’Eglise ; et Salomon dit, dans les Proverbes, que « la Sagesse s’est bâti une « maison et l’a appuyée sur sept colonnes[8] ». La Cité de Dieu était réellement stérile chez toutes les nations, avant la naissance de ces enfants qui l’ont rendue féconde. Nous voyons, au contraire, que la Jérusalem terrestre, qui avait un si grand nombre d’enfants, est devenue sans vigueur, parce que les enfants de la femme libre, qui étaient dans son sein, faisaient toute sa force, et qu’elle n’a plus que la lettre sans l’esprit.

« C’est Dieu qui donne la mort et qui redonne la vie ». Il a donné la mort à celle qui avait beaucoup d’enfants, et redonné la vie à celle qui était stérile et qui a engendré sept enfants. On peut l’entendre aussi, et mieux encore, en disant qu’il rend la vie à ceux même à qui il avait donné la mort, comme ces paroles qui suivent semblent le confirmer : « C’est lui qui mène aux enfers et qui en ramène ». Ceux à qui l’Apôtre dit : « Si vous êtes morts avec Jésus-Christ, cherchez les choses du ciel où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu » ; ceux-là, dis-je, sont tués par le Seigneur pour leur salut, et c’est pour eux que l’Apôtre ajoute : « Goûtez les choses du ciel, et non pas celles de la terre, afin qu’eux-mêmes soient ceux qui, pressés de la faim, se sont élevés au-dessus de la terre[9] ». Car saint Paul dit encore : « Vous êtes morts » ; et voilà comment Dieu fait mourir ses fidèles pour leur salut : « Et votre vie, ajoute cet Apôtre, est cachée avec Jésus-Christ et Dieu ». Et voilà comment il leur redonne la vie. Mais sont-ce les mêmes qu’il mène aux enfers et qu’il en ramène ? Les deux choses sont indubitablement accomplies en celui qui est notre chef, avec qui l’Apôtre dit que notre vie est cachée en Dieu. Car « celui qui n’a pas épargné son propre fils, mais l’a livré à la mort pour tout le monde[10] », l’a certainement fait mourir de cette façon ; et d’autre part, comme il l’a ressuscité, il lui a redonné la vie. Il l’a aussi mené aux enfers, et l’en a ramené, puisque c’est lui-même qui dit dans le Prophète : « Vous ne laisserez point mon âme dans les enfers[11] ». C’est cette pauvreté du Sauveur qui nous a enrichis. En effet, « c’est le Seigneur qui rend pauvre ou riche ». La suite nous explique ce que cela signifie : « Il abaisse, est-il dit, et il élève ». Il abaisse les superbes et élève les humbles. Tout le discours de cette sainte femme, dont le nom signifie grâce, ne respire autre chose que ce qui est dit dans cet autre endroit de l’Ecriture : « Dieu résiste aux superbes, et « donne sa grâce aux humbles ».

L’Evangéliste ajoute : « Il relève le pauvre[12] ». Ces paroles ne peuvent s’entendre que de celui qui, étant riche, s’est rendu pauvre pour l’amour de nous, afin que sa pauvreté nous enrichît[13] ». Dieu ne l’a relevé sitôt de terre qu’afin de garantir son corps de corruption[14]. J’estime qu’on peut encore lui attribuer ce qui suit : « Et il tire l’indigent de son fumier ».

En effet, ce fumier d’où il a été tiré s’entend fort bien des Juifs qui ont persécuté Jésus-Christ, au nombre desquels se range saint Paul lui-même, dans le temps où il persécutait l’Eglise. « Ce que je considérais alors comme un gain, dit-il, je l’ai regardé depuis comme une perte, à cause de Jésus-Christ, et non-seulement comme une perte, mais comme du fumier, pour gagner Jésus-Christ[15] ». Ce pauvre a donc été relevé de terre au-dessus de tous les riches, et ce misérable tiré du fumier au-dessus des plus opulents, afin de tenir rang parmi les puissants du peuple, à qui il dit : « Vous serez assis sur douze trônes[16] », et à qui, selon l’expression de notre sainte prophétesse, « il donne pour héritage un trône de gloire ». Ces puissants avaient dit : « Vous voyez que nous avons tout quitté pour vous suivre[17] ». Il fallait qu’ils fussent bien puissants pour avoir fait un tel vœu ; mais de qui avaient-ils reçu la force de le faire, sinon de celui dont il est dit ici : « Il donne de quoi vouer à celui qui fait un vœu ? » Autrement, ils seraient de ces puissants dont l’arc a été détendu. « Il donne, dit l’Ecriture, à qui fait un vœu de quoi le faire », parce que personne ne pourrait rien vouer à Dieu comme il faut, s’il ne recevait de lui ce qu’il lui voue. « Et il a béni les années du juste », afin, sans doute, qu’il vive sans fin avec celui à qui il est dit : « Vos années ne finiront point[18] ». Là, les années demeurent fixes, au lieu qu’ici elles passent, ou plutôt elles périssent. Elles ne sont pas avant qu’elles viennent, et quand elles sont venues, elles ne sont plus, parce qu’elles viennent en s’écoulant. Des deux choses exprimées en ces paroles : « Il donne à qui fait un vœu de quoi le faire, et il a béni les années du juste », nous faisons l’une et nous recevons l’autre ; mais on ne reçoit celle-ci de sa bonté que lorsqu’on a fait la première par sa grâce, « attendu que l’homme n’est pas fort par sa propre force ». « Le Seigneur désarmera son adversaire », c’est-à-dire l’envieux qui veut empêcher un homme d’accomplir son vœu. Comme l’expression est équivoque, l’on pourrait entendre par son adversaire l’adversaire de Dieu. Véritablement, lorsque Dieu commence à nous posséder, notre adversaire devient le sien, et nous le surmontons, mais non pas par nos propres forces, car ce que l’homme a de forces ne vient pas de lui « Le Seigneur donc désarmera son adversaire, le Seigneur qui est saint », afin que cet adversaire soit vaincu par les saints que le Seigneur, qui est le saint des saints, a faits saints.

Ainsi, « que le sage ne se glorifie point de sa sagesse, ni le puissant de sa puissance, ni le riche de ses richesses ; mais que celui qui veut se glorifier se glorifie de connaître Dieu et de faire justice au milieu de la terre ». Ce n’est pas peu connaître Dieu, que de savoir que la connaissance qu’on en a est un don de sa grâce. Aussi bien, « qu’avez-vous, dit l’Apôtre, que vous n’ayez point reçu ? Et si vous l’avez reçu, pourquoi vous glorifiez-vous, comme si l’on ne vous l’eût point donné[19] ? » c’est-à-dire comme si vous le teniez de vous-même. Or, celui-là pratique la justice qui vit bien, et celui-là vit bien qui observe les commandements de Dieu, « qui ont pour fin la charité qui naît d’un cœur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère[20] ». Cette charité vient de Dieu, comme le témoigne l’apôtre saint Jean[21] ; et par conséquent le pouvoir de pratiquer la justice vient aussi de lui. Mais qu’est-ce que ceci veut dire : Au milieu de la terre ? Est-ce que ceux qui habitent les extrémités de la terre ne doivent point pratiquer la justice ? J’estime que par ces mots : au milieu de la terre, l’Ecriture veut dire : tant que nous vivons dans ce corps, afin que personne ne s’imagine qu’après cette vie il reste encore du temps pour accomplir la justice qu’on n’a pas pratiquée ici-bas, et pour éviter le jugement de Dieu. Chacun, dans cette vie, porte sa terre avec soi ; et la terre commune reçoit cette terre particulière à la mort de chaque homme, pour la lui rendre au jour de la résurrection. Il faut donc pratiquer la vertu et la justice au milieu de la terre, c’est-à-dire tandis que notre âme est enfermée dans ce corps de terre, afin que cela nous serve pour l’avenir, « lorsque chacun recevra la récompense du bien et du mal qu’il aura fait par le corps[22] ». Par le corps, dit l’Apôtre, c’est-à-dire pendant le temps qu’il a vécu dans le corps ; car les pensées de blasphème auxquelles on consent ne sont produites par aucun membre du corps ; et cependant on ne laisse pas d’en être coupable. Nous pouvons fort bien entendre de la même sorte cette parole du psaume : « Dieu, qui est notre roi avant tous les siècles, a accompli l’œuvre de notre salut au milieu de la terre[23] », attendu que le Seigneur Jésus est notre Dieu, et il est avant les siècles, parce que les siècles ont été faits par lui. Il a accompli l’œuvre de notre salut au milieu de la terre, lorsque le Verbe s’est fait chair[24] et qu’il a habité dans un corps de terre.

« Le Seigneur est monté aux cieux, et il a tonné ; il jugera les extrémités de la terre, parce qu’il est juste ». Cette sainte femme observe dans ces paroles l’ordre de la profession de foi des fidèles. Notre-Seigneur Jésus. Christ est monté au ciel, et il viendra de là juger les vivants et les morts. En effet, comme dit l’Apôtre : « Qui est monté, si ce n’est celui qui est descendu jusqu’aux plus basses parties de la terre ? Celui qui est descendu est le même que celui qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses de la présence de sa majesté[25] ». Il a donc tonné par ses nuées qu’il a remplies du Saint. Esprit, quand il est monté aux cieux. Et c’est de ces nuées qu’il parle dans le prophète Isaïe[26], quand il menace la Jérusalem esclave, c’est à-dire la vigne ingrate, d’empêcher qu’elles ne versent la pluie sur elle. « Il jugera les extrémités de la terre », c’est-à-dire même les extrémités de la terre. Et ne jugera-t-il point aussi les autres parties de la terre, lui qui indubitablement doit juger tous les hommes ? Mais peut-être il vaut mieux entendre par les extrémités de la terre l’extrémité de la vie de l’homme. L’homme en effet ne sera pas jugé sur l’état où il aura été au commencement ou au milieu de sa vie, mais sur celui où il se trouvera vers le temps de sa mort ; d’où vient cette parole de l’Evangile, « qu’il n’y aura de sauvé que celui qui persévérera jusqu’à la fin[27] ». Celui donc qui persévère jusqu’à la fin à pratiquer la justice au milieu de la terre ne sera pas condamné, quand Dieu jugera les extrémités de la terre. « C’est lui qui donne la force à nos rois », afin de ne les pas condamner dans son jugement. Il leur donne la force de gouverner leur corps en rois, et de vaincre le monde par la grâce de celui qui a répandu son sang pour eux. « Et il relèvera la gloire et la puissance de son Christ ». Comment le Christ relèvera-t-il la gloire et la puissance de son Christ ? car celui dont il est dit auparavant : « Le Seigneur est monté aux cieux et a tonné », est celui-là même dont il est, dit ici qu’il relèvera la gloire et la puissance de son Christ. Quel est donc le Christ de son Christ ? Est-ce qu’il relèvera la gloire et la puissance de chaque fidèle, comme notre sainte prophétesse le dit elle-même au commencement de ce cantique : « Mon Dieu a relevé ma force et ma gloire ? » Dans le fait, nous pouvons fort bien appeler des Christs tous ceux qui ont été oints du saint chrême, qui tous, néanmoins, avec leur chef, ne sont qu’un même Christ. Voilà la prophétie d’Anne, mère du grand et illustre Samuel ; en lui était figuré alors le changement de l’ancien sacerdoce, qui est accompli aujourd’hui ; car elle qui avait beaucoup d’enfants est devenue sans vigueur, afin que celle qui était stérile et qui est devenue mère de sept enfants eût un nouveau sacerdoce en Jésus-Christ.

[1] I Samuel, II, 1-10 sec. LXX.

[2] I Rois, II, 1-10 sec. LXX.

[3] Luc, II, 29 et 30.

[4] Galat. VI, 3.

[5] Rom. X, 3 s.

[6] Ps. VI, 3.

[7] Apoc. I, 4.

[8] Prov. IX, 1.

[9] Coloss. III, 1.

[10] Rom. VIII, 32.

[11] Ps. XV, 10.

[12] Jac., IV, 6.

[13] II Cor. VIII, 9.

[14] Ps. XV, 10.

[15] Philipp. III, 7 et 8.

[16] Matt. XIX, 28.

[17] Ibid. 27.

[18] Ps. CI, 28.

[19] I Cor. IV, 7.

[20] I Tim. I, 5.

[21] I Jean, IV, 7.

[22] II Cor. V, 10.

[23] Ps. LXXII, 12.

[24] Jean, I, 14.

[25] Ephés. IV, 9.

[26] Isa. V, 6.

[27] Matt. X, 22.

CHAPITRE V

ABOLITION DU SACERDOCE D’AARON PRÉDITE À HÉLI.

L’homme de Dieu qui fut envoyé au grand prêtre Héli et que l’Ecriture ne nomme pas, mais que son ministère doit faire indubitablement reconnaître pour prophète, parle de ceci plus clairement. Voici ce que porte le texte sacré : « Un homme de Dieu vint trouver Héli et lui dit : Voici ce que dit le Seigneur : Je me suis fait connaître à la maison de votre père, lorsqu’elle était captive de Pharaon en Egypte, et je l’ai choisie entre toutes les tribus d’Israël pour me faire des prêtres qui montassent à mon autel, qui m’offrissent de l’encens et qui portassent l’éphod ; et j’ai donné à la maison de votre père, pour se nourrir, tout ce que les enfants d’Israël m’offrent en sacrifice. Pourquoi donc avez-vous foulé aux pieds mon encens et mes sacrifices, et pourquoi avez-vous fait plus de cas de vos enfants que de moi, en souffrant qu’ils emportassent les prémices de tous les sacrifices d’Israël ? C’est pourquoi voici ce que dit le Seigneur et le Dieu d’Israël : J’avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence. Mais je n’ai garde maintenant d’en user de la sorte. Car je glorifierai ceux qui me glorifient ; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables. Voici venir le temps que j’exterminerai votre race et celle de votre père, de sorte qu’il n’en demeurera pas un seul qui exerce les fonctions de la prêtrise, dans ma maison. Je les bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent en voyant ce changement. Ils périront tous par l’épée ; et la marque de cela, c’est que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux en un même jour. Je me choisirai un prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon cœur et mon âme désirent, et je lui construirai une maison durable qui passera éternellement en la présence de mon Christ. Quiconque restera de votre maison viendra l’adorer avec une petite pièce d’argent et lui dira ; « Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain[1] ».

On ne peut pas dire que cette prophétie, qui prédit si clairement le changement de l’ancien sacerdoce, ait été accomplie en la personne de Samuel. Quoiqu’il ne fût pas d’une autre tribu que celle que Dieu avait destinée pour servir à l’autel, il n’était pas pourtant de la famille d’Aaron, dont la postérité était désignée pour perpétuer le sacerdoce[2] ; et par conséquent tout ceci était la figure du changement qui devait se faire par Jésus-Christ, et appartenait proprement à l’Ancien Testament, et figurativement au Nouveau ; je dis quant à l’événement de la chose, et non quant aux paroles. Il y eut encore depuis des prêtres de la famille d’Aaron, comme Sadoch et Abiathar, sous le règne de David, et plusieurs autres, longtemps avant l’époque où ce changement devait s’accomplir en la personne de Jésus-Christ. Mais à présent quel est celui qui contemple ces choses des yeux de la foi et qui n’avoue qu’elles sont accomplies ? Il ne reste en effet aux Juifs ni tabernacle, ni temple, ni autel, ni sacrifice, ni par conséquent aucun de ces prêtres qui, selon la loi de Dieu, devraient être de la famille d’Aaron, comme le rappelle ici le Prophète : « Voici ce que dit le Seigneur et le Dieu d’Israël : J’avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence ; mais je n’ai garde maintenant d’en user de la sorte. Car je glorifierai ceux qui me glorifient ; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables ». Par la maison de votre père, il n’entend pas parler de celui dont Héli avait pris immédiatement naissance, mais d’Aaron, le premier grand prêtre dont tous les autres sont descendus. Ce qui précède le montre clairement : « Je me suis fait connaître, dit-il, à la maison de votre père, lorsqu’elle était captive de Pharaon en Egypte, et je l’ai choisie entre toutes les tribus d’Israël pour les fonctions du sacerdoce ». Qui était ce père d’Héli dont la famille, après la captivité d’Egypte, fut choisie pour le sacerdoce, sinon Aaron ? C’est donc de cette race que Dieu dit ici qu’il n’y aura plus de prêtre à l’avenir : et c’est ce que nous voyons maintenant accompli. Que notre foi y fasse attention, les choses sont présentes ; on les voit, on les touche, et elles sautent aux yeux, malgré qu’on en ait. « Voici, dit le Seigneur, venir le temps que j’exterminerai votre race et celle de votre père, en sorte qu’il n’en demeurera pas un seul qui exerce les fonctions de la prêtrise dans ma maison ». Je les bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent « en voyant ce changement ». Ce temps prédit est venu. Il n’y a plus de prêtre selon l’ordre d’Aaron ; et quiconque reste de cette famille, lorsqu’il considère le sacrifice des chrétiens établis par toute la terre et qu’il se voit dépouillé d’un si grand honneur, sèche de regret et d’envie.

Ce qui suit appartient proprement à la maison d’Héli : « Tous ceux qui resteront de votre maison périront par l’épée ; et la marque de cela, c’est que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux en un seul jour ». Le même signe donc qui marquait le sacerdoce enlevé à sa maison marquait aussi qu’il devait être aboli dans la maison d’Aaron. La mort des enfants d’Héli ne figurait la mort d’aucun homme, mais celle du sacerdoce même dans la famille d’Aaron. Ce qui suit se rapporte au grand prêtre, dont Samuel devint la figure en succédant à Héli, et par conséquent on doit l’entendre de Jésus-Christ, le véritable grand prêtre du Nouveau Testament : « Et je me choisirai un prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon cœur et mon âme désirent, et je lui construirai une maison durable ». Cette maison est la céleste et éternelle Jérusalem. « Et elle passera, dit-il, éternellement en la présence de mon Christ », c’est-à-dire elle paraîtra devant lui, comme il a dit auparavant de la maison d’Aaron : « J’avais résolu que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement en ma présence ». On peut encore entendre qu’elle passera de la mort à la vie pendant tout le temps de notre mortalité, jusqu’à la fin des siècles. Quand Dieu dit : « Qui fera tout ce que mon cœur et mon âme désirent », ne pensons pas que Dieu ait une âme, lui qui est le créateur de l’âme ; c’est ici une de ces expressions figurées de l’Ecriture, comme quand elle donne à Dieu des mains, des pieds, et les autres membres du corps. Au surplus, de peur qu’on né s’imagine que c’est selon le corps qu’elle dit que l’homme a été fait à l’image de Dieu, elle donne aussi à Dieu des ailes, organe dont l’homme est privé, et elle dit : « Seigneur, mettez-moi à l’ombre de vos ailes[3] », afin que les hommes reconnaissent que tout cela n’est dit que par métaphore de cette nature ineffable.

« Et quiconque restera de votre maison viendra l’adorer ». Ceci ne doit pas s’entendre proprement de la maison d’Héli, mais de celle d’Aaron, qui a duré jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ et dont il en reste encore aujourd’hui quelques débris. A l’égard de la maison d’Héli, Dieu avait déjà dit que tous ceux qui resteraient de cette maison périraient par l’épée. Comment donc ce qu’il dit ici peut-il être vrai : « Quiconque restera de votre maison viendra l’adorer », à moins qu’on ne l’entende de toute la famille sacerdotale d’Aaron ? Si donc il existe de ces restes prédestinés dont un autre prophète dit : « Les restes seront sauvés[4] » ; et l’Apôtre : « Ainsi, en ce temps même, les restes ont été sauvés selon l’élection de la grâce[5] » ; si, dis-je, il est quelqu’un qui reste de la maison d’Aaron, indubitablement il croira en Jésus-Christ, comme du temps des Apôtres plusieurs de cette nation crurent en lui ; et encore aujourd’hui, l’on en voit quelques-uns, quoique en petit nombre, qui embrassent la foi et en qui s’accomplit ce que cet homme de Dieu ajoute « Il viendra l’adorer avec une petite pièce d’argent ». Qui viendra-t-il adorer, sinon ce souverain prêtre qui est Dieu aussi ? Car dans le sacerdoce établi selon l’ordre d’Aaron, on ne venait pas au temple ni à l’autel pour adorer le grand prêtre. Que veut dire cette petite pièce d’argent, si ce n’est cette parole abrégée de la foi dont l’Apôtre fait mention après le Prophète, quand il dit : « Le Seigneur fera une parole courte et abrégée sur la terre[6] ? » Or, que l’argent se prenne pour la parole de Dieu, le Psalmiste en témoigne, lorsqu’il dit : « Les paroles du Seigneur sont pures, c’est de l’argent qui a passé par le feu[7] ».

Que dit donc celui qui vient adorer le prêtre de Dieu et le prêtre-Dieu ? « Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que je mange du pain ». Ce qui signifie : Je ne prétends rien à la dignité de mes pères, puisqu’elle est abolie ; faites-moi seulement part de votre sacerdoce. « Car j’aime mieux être méprisable dans la maison du Seigneur[8] » ; entendez : pourvu que je devienne un membre de votre sacerdoce, quel qu’il soit. Il appelle ici sacerdoce le peuple même dont est souverain prêtre le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme. C’est à ce peuple que l’apôtre saint Pierre dit : « Vous êtes le peuple saint et le sacerdoce royal[9] ».

Il est vrai que quelques-uns, au lieu de votre sacerdoce, traduisent votre sacrifice, mais cela signifie toujours le même peuple chrétien. De là vient cette parole de l’Apôtre : « Nous ne sommes tous ensemble qu’un seul pain et qu’un seul corps en Jésus-Christ[10] » ; et celle-ci encore : « Offrez vos corps à Dieu comme une hostie vivante[11] ». Ainsi, quand cet homme de Dieu ajoute : « Pour manger du pain », il exprime heureusement le genre même du sacrifice dont le prêtre lui-même dit : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair[12] ». C’est là le sacrifice qui n’est pas selon l’ordre d’Aaron, mais selon l’ordre de Melchisédech. Que celui qui lit ceci l’entende. Cette confession est en même temps courte, humble et salutaire « Donnez-moi quelque part en votre sacerdoce, « afin que je mange du pain ». C’est là cette petite pièce d’argent, parce que la parole du Seigneur, qui habite dans le cœur de celui qui croit, est courte et abrégée. Comme il avait dit auparavant qu’il avait donné pour nourriture à la maison d’Aaron les victimes de l’Ancien Testament, il parle ici de manger du pain, parce que c’est le sacrifice des chrétiens dans le Nouveau.

[1] I Samuel, II, 27 et seq.

[2] Voyez sur ce point les Rétractations, livre II ch. 43, n. 2.

[3] Ps. XVI, 10.

[4] Isa. X, 22.

[5] Rom. XI, 5.

[6] Rom. IX, 28 ; Isa. X, 23.

[7] Ps. XI, 7.

[8] Ps. LXXXIII, 11.

[9] I Pierre, II, 9.

[10] I Cor. X, 17.

[11] Rom. XII, 1.

[12] Jean, VI, 52.

CHAPITRE VI

DE L’ÉTERNITÉ PROMISE AU SACERDOCE ET AU ROYAUME DES JUIFS, AFIN QUE, LES VOYANT DÉTRUITS, ON RECONNUT QUE CETTE PROMESSE CONCERNAIT UN AUTRE ROYAUME ET UN AUTRE SACERDOCE DONT CEUX-LA ÉTAIENT LA FIGURE.

Bien que ces choses paraissent maintenant aussi claires qu’elles étaient obscures lorsqu’elles furent prédites, toutefois il semble qu’on pourrait faire cette objection avec quelque sorte de vraisemblance : Quelle certitude avons-nous que toutes les prédictions des Prophètes s’accomplissent, puisque cet oracle du ciel : « Votre maison et la maison de votre père passeront éternellement en ma présence », n’a pu s’accomplir ? Car nous voyons bien que ce sacerdoce a été changé, sans que cette maison puisse jamais espérer d’y rentrer, attendu qu’il a été aboli, et que cette promesse est plutôt pour l’autre sacerdoce qui a succédé à celui-là. – Quiconque parle de la sorte ne comprend pas encore ou ne se souvient pas que le sacerdoce, même selon l’ordre d’Aaron, était comme l’ombre du sacerdoce à venir et éternel, et qu’ainsi, quand l’éternité lui a été promise, cette promesse ne lui appartenait pas, mais à celui dont il était l’ombre et la figure. Pour que l’on ne s’imaginât pas que l’ombre même dût demeurer, le changement en a dû être aussi prédit.

De même, le royaume de Saül, qui fut réprouvé et rejeté, était l’ombre du royaume à venir qui doit subsister éternellement ; car il faut considérer comme un grand mystère cette huile dont il fût sacré et ce chrême qui lui donna le nom de Christ. Aussi David lui-même le respectait si fort en Saül, qu’il frémit de crainte et se frappa la poitrine[1], au moment où ce prince étant entré dans une caverne obscure pour un besoin, il lui coupa le bord de la robe, afin de lui faire voir qu’il l’avait épargné, quand il pouvait s’en défaire, et de dissiper ainsi ses soupçons et sa furieuse animosité. Il craignait donc de s’être rendu coupable de la profanation d’un grand mystère, seulement pour avoir touché de la sorte au vêtement de Saül. Voici comment l’Ecriture en parle : « Et David se frappa la poitrine, parce qu’il avait coupé le pan de sa robe[2] ». Ceux qui l’accompagnaient lui conseillaient de tuer Saül, puisque Dieu le livrait entre ses mains. « A Dieu ne plaise, dit-il, que je le fasse et que je mette la main sur lui ! car il est le Christ du Seigneur[3] ». Ce n’était donc pas proprement la figure qu’il respectait, mais la chose figurée. Ainsi, quand Samuel dit à Saül : « parce que vous n’avez pas fait ce que je vous avais dit, ou plutôt ce que Dieu vous avait dit par moi, le trône d’Israël, que Dieu vous avait préparé pour durer éternellement, ne subsistera point pour vous ; mais le Seigneur cherchera un homme selon son cœur, qu’il établira prince sur son peuple, à cause que vous n’avez pas obéi à ses ordres[4] » ; ces paroles, dis-je, ne doivent pas s’entendre, comme si Dieu, après avoir promis un royaume éternel à Saut, ne voulait plus tenir sa promesse, lorsqu’il eut péché ; car Dieu n’ignorait pas qu’il devait pécher, mais il avait préparé son royaume pour être la figure d’un royaume éternel. C’est pourquoi Samuel ajoute : « Votre royaume ne subsistera point pour vous ». Celui qu’il figurait a subsisté et subsistera toujours, mais non pas pour Saül ni pour ses descendants. « Et le Seigneur, dit-il, cherchera un homme » ; c’est David, ou plutôt c’est le Médiateur même du Nouveau Testament, qui était aussi figuré par le chrême dont David et sa postérité furent sacrés. Or, Dieu ne cherche pas un homme, comme s’il ignorait où il est ; mais il s’accommode au langage des hommes et nous cherche par cela même qu’il nous parle ainsi. Nous étions dès lors si bien connus, non-seulement à Dieu le Père, mais à son Fils unique, qui est venu chercher ce qui était perdu[5], qu’il nous avait élus en lui avant la création du monde[6]. Lors donc que l’Ecriture dit qu’il cherchera, c’est comme si elle disait qu’il fera reconnaître aux autres pour son ami celui qu’il sait déjà lui appartenir.

[1] I Samuel, XXIV, 6.

[2] I Samuel, XXIV, 6.

[3] I Samuel, XXIV, 7.

[4] I Samuel, XIII, 13 et seq.

[5] Luc, XIX, 10.

[6] Ephés. I, 4.

CHAPITRE VII

DE LA DIVISION DU ROYAUME D’ISRAËL PRÉDITE PAR SAMUEL À SAÜL, ET DE CE QU’ELLE FIGURAIT.

Saül pécha de nouveau en désobéissant à Dieu, et Samuel lui porta de nouveau cette parole au nom du Seigneur : « Parce que vous avez rejeté le commandement de Dieu, Dieu vous a rejeté, et vous ne serez plus roi d’Israël[1] ». Comme Saül, avouant son crime, priait Samuel de retourner avec lui pour en obtenir de Dieu le pardon : « Je ne retournerai point avec vous, dit-il, parce que vous n’avez point tenu compte du commandement de Dieu.

Aussi le Seigneur ne tiendra point compte de vous, et vous ne serez plus roi d’Israël. ». Là-dessus, Samuel lui tourna le dos et s’en alla ; mais Saül le retint par le bas de sa robe, qu’il déchira. Alors Samuel lui dit : « Le Seigneur a ôté aujourd’hui le royaume à Israël en vous l’ôtant, et il le donnera à un de vos proches, qui est bien au-dessus de vous, et Israël sera divisé en deux, sans que le Seigneur change ni se repente, car il ne ressemble pas à l’homme, qui est sujet au repentir, et qui fait des menaces et ne les exécute pas[2] ». Celui à qui il est dit : « Le Seigneur vous rejettera, et vous ne serez plus roi d’Israël » ; et encore : « Le Seigneur a ôté aujourd’hui le royaume à Israël en vous l’ôtant » ; celui-là, dis-je, régna encore quarante ans depuis, car cela lui fut dit dès le commencement de son règne ; mais Dieu entendait par là qu’aucun de sa famille ne devait lui succéder, et il voulait attirer nos regards vers la postérité de David, d’où est sorti, selon la chair, le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme.

Or, le texte de l’Ecriture ne porte pas, comme beaucoup de traductions latines : « Le Seigneur vous a ôté le royaume d’Israël » mais comme nous l’avons lu dans le grec : « Le Seigneur a ôté aujourd’hui le royaume à Israël en vous l’ôtant » ; par où l’Ecriture veut montrer que Saül représentait le peuple d’Israël, qui était destiné à perdre le royaume, Notre Seigneur Jésus-Christ devant régner spirituellement par le Nouveau Testament.

Ainsi, quand il dit : « Et il le donnera à un de vos proches », cela s’entend d’une parenté selon la chair. En effet, selon la chair, Jésus-Christ a pris naissance d’Israël, aussi bien que Saül. Ce qui suit : « Qui est bon au-dessus de vous », peut s’entendre, « qui est meilleur que vous », et quelques-uns l’ont traduit ainsi ; mais je préfère cet autre sens : « Il est bon ; qu’il soit donc au-dessus de vous » ; ce qui est bien conforme à cette autre parole prophétique : « Jusqu’à ce que j’aie mis tous vos ennemis sous vos pieds[3] ». Au nombre des ennemis est Israël, à qui le Christ enlève la royauté comme à son persécuteur. Et toutefois, là aussi était un autre Israël, en qui ne se trouva aucune malice[4], véritable froment caché sous la paille. C’est de là que sont sortis les Apôtres et tant de martyrs dont saint Etienne a été le premier ; de là ont pris naissance toutes ces Eglises dont parle l’apôtre saint Paul et qui louent Dieu de sa conversion[5].

Je ne doute point que par ces mots : « Et Israël sera divisé deux », il faille distinguer Israël ennemi de Jésus-Christ et Israël fidèle à Jésus-Christ, Israël appartenant à la servante et Israël appartenant à la femme libre. Ces deux Israël étaient d’abord mêlés ensemble, comme Abraham était attaché à la Servante, jusqu’à ce que celle qui était stérile, ayant été rendue féconde par la grâce de Jésus-Christ, s’écriât : « Chassez la servante avec son fils[6] ». Il est vrai qu’Israël fut partagé en deux à cause du péché de Salomon, sous le règne de son fils Roboam, et qu’il demeura en cet état, chaque faction ayant ses rois à part, jusqu’à ce que toute la nation fût vaincue par les Chaldéens et menée captive à Babylone. Mais qu’est-ce que cela fait à Saül ? Si cette menace était nécessaire, ne devait-on l’adresser plutôt à David, dont Salomon était fils ? maintenant même, les Juifs ne sont pas divisés entre eux, mais dispersés par toute la terre dans la société d’une même erreur. Or, cette division, dont Dieu menace ici ce peuple et ce royaume dans la personne de Saül qui le représentait, doit être éternelle et immuable, selon ces paroles qui suivent : « Dieu ne changera ni ne se repentira point, car il ne ressemble pas à l’homme, qui est sujet au repentir, et qui fait des menaces et ne les exécute pas ». Lorsque l’Ecriture dit que Dieu se repent, cela ne marque du changement que dans les choses, lesquelles sont connues de Dieu par une prescience immuable. Quand donc elle dit qu’il ne se repent point, il faut entendre qu’il ne change point.

Ainsi l’arrêt de cette division d’Israël est un arrêt perpétuel et irrévocable. Tous ceux qui, en tous les temps, passent de la synagogue des Juifs à l’Eglise de Jésus-Christ, ne faisant point partie de cette synagogue dans la prescience de Dieu. Ainsi, tous les Israélites qui, s’attachant à Jésus-Christ, persévèrent dans cette union, ne seront jamais avec ces Israélites qui s’opiniâtrent toute leur vie à être ses ennemis, et la division qui est ici prédite subsistera toujours. L’Ancien Testament donné sur la montagne de Sinaï, et qui n’engendra que des esclaves[7], n’a de prix qu’en ce qu’il rend hommage au Nouveau ; et tous les Juifs qui maintenant lisent Moïse ont un voile sur le cœur[8] qui leur en dérobe l’intelligence. Mais lorsque quelqu’un d’eux passe à Jésus-Christ, ce voile est déchiré. En effet, ceux qui changent de la sorte changent aussi d’intention et de désirs, et n’aspirent plus à la félicité de la chair, mais à celle de l’esprit. C’est pourquoi, dans cette fameuse journée des Juifs contre les Philistins , où le ciel se déclara si ouvertement en faveur des premiers, à la prière de Samuel, ce prophète, prenant une pierre, la posa entre les deux Massephat[9], la nouvelle et l’ancienne, et l’appela Abennezer, c’est-à-dire pierre de secours, parce que, dit-il, c’est jusqu’ici que Dieu nous a secourus. Or, Massephat signifie intention, et cette pierre de secours, c’est la médiation du Sauveur, par qui il faut passer de la vieille Massephat à la nouvelle, c’est-à-dire de l’intention qui regardait une fausse et charnelle habitude dans un royaume charnel, à celle qui s’en propose une véritable et spirituelle dans le royaume des cieux par le moyen du Nouveau Testament. Comme il n’est rien de meilleur que cette félicité, c’est jusque-là que Dieu nous porte secours.

[1] I Samuel, XV, 23.

[2] I Samuel, XV, 23.

[3] Ps. CIX, 2.

[4] Jean, I, 47.

[5] Galat. I, 24.

[6] Gen. XXI, 10.

[7] Gal. IV, 24.

[8] II Cor, III, 15.

[9] Saint Jérôme (De locis Hebraïcis) place l’ancienne Massephat dans la tribu de Gad, et la nouvelle dans la tribu de Juda, sur les confins d’Eleuthéropolis.

CHAPITRE VIII

LES PROMESSES DE DIEU À DAVID TOUCHANT SALOMON NE PEUVENT S’ENTENDRE QUE DE JÉSUS-CHRIST.

Il faut voir maintenant, autant que cela peut servir à notre dessein, les promesses que Dieu fit à David même, qui prit la place de Saül, changement qui était la figure du changement suprême auquel se rapporte toute l’Ecriture sainte. Toutes choses prospérant à David, il résolut de bâtir une maison à Dieu, ce fameux temple qui fut l’ouvrage de son fils Salomon. Comme il était dans cette pensée, Dieu parla au prophète Nathan, et, après lui avoir déclaré que David ne lui bâtirait pas une maison, et qu’il s’en était bien passé jusqu’alors : « Vous direz, ajouta-t-il, à mon serviteur David : Voici ce que dit le Seigneur tout-puissant : Je vous ai tiré de votre bergerie pour vous établir le conducteur de mon peuple. Je vous ai assisté dans toutes vos entreprises, j’ai dissipé tous vos ennemis, et j’ai égalé votre gloire à celle des plus grands rois. Je veux assigner un lieu à mon peuple et l’y établir, afin qu’il y demeure séparé des autres nations et que rien ne trouble son repos à l’avenir. Les méchants ne l’opprimeront plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire. Je ferai que tous vos ennemis vous laisseront en paix, et vous me bâtirez une maison. Car lorsque vos jours seront accomplis et que vous serez endormi avec vos pères, je ferai sortir de votre race un roi dont j’affermi rai le trône. C’est lui qui me construira une maison, et je maintiendrai éternelle ment son empire. Je lui tiendrai lieu de père et l’aimerai comme mon fils. Que s’il vient à m’offenser, je lui ferai sentir les effets de ma colère et le châtierai avec rigueur ; mais je ne retirerai point de lui ma miséricorde, comme j’ai fait à l’égard de ceux dont j’ai détourné ma face. Sa maison me sera fidèle et son royaume durera autant que les siècles[1] ».

Quiconque s’imagine que cette promesse a été accomplie en Salomon, se trompe gravement, et son erreur vient de ce qu’il ne s’arrête qu’à ces paroles : « C’est lui qui me construira une maison ». En effet, Salomon a élevé un temple superbe ; mais il faut faire attention à ce qui suit : « Sa maison me sera fidèle et son royaume durera autant que les siècles ». Regardez maintenant le palais de Salomon, tout rempli de femmes étrangères et idolâtres qui le portent à adorer les faux dieux avec elles ; et prenez garde d’être assez téméraires pour penser que les promesses de Dieu ont été vaines, ou qu’il n’a pu prévoir que ce prince et sa maison tomberaient dans de tels égarements. Lors même que nous ne verrions point les paroles divines accomplies en la personne de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui est né de David selon la chair, nous ne devrions point douter qu’elles ne se rapportent à lui, à moins que de vouloir attendre vainement un nouveau messie, comme font les Juifs. Il est si vrai que par ce fils, qui est ici promis à David, les Juifs mêmes n’entendent point Salomon, que, par un merveilleux aveuglement, ils attendent encore un autre Christ que celui qui s’est fait reconnaître pour tel par des marques si claires et si évidentes. A la vérité, on voit aussi en Salomon quelque image des choses à venir, en ce qu’il a bâti le temple, qu’il a eu la paix avec tous ses voisins, comme le porte son nom (car Salomon signifie pacifique) et que les commencements de son règne ont été admirables ; mais il faut demeurer d’accord qu’il n’était pas Jésus-Christ lui-même et qu’il n’en était que la figure. De là vient que l’Ecriture dit beaucoup de choses de lui, non-seulement dans les livres historiques, mais dans le psaume soixante-onzième qui porte son nom, lesquelles ne sauraient du tout lui convenir, et conviennent fort bien à Jésus-Christ, pour montrer que l’un n’était que la figure, et l’autre la vérité. Pour n’en citer qu’un exemple, on ignore quelles étaient les bornes du royaume de Salomon, et cependant nous lisons dans ce psaume : « Il étendra son empire de l’une à l’autre mer, et depuis le fleuve jusqu’aux extrémités de la terre[2] » ; paroles que nous voyons accomplies en la personne du Sauveur, qui a commencé son règne au fleuve où il fut baptisé par saint Jean et reconnu par les disciples, qui ne l’appelaient pas seulement Maître, mais Seigneur.

Pourquoi Salomon commença-t-il à régner du vivant de son père David, ce qui n’arriva à aucun autre des rois d’Israël ? pour nous apprendre que ce n’est pas de lui que Dieu parle ici, quand il dit à David : « Lorsque vos jours seront accomplis et que vous serez endormi avec vos pères, je ferai sortir de votre race un roi dont j’affermirai le trône ». Quelque intervalle de temps qu’il y ait entre Jésus-Christ et David, toujours est-il certain que le premier est venu depuis la mort du second et qu’il a bâti une maison à Dieu, non de bois et de pierre, mais d’hommes. C’est à cette maison, ou en d’autres termes, aux fidèles, que l’apôtre saint Paul dit : « Le temple de Dieu est saint, et c’est vous qui êtes ce temple[3] ».

[1] I Samuel, VII, 8 et seq.

[2] Ps. LXXI, 8.

[3] I Cor. III, 17.

CHAPITRE IX

DE LA PROPHÉTIE DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME, LAQUELLE EST SEMBLABLE À CELLE DE NATHAN DANS LE SECOND LIVRE DES ROIS.

C’est pour cela qu’au psaume quatre-vingt-huitième, qui a pour titre : Instruction pour Aethan, israélite, il est fait mention des promesses de Dieu à David, et l’on y voit quelque chose de semblable à ce que nous venons de rapporter du second livre des Rois. « J’ai juré, dit Dieu, j’ai juré à David, mon serviteur, que je ferais fleurir éternellement sa race ».

Puis : « Vous avez parlé en vision à vos enfants, et vous avez dit : J’ai remis mon assistance dans un homme puissant, et j’ai élevé sur le trône celui que j’ai choisi parmi mon peuple. J’ai trouvé mon serviteur David, je l’ai oint de mon huile sainte. Car ma main lui donnera secours et mon bras le soutiendra. L’ennemi n’aura point avantage sur lui, et l’enfant d’iniquité ne lui pourra nuire. J’abattrai ses ennemis à ses pieds et mettrai en fuite ceux qui le haïssent. Ma vérité et ma miséricorde seront avec lui, et je délivrerai sa gloire et sa puissance. J’étendrai sa main gauche sur la mer et sa droite sur les fleuves. Il m’invoquera et me dira : Vous êtes mon père, vous êtes mon Dieu et mon asile. Et je le ferai mon fils aîné et l’élèverai au-dessus de tous les rois de la terre. Je lui conserverai toujours ma faveur, et l’alliance que je ferai avec lui sera inviolable. J’établirai sa race pour jamais, et son trône durera autant que les cieux[1] ». Tout cela, sous le nom de David, doit s’entendre de Jésus-Christ, à cause de la forme d’esclave qu’il a prise, comme médiateur, dans le sein de la Vierge. Quelques lignes ensuite, il est parlé des péchés de nos enfants presque dans les mêmes termes où, au livre des Rois, il est parlé de ceux de Salomon : « S’il vient, dit Dieu en ce livre, à s’abandonner à l’iniquité, je le châtierai par la verge des hommes ; je le livrerai aux atteintes des enfants des hommes ; cependant je ne retirerai pas de lui ma miséricorde[2] ». Ces atteintes sont les marques du châtiment ; et de là cette parole : « Ne touchez pas mes christs[3] ». Qu’est-ce à dire, sinon : Ne blessez pas ? Or, dans le psaume où il s’agit de David en apparence, le Seigneur tient à peu près le même langage : « Si ses enfants, dit-il, abandonnent ma loi et ne marchent dans ma crainte, s’ils profanent mes ordonnances et ne gardent pas mes commandements, je les châtierai, la verge à la main, et je leur enverrai mes fléaux ; mais je ne retirerai point de lui ma miséricorde[4] ». Il ne dit pas : Je ne retirerai pas d’eux, quoiqu’il parle de ses enfants, mais de lui, ce qui pourtant, à le bien prendre, est la même chose. Aussi bien on ne peut trouver en Jésus-Christ même, qui est le chef de l’Eglise, aucun péché qui ait besoin d’indulgence ou de punition, mais bien dans son peuple, qui compose ses membres et son corps mystique. C’est pour cela qu’au livre des Rois il est parlé de son iniquité[5], au lieu qu’ici il est parlé de celle de ses enfants, pour nous faire entendre que ce qui est dit de son corps est dit en quelque sorte de lui-même.

Par la même raison, lorsque Saul persécutait son corps, c’est-à-dire ses fidèles, il lui cria du ciel : « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous[6] ». Le psaume ajoute : « Je n’enfreindrai point mon serment, ni ne profanerai mon alliance ; je ne démentirai point les paroles qui sortent de ma bouche ; j’ai une fois juré par ma sainteté, je ne tromperai point David ; sa race durera éternellement ; son trône demeurera à jamais devant moi comme le soleil et la lune, et comme l’arc-en-ciel, témoin fidèle de mon alliance[7] ».

[1] Ps. LXXXVIII, 31, 34.

[2] I Samuel, VII, 14, 15.

[3] Ps. CIV, 15.

[4] Ibid. LXXXVIII, 31, 34.

[5] I Samuel, VII, 14.

[6] Act. IX, 4.

[7] Ps. LXXXVIII, 34-36.

CHAPITRE X

LA RAISON DE LA DIFFÉRENCE QUI SE RENCONTRE ENTRE CE QUI S’EST PASSÉ DANS LE ROYAUME DE LA JÉRUSALEM TERRESTRE ET LES PROMESSES DE DIEU, C’EST DE FAIRE VOIR QUE CES PROMESSES REGARDAIENT UN AUTRE ROYAUME ET UN PLUS GRAND ROI.

Après des assurances si certaines d’une si grande promesse, de peur qu’on ne la crût accomplie en Salomon et qu’on ne l’y cherchât inutilement, le Psalmiste s’écrie : « Pour vous, Seigneur, vous les avez rejetés et anéantis[72] ». Cela est arrivé à l’égard du royaume de Salomon en ses descendants jusqu’à la ruine de la Jérusalem terrestre, qui était le siège de son empire, et à la destruction du temple qu’il avait élevé. Mais, pour qu’on n’aille pas en conclure que Dieu a contrevenu à sa parole, David ajoute aussitôt : « Vous avez différé votre Christ ». Ce Christ n’est donc ni David, ni Salomon, puisqu’il est différé. Encore que tous les rois des Juifs fussent appelés christs à cause du chrême dont on les oignait à leur sacre, et que David lui-même donne ce nom à Saül, il n’y avait toutefois qu’un seul Christ véritable, dont tous ceux-là étaient la figure. Et ce Christ était différé pour longtemps, selon l’opinion de ceux qui croyaient que ce devait être David ou Salomon ; mais il devait venir en son temps, selon l’ordre de la providence de Dieu. Cependant le psaume nous apprend ensuite ce qui arriva durant ce délai dans la Jérusalem terrestre, où l’on espérait qu’il régnerait : « Vous avez, dit-il, rompu l’alliance que vous aviez faite avec votre serviteur ; vous avez profané son temple. Vous avez renversé tous ses boulevards, et ses citadelles n’ont pu le mettre en sûreté. Tous les passants l’ont pillé ; il est devenu l’opprobre de ses voisins. Vous avez protégé ceux-qui l’opprimaient et donné des sujets de joie à ses ennemis. Vous avez émoussé la pointe de son épée et ne l’avez point aidé dans le combat. Vous avez obscurci l’éclat de sa gloire et brisé son trône. Vous avez abrégé le temps de son règne, et il est couvert de confusion[73] ». Tous ces malheurs sont tombés sur la Jérusalem esclave, où même quelques enfants de la liberté ont régné, quoiqu’ils ne soupirassent qu’après la Jérusalem céleste dont ils étaient sortis et où ils espéraient régner un jour par le moyen du Christ véritable. Mais si l’on veut savoir comment tous ces maux lui sont arrivés, il faut l’apprendre de l’histoire.

[1] Ps. LXXXVIII, 37.

[2] Ps. LXXXVIII, 40-46.

CHAPITRE XI

DE LA SUBSTANCE DU PEUPLE DE DIEU, LAQUELLE SE TROUVE EN JÉSUS-CHRIST FAIT HOMME, SEUL CAPABLE DE DÉLIVRER SON ÂME DE L’ENFER.

Le Prophète adresse ensuite une prière à Dieu ; mais sa prière même est une prophétie : « Jusques à quand, Seigneur, détournerez-vous jusqu’à la fin ? » il faut sous-entendre votre face ou votre miséricorde. Par la fin, sont exprimés les derniers temps où cette nation même croira en Jésus-Christ. Mais, avant cela, il faut que tous les malheurs que le Prophète a déplorés arrivent. C’est pourquoi il ajoute : « Votre colère s’allumera comme un feu. Souvenez-vous quelle est ma substance ». Par cette substance, l’on ne peut rien concevoir de mieux que Jésus-Christ même, qui a tiré de ce peuple sa substance et sa nature humaine. « Car ce n’est pas en vain, dit-il, que vous avez créé tous les enfants des hommes ». En effet, sans ce fils de l’homme, sans cette substance d’Israël par qui sont sauvés plusieurs enfants des hommes, ce serait en vain que les enfants des hommes auraient été créés, tandis que maintenant il est vrai que toute la nature humaine est tombée de la vérité dans la vanité par le péché du premier homme, d’où vient cette parole d’un autre psaume : « L’homme est devenu semblable à une chose vaine et chimérique ; ses jours s’évanouissent comme l’ombre[1] ; mais ce n’est pourtant pas en vain que Dieu a créé tous les enfants des hommes, puisqu’il en délivre plusieurs par le médiateur Jésus, et que les autres, qu’il a prévus ne devoir pas délivrer, il les a créés en vertu d’un dessein très-beau et très-juste, pour servir au bien des élus, et pour relever par l’opposition des deux cités l’éclat et la gloire de la céleste. Le Psalmiste ajoute : « Quel est cet homme qui vivra et ne mourra point ; il délivrera son âme des mains de l’enfer[2] ». Quel est-il, en effet, sinon cette substance d’Israël tirée de David, c’est-à-dire Jésus-Christ, dont l’Apôtre dit[3] : « Une fois ressuscité des morts, il ne meurt plus, et la mort n’a plus d’empire sur lui ». Bien qu’il vive maintenant et qu’il ne soit plus sujet à la mort, il n’a pas laissé de mourir ; mais il a délivré son âme de l’enfer, où il était descendu pour rompre les liens du péché qui en retenaient quelques-uns captifs. Or, il l’a délivrée par cette puissance dont il dit dans l’Evangile : « J’ai le pouvoir de quitter mon âme et j’ai le pouvoir de la reprendre[4] ».

[1] Ps. CXLIII, 5.

[2] Ps. LXXXVIII, 49.

[3] Rom. VI, 9.

[4] Jean, X, 18.

CHAPITRE XII

COMMENT IL FAUT ENTENDRE CES PAROLES DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME : « OÙ SONT, SEIGNEUR, LES ANCIENNES MISÉRICORDES, ETC. »

Examinons maintenant la fin de ce psaume, qui est ainsi conçu : « Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que vous avez fait serment d’exercer envers David ? Souvenez-vous, Seigneur, de l’opprobre de vos serviteurs, et qu’il m’a fallu essuyer sans rien dire les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis m’ont faits du changement de votre Christ ». En méditant ces paroles, il est permis de demander si elles s’appliquent aux Israélites, qui désiraient que Dieu accomplît la promesse qu’il avait faite à David, ou bien à la personne des chrétiens qui sont Israélites selon l’esprit et non selon la chair. Il est certain, en effet, qu’elles ont été dites ou écrites du vivant d’Aethan, dont le nom est à la tête de ce psaume et sous le règne de David ; et par conséquent il n’y a point d’apparence que l’on pût dire alors : « Seigneur, où sont les anciennes « miséricordes que vous avez fait serment d’exercer envers David ? » à moins que le Prophète ne se mît à la place de ceux qui devaient venir longtemps après et à l’égard de qui ces promesses faites à David étaient anciennes. On peut donc entendre que lorsque les Gentils persécutaient les chrétiens, ils leur reprochaient la passion de Jésus-Christ, que l’Ecriture appelle un changement, parce qu’en mourant il est devenu immortel. On peut aussi entendre que le changement du Christ a été reproché aux Juifs, en ce qu’au lieu qu’ils l’attendaient comme leur sauveur, il est devenu le sauveur des Gentils. C’est ce que plusieurs peuples, qui ont cru en lui par le Nouveau Testament, leur reprochent encore aujourd’hui ; de sorte que c’est en leur personne qu’il est dit : « Souvenez-vous, Seigneur, de l’opprobre de vos serviteurs », parce que Dieu, ne les oubliant pas, mais ayant compassion de leur misère, doit les attirer un jour eux-mêmes à la grâce de l’Evangile. Mais il me semble que le premier sens est meilleur. En effet, il ne paraît pas à propos d’appeler serviteurs de Dieu les ennemis de Jésus-Christ à qui l’on reproche que le Christ les a abandonnés pour passer aux Gentils, et que cette qualité convient mieux à ceux qui, exposés à de rudes persécutions pour le nom de Jésus-Christ, se sont souvenus du royaume promis à la race de David, et touchés d’un ardent désir de le posséder, ont dit à Dieu : « Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que vous avez fait serment d’exercer envers David ? Souvenez-vous, Seigneur, de l’opprobre de vos serviteurs, et qu’il m’a fallu essuyer sans rien dire les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis m’ont faits du changement de votre Christ », ce changement étant pris par eux pour un anéantissement. Que veut dire : Souvenez-vous, Seigneur, sinon ayez pitié de moi, et, pour les humiliations que j’ai souffertes avec tant de patience, donnez-moi la gloire que vous avez promise à David avec serment. Que si nous attribuons ces paroles aux Juifs, assurément ces serviteurs de Dieu, qui furent emmenés captifs à Babylone après la prise de la Jérusalem terrestre et avant la naissance de Jésus-Christ, ont pu les dire aussi, entendant par le changement du Christ, qu’ils ne devaient pas attendre de lui une félicité temporelle semblable à celle dont ils avaient joui quelques années auparavant sous le règne de Salomon, mais une félicité céleste et spirituelle ; et c’est le changement que les nations idolâtres reprochaient, sans s’en douter, au peuple de Dieu, lorsqu’elles l’insultaient dans sa captivité. C’est aussi ce qui se trouve ensuite dans le même psaume et qui en fait la conclusion : « Que la bénédiction du Seigneur demeure éternellement ; ainsi soit-il, ainsi soit-il » ; vœu très-convenable à tout le peuple de Dieu qui appartient à la Jérusalem céleste, soit à l’égard de ceux qui étaient cachés dans l’Ancien Testament avant que le Nouveau ne fût découvert, soit pour ceux qui dans le Nouveau sont manifestement à Jésus-Christ. La bénédiction du Seigneur promise à la race de David n’est pas circonscrite dans un aussi petit espace de temps que le règne de Salomon, mais elle ne doit avoir d’autres bornes que l’éternité. La certitude de l’espérance que nous en avons est marquée par la répétition de ces mots : « Ainsi soit-il, ainsi soit-il ». C’est ce que David comprenait bien quand il dit, au second livre des Rois, qui nous a conduits à cette digression du Psaume : « Vous avez parlé pour longtemps en faveur de la maison de David[1] » ; et un peu après : « Commencez donc maintenant, et bénissez pour jamais la maison de votre serviteur, etc.[2] » parce qu’il était prêt d’engendrer un fils dont la race était destinée à donner naissance à Jésus-Christ, qui devait rendre éternelle sa maison et en même temps la maison de Dieu. Elle est la maison de David à raison de sa race, et la maison de Dieu à cause de son temple, mais d’un temple qui est fait d’hommes et non de pierres, et où le peuple doit demeurer éternellement avec son Dieu et en son Dieu, et Dieu avec son peuple et en son peuple, en sorte que Dieu remplisse son peuple et que le peuple soit plein de son Dieu, lorsque Dieu sera tout en tous[3], Dieu, notre récompense dans la paix et notre force dans le combat. Comme Nathan avait dit à David : « Le Seigneur vous avertit que vous lui bâtirez une maison[4] » ; David dit ensuite à Dieu : « Seigneur tout-puissant, Dieu d’Israël, vous avez révélé à votre serviteur que vous lui bâtiriez une maison[5] ». En effet, nous bâtissons cette maison en vivant bien, et Dieu la bâtit aussi en nous aidant à bien vivre ; car, « si le Seigneur ne bâtit lui-même une maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent[6]. » Lorsque le temps de la dernière dédicace de cette maison sera venu, alors s’accomplira ce que Dieu dit ici par Nathan : « J’assignerai un lieu à mon peuple, et l’y établirai, afin qu’il « y demeure séparé des autres nations et que rien ne trouble son repos à l’avenir. Les méchants ne l’opprimeront plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire[7] ».

[1] II Rois, VII, 19.

[2] II Rois, VII, 25.

[3] I Cor. XV, 28.

[4] II Rois, VII, 11.

[5] II Rois, VI, 27.

[6] Ps. CXXVI, 1.

[7] II Rois, VII, 10.

CHAPITRE XIII

LA PAIX PROMISE À DAVID PAR NATHAN N’EST POINT CELLE DU RÈGNE DE SALOMON.

C’est une folie d’attendre ici-bas un si grand bien, ou de s’imaginer que ceci ait été accompli sous le règne de Salomon, à cause de la paix dont on y jouit. L’Ecriture ne relève cette paix que parce qu’elle était la figure d’une autre ; et elle-même a eu soin de prévenir cette interprétation, lorsque, après avoir dit : « Les méchants ne l’opprimeront plus », elle ajoute aussitôt : « comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire ». Ce peuple, avant d’être gouverné par des rois, fut gouverné par des Juges, et les méchants, c’est-à-dire ses ennemis, l’opprimaient par moments ; mais, avec tout cela, on trouve sous les Juges de plus longues paix que celle du règne de Salomon, qui dura seulement quarante ans. Or, il y en eut une de quatre-vingts ans sous Aod. Loin donc, loin de nous l’idée que cette promesse regarde le règne de Salomon, et beaucoup moins celui d’un autre roi, puisque pas un d’eux n’a joui de la paix aussi longtemps que lui, et que cette nation n’a cessé d’appréhender le joug des rois, ses voisins. Et n’est-ce pas une suite nécessaire de l’inconstance des choses du monde qu’aucun peuple ne possède un empire si bien affermi qu’il n’ait pas à redouter l’invasion étrangère ? Ainsi, ce lieu d’une habitation si paisible et si assurée, qui est ici promis, est un lieu éternel, et qui est dû à des habitants éternels dans la Jérusalem libre où régnera véritablement le peuple d’Israël ; car Israël signifie voyant Dieu. Et nous, pénétrés du désir de mériter une si haute récompense, que la foi nous fasse vivre d’une vie sainte et innocente à travers ce douloureux pèlerinage !

CHAPITRE XIV

DES PSAUMES DE DAVID.

La Cité de Dieu poursuivant son cours dans le temps, David régna d’abord sur la Jérusalem terrestre, qui était une ombre et une figure de la Jérusalem à venir. Ce prince était savant dans la musique, et il aimait l’harmonie, non pour le plaisir de l’oreille, mais avec une intention plus élevée, pour consacrer à son Dieu des cantiques remplis de grands mystères. L’assemblage et l’accord de plusieurs tons différents sont en effet une image fidèle de l’union qui enchaîne les différentes par-tics d’une cité bien ordonnée. On sait que toutes les prophéties de David sont contenues dans les cent cinquante psaumes que nous appelons le Psautier. Or, les uns veulent qu’entre ces psaumes, ceux-là seulement soient de lui qui portent son nom ; d’autres ne lui attribuent que ceux qui ont pour titre de David, et disent que ceux où on lit à David ont été faits par d’autres et appropriés à sa personne. Mais ce sentiment est réfuté par le Sauveur même dans l’Evangile, lorsqu’il dit[1] que David lui-même a appelé le Christ son Seigneur dans le psaume cent neuf, en ces termes : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’aie abattu vos ennemis sous vos pieds[2] ». Or, ce psaume n’a pas pour titre de David, mais à David. Il lui semble donc que l’opinion la plus vraisemblable, c’est que tous les psaumes sont de David, et que, s’il en a intitulé quelques-uns d’autres noms que du sien, c’est que ces noms ont un sens figuratif, quant à ceux qu’il a laissés sans y mettre de nom, c’est par une inspiration de Dieu, dont le motif caché couvre sans doute de profonds mystères. Il ne faut point s’arrêter à ce que certains psaumes portent en tête les noms de quelques prophètes qui ne sont venus que longtemps depuis David, et qui semblent toutefois y parler ; car l’esprit prophétique qui inspirait ce prince a fort bien pu aussi lui révéler les noms de ces prophètes, et lui suggérer des chants qui leur étaient appropriés, comme nous voyons[3] qu’un certain prophète a parlé de Josias et de ses actions plus de trois cents ans avant la naissance de ce roi.

[1] Matt. XXII, 42.

[2] Ps. CIX, 1.

[3] III Rois, XIII.

CHAPITRE XV

S’IL CONVIENT D’ENTRER ICI DANS L’EXPLICATION DES PROPHÉTIES CONTENUES DANS LES PSAUMES TOUCHANT JÉSUS-CHRIST ET SON ÉGLISE.

Je vois bien qu’on attend de moi que j’explique ici les prophéties de Jésus-Christ et de son Eglise qui sont dans les psaumes ; mais ce qui me retient, quoique ayant déjà donné l’explication d’un de ces divins cantiques, c’est plutôt l’abondance que le défaut de la matière. Il serait trop long, en effet, d’expliquer ces prophéties ; et si je restreignais mon choix, j’aurais à craindre que les hommes versés en ces problèmes ne m’accusassent d’avoir omis les plus essentielles. D’ailleurs, un témoignage qu’on produit d’un psaume doit être confirmé par toute la suite du psaume, afin que, si tout ne sert pas à l’appuyer, rien au moins n’y soit contraire. En procédant de toute autre façon, on ferait des centons que l’on appliquerait à son sujet dans un sens tout différent de celui que les pièces ont à leur place naturelle. Pour montrer ce rapport de toutes les parties du psaume, avec le témoignage qu’on en voudrait faire sortir, il serait besoin de l’expliquer tout entier. Or, quel travail exigerait cette méthode, il est aisé de l’imaginer, pour peu qu’on sache ce que d’autres ont entrepris en ce genre et ce que nous avons nous-même essayé ailleurs. Que celui qui en aura la volonté et le loisir lise ces commentaires, et il y verra combien de grandes choses David a prophétisées de Jésus-Christ et de son Eglise, c’est-à-dire de la cité qu’il a fondée et de son roi.

CHAPITRE XVI

LE PSAUME QUARANTE-QUATRE EST UNE PROPHÉTIE, TANTÔT EXPRESSIVE ET TANTÔT FIGURÉE, DE JÉSUS-CHRIST ET DE SON ÉGLISE.

Quelles que soient, en toutes choses, la propriété et la clarté des expressions prophétiques, il faut aussi qu’il y en ait de figurées, et ce sont celles-là qui donnent de l’exercice aux savants, quand ils veulent les expliquer à des esprits moins ouverts. Il en est toutefois qui désignent, à la première vue, le Sauveur et son Eglise, quoiqu’il y reste toujours quelque chose d’obscur qui demande à être expliqué à loisir ; par exemple, ce passage du psaume quarante-quatre : « Mon cœur me presse de dire de grandes choses ; je veux consacrer mes ouvrages à la gloire de mon Roi. Ma langue est comme la plume d’un écrivain qui écrit très-vite. Vous êtes le plus beau des enfants des hommes ; les grâces sont répandues sur vos lèvres ; c’est pourquoi Dieu vous a comblé de ses bénédictions pour jamais. Très-puissant, ceignez votre épée. Beau et gracieux comme vous l’êtes, vous ne sauriez manquer de réussir dans vos entreprises et de vous rendre maître des cœurs. La vérité, la douceur et la justice accompagnent vos pas, et vous signalerez votre puissance par des actions miraculeuses. Dieu tout-puissant, que vos flèches sont aigües ! vous en percerez le cœur de vos ennemis, et les peuples tomberont à vos pieds. Votre trône, mon Dieu, est un trône éternel, et le sceptre de votre empire est un sceptre de justice. Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ; aussi votre Dieu a rempli votre cœur de joie comme d’un heaume exquis, dont il vous a sacré avec plus d’abondance que tous vos compagnons. Vos vêtements sont imprégnés de myrrhe et d’aloès ; des essences de parfum s’exhalent de vos palais d’ivoire, et c’est ce qui vous a gagné le cœur des jeunes filles au jour de votre triomphe ». Quel est l’esprit assez grossier pour ne pas reconnaître dans ces paroles le Christ que nous prêchons et en qui nous croyons ? Qui ne le voit désigné par ce Dieu dont le trône est éternel, et que Dieu sacre en Dieu, c’est-à-dire d’un chrême spirituel et invisible ? Est-il un homme assez étranger à notre religion et assez sourd au bruit qu’elle fait de toutes parts pour ignorer que le Christ s’appelle ainsi de son sacre et de son onction ? Or, ce roi une fois reconnu, que signifient les autres traits de cette peinture symbolique, par exemple, qu’il est le plus beau des enfants des hommes, d’une beauté sans doute d’autant plus digne d’amour et d’admiration qu’elle est moins corporelle ? Que veut dire cette épée, et que sont ces flèches ? c’est à quiconque sert ce Dieu et règne par la vérité, la douceur et la justice, à examiner ces questions à loisir. Jetez ensuite les yeux sur son Eglise, sur cette compagne unie à un si grand époux par un mariage spirituel et par les liens d’un amour divin, elle, dont il est dit peu après : « La reine s’est assise à votre droite avec un habit rehaussé d’or et de broderie. Ecoutez, ma fille, voyez et prêtez l’oreille ; oubliez votre pays et la maison de votre père ; car le roi a été pris d’amour pour votre beauté, et il est le Seigneur votre Dieu. Les habitants de Tyr l’adoreront avec des présents ; les plus riches du peuple vous feront la cour. Toute la gloire de la fille du roi vient du dedans, et elle est vêtue d’une robe à franges d’or, toute couverte de broderies. On amènera au roi les filles de sa suite ; on vous offrira celles qui approchent de plus près de sa personne. On les amènera avec joie et allégresse ; on les fera entrer dans le palais du roi. Il vous est né des enfants à la place de vos pères ; vous les établirez princes sur tout l’univers. Ils se souviendront de votre nom, Seigneur, dans la suite de tous les âges. C’est pourquoi tous les peuples vous loueront éternellement et dans tous les siècles ». Je ne pense pas que quelqu’un soit assez fou pour s’imaginer que ceci doit s’entendre d’une simple femme, puisque cette femme est l’épouse de celui à qui il est dit : « Votre trône, mon Dieu, est un trône éternel, et le sceptre de votre empire est un sceptre de justice. Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité ; aussi votre Dieu a rempli votre cœur de joie comme d’un baume exquis, dont il vous a sacré avec plus d’abondance que tous vos compagnons. » C’est Jésus-Christ qui a été ainsi sacré d’une onction plus pleine que tout le reste des chrétiens ; et ceux-là sont les compagnons de sa gloire, dont l’union et la concorde par tout l’univers sont figurées par cette reine appelée dans un autre psaume la cité du grand roi[1]. Voilà cette spirituelle Sion dont le nom signifie contemplation, parce qu’elle contemple les grands biens de l’autre vie et y tourne toutes ses pensées ; voilà cette Jérusalem céleste dont nous avons dit tant de choses, et qui a pour ennemie la cité du diable, Babylone, c’est-à-dire confusion. C’est par la régénération que cette reine est délivrée de la domination de Babylone, et passe de la domination d’un très méchant prince sous celle d’un très-bon roi. On lui dit pour cette raison : « Oubliez votre pays et la maison de votre père ». Les Israélites, qui ne sont tels que selon la chair et non par la foi, font partie de cette cité impie, et sont ennemis du grand roi et de la reine, son épouse. Car, puisqu’ils ont mis à mort celui qui était venu vers eux, le Christ a été plutôt le sauveur de ceux qu’il n’a pas vus, alors qu’il était sur la terre revêtu d’une chair mortelle. Aussi dit-on à notre roi dans un psaume : « Vous me délivrerez des révoltes de ce peuple, vous m’établirez chef des nations. Un peuple que je ne connaissais point m’a servi ; il m’a obéi aussitôt qu’il a entendu parler de moi[2] » Le peuple des Gentils que le Christ n’a pas connu lorsqu’il était au monde, et qui néanmoins croit en lui sur ce qu’il a appris, en sorte que c’est justement qu’il est écrit de lui : « Il m’a obéi aussitôt qu’il a entendu parler de moi » ; car « la loi vient de l’ouïe[3] » ce peuple, dis-je, joint aux vrais Israélites selon la chair et selon la foi, compose la cité de Dieu, qui a aussi engendré le Christ selon la chair, quand elle n’était qu’en ces seuls Israélites. De là était la vierge Marie, dans le sein de laquelle le Christ a pris chair pour devenir homme. C’est de cette cité qu’un autre psaume dit : « On dira de Sion, notre mère : Un homme et un homme par excellence a été fait en elle, et c’est le Très-Haut lui-même qui l’a fondé[4] ». Quel est ce Très-Haut, sinon Dieu ? Et par conséquent le Christ, qui est Dieu et qui l’était avant que de devenir homme dans cette cité par l’entremise de Marle, l’a fondée lui-même dans les patriarches et dans les Prophètes. Puis donc que le Sauveur a été prédit si longtemps auparavant à cette cité de Dieu, à cette reine, suivant cette parole que nous voyons maintenant accomplie : « Il vous est né des enfants à la place de vos pères, que vous établirez princes sur tout l’univers[5] » quelque obscurité qu’il y ait ici dans les autres expressions figurées, et de quelque façon qu’on les explique, elles doivent s’accorder avec des choses qui soit si claires.

[1] Ps. XLVII, 2.

[2] Ps. XVII, 44.

[3] Rom. X, 17.

[4] Ps. LXXXVI, 5.

[5] Ps. XLIV, 18.

CHAPITRE XVII

DU SACERDOCE ET DE LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST PRÉDITS AUX CENT NEUVIÈME ET VINGT-UNIÈME PSAUMES.

C’est ainsi que dans cet autre psaume où le sacerdoce de Jésus-Christ est déclaré ouvertement, comme ici sa royauté, ces paroles pouvaient sembler obscures : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’abatte vos ennemis sous vos pieds ». En effet, nous ne voyons pas Jésus-Christ assis à la droite de Dieu le père, nous le croyons ; ni ses ennemis abattus sous ses pieds, cela ne se verra qu’à la fin du monde. Mais lorsque le Psalmiste chante : « Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre empire, et vous régnerez souverainement au milieu de vos ennemis » ; cela est si clair qu’il faudrait être aussi impudent qu’impie pour le nier. Nos adversaires mêmes avouent que la loi de Jésus-Christ, que nous appelons l’Evangile, et que nous reconnaissons pour le sceptre de son empire, est sortie de Sion. Quant au règne qu’il exerce au milieu de ses ennemis, ceux mêmes sur qui il l’exerce le témoignent assez par leur rage et leur jalousie. On lit un peu après : « Le Seigneur a juré, et il ne s’en dédira point, que vous serez le prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech » ; or, puisqu’il n’y a plus maintenant nulle part de sacerdoce ni de sacrifice selon l’ordre d’Aaron, et qu’on offre partout sous le souverain pontife, Jésus-Christ, ce qu’offrit Melchisédech quand il bénit Abraham[1], qui peut ne pas voir de qui ceci est dit ? Il faut donc rapporter à ces choses claires et évidentes celles qui dans le même psaume sont un peu obscures et que nous avons déjà expliquées dans les sermons que nous en avons faits au peuple. Ainsi, ce que Jésus-Christ dit dans un autre psaume où il parle de sa propre passion : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, et ont compté mes os ; ils m’ont considéré et regardé[2] » ; cela, dis-je, est clair, et l’on voit bien qu’il parle de son corps étendu sur la croix, pieds et mains cloués, et servant en cet état de spectacle à ses ennemis ; d’autant plus qu’il ajoute : « Ils ont partagé entre eux mes vêtements et jeté ma robe au sort » : prophétie dont l’accomplissement se trouve marqué dans le récit de l’Evangile. Les traits tout aussi clairs qui sont dans ce psaume doivent servir de lumière aux autres ; car, entre les faits qui y sont évidemment prédits, il y en a qui s’accomplissent encore tous les jours à nos yeux, comme ce qui suit : « Toutes les parties de la terre se souviendront du Seigneur, et se convertiront à lui, et toutes les autres nations du monde « lui rendront leurs adorations et leurs hommages, parce que l’empire appartient au Seigneur, et il dominera sur toutes les nations ».

[1] Gen. XIV, 18 s.

[2] Ps., XXI, 18.

CHAPITRE XVIII

DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DU SAUVEUR PRÉDITES DANS LES PSAUMES TROIS, QUARANTE, QUINZE ET SOIXANTE-SEPT.

Les oracles des psaumes n’ont pas non plus gardé le silence sur la résurrection du Christ. Que signifient en effet ces paroles du troisième psaume : « Je suis endormi et j’ai sommeillé, et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a pris ? » Y a-t-il quelqu’un d’assez peu sensé pour croire que le Prophète nous aurait voulu apprendre comme une chose considérable qu’il s’est éveillé après s’être endormi, si ce sommeil n’était la mort, et ce réveil la résurrection de Jésus-Christ, qu’il devait prédire de la sorte ? Le psaume quarante en parle encore plus clairement, lorsqu’en la personne du médiateur, le Prophète, selon sa coutume, raconte comme passées des choses qu’il prophétise pour l’avenir, parce que, dans la prescience de Dieu, les choses à venir sont en quelque sorte arrivées, à cause de la certitude de leur accomplissement. « Mes ennemis, dit-il, ont fait des imprécations contre moi : quand mourra-t-il, et quand sa mémoire sera-t-elle abolie ? S’il venait me voir, il me parlait avec déguisement, et se fortifiait dans sa malice ; et il n’était pas plutôt sorti qu’il s’attroupait avec les autres. Tous mes ennemis formaient des complots contre moi ; ils faisaient tous le dessein de me perdre. Ils ont pris contre moi des résolutions injustes ; mais celui qui dort ne se réveillera-t-il pas ? » C’est comme s’il disait : Celui qui meurt ne ressuscitera-t-il pas ? Ce qui précède montre-assez que ses ennemis avaient conspiré sa mort, et que toute cette trame avait été conduite par celui qui entrait et sortait pour le trahir. Or, à qui ne se présente ici le traître Judas, devenu, de disciple de Jésus, le plus cruel de ses ennemis ? Pour leur faire sentir qu’ils l’immoleraient en vain, puisqu’il devait ressusciter, il leur dit : « Celui qui dort ne se réveillera-t-il pas ? » ce qui revient à ceci : Que faites-vous, pauvres insensés ? ce qui est un crime pour vous n’est qu’un sommeil pour moi. Celui qui dort ne se réveillera-t-il pas ? – Et néanmoins, pour prouver qu’un crime si énorme ne demeurerait pas impuni, il ajoute : « Celui qui vivait avec moi dans une si grande union, en qui j’avais mis ma confiance, et qui mangeait de mon pain, m’a mis le pied sur la gorge. Mais vous, Seigneur, ayez pitié de moi, et me rendez la vie, et je me vengerai d’eux ». Ne voit-on pas cette vengeance, quand on considère les Juifs expulsés de leur pays après de sanglantes défaites depuis la mort et la passion de Jésus-Christ ? Après qu’il eut été mis à mort par eux, il est ressuscité, et les a châtiés de peines temporelles, en attendant celles qu’il leur réserve pour ne s’être pas convertis, lorsqu’il jugera les vivants et les morts. Le Sauveur même montrant le traître à ses Apôtres en lui présentant un morceau de pain, fit mention de ce verset du psaume[1], et dit qu’il devait s’accomplir en lui : « Celui qui mangeait de mon pain m’a mis le pied sur la gorge ». Quant à ce qu’il ajoute : « En qui j’avais mis ma confiance », cela ne convient pas au chef, mais au corps ; car le Sauveur connaissait bien celui dont il avait déjà dit : « L’un de vous est le diable[2] » ; mais il a coutume d’attribuer à sa personne ce qui appartient à ses membres, parce que la tête et le corps ne font qu’un Christ, d’où viennent ces paroles de l’Evangile : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger[3] » ; ce que lui-même explique ainsi : « Quand vous avez, dit-il, rendu ces services aux plus petits de ceux qui sont à moi, c’est à moi que vous les avez rendus[4] ». S’il dit qu’il avait mis sa confiance en Judas, c’est que ses disciples avaient bien espéré de celui-ci, quand il fut mis au nombre des Apôtres.

Quant aux Juifs, ils ne croient pas que le Christ qu’ils attendent doive mourir. Aussi ne pensent-ils pas que celui que la loi et les Prophètes ont annoncé soit pour nous ; mais ils prétendent qu’il doit leur appartenir uniquement, et qu’il sera exempt de la mort. Ils soutiennent donc, par une folie et un aveuglement merveilleux, que les paroles que nous venons de rapporter ne doivent pas s’entendre de la mort et de la résurrection, mais du sommeil et du réveil. Mais le psaume quinze leur crie : « C’est pour cela que mon cœur est plein de joie, que ma langue se répand en « des chants d’allégresse, et que vous ne laisserez point mon âme en enfer, et que vous ne « permettrez pas que votre saint souffre aucune corruption ». Quel autre parlerait avec autant de confiance de celui qui est ressuscité le troisième jour ? Peuvent-ils l’entendre de David ? Le psaume soixante-sept crie de son côté : « Notre Dieu est un Dieu qui sauve, et le Seigneur même sortira par la mort ». Que peut-on dire de plus clair ? Le Seigneur Jésus n’est-il pas un Dieu qui sauve, lui dont le nom même signifie Sauveur ? En effet, c’est la raison qui en fut rendue quand l’ange dit à la Vierge : « Vous enfanterez un fils que vous « nommerez Jésus, parce qu’il sauvera son peuple en le délivrant de ses péchés[5] ». Comme il a versé son sang pour obtenir la rémission de ces péchés, il n’a pas dû autrement sortir de cette vie que par la mort. C’est pour cette raison que le Prophète, après avoir dit : « Notre Dieu est un Dieu qui sauve », ajoute aussitôt : « Et le Seigneur même sortira par la mort », pour montrer que c’était en mourant qu’il devait sauver. Or, il dit avec admiration : « Et le Seigneur même », comme s’il disait : Telle est la vie des hommes mortels que le Seigneur même n’en a pu sortir que par la mort.

[1] Jean, XIII, 26.

[2] Ibid. VI, 71.

[3] Matt. XXV, 35.

[4] Ibid. 40.

[5] Luc, I, 31 ; Matt. I, 21.

CHAPITRE XIX

LE PSAUME SOIXANTE-HUIT MONTRE L’OBSTINATION DES JUIFS DANS LEUR INFIDÉLITÉ.

Certes, les Juifs ne résisteraient pas à des témoignages si clairs confirmés par l’événement, si la prophétie du psaume soixante-huit ne s’accomplissait en eux. Après que David a introduit Jésus-Christ, qui dit, en parlant de sa passion, ce que nous voyons accompli dans l’Evangile : « Ils m’ont donné du fiel à manger, et du vinaigre à boire quand j’ai eu soif[1] » ; il ajoute : « Qu’en récompense leur table devienne un piège et une pierre d’achoppement ; que leurs yeux « soient obscurcis, afin qu’ils ne voient point, et chargez-les de fardeaux qui les fassent marcher tout courbés », et autres malheurs qu’il ne leur souhaite pas, mais qu’il leur prédit comme s’il les leur souhaitait. Quelle merveille donc qu’ils ne voient pas des choses si évidentes, puisque leurs yeux ne sont obscurcis qu’afin qu’ils ne les voient pas ? quelle merveille qu’ils ne comprennent pas les choses du ciel, eux qui sont toujours accablés de pesants fardeaux qui les courbent contre terre ? Ces métaphores prises du corps marquent réellement les vices de l’esprit. Mais c’est assez parler des psaumes, c’est-à-dire de la prophétie de David, et il faut mettre quelques bornes à ce discours. Que ceux qui savent toutes ces choses m’excusent et ne se plaignent pas de moi, si j’ai peut-être omis d’autres témoignages qu’ils estiment encore plus forts.

[1] Matt. XXVII, 34.

CHAPITRE XX

DU RÈGNE ET DES VERTUS DE DAVID, ET DES PROPHÉTIES SUR JÉSUS-CHRIST QUI SE TROUVENT DANS LES LIVRES DE SALOMON.

David régna donc dans la Jérusalem terrestre, lui qui était enfant de la céleste, et à qui l’Ecriture rend un témoignage de gloire, parce qu’il effaça tellement ses crimes par les humiliations d’une sainte patience qu’il est sans doute du nombre de ces pécheurs dont il dit lui-même : « Heureux ceux dont les iniquités sont pardonnées et les péchés couverts[1] ! » A David succéda son fils Salomon, qui, comme nous l’avons dit ci-dessus, fut couronné du vivant de son père. La fin de son règne ne répondit pas aux espérances que les commencements avaient fait concevoir ; car la prospérité, qui corrompt d’ordinaire les plus sages, l’emporta sur cette haute sagesse dont le bruit s’est répandu dans tous les siècles. On reconnaît que ce prince a aussi prophétisé dans ses trois livres, que l’Eglise reçoit au nombre des canoniques et qui sont les Proverbes, l’Ecclésiaste et le Cantique des cantiques. Pour les deux autres, intitulés la Sagesse et l’Ecclésiastique, on a coutume de les lui attribuer, à cause de quelque ressemblance de style ; mais les doctes tombent d’accord qu’ils ne sont pas de lui. Toutefois il y a longtemps qu’ils ont autorité dans l’Eglise, surtout dans celle d’Occident. La passion du Sauveur est clairement prédite dans celui qu’on appelle la Sagesse. Les infâmes meurtriers de Jésus-Christ y parlent de la sorte : « Opprimons le juste, il nous est incommode et il s’oppose sans cesse à nos desseins ; il nous reproche nos péchés et publie partout nos crimes ; il se vante de connaître Dieu et il se nomine insolemment son fils ; il contrôle jusqu’à nos pensées, et sa vue même nous est à charge ; car il mène une vie toute différente de celle des autres, et sa conduite est tout extraordinaire. Il nous regarde comme des bagatelles et fuit notre manière d’agir comme la peste ; il estime heureuse la mort des gens de bien et se glorifie d’avoir Dieu pour père. Voyons donc si ce qu’il dit est vrai, et éprouvons quelle sera sa fin. S’il est vraiment fils de Dieu, Dieu le protégera et le tirera des mains de ses ennemis. Faisons-lui souffrir toutes sortes d’affronts et de tourments pour voir jusqu’où vont sa modération et sa patience. Condamnons-le à une mort ignominieuse, car nous jugerons de ses paroles par ses actions. Voilà quelles ont été leurs pensées ; mais ils se sont trompés, parce que leur malice les a aveuglés ». Quant à l’Ecclésiastique, la foi des Gentils y est prédite ainsi : « Seigneur, qui êtes le maître de tous les hommes, ayez pitié de nous, et que tous les peuples vous craignent. Etendez votre main sur les nations étrangères, afin qu’elles reconnaissent votre personne et que vous soyez glorieux en elles comme vous l’êtes en nous, et qu’elles apprennent avec nous qu’il n’y a point d’autre Dieu que vous, Seigneur ». Cette prophétie conçue en forme de souhait, nous ta voyons accomplie par Jésus-Christ ; mais comme ces Ecritures ne sont pas canoniques parmi les Juifs, elles ont moins de force contre les opiniâtres.

Pour les autres trois livres, qui, certainement, sont de Salomon, et que les Juifs reconnaissent pour canoniques, il serait trop long et très-pénible de montrer comment tout ce qui s’y trouve se rapporte à Jésus-Christ et à son Eglise. Toutefois ce discours des impies dans les Proverbes : « Mettons le juste au tombeau et dévorons-le tout vivant ; abolissons-en la mémoire sur la face de la terre, emparons-nous de ce qu’il possède de plus précieux[2] » ; ce discours, dis-je, n’est pas si obscur qu’on ne le puisse aisément entendre de Jésus-Christ et de l’Eglise, qui est son plus précieux héritage. Notre-Seigneur lui-même, dans la parabole des mauvais vignerons, leur fait tenir un discours semblable, quand, apercevant le fils du père de famille : « Voici, disent-ils, l’héritier ; allons, tuons-le, et nous serons maîtres de son héritage[3] ». Tous ceux qui savent que Jésus-Christ est la Sagesse de Dieu n’entendent aussi que de lui et de son Eglise cet autre endroit des Proverbes que nous avons touché plus haut, lorsque nous parlions de la femme stérile qui a engendré sept enfants : « La Sagesse, dit Salomon, s’est bâti une maison, et l’a appuyée sur sep colonnes. Elle a immolé ses victimes, mêlé son vin dans une coupe et dressé sa table ; elle a envoyé ses serviteurs pour convier hautement à boire du vin de sa coupe, disant : « Que celui qui n’est pas sage vienne à moi ; et à ceux qui manquent de sens, elle a parlé ainsi : Venez, mangez de mes pains, et buvez le vin que je vous ai préparé[4] ». Ces paroles nous font connaître clairement que la sagesse de Dieu, c’est-à-dire le Verbe coéternel au Père, s’est bâti une maison dans le sein d’une vierge en y prenant un corps, qu’il s’est uni l’Eglise comme les membres à la tête, qu’il a immolé les martyrs comme des victimes, qu’il a couvert une table de pain et de vin, où se voit même le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech, enfin, qu’il y a invité les fous et les insensés, parce que, comme dit l’Apôtre : « Dieu a choisi les faibles selon le monde pour confondre les puissants[5] ». Néanmoins, c’est à ces faibles que la Sagesse a dit ensuite : « Quittez votre folie afin de vivre, et cherchez la sagesse, afin d’acquérir la vie[6] ». Or, avoir place à sa table, c’est commencer d’avoir la vie. Que peuvent signifier de mieux ces autres paroles de l’Ecclésiaste : « L’homme n’a d’autre bien que ce qu’il boit et mange[7] ? » qu’est-ce, dis-je, que ces paroles peuvent signifier, sinon la participation à cette table, où le souverain prêtre et médiateur du Nouveau Testament nous donne son corps et son sang selon l’ordre de Melchisédech, et ce sacrifice a succédé à tous les autres de l’Ancien Testament, qui n’étaient que des ombres et des figures de celui-ci ? Aussi reconnaissons-nous la voix de ce même médiateur dans la prophétie du psaume trente-neuf : « Vous n’avez point voulu de victime ni d’offrande, mais vous m’avez disposé un corps[8] », parce que, pour tout sacrifice et oblation, son corps est offert et servi à ceux qui y participent. Que l’Ecclésiaste n’entende pas parler de viandes charnelles dans son invitation perpétuelle à boire et à manger, cette parole le prouve clairement : « Il vaut mieux aller dans une maison de deuil que dans celle où l’on fait bonne chère[9] » ; et un peu après : « Les sages aiment à aller dans une maison de deuil, et les fous dans une maison de festins et de débauches[10] ». Mais il vaut mieux rapporter ici de ce livre ce qui regarde les deux cités, celle du diable et celle de Jésus-Christ, et les rois de l’une et de l’autre : « Malheur à vous, terre, dont le roi est jeune et dont les princes mangent dès le matin ! Mais bénie soyez-vous, terre, dont le roi est fils des libres, et dont les princes mangent dans le temps convenable, sans impatience et sans confusion[11] ». Ce jeune roi est le diable, que Salomon appelle ainsi à cause de sa folie, de son orgueil, de sa témérité, de son insolence, et des autres vices auxquels les jeunes gens sont sujets. Jésus-Christ, au contraire, est fils des libres, c’est-à-dire des saints patriarches appartenant à la cité libre dont il est issu selon la chair. Les princes de cette cité qui mangent dès le matin, c’est-à-dire avant le temps, désignent ceux qui se hâtent de goûter la fausse félicité de ce monde, sans vouloir attendre celle de l’autre, qui est la seule véritable, au lieu que les princes de la cité de Jésus-Christ attendent avec patience le temps d’une félicité qui ne trompe point. C’est ce qu’il veut dire par ces paroles, « sans impatience et sans confusion », parce qu’ils ne se repaissent point d’une vaine espérance, suivant cette parole de l’Apôtre : « L’espérance ne confond point[12] », et cette autre du psaume : « Tous ceux qui vous attendent avec patience ne seront point confondus[13] ». Quant au Cantique des cantiques, c’est une réjouissance spirituelle des saintes âmes aux noces du roi et de la reine de la Cité céleste, c’est-à-dire de Jésus-Christ et de l’Eglise mais cette joie est cachée sous le voile de l’allégorie, afin qu’on ait plus d’envie de la connaître et plus de plaisir à la découvrir, et d’y voir cet époux à qui on dit au même cantique : « Ceux qui sont justes nous aiment[14] », et cette épouse à qui l’on dit aussi : « La charité fait vos délices[15] ». Nous passons sous silence plusieurs autres choses pour ne pas excéder les bornes de cet ouvrage.

[1] Ps. XXXI, 1.

[2] Prov. I, 11.

[3] Matt. XXI, 38.

[4] Prov. IX, 1-5.

[5] I Cor. I, 27.

[6] Prov. IX, 6.

[7] Ecclés. V, 15.

[8] Ps. XXXIX, 9.

[9] Ecclés. VII, 3.

[10] Ecclés. VII, 5.

[11] Ibid. X, 16.

[12] Rom. V, 5.

[13] Ps. XXIV, 3.

[14] Cant. I, 3.

[15] Ibid. VII, 6.

CHAPITRE XXI

DES ROIS DE JUDA ET D’ISRAËL APRÈS SALOMON.

Peu de paroles ou d’actions des autres rois qui viennent après Salomon, soit dans Juda, soit dans Israël, peuvent se rapporter à Jésus-Christ et à son Eglise. Je dis dans Juda ou dans Israël, parce que ce furent les noms que portèrent ces deux parties du peuple, depuis que Dieu l’eut divisé pour le crime de Salomon sous son fils Roboam qui lui succéda. Les dix tribus[1] dont Jéroboam, esclave de Salomon, fut établi roi, et dont Samarie était la capitale, retinrent le nom d’Israël, qui était celui de tout le peuple. Les deux autres tribus, Juda et Benjamin, qui étaient demeurées à Roboam en considération de David dont Dieu ne voulait pas entièrement détruire le royaume, et qui avaient Jérusalem pour capitale, s’appelèrent le royaume de Juda, parce que Juda était la tribu d’où David était issu. La tribu de Benjamin, dont était sorti Saül, prédécesseur de David, faisait aussi partie du royaume de Juda, qui s’appelait ainsi pour se distinguer du royaume d’Israël qui comprenait dix tribus. Celle de Lévi, comme sacerdotale et consacrée au service de Dieu, ne faisait partie ni de l’un ni de l’autre royaume, et était comptée pour la treizième. Or, ce nombre impair des tribus venait de ce que, des douze enfants de Jacob qui en avaient établi chacun une. Joseph en avait fondé deux, Ephraïm et Manassé. Toutefois, on peut dire que la tribu de Lévi appartenait plutôt au royaume de Juda, à cause du temple de Jérusalem où elle exerçait son ministère. Après ce partage du peuple, Roboam, fils de Salomon, fut le premier roi de Juda, et établit le siège de son empire à Jérusalem ; et Jéroboam, son serviteur, fut le premier roi d’Israël, et fixa sa résidence à Samarie. Comme Roboam voulait faire la guerre à Israël sous prétexte de rejoindre à son empire cette partie que la violence d’un usurpateur avait démembrée, Dieu l’en empêcha et lui fit dire par son prophète que lui-même avait conduit tout cela ; ce qui montra que ni Israël ni Jéroboam n’étaient coupables de cette division, mais qu’elle était arrivée par la seule volonté de Dieu, qui avait ainsi vengé le crime de Salomon. Lors donc que les deux partis eurent reconnu que c’était un coup du ciel, ils demeurèrent en paix ; d’autant plus que ce n’était qu’une division de royaume, et non pas de religion.

[1] I Rois, XII, 24.

CHAPITRE XXII

IDOLÂTRIE DE JÉROBOAM.

Mais Jéroboam, roi d’Israël, assez malheureux pour se défier de la bonté de Dieu, bien qu’il l’eût éprouvé fidèle et reçu de sa main la couronne qu’il lui avait promise, appréhenda que Roboam ne séduisît ses sujets, lorsqu’ils iraient au temple de Jérusalem ; où tout le peuple juif était obligé par la loi de se rendre tous les ans pour sacrifier, et que les siens ne se remissent sous l’obéissance de la lignée royale de David. Pour empêcher cela, il introduisit l’idolâtrie dans son royaume et fut cause que son peuple sacrifia aux idoles avec lui. Toutefois, Dieu ne laissa pas de reprendre par ses Prophètes, non-seulement ce prince, mais ses successeurs héritiers de son impiété, et tout le peuple. Parmi ces prophètes s’élevèrent Elie et Elisée, qui firent beaucoup de miracles ; et comme Eue disait à Dieu : « Seigneur, ils ont égorgé vos Prophètes, ils ont renversé vos autels, je suis resté seul, et ils me cherchent pour me faire mourir[1] » ; il lui fut répondu qu’il y avait encore sept mille hommes qui n’avaient point plié le genou devant Baal.

[1] III Rois, XIX, 10.

CHAPITRE XXIII

DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE ET DU RETOUR DES JUIFS.

Le royaume de Juda, dont Jérusalem était la capitale, ne manqua pas non plus de prophètes, qui parurent de temps en temps, selon qu’il plaisait à Dieu de les envoyer, ou pour annoncer ce qui était nécessaire, ou pour reprendre les crimes et recommander la justice. Là se trouvèrent aussi des rois, quoiqu’en moins grand nombre que dans Israël, qui commirent contre Dieu d’énormes péchés qui attirèrent le courroux du ciel sur eux et sur leur peuple qui les imitait ; mais en récompense il y en eut d’autres d’une vertu signalée : au lieu que tous les rois d’Israël ont été méchants, les uns plus, les autres moins. L’un et l’autre parti éprouvait donc diversement la bonne ou la mauvaise fortune, ainsi que la divine Providence t’ordonnait ou le permettait ; et ils étaient affligés non-seulement de guerres étrangères, mais de discordes civiles, où l’on voyait éclater tantôt la justice et tantôt la miséricorde de Dieu, jusqu’à ce que sa colère, s’allumant de plus en plus, toute cette nation fût entièrement vaincue par les Chaldéens, et emmenée captive en Assyrie, d’abord le peuple d’Israël, et ensuite celui de Juda, après la ruine de Jérusalem et de son temple fameux. Ils demeurèrent dans cette captivité l’espace de soixante-dix années ; après, ils furent renvoyés dans leur pays, où ils rebâtirent le temple ; et bien que plusieurs d’entre eux demeurassent en des régions étrangères et reculées, ils ne furent plus depuis divisés en deux partis, mais ils n’eurent qu’un roi qui résidait à Jérusalem ; et tous les Juifs, quelque éloignés qu’ils fussent, se rendaient au temple à un certain temps de l’année. Mais ils ne manquèrent pas non plus alors d’ennemis qui leur firent la guerre ; et quand le Messie vint au monde, il les trouva déjà tributaires des Romains.

CHAPITRE XXIV

DES DERNIERS PROPRÈTES DES JUIFS.

Tout le temps qui s’écoula depuis leur retour jusqu’à l’avènement du Sauveur, c’est-à-dire depuis Malachie, Aggée, Zacharie et Esdras, ils n’eurent point de prophètes parmi eux. Zacharie, père de saint Jean-Baptiste, et Elisabeth, sa femme, prophétisèrent au temps de la naissance du Messie avec Siméon et Anne. On peut y joindre saint Jean-Baptiste, qui fut le dernier des Prophètes, et qui montra Jésus-Christ, s’il ne le prédit ; ce qui a fait dire à Notre Seigneur que « la loi et les Prophètes ont duré jusqu’à Jean[1] ».

L’Evangile nous apprend aussi que la Vierge même prophétisa avec saint Jean ; mais les Juifs infidèles ne reçoivent point ces prophéties, quoique reçues par tous ceux d’entre eux qui ont embrassé notre religion. C’est véritablement à cette époque qu’Israël a été divisé en deux, de cette division immuable prédite par Samuel et Saut. Pour Malachie, Aggée, Zacharie et Esdras, tous les Juifs les mettent au nombre des livres canoniques ; et il ne sera pas hors de propos d’en rapporter quelques témoignages qui concernent Jésus-Christ et son Eglise. Mais cela se fera plus commodément au livre suivant, et il est temps de mettre un terme à celui-ci.

[1] Matt. XI, 13.

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