Le Réveil Américain

Chapitre XV

Un homme du monde à la réunion de prière. — Il s’en veut. — Ses réflexions. — Il se souvient de sa mère et de sa Bible. — Il retourne à la réunion. — Angoisse. — Désespoir. — Il demande qu’on prie pour lui. — Paix, joie et actions de grâces.

Le récit que je vais transcrire a été rédigé par le rév.d L. G. Bingham, qui a suivi les réunions de prière de Fulton Street depuis leur début. C’est à lui que nous devons déjà une foule de traits, qui sont le fruit de ses observations et souvent de ses travaux. Mais aucun de ces traits ne met aussi nettement en évidence le pouvoir de la prière.

première partie.

« Il est passé minuit. Les habitants de cette maison dorment profondément. Par suite de mon indolence habituelle, je me suis laissé entraîner à aller ce soir à la réunion de prière. Mais qu’y allais-je donc faire ? Ne pouvais-je aller ailleurs ? Je n’y ai pas réfléchi dans le moment, et à présent que le mal est fait, me voilà forcé d’y réfléchir…

Mais, comment ai-je eu l’imprudence d’aller me jeter au milieu de cette réunion de prière ? On m’y avait invité souvent, et chaque fois j’avais su refuser très poliment de fréquenter pareils lieux et pareilles gens. C’est bien assez que je fréquente l’église, et encore pas souvent. Mon genre de vie n’a pas été de nature à me permettre tant de courses aux lieux de culte. Je n’ai jamais eu, le dimanche, que juste le temps de tout préparer pour le lundi.

J’ai voyagé partout, j’ai fait le tour du monde, et j’ai toujours eu pour règle de ne pas m’embarrasser de la religion. Mon existence, à moi, est toute de plaisirs et de joies. Ma femme — cette bonne âme — désirerait bien que je devinsse chrétien. Mais moi, à mon âge, devenir un saint ? Ah bien oui ! il ne manquerait plus que cela ! Sans me flatter, je puis me considérer comme valant mieux que bien des chrétiens. — Et il faudrait que je me misse à chanter des psaumes ? qu’on me montrât partout comme un exemple de piété précoce ! Quel ridicule ! quelle absurdité ! — En attendant, me voilà, les yeux grands ouverts, essayant de dormir et ne le pouvant pas, et plus il se fait tard, moins je me sens disposé à m’endormir.

Cette réunion de prière, après tout, était quelque chose d’étonnant. Jamais je n’avais rien vu de pareil ; jamais je n’avais entendu de telles prières. Il y avait là un mélange de chrétiens de toutes sortes ; et tout cela priait…, et avec quelle ardeur ! Si c’est là de la prière, pour sûr, je ne prie jamais, je n’ai jamais prié. On aurait dit qu’ils voulaient absolument prendre le ciel d’assaut. En tous cas, ce qui est très évident, c’est qu’ils s’attendent à recevoir certainement ce qu’ils demandent. — Jamais je n’ai prié de cette manière-là, et cependant, si j’étais condamné à mort, je crois bien que je prierais, pour être pardonné, à peu près comme ils ont prié ce soir pour moi. Je n’en connais pas un, excepté l’ami qui m’y a entraîné, et malgré cela ils ont prié en ma faveur comme s’ils m’avaient connu depuis mon enfance et comme s’ils savaient parfaitement ma manière de vivre. Qui leur en a parlé ?… Ce n’est pas mon ami ; il ne m’a pas quitté un instant. Qui peut les avoir mis au courant ?… Ils m’ont représenté tel que je suis, comme un méchant homme. Ils ne m’ont rien appris de nouveau…

Il y a ce soir juste vingt-cinq ans que ma mère est allée au ciel — ma tendre, ma bienheureuse mère ! — et que je suis demeuré seul, ballotté çà et là sur les vagues du grand océan de la vie.

Est-ce que j’irai jamais au ciel, moi ? Elle m’a dit qu’elle m’y donnait rendez-vous. Elle avait pris ma petite main dans les siennes, et puis, fixant sur moi son regard — son regard si doux et si aimant — elle m’avait couvé des yeux pendant longtemps en silence ; ensuite elle les avait tournés vers le ciel, et dans cette dernière prière elle avait demandé que je pusse la rejoindre là-haut !… Je doute que j’y aille jamais !…

Que cette nuit est interminable !… Combien je m’étais amusé hier, pourtant ! Jamais journée mieux remplie !… Et cependant je ne suis pas heureux. Toute ma joie s’est envolée depuis que j’ai mis le pied dans cette réunion de prière ; je me sens misérable… Ah ! quel être dépravé je suis ! oui, dépravé !…

O prières de ma mère ! prières de ma douce et pieuse mère !… Jamais enfant eut-il une mère si précieuse ? Voici vingt-cinq ans que je ne l’ai plus entendue prier, et cependant les prières qu’elle faisait nuit et jour, je les ai toutes entendues de nouveau ce soir. Elles sont ressuscitées d’une manière terrible. — Et avec quelle ferveur elle priait aussi ! Elle priait comme eux : même ardeur, même insistance, même foi ! Je crois vraiment qu’elle était persuadée que je deviendrais chrétien. Mais, le serai-je jamais ? — Elle l’était, elle ! Quelle vie pure, radieuse, paisible que la sienne ! C’était une chrétienne joyeuse et heureuse. Elle était sainte dans tout ce qu’elle faisait. Elle redoutait de pécher ; elle abhorrait le péché… Et moi, je n’ai fait que pécher — pécher avant même d’y être tenté — pécher sans qu’il y ait eu de limite à mes débordements.

Oh ! que de choses coupables j’ai faites ! Je ne me croyais pas aussi méchant que cela. Je ne vois en moi rien de bon ; au contraire, tout est mauvais ! Est-ce que jamais je rechercherai le bien ?

Et ce jour, quand poindra-t-il ? Ah ! l’aurore viendra assez tôt ! Les jours se succéderont encore comme par le passé ; mais que m’importe, si je dois les employer comme je l’ai fait jusqu’ici !

La voilà, la Bible de ma mère ! Que d’années se sont passées sans que je l’aie ouverte ! A-t-elle jamais eu la pensée, la pauvre mère, que je pourrais négliger à ce point sa Bible, cette Bible qui lui était si chère ? Elle pensait, au contraire, que je la lirais beaucoup et souvent. Elle me l’avait lue si souvent, elle ! Je me souviens qu’elle me faisait mettre à genoux, près de mon petit lit, et qu’elle joignait mes petites mains, dans l’attitude de la prière. Elle s’agenouillait ensuite, près de moi ; puis, se penchant sur mon cou, elle priait, la sainte femme ! et je sentais tomber ses tièdes larmes sur mes mains et sur mon front. Bonne mère ! aurais-tu donc prié en vain pour ton enfant chéri ?… Oh ! non, non ! tu n’as pas prié en vain, non ! — Je veux prier aussi. Si je pouvais encore la voir sur la terre, si je pouvais l’entendre prier comme jadis, que je serais heureux !… — Moi, prier ? moi, prier ? Mais je ne sais pas prier ! ce serait une parodie. Ce soir, à la réunion, ils priaient, eux. Mon cœur me dit que c’était là de la prière. Ne pourrais-je pas leur demander de prier encore pour moi ? de prier avec moi ? S’ils ont prié pour moi ce soir que je ne le demandais pas, combien plus prieraient-ils si je le leur demandais !

Demain, à midi, ils se réuniront de nouveau. Je veux consacrer cette heure de midi à prier. Je veux leur demander de prier pour moi. — Midi !… que c’est long d’attendre jusqu’à demain, à midi ! O Dieu ! aie pitié de moi, qui suis pécheur ! »

deuxième partie.

« Il revenait de Newport, de ce lieu qui résume tous les plaisirs et toutes les joies terrestres qu’il aimait si passionnément. Il s’y était plongé avec frénésie, avec une sorte de fureur. Il était resté dans la ville toute une semaine, sans penser une seule fois à son âme, ne s’occupant que de bals, de parties de danse, de jeux de cartes, de théâtre, de concerts, de promenades, de courses de chevaux, etc., etc.

Il n’était pas ce qu’on appelle dans le monde un homme débauché. Le monde ne connaît pas toujours le véritable fond du caractère de ses adorateurs. Il passait, au contraire, pour un homme rangé, aimable, plein de gaîté et de bonne humeur, maniant bien la répartie et le bon mot, et versé dans la littérature légère et facétieuse. Il était invulnérable du côté de la moralité, en ce sens qu’il payait bien ses dettes et qu’il n’était jamais en reste avec personne sur ce point.

Et qui aurait osé accuser d’immoralité un homme aussi accompli ? Il se regardait lui-même comme très moral, et il prenait en pitié ces pauvres chrétiens qui ne pouvaient pas remplir leurs engagements, et dont la religion n’était, selon lui, qu’un manteau destiné à cacher une multitude de graves péchés. Les faillites se trouvaient principalement du côté de ces pieux hypocrites qui se targuaient de religion. Il paraissait rarement dans une église, et lorsqu’il y allait, ce n’était ni par devoir, ni même de son propre mouvement, mais simplement pour accompagner quelques amis ou pour plaire à sa femme, ou encore pour quelqu’autre raison du même genre. Il se regardait donc comme infiniment supérieur à tous ces coureurs d’églises. Quant aux réunions de prière, ce point ne méritait pas même son attention. On l’avait souvent invité à s’y rendre, mais il avait toujours refusé avec un sourire plein de malice et de finesse. Il avait ses raisons, disait-il, pour ne pas y aller, mais il ne les disait à personne. Néanmoins, un soir, il s’était laissé entraîner par mégarde dans l’une des réunions de Fulton Street. Il ne savait comment cela s’était fait ; mais, ce même soir une flèche avait pénétré entre les joints de sa cuirasse, et sa blessure avait été profonde. »

troisième partie.

« N’aurai-je donc plus de repos ? Comment endurer cette angoisse ? — Voici l’aurore, cette fois ! On se lève dans la maison. Mais cette aurore n’en est pas une pour moi, car toute joie a déserté mon cœur. Je regarde de tous côtés pour chercher du soulagement, et je n’en trouve point. Je veux prier, mais je ne le puis pas : tout en moi est fermé à la prière. Oh ! que ne donnerais-je pas pour revoir ici ma mère, ne fût-ce qu’un instant ! pour entendre une de ses prières !… Elle priait exactement comme ils prient à la réunion.

Depuis vingt-cinq ans, je n’avais rien entendu de pareil. Il faut que j’y retourne aujourd’hui. Je leur demanderai s’ils veulent prier pour un misérable qui n’a fait d’autre prière pendant toute sa vie que celle du pharisien, qui remerciait Dieu de ce qu’il n’était pas comme le reste des hommes. Je ne suis certainement pas semblable aux autres hommes, car quel est l’homme qui s’est endurci autant que moi ? quel est celui qui a péché avec plus de connaissance de cause et contre autant de prières ferventes ? Quel est l’enfant qui a eu une mère aussi douce, aussi tendre, aussi pieuse, aussi confiante dans la grâce de son Dieu que la mienne ? Elle ne doutait jamais ; elle était croyante. Elle priait toujours avec une parfaite assurance, et c’est aussi de cette manière qu’ils prient à la réunion.

Oh ! mais j’irai, je veux y aller aujourd’hui. Ni les puissances de la terre, ni celles de l’enfer ne sauraient m’en empêcher ! J’ai envoyé chercher l’ami chrétien qui m’avait invité hier, afin qu’il vienne converser avec moi et prier pour moi aussitôt qu’il sera levé.

Ah ! si seulement Dieu pouvait encore avoir pitié d’une pauvre âme comme la mienne !… Je lui ai demandé d’aplanir toutes les difficultés et de me guider par son Saint-Esprit, pour que j’aille à Jésus, mon Sauveur.

Je n’avais jamais bien pensé à Jésus, ni bien compris son œuvre, sa mission et son caractère. S’il est le seul Sauveur, il faudra bien que je me pénètre de cela. Je n’ai aucun pouvoir ni aucune justice qui m’appartiennent en propre. Je suis un être essentiellement pervers, et ma justice n’est, qu’un linge souillé. Il faut bien que je l’admette, puisque c’est la vérité. A quoi me servirait-il de vouloir me le dissimuler ? Ma Bible — cette Bible de ma mère — et ma conscience me disent bien ce qu’il en est et ce que je suis devenu. Oh ! qu’elles sont amères les angoisses d’une conscience qui s’accuse ! Oh ! qu’elles sont cruelles les tortures d’un cœur qui ne peut rien alléguer en sa faveur !

J’ai besoin d’un Sauveur puissant. Il faut que je le cherche, et je veux le chercher… Semblable à un vaisseau désemparé, sans voiles, sans gouvernail, sans boussole, j’ai erré sur la mer tumultueuse de cette vie, privé de tout secours et de toute direction, parce que je m’en suis dépouillé volontairement, et je ne puis plus par moi-même parvenir au port. Insensé que je suis ! créature coupable ! je me suis, pour ainsi dire, suicidé ; j’ai joué sur le bord d’un abîme sans fond, et mes pieds touchent déjà le seuil de l’enfer. Dieu de miséricorde, sauve-moi ! Sauveur, unique ressource de ceux qui périssent, sauve-moi, car je péris !

Enfin, voici l’heure venue, cette heure bénie de la prière ! Oh ! s’ils pouvaient prier aujourd’hui pour moi ! je veux le leur demander. Oui, je leur dirai : Priez pour moi, qui suis une pauvre créature, misérable, perdue, ruinée ! »

quatrième partie.

« La réunion commence. L’hymne émouvante vient d’être chantée par des voix qui partaient du cœur. La sainte Parole a été lue. Une prière fervente a été prononcée. Dans toute l’assemblée règne un silence solennel. La salle est pleine ; on ne voit plus que des têtes, ou plutôt des visages attentifs et recueillis.

Un jeune homme de belle apparence se lève dans le fond de la salle, et, d’une voix altérée par l’émotion :

Mes frères, dit-il, me voici devant vous ! Je suis un monument de la miséricorde et de la bonté infinie de Dieu. On vous a demandé hier de prier pour moi, et je viens vous prier aujourd’hui de faire monter vos louanges, vos actions de grâces et votre adoration vers Celui qui sauve les pécheurs. Je suis venu vous dire que le Seigneur a mis dans ma bouche un cantique nouveau, et je le loue, je le bénis de toute mon âme de ce qu’il a fait pour moi.

Il y a deux jours que la terre entière ne portait pas une créature plus coupable, plus aveugle, plus orgueilleuse, plus perverse que moi, lorsque j’entrai ici pour la première fois. J’ai fait le tour du monde et j’ai vu tout ce qui mérite de fixer l’attention des hommes ; mais jamais je n’ai joui d’un spectacle aussi grand, aussi solennel que celui de cette assemblée de prière. Et Dieu soit loué de ce qu’il a permis que j’entrasse dans ce lieu, car c’est ici qu’il s’est fait trouver de moi ; c’est ici que le bandeau est tombé de mes yeux, et que je me suis vu dans toute ma nudité, dans toute ma difformité. C’est ici que j’ai regardé dans l’intérieur de ce sépulcre blanchi et rempli de toute sorte de pourriture. Oh ! quel pécheur j’étais ! Mais le sang de Christ purifie de tout péché. Oui, béni soit à jamais son Saint Nom ! Je sens que le bénéfice de sa mort m’est appliqué. Désormais je veux le louer pendant tout le temps de ma vie. Je me consacre à Jésus, mon Sauveur et mon Dieu, avec tout ce que j’ai et tout ce que je suis. Je l’aime d’un amour que je renonce à exprimer ; et pourtant je voudrais pouvoir le proclamer, mais les paroles me manquent pour retracer ce que j’éprouve. Tout ce que je puis dire, c’est que je l’aime ! Cette salle où je l’ai rencontré m’est devenue chère ; ces murs me sont chers, ce parquet sur lequel je suis m’est cher aussi ! Vous tous, frères et sœurs, qui m’avez élevé dans vos bras, par vos prières, vers le trône des miséricordes, vous m’êtes chers ! Comment pourrais-je oublier ce lieu de bénédiction ? C’est ici que la miséricorde de Dieu est venue jusqu’à moi, et que Dieu m’a couvert du manteau de son pardon ! C’est ici que Jésus s’est révélé à mon âme pour la première fois !…

Et le jeune homme se rassit au milieu des sanglots et des pleurs de toute l’assemblée. Il y eut un moment de silence. Puis, toutes les voix s’unirent pour entonner un cantique solennel de louanges et d’actions de grâces. »

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant