Bien que Calvin ait lutté sans relâche pour faire de Genève la cité réalisant son idéal religieux, il a toujours eu en vue un horizon beaucoup plus étendu que les limites de cette ville. Il voulait, par cette transformation, en faire une communauté chrétienne modèle, un asile pour tous les opprimés de la foi évangélique. Par dessus tout, par l’exemple qu’elle donnait, par l’hospitalité qu’elle offrait, par la sollicitude qu’elle témoignait aux pasteurs qu’elle préparait et qu’elle envoyait au loin, par l’influence enfin de son corps pastoral et de son gouvernement, il voulait faire de Genève une puissance pour la diffusion de la Réforme. Il réussit largement dans ce grand effort. A ses yeux Genève n’a jamais été un but, mais un moyen de propager bien au delà des limites d’une seule nation, à travers l’Europe occidentale, la conception qu’il avait de la foi protestante. C’est à la mentalité puissante de Calvin qu’est dû en premier lieu le fait qu’en dépit de la diversité des races, des gouvernements et de la culture intellectuelle, le protestantisme des pays autres que l’Allemagne parvint à une unité doctrinale essentielle. Là où, comme dans une partie de l’Angleterre réformée, d’autres influences s’opposèrent à la prédominance de l’idéal calviniste, un type sui generis du protestantisme fit son apparition. L’anglicanisme lui-même subit l’empreinte du système doctrinal de Calvin pendant un demi-siècle après sa mort, et lutta longtemps pour-la suprématie en Angleterre avec le puritanisme qui était presqu’entièrement l’œuvre du réformateur. Ailleurs, dans l’Europe occidentale, pendant la seconde moitié du xvie siècle, aucune autre influence ne put être comparée à la sienne.
[Un remarquable aperçu de l’influence de Calvin est celui que donne E. Stähelin, Johannes Calvin, i, 505, ii, 244. Voir aussi, dans les Deutsch-evangelische Blätter de mars 1907, un article de H. Schütte, sur l’influence de Calvin sur la Réforme allemande.]
La première cause de cette influence, ce fut la valeur transcendante de Calvin comme théologien. Son Institution a exercé une action puissante pour propager le système qu’elle expose et pour unir en un seul corps tous ceux qui s’en réclament ; cela tient au fait que dans ce livre l’époque de la Réforme a rencontré l’expression la plus claire, la plus logique et la plus caractéristique de la vérité chrétienne. Bien que cet ouvrage ne paraisse plus, à l’heure actuelle, correspondre à la mentalité courante, il est incontestable que, plus qu’aucun autre, il fut considéré au xvie siècle comme la meilleure réponse aux prétentions romaines et comme l’exposé le plus complet de l’Évangile. L’influence exercée par la vue de la communauté chrétienne réformée que Calvin avait organisée à Genève vint s’ajouter à celle qui était due à l’Institution. Si aujourd’hui le système de Calvin nous laisse l’impression irrépressible d’une tyrannie spirituelle insupportable, il y eut des milliers de ses contemporains, d’entre les plus religieux et les plus sérieux, auxquels, tel fut le cas de John Knox, — il apparut comme « la plus parfaite école de Christ qu’il y ait jamais eu sur la terre depuis le temps des apôtresa ». Mais, à côté de ces dons qui révèlent en lui le théologien et l’organisateur, Calvin avait le puissant coup d’œil de l’homme d’État, qui lui permettait, mieux qu’à tout autre réformateur, d’embrasser l’ensemble de la situation religieuse de l’Europe. Le seul théologien protestant qui puisse à cet égard lui être comparé fut Zwingli, mais le champ d’action du réformateur zuricois fut relativement circonscrit.
a – Dans une lettre adressée à Mrs. Anne Locke, du 9 décembre 1556. Voir les Œuvres de Knox, édit. Laing, iv, 240.
Les circonstances dans lesquelles Calvin vécut avant son retour à Genève en 1541, furent extrêmement favorables pour l’initier à la connaissance approfondie de la situation générale à son époque et pour lui révéler les perspectives qui s’ouvraient pour la cause évangélique. Comme étudiant en droit, puis en humanités, il avait été placé dans des milieux influents, mais tout autres que ceux où se manifestaient les besoins religieux qui prédominèrent chez lui en 1533. Ainsi préparé, il prit la direction du protestantisme de langue française en adressant en son nom son « épître à François Ier » en 1536. Sa présence à Bâle le familiarisa avec la partie septentrionale de la Suisse, son voyage à Ferrare lui fit apercevoir l’Italie, son séjour à Strasbourg développa ses relations avec la France luthérienne, tout en lui faisant connaître amplement les diverses fractions du protestantisme allemand et leurs chefs. Au moment de son retour à Genève, il se trouvait être celui des réformateurs qui avait le plus voyagé et qui avait été mis en contact avec les milieux les plus divers. A partir de ce moment, ses déplacements furent rares, mais Genève étant devenue une ville de refuge, ceux qui devaient diriger le mouvement en France, aux Pays-Bas, en Angleterre et en Ecosse y affluèrent en nombre considérable.
Les relations personnelles de Calvin furent continuées et développées par une correspondance remarquablement étendue. Bien qu’il fût sans cesse aidé par des secrétaires, la quantité et l’importance des lettres auxquelles il avait à répondre, surtout dans les dernières années de sa vie, étaient telles que cette tâche excédait ses forces ; mais ce fait même révèle le prix qu’il attachait à ce moyen de servir la cause évangélique et le poids du fardeau qu’il s’imposait.
[Les lettres de Calvin qui nous été conservées, celles à lui adressées et celles qui le concernent, remplissent les volumes xb-xx des Opera et sont au nombre de 4271. Les lettres personnelles de Calvin, sans parler d’un certain nombre dont les destinataires sont douteux, furent adressées à 307 personnes et collectivités ; et cette collection ne renferme qu’une partie de celles qui furent réellement écrites.]
La diversité et la valeur de ses correspondants sont également remarquables. A côté de ses lettres familières et fréquentes à Farel, Viret, Bucer, Bullinger et Bèze, on trouve sur cette liste des noms de réformateurs tels que Mélanchthon, Hédion, Brenz, Sturm, Jonas, Olevianus et Sleidan en Allemagneb ; Cranmer, Grindal, Hooper, Coverdale, Norton, Cox et Whittingham en Angleterre ; Knox en Ecosse ; Blaurer, Grynée, Haller, Musculus, Myconius et Sulzer en Suisse ; a Lasco en Pologne, en Frise et en Angleterre ; les réfugiés italiens Pierre Martyr, Ochino et Zanchi ; les hérétiques Lelio Socin et Servet ; beaucoup de Français, parmi lesquels l’amiral Coligny, Condé et Antoine de Bourbon. Nombreux étaient ceux de ses correspondants qui occupaient un rang social et politique élevé. Il écrivait à Marguerite d’Angoulême, à Renée de Ferrare ; à Somerset le Protecteur et à Edouard VI d’Angleterre ; à l’électeur palatin Frédéric III, à Philippe de Hesse et au roi de Pologne Sigismond-Auguste. C’étaient les lettres d’un homme ayant l’usage du monde cultivé, clair, plein de tact, énergique, ne sacrifiant guère au sentiment, mais pénétré d’une conviction profonde de la vérité de sa cause, merveilleusement maître de la situation et sachant en appeler victorieusement à la raison et à la volonté. Il avertit, il console, il intercède, il donne des nouvelles, il travaille au progrès de la cause évangélique, il s’efforce de vaincre dans les luttes dans lesquelles il est entraîné à Genève et ailleurs.
b – Peut-être devrait-on mentionner aussi Luther, bien que ses relations avec Calvin aient été occasionnelles et qu’ils ne se soient jamais rencontrés.
Ses premières pensées étaient pour la France, sa patrie. Pour lui, Genève était toujours un poste avancé en vue de l’évangélisation de la France. Comme elle était située aux confins de ce pays et qu’elle en parlait la langue, c’était vers elle que se tournaient naturellement les réfugiés français. Calvin les accueillait hospitalièrement ; et en échange il fit de Genève une force pour la propagation des idées réformées dans son propre pays.
[Sur ces rapports de Calvin avec le protestantisme français, il faut surtout consulter Karl Müller, Calvin und die Anfänge der frannzösischen Hugenottenkirche dans les Preussische Jahrbücher, cxiv, 371-389 (déc. 1903), et A. Tilley, dans The Cambridge Modem History, ii, 287-296. Voir aussi un opuscule de H. Diener-Wyss, Calvin, ein aktengetreues Lebensbild, Zurich, 1904, p. 80-97.]
Le protestantisme français avait toujours eu une forte proportion d’adhérents secrets, et c’est à eux, malgré le péril de la persécution, qu’il consacrait ses appels les plus pressants. Dans son Petit traité monstrant que c’est que doit faire un homme fidèle congnoissant la vérité de l’Évangile quand il est entre les Papistes publié en 1543, en réponse à beaucoup de questions individuelles qui lui avaient été posées, il insistait sur le devoir de se conformer entièrement aux exigences de l’Évangile :
« On me demandera quel conseil donc je voudroye donner à un fidèle, qui est ainsi demeurant en quelque Egipte ou en quelque Babylon, en laquelle il ne luy est permis d’adorer Dieu purement, mais est contrainct selon la façon commune de s’accommoder à choses mauvaises. Le premier seroit qu’il sortist s’il pouvoit…… Si quelqu’un n’a pas le moyen de sortir, je lui conseilleroye de regarder s’il ne luy seroit pas possible de s’abstenir de toute idolâtrie…… au reste qu’il fist son devoir d’instruire et édifier les pauvres ignorans en tant qu’il pourroit. S’il réplique qu’il ne pourroit faire cela sans dangier de mort, je le confesse. Mais la gloire de Dieu, de laquelle il est icy question nous doit bien être plus précieuse que ceste vie caducque et transitoire : qui n’est, à dire vray, fors qu’une umbre ».
Cette doctrine paraissait dure à plus d’un protestant français ; et c’est à ces âmes timorées, disposées aux atermoiements, que Calvin répondit, en 1544, par son Excuse… à Messieurs les Nicodémites ; surnom qu’il forgea pour elles. En revanche, pour beaucoup d’autres, l’insistance avec laquelle il appuyait sur le devoir de « rendre gloire à Dieu » résonnait comme un appel les prédisposant aux plus grands sacrifices.
Calvin n’était nullement indifférent à la répression officielle contre laquelle il prêchait cette résistance virile, mais exclusivement spirituelle. Nous avons déjà rappelé ses efforts à Ratisbonne dans le but de provoquer une intervention allemande en faveur d’un adoucissement des mesures répressives en France. Il les renouvela après son retour à Genève dans certaines occasions, mais avec peu de succès. Lorsqu’en 1545 éclata la cruelle agression contre les Vaudois de la Provence, il persuada au gouvernement de Genève de secourir les fugitifs, et, fort de son appui, il se rendit à Berne, Bâle, Zurich, Schaffhouse et Strasbourg dans le but de concerter une démarche commune en faveur des victimes.
[Lettres dans Opera, xii, 75-84 ; voir aussi xxi, 852-354. Cf. Baird, Rise of the Huguenots, i, 244-251 ; The Cambridge Modern History, ii, 289.]
Chaque explosion de persécution préoccupait le réformateur au plus haut point et amenait de sa part, autant que possible, un effort, soit pour obtenir une intervention en faveur des opprimés, soit pour fortifier ces derniers par des lettres d’encouragement ; il est vrai qu’en général le sort de la plupart des martyrs était décidé trop rapidement pour permettre une action utile, soit dans un sens, soit dans l’autre.
Un cas particulièrement frappant, qui nous montre comment il comprenait son devoir en face de la persécution, ce fut celui des « cinq étudiants de Lyon » en 1552c. Les exécutions qui ensanglantèrent le règne de François Ier après l’affaire des Placards, augmentèrent encore après l’avènement d’Henri II en 1547. Cinq jeunes Français, qui avaient suivi à Lausanne les cours de Viret et de Bèze, rentrant en France pour y annoncer l’Évangile, furent arrêtés à Lyon le 1er mai 1552 et condamnés par le tribunal ecclésiastique le 13. Un appel au Parlement de Paris retarda leur supplice jusqu’au 16 mai 1553. Ce fut en vain que Berne et d’autres cantons suisses s’entremirent auprès du roi. Calvin, de son côté, leur adressa des exhortations dépourvues de toute sentimentalité, mais animées d’un souffle semblable à celui d’un général au plus fort de la bataille. Une seule citation suffira à les caractériser :
c – Voy. Des cinq escoliers sortis de Lausanne, bruslez à Lyon. Genève, Fick, 1878.
…« Il ne se peut faire que vous ne souteniez de durs combats, afin que ce qui a été dit à Pierre s’accomplisse en vous : qu’on vous tirera où vous ne voudrez point (Jean.21.18). Mais vous savez en quelle vertu vous avez à batailler : sur laquelle tous ceux qui seront apuyez ne se trouveront jamais estonnez et encore tant moins confuz. Ainsi, mes frères, confiez vous que vous serez fortifiez au besoin de l’Esprit de nostre seigneur Jésus pour ne défaillir sous le faix des tentations, quelque pesant qu’il soit, non plus que lui qui en a eu la victoire si glorieuse, qu’elle nous est un gage infaillible qu’il lui plaist vous employer jusqu’à la mort à maintenir sa querelle, il vous tiendra la main forte pour batailler constamment et ne souffrira pas qu’une seule goutte de vostre sang demeure inutile ».
Toute la cause évangélique en France fut fortifiée par l’exemple contagieux que Calvin donnait à Genève, par le courage des prédicants qu’il instruisait et par la fermeté de son système d’organisation ecclésiastique. A certains égards ce système apparaissait sous son jour le plus favorable en dehors de Genève ; en effet, celui d’aucun autre réformateur ne pouvant lui être comparé, on peut affirmer qu’il répondait au plus haut point aux besoins d’une cause opprimée, contrainte à ne tirer sa force que d’elle-même. A Genève les principes mis en lumière par l’Institution étaient limités par la dépendance où l’Église était par rapport à un gouvernement civil, amical en théorie, disposé à coopérer avec elle, mais souvent jaloux de sa souveraineté. Dans les pays où l’autorité était hostile, ou appartenait à une autre race comme à Strasbourg, le gouvernement ecclésiastique de Calvin révélait toute sa puissance. Le luthéranisme, le zwinglianisme et l’anglicanisme dépendaient de l’État ; le presbytérianisme calviniste assurait l’existence d’une Église se gouvernant elle-même, intelligemment servie et strictement disciplinée, c’est-à-dire d’un imperium ecclésiastique in imperio.
Calvin n’encourageait pas la création d’Églises pourvoyant à l’administration des sacrements, avant qu’elles pussent former un organisme fortement constitué d’après le modèle de Genève. Des assemblées libres de croyants évangéliques avaient existé, plus ou moins régulières, à Paris, à Meaux, à Nîmes et ailleurs en France ; mais c’est en 1555 que commencèrent à se « dresser » des Églises protestantes, organisées comme à Genève, avec des pasteurs, des anciens et des diacres. C’est en cette année que fut « dressée » celle de Paris, et que d’autres se constituèrent à Angers, à Poitiers, à Loudun, en Arvert. En 1556, ce fut le tour de celles de Blois, de Montoire, de Bourges, d’Issoudun, d’Aubigny, de Tours ; d’Orléans et de Rouen, en 1557 ; et de vingt autres, en 1558. Au commencement de 1559 il y en avait soixante-douze en Franced. Sous la direction de Calvin, Genève entreprit de leur fournir des pasteurs, et les Églises à leur tour se tournaient vers Calvin pour être pourvues. En 1559, dix-neuf pasteurs furent ou demandés à Genève ou envoyés de cette ville ; en 1560 douze ; en 1561, le nombre des demandes s’éleva à quatre-vingt-dix. Genève ne parvenait naturellement pas à répondre à tant de besoins ; néanmoins, entre 1555 et 1565, cent vingt pasteurs furent envoyés par la Vénérable Compagnie aux Églises de France. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le protestantisme français ait été façonné par l’esprit de Calvin.
d – The Cambridge Modern History, ii, 293, 294 ; Müller, op. cit., p. 385. Le nombre des congrégations protestantes incomplètement organisées était bien plus considérable.
En dépit d’une persécution sans relâche, l’Église de France poursuivait son organisation. Le premier synode général protestant siégea à Paris du 26 au 28 mai 15594. Une solide constitution, inspirée par les principes de Calvin, fut adoptée ; les Églises voisines furent groupées en « colloques, » les colloques d’une même région en « synodes provinciaux », et tous ces derniers étaient représentés au synode national. Une confession de foi fut publiée ; souvent, bien qu’apparemment à tort, elle a été attribuée à Calvin. Elle reflétait avec beaucoup de clarté son système théologique et était peut-être l’œuvre de son élève dévoué, Antoine de la Roche-Chandieu.
[Le texte dans Opera, ix, 731-752 ; Schaff, Creeds of Christendom, iii, 356-382. Voir aussi Opera, ibid., p. lvii ; Schaff, ibid., i, 493 ; The Cambridge Modern History, ii, 295 ; R. Stæhelin dans la Realencyclopädie de Hauck, iii, 677 ; Müller, op. cit., p. 388 ; sur le rôle d’A. de Chandieu, voir A. Bernus, Le ministre Antoine de Chandieu d’après son journal autographe inédit, Paris, 1889 (extrait du Bulletin).]
Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de la Réforme, une grande Église nationale, indépendante de l’État qui lui était hostile, fut créée ; et cette œuvre était celle pour laquelle Calvin avait fourni l’exemple, l’inspiration et l’enseignement nécessaires, bien que la naissance de cette Église, à ce moment-là, provoquât son inquiétude plutôt qu’elle ne recueillait son approbatione. Il était en correspondance continuelle avec les Églises. Elles recherchaient ses avis au milieu des difficultés et son appui dans les épreuves. En fait, Calvin était l’évêque des congrégations huguenotes de France et se chargea, aussi longtemps qu’il vécut, du « souci de toutes les Églises ».
e – Voy. une lettre de Calvin, du 17 mai 1559, Opera, xvii, 525.
A mesure que le protestantisme se développait en France, il commença à faire des conquêtes dans les classes supérieures, et, à l’époque du premier synode national, à devenir un parti politique aussi bien que religieux. Calvin entra promptement en relations avec ces recrues d’un rang social plus élevé. En 1558, il écrivait à François d’Andelot, qui avait été converti par la lecture de ses ouvrages, ainsi qu’à Antoine de Bourbon et à l’amiral Coligny. Il suivait avec un intérêt plein d’angoisse l’extension de la persécution qui marqua les derniers jours de Henri II, ainsi que l’arrivée au pouvoir des Guises avec l’avènement de François II en juillet 1559. Il désapprouva le complot dirigé contre leur tyrannie cléricale, en mars 1560, et connu sous le nom de « tumulte d’Amboise ». Il n’avait aucune confiance dans ces intrigues illégales, et répugnait à l’emploi de la violence. D’autre part, il était heureux que Bèze travaillât de tout son pouvoir à pousser le roi de Navarre à se mettre à la tête d’une démonstration d’un caractère plus légal dans le midi de la France, démarche qui, si Antoine de Bourbon avait été un homme énergique, aurait facilement pu provoquer la guerre civile au courant de l’été de la même année.
La mort de François II, le 5 décembre 1560, mit un terme au pouvoir souverain des Guises et améliora la situation du protestantisme. Le nombre de ses adhérents augmentait rapidement, et au mois de juillet 1561, ils furent autorisés à plaider leur cause devant le nouveau roi Charles IX. Au colloque qui eut lieu en conséquence à Poissy au mois de septembre, ils étaient représentés par douze ministres à la tête desquels se trouvait Bèze. Ils auraient bien aimé avoir Calvin ; mais même ses plus ardents amis n’osaient pas conseiller à un champion aussi détesté par l’Église romaine de s’exposer aux dangers d’un voyage en France, et le Petit Conseil n’était pas davantage disposé à le laisser courir ce risquef. Le mois de mars 1562, inauguré par le massacre de Vassy, fut le signal des guerres de religion ; mais Calvin pouvait bien espérer que la paix d’Amboise, qui mit fin, le 18 mars 1563, à la première prise d’armes, serait l’aurore du triomphe du protestantisme dans sa patrie. Il est vrai qu’il en désapprouvait les stipulations, très peu favorables à la cause qu’il avait à cœur, et que l’avenir lui paraissait inquiétant. Mais la guerre n’était à ses yeux qu’un mauvais moyen pour propager l’Évangile. « Je conseilleray tousjours, écrivait-il à propos de cette paix, qu’on se déporte des armes, et plustost que nous périssions tous que de rentrer aux confusions qu’on a veug ». Calvin ne vécut pas assez pour voir la reprise de la lutte.
f – Opera, xviii, 555, xxi, 755 ; Baird, Theodore Beza, p. 136. Voir aussi le Troisième centenaire de la mort de Théodore de Bèze, p. 35-61, Genève, 1905.
g – Opera, xix, p. 688 ; cf. G. Bez, Les luttes religieuses en France et Calvin d’après sa correspondance, Toulouse, 1887.
Aux Pays-Bas son influence théologique et organisatrice fut aussi réelle qu’en France, bien qu’elle n’y fût pas aussi souveraine sur les Églises, peu nombreuses d’ailleurs jusque vers la fin de la vie du réformateur. Grâce à l’arrivée de prédicateurs venus de France, dans les provinces méridionales où l’on parlait français, le mouvement protestant des Pays-Bas, jusque-là luthérien ou anabaptiste, devint essentiellement calviniste. Plus répandu d’abord parmi les Wallons, il prédomina, mais seulement après la mort de Calvin, dans les provinces du nord qui allaient secouer le joug de l’Espagne. Guy de Bray, le martyr qui prépara, peut-être avec d’autres, la Confession de Foy faite d’un commun accord par les fidèles qui conversent ès pays bas, avait été certainement mis en relations personnelles avec Calvin à Francfort en 1556h. Cette confession, qui devait devenir la base doctrinale de l’Église réformée de Hollande et de sa fille spirituelle aux États-Unis, fut dressée en grande partie d’après celle que le synode de Paris avait adoptée en 1559, et prouve que son auteur était un disciple convaincu de Calvin. De même qu’en France et au milieu de luttes encore plus sanglantes, le système calviniste fit ses preuves comme puissance de discipline dans la bataille. L’Église d’État des provinces septentrionales allait devenir un des membres les plus éminents de la famille calvinistei.
h – L. A. van Langeraad dans la Realencyclopädie de Hauck, iii, 334. Pour la Confession et son histoire, voir la réimpression de Fick, 1855, et Schaff, Creeds of Christendom, i, 502-508 ; iii, 383-436.
i – Voy. Groen van Prinsterer, La Hollande et l’influence de Calvin, 27 mai 1864.
Les relations du réformateur avec les chefs du mouvement en Angleterre et en Ecosse furent encore plus directes et plus personnelles. Il écrivit au Protecteur, le duc de Somerset, dans les premiers mois du règne d’Edouard VI, lui recommandant la prédication de la pure doctrine, l’extirpation des superstitions romaines, et une discipline vigoureuse : « Vous avez, lui dit-il, deux espèces de mutins qui se sont élevez contre le Roy et l’estat du Royaume : Les ungs sont gens fantastiques, qui, soubs couleur de l’Évangile vouldroient mettre tout en confusion. Les aultres sont gens obstinez aux superstitions de l’antechrist de Rome. Tous ensemble méritent bien d’estre réprimez par le glayve qui vous est commis ». Il correspondait avec Cranmer. Il exhortait le jeune roi à soutenir avec zèle la cause de la Réforme. A mesure que le court règne d’Edouard avançait, l’influence de Calvin et celle de ses doctrines augmentaient en Angleterre. Mais ce qui lui recruta des adhérents dans ce pays, ce fut surtout le cordial accueil qu’il offrit aux exilés que la persécution de Marie poussa à chercher un abri sur le continent, ainsi que leur contact personnel avec son œuvre à Genève. Les réfugiés chassés des villes protestantes de l’Allemagne septentrionale, parce qu’ils ne partageaient pas les doctrines de Luther sur la sainte cène, trouvèrent aussi en Calvin un ami chaleureux. Il tenta, quoique sans succès, d’apaiser le dissentiment qui s’était élevé dans le sein de la congrégation des réfugiés anglais, à Francfort, entre les partisans du Livre de Prières anglican et leurs opposants. Bien que Calvin sympathisât avec ceux qui critiquaient la liturgie anglicane, celle-ci lui paraissait ne renfermer, après tout, que « beaucoup d’inepties tolérables ». Quand les réfugiés francfortois se divisèrent sur cette question, il accueillit à Genève la minorité opposée au Livre de Prières, à la tête de laquelle était John Knox, et il obtint pour eux et pour les réfugiés protestants italiens l’usage de l’église de « Marie la Nove » (l’Auditoire), en spécifiant exactement les jours où les uns et les autres y célébreraient le culte dans leur langue. En un seul jour, en octobre 1557, on n’admit pas moins de cinquante réfugiés anglais à l’habitation ; et le 30 mai 1560, quand l’avènement d’Elisabeth leur permit de rentrer en Angleterre, ces exilés pour la foi remercièrent solennellement le gouvernement genevois pour l’hospitalité dont ils avaient joui.
Le retour de ces exilés eut pour conséquence une compréhension plus juste et une appréciation plus favorable des idées calvinistes en Angleterre. Les plus zélés protestants envisageaient surtout à ce point de vue la réforme de l’Église. Ils désiraient la purifier dans une plus large mesure des cérémonies romaines, y établir de bons prédicateurs et l’exercice d’une sérieuse discipline paroissiale.
[L’influence des Églises du Refuge en Angleterre a été mise en lumière par l’ouvrage du baron F. de Schickler, publié à Paris sous ce titre en 3 volumes (1892).]
Temple de l’Auditoire à Genève.
Le résultat fut l’accroissement du parti puritain, mouvement qui débutait à peine à la mort de Calvin, mais qui allait se développer à travers tout le règne d’Elisabeth et celui de Jacques Ier, aboutir à la colonisation de la Nouvelle-Angleterre et enlever pour un temps le sceptre aux Stuarts. Dans la confession et les catéchismes de l’Assemblée de Westminster, réunie en 1643 au milieu de la guerre civile, le calvinisme trouva une expression symbolique, qui dans ses lignes maîtresses est encore le credo officiel de milliers de chrétiens en Ecosse et en Amérique. Et là même où les théories de Calvin sur l’organisation de l’Église et sur la discipline ne furent pas adoptées, on se servit, en Angleterre, longtemps encore après sa mort, de son Institution et de son catéchisme dans l’enseignement théologique des universités, et on partagea ses vues théologiques, témoin cet ennemi juré des puritains que fut l’archevêque John Whitgift.
Les rapports de Calvin avec la Réformation en Ecosse furent intimement liés à sa collaboration avec le réformateur écossais John Knox. Les débuts de l’activité évangélique de Knox et son emprisonnement par les Français, lors de la prise de Saint-Andrews, furent suivis par ses travaux pastoraux en Angleterre sous Edouard VI. Immédiatement après l’avènement de Marie, il dut s’enfuir sur le continent ; en 1554, il était à Genève, étudiant la théologie et l’hébreu avec ardeur, disciple et admirateur enthousiaste de Calvin. Il quitta Genève cette même année pour aller desservir la congrégation des réfugiés anglo-français à Francfort, et l’entraîna bientôt dans des controverses sur l’usage de la liturgie anglicane. En mars 1555, il dut se retirer, et revint à Genève avec ses adhérents. De là, en automne, il retourna en Ecosse employer quelques mois extrêmement agités en efforts prématurés pour y établir la Réforme. La fin de l’été 1556 le revit à Genève, où il devint le pasteur de la communauté réfugiée anglaise, fonctions qu’il exerça jusqu’à son retour définitif en Ecosse en mai 1559. Le cas que faisaient de lui Calvin et ses amis genevois est prouvé par son admission gratuite à la bourgeoisie, le 21 juin 1558.
[Ainsi libellée : « Jehan Knoxe, fils de Guillaume, natif de Hedington en Escosse, ministre anglois en ceste Cité, et Nathanael son filz, gratis, au respect de son ministère de la parole de Dieu » ; Covelle, op. cit., p. 261. Les Opera, xxi, 697, donnent un autre texte et la date du 24 juin.]
Le retour de Knox en Ecosse y déchaîna la bataille pour l’établissement du protestantisme, laquelle aboutit à la victoire, remportée dans l’été de 1560. La nouvelle Église d’Ecosse, constituée après le renversement violent des anciennes institutions et à la suite d’une révolution aussi bien politique que religieuse, fut organisée sur le modèle de celle de Calvin. La confession rédigée par Knox et ses associés en quatre journées de travail acharné, en août 1560, fut essentiellement calviniste.
[Schaff, Creeds of Christendom, i, 680-685, iii, 437-479. L’élection et la réprobation, bien qu’enseignées, ne le sont pas d’une manière aussi marquée qu’elles l’auraient sans doute été par Calvin. Le presbytérianisme n’est pas présenté comme une organisation de droit divin.]
Elle mettait l’accent sur la pure prédication, la saine administration des sacrements et la discipline caractéristique du calvinisme, comme formant les traits essentiels d’une véritable Église. Au point de vue politique, elle considérait « la conservation et la réformation » de la religion comme le premier devoir des autorités civiles. Knox s’efforça de modeler le culte de l’Église écossaise d’après celui de la congrégation des réfugiés à Genève. La constitution presbytérienne, avec le conseil presbytéral composé du pasteur, des anciens et des diacres dans chaque communauté normale, avec les réunions plus nombreuses, qui devinrent bientôt les « presbytères », avec les synodes de district et enfin avec la cour suprême, « l’Assemblée générale », où siégeaient des pasteurs et des anciens délégués : tout cela c’était l’application à tout le royaume des principes de l’Institution, déjà en vigueur à Genève et dans les Églises huguenotes de France. Si Knox, en instituant des « superintendants », maintenait dans sa constitution un élément clérical, cette particularité n’était pas destinée à durer longtemps. C’est en Ecosse que le calvinisme devait produire quelques-uns de ses plus beaux fruits. Il se montra merveilleusement propre à tirer la nation de la demi-barbarie des temps antérieurs à la Réforme et à l’élever jusqu’au niveau supérieur de civilisation puissante, intelligente et industrieuse qui distingue l’Ecosse moderne. Si ce fut le génie de Knox qui y provoqua le grand soulèvement de la Réforme, c’est l’éducation et l’inspiration émanant de Calvin qui rendirent cette œuvre possiblej.
j – Cf. Adrien Mezger, John Knox et ses rapports avec Calvin, Montauban, 1905.
Le réformateur de Genève suivait le développement du travail poursuivi par Knox avec l’affection d’un maître pour son disciple aussi bien qu’avec l’intérêt que lui inspirait la cause elle-même. Knox lui posait des questions dans ses lettres, qu’il signait vobis addictissimus, Calvin lui répondait : Eximie vir et frater nobis carissime. Il dut parfois s’efforcer de modérer la rude impétuosité du réformateur écossais, mais fut certainement satisfait, en somme, du résultat obtenu.
L’influence de Calvin pénétra, déjà à une époque plus ancienne, dans l’Europe orientale, avec la perspective séduisante de produire des résultats importants ; malheureusement ceux-ci furent beaucoup moins durables et moins définitifs que dans les pays mentionnés jusqu’ici. En Pologne son enseignement rencontra un accueil empressé, non seulement parce qu’il apportait l’arme la plus efficace contre la grande puissance de Rome, mais encore parce qu’il ne rappelait en rien l’Allemagne, que les chefs polonais ne considéraient pas sans une inquiétude jalouse. Vers 1545 le calvinisme était en train de se répandre rapidement parmi la noblesse et les classes instruites de la « Petite Pologne », autour de Cracovie. On y lisait beaucoup l’Institution. En 1549 Calvin dédia son commentaire sur l’Épître aux Hébreux au jeune roi Sigismond-Auguste. Le roi, qui était au fond un catholique très tolérant, épousa une sœur de Nicolas Radziwill, le chef de la noblesse calviniste. Calvin écrivit à Sigismond et à Radziwill, en 1554 et 1555, leur recommandant de la façon la plus sérieuse de travailler au progrès de la Réforme, tout en retenant implicitement l’organisation épiscopale en Pologne. L’année suivante il fut invité à assister au synode de pasteurs et de gentilhommes qui devait s’assembler à Pinczow, invitation qu’il déclina à regret en mars 1557. Il continua sans relâche à s’intéresser aux affaires de Pologne et à s’en occuper dans ses lettres ; mais l’œuvre d’organisation qu’il aurait pu entreprendre, y fut dirigée, depuis la fin de 1556 jusqu’en 1560, date de sa mort, par Jean a Lasco qui s’était antérieurement distingué en Frise et en Angleterre. La situation semblait pleine de promesses. Mais, quoique Calvin n’ait pas vécu assez longtemps pour assister à son déclin, celui-ci ne tarda pas à se produire, grâce aux disputes entre luthériens, calvinistes et antitrinitaires. La Réforme n’eut jamais en Pologne l’appui des classes inférieures ; et à l’exception de Jean a Lasco, elle, n’y produisit pas un homme capable de la diriger.
Dans une autre partie de l’Europe orientale le calvinisme devint aussi une puissance, bien qu’un peu plus tard qu’en Pologne. En Hongrie il rencontra surtout les sympathies de l’élément magyar. La confession hongroise fut dressée au synode calviniste qui se tint à Debreczen en 1567 ; mais, dès 1563, le calvinisme était très répandu et avait introduit sa discipline et son organisation. Il survécut aux vicissitudes d’une terrible persécution et les ressortissants des Églises réformées représentent dans la Hongrie moderne les deux tiers des protestants, près d’un septième de l’ensemble de la population.
[Sur Jean a Lasco, voir surtout les ouvrages de Dalton. Schaff, Creeds of Christendom, i, 589-592. Voir aussi Bulletin, 1873, 207-219 ; 1875, 49-60 et 1899, 393-418 ; Francis Balogh, History of the Reformed Church of Hungary, dans la Reformed Church Review, juillet 1906 et avril 1907.]
Les rapports les plus difficiles que Calvin ait eu à soutenir furent ceux qui existaient entre lui et les Églises de la Suisse allemande, situées dans son voisinage immédiat. Déjà formées avant qu’il entreprît son œuvre, et non en formation comme celles que nous venons d’énumérer, elles ne purent facilement s’accommoder à ses idées. Toutes leurs constitutions conféraient au Magistrat une autorité ecclésiastique que Calvin rejetait en théorie, et qu’il chercha à faire disparaître en pratique à Genève dans la mesure où cela lui fut possible. Berne fut constamment hostile à son système disciplinaire et, aussi longtemps qu’il vécut, ne se résolut jamais réellement à admettre son enseignement. Grâce à la liberté intellectuelle plus grande dont on jouissait à Bâle, on y élevait de graves objections contre l’importance qu’il attribuait à la question de la prédestination. A Zurich on le soupçonna longtemps de favoriser le luthéranisme dans sa doctrine de la sainte cène. Il parvint néanmoins, en 1549, avec les théologiens zuricois influencés par le pacifique Bullinger, à s’entendre sur cette question, brûlante entre toutes à l’époque de la Réforme, et cet accord, qui amena des relations plus amicales, eut pour résultat final l’adoption par toutes les Églises protestantes de Suisse du système doctrinal de Calvin ; du moins il fut admis dans ses lignes essentielles, mais avec certaines atténuations, et à l’exception de tout ce qui touchait à la discipline. L’œuvre de Zwingli fut ainsi complétée par la conception plus large et plus achevée de Calvin, à peu près comme cela était arrivé pour le système théologique de Bucer.
Cet accord entre les conducteurs spirituels de Genève et de Zurich fait ressortir avantageusement l’habileté et la bonne volonté des uns et des autres. Comme nous l’avons remarqué, Calvin sympathisait bien plutôt avec Luther qu’avec Zwingli dans sa manière de concevoir la présence de Christ dans la cène, telle qu’il l’avait exposée dans la première édition de son Institution ; toutefois, il n’admettait pas la présence matérielle, essentielle pour Luther. Bullinger qui, après la mort prématurée de Zwingli, lui avait succédé dans la direction de l’Église de Zurich, s’était écarté de son prédécesseur en insistant, bien plus que celui-ci, sur l’action exercée par Christ sur le croyant par le moyen du sacrement, et se rapprochait par conséquent de la conception de Calvin, intermédiaire entre l’interprétation de Luther et celle de Zwingli. Il leur était donc relativement facile de s’entendre sur cette question si controversée, et, après un échange fréquent de lettres en 1548 et 1549, complété par une entrevue personnelle, Calvin et Bullinger s’accordèrent en cette dernière année dans le Consensus de Zurichk. Sans aucun doute, dans la rédaction de ce document, Calvin, poussé par son désir d’union, alla aussi loin que possible dans la direction de Zwingli, tandis que le zwinglianisme atténué de Bullinger resta au fond ce qu’il était. Toute notion de présence matérielle disparut, mais on insista au gré de Calvin et sans protestation de Bullinger sur la véritable union spirituelle formée par le sacrement entre Christ et le croyant, les bienfaits de cette union étant réservés aux seuls élus suivant l’opinion caractéristique de Calvin. Ce Consensus, qui ne fut imprimé qu’en 1551, ne tarda pas à être accepté, non seulement par les Églises de Genève et de Zurich, mais encore par celles de Schaffhouse, de Saint-Gall, de Neuchâtel et de Bâle, formant ainsi un lien théologique qui unit entre elles les Églises suisses de langue française et allemande.
k – Le texte dans Opera, vii, 659-748 ; voir aussi ibid., xii, 480, 590, 706, 727 ; xiii, 110, 164, 221, 223, 259 ; 278 ; Schaff, Creeds, i, 471-473.
Calvin eut moins de succès, comme on l’a remarqué déjà en parlant de sa controverse avec Bolsec, dans ses efforts pour faire accepter promptement et sans compromis sa doctrine d’une double prédestination. Le Consensus genevois de 1552 sur ce sujet ne parvint pas à se faire adopter en dehors de Genève. Mais cette doctrine, telle que Calvin l’exposait, et moyennant quelques atténuations de forme, fit son chemin dans les Églises réformées ; et, ici comme ailleurs, la maîtrise spirituelle du réformateur réussit à soumettre à son autorité tout le protestantisme en dehors des luthériens et des anglicans.
[Le professeur B. B. Warfield a magistralement traité cette question dans une étude intitulée Predestination in the Reformed Confessions, publiée dans la Presbyterian and Reformed Review de janvier 1901, p. 49-128. Cf. Dr Max Scheibe, Calvins Pradestinationslehre, Halle, 1897.]
L’accord des Églises suisses sur la nature et les effets de la présence de Christ dans la cène, exprimé dans le Consensus de Zurich, provoqua la plus pénible controverse doctrinale des dernières années de la vie de Calvin, celle qui s’éleva entre lui et Joachim Westphal de Hambourg. Celui-ci, luthérien intransigeant, ne considérait pas seulement la négation de la présence matérielle de Christ comme une réapparition de la détestable hérésie zwinglienne, mais s’imaginait encore qu’en l’attaquant il défendait le luthéranisme primitif et authentique contre les altérations dissimulées de Mélanchthon. Une controverse des plus aigres éclata ; des brochures véhémentes parurent de part et d’autre de 1552 à 1557. Il en fut de même lors de la discussion sur le même sujet épineux, qui s’engagea entre Calvin et Tilemann Hesshus, de Heidelberg et de Magdebourg, en 1560 et 1561. Calvin réclama Mélanchthon comme étant de son côté, et cela à bon droit, bien que le prudent Allemand se tînt aussi loin que possible à l’écart de la bataille. Celle-ci néanmoins donna à Calvin le sentiment pénible de l’hostilité des protestants allemands, dont il avait connu et admiré jadis les chefs et dont il avait défendu la cause par sa plume contre l’empereur Charles Quint.
Si ses relations avec les théologiens allemands ultra-luthériens devinrent ainsi de plus en plus tendues vers la fin de sa carrière, il eut la satisfaction de voir sa théologie, en y comprenant, mais sous une forme très atténuée, ses principes de discipline ecclésiastique, gagner en Allemagne des adhésions qui allaient se multiplier longtemps encore après sa mortl. La violence des attaques des ultra-luthériens contre les philippistes, comme on appelait les partisans de Mélanchthon, rapprocha peu à peu ces luthériens modérés du réformateur genevois. Ceux-ci partageaient les idées de Calvin sur la présence du Christ dans la cène, mais étaient peu enclins à adopter ses idées absolues sur la prédestination. Cependant, les conséquences du conflit avec les ultra-luthériens, la puissance convaincante de l’Institution et jusqu’à un certain point, l’influence de l’Académie de Genève sur leurs étudiants amenèrent les philippistes, surtout dans l’Allemagne du sud-ouest, à rendre justice au calvinisme. C’est principalement dans le Palatinat que ce résultat se manifesta, déjà du vivant de Calvin.
l – G. Kawerau a donné un excellent résumé de ces faits, avec indication des sources, dans la 2e édition de Moeller, Lehrbuch der Kirchengeschichte, iii, 276-292.
Frédéric III, le prince palatin, homme pieux et consciencieux, fut amené par les controverses entre Tilemann Hesshus, luthérien prononcé, et son diacre Guillaume Klebitz de Heidelberg, à étudier de près la théologie, ce qui fit de lui un calviniste convaincu. Il fit en conséquence venir, pour le seconder, deux jeunes théologiens qui connaissaient personnellement Calvin et Bullinger, savoir, en janvier 1560, Gaspard Olevianus, et en septembre 1561, Zacharie Ursinus. Le premier avait étudié à Genève et le dernier avait été à Wittemberg l’élève de Mélanchthon. L’un et l’autre étaient des calvinistes déterminés. C’est grâce à ces deux hommes, âgés l’un de 26 et l’autre de 28 ans, et à quelques dignitaires ecclésiastiques du Palatinat, que le fameux catéchisme de Heidelberg fut préparé en 1562 et publié par ordre de l’électeur en 1563.
[Voir le texte dans Schaff, Creeds, iii, 307-355. Cf. M. Lauterburg dans la Realencyclopädie de Hauck, x, 164-173 ; Schaff, i, 529-554. Une intéressante compilation est celle de W. Cuno, Der Heidelberger Catechismus erklärt mit den Worten der bewahrten Lehrer der Reformirten Kirche alter und neuer Zeit, Prague, 1891.]
Empreint de mansuétude, fondé sur l’expérience, clair, modéré et d’un grand bonheur d’expression, le catéchisme de Heidelberg a toujours été considéré comme une des plus belles expressions du calvinisme sous son aspect le moins polémique. Comme tel, il est le symbole le plus universellement accepté de la foi calviniste. Calvin lui-même n’aurait probablement pu l’écrire, mais Olevianus, plein de gratitude pour ses années d’études à Genève et très désireux d’obtenir l’appui de son maître pour l’établissement de la discipline ecclésiastique, en envoya un des premiers exemplaires à Calvin en l’appelant « carissime pater ». Calvin, en retour, dédia à l’Electeur ses leçons sur Jérémie, de 1563. La discipline qu’Olevianus avait désiré faire recommander par Calvin, fut introduite en 1570, mais d’une manière incomplète, lorsque des anciens furent établis dans chaque paroisse. L’organisation du culte public sur le modèle très simple adopté à Genève eut plus de succès.
Bien que le Palatinat fût ramené au luthéranisme strict sous le fils de Frédéric, Louis IV (1576-83), et plus de cinq cents pasteurs et professeurs calvinistes destitués, le calvinisme y reprit sa place sous le frère de Louis, Jean-Casimir. Il continua à progresser en Allemagne longtemps encore après la mort de Calvin, pénétrant dans le duché de Nassau en 1577, prenant pied à Brême, dans le duché d’Anhalt, le grand duché de Bade et la Hesse avant la fin du xvie siècle, et s’installant en Brandebourg, sa conquête la plus importante après celle du Palatinat, en 1613. Toutefois ce fut plutôt la théologie que la discipline de Calvin qui recruta des adhésions, justifiant ainsi la remarque d’un historien allemand moderne que les Églises calvinistes de l’Allemagne constituent « un état intermédiaire entre le calvinisme strict et le luthéranisme intransigeant. »
A un certain moment — de courte durée — Calvin jeta ses regards même au delà des confins de l’Europe et collabora à une tentative d’implanter la foi évangélique jusque dans le Nouveau Monde. A l’instar de tous les autres réformateurs, il ignorait — à un degré qui nous surprend aujourd’hui — le devoir missionnaire. Mais lorsqu’en 1556 le perfide Villegagnon, pour fortifier la colonie qu’il avait fondée au Brésil sous de fâcheux auspices et qu’il avait fort mal organisée, réclama des recrues et des pasteurs protestants, Calvin fournit de Genève deux pasteurs munis de lettres de recommandations, et les encouragea dans leur dessein, qui était en première ligne de pourvoir aux besoins spirituels des colons, sans oublier toutefois complètement ceux des aborigènesm. La colonie ne tarda pas à être ruinée par la duplicité et la cruauté de Villegagnon, ce qui mit fin à cet effort isolé du réformateur pour établir le protestantisme au delà de l’Atlantique. Son influence devait toutefois s’exercer d’une façon décisive sur l’histoire religieuse de l’Amérique. Les puritains anglais, les presbytériens écossais et irlandais, les Hollandais, les huguenots exilés de France devaient un jour répandre sa foi, et dans une large mesure ses conceptions ecclésiastiques, sur toute la surface de l’Amérique septentrionale ; mais cette extension de son influence n’avait pas encore commencé à se produire au moment où il mourut.
m – Voir les lettres de Villegagnon et des pasteurs du Brésil à Calvin, mars 1557, Opera, xvi, 433-443. Au sujet de la colonie, voir Parkman, Pioneers of France in the New World, p. 16-27.
C’est avec joie que Calvin aurait salué une démonstration de l’union spirituelle dans le sein du protestantisme et de l’unité essentielle de la doctrine des réformés dans son opposition à Rome, plus apparente et plus efficace que ce qui avait pu se réaliser au xvie siècle. Lorsqu’en mars 1552 l’archevêque anglais Thomas Cranmer lui proposa la réunion d’une sorte de concile de protestants instruits pour travailler à l’avancement de l’union des Églises évangéliques, et l’opposer au concile romain alors réuni à Trente, Calvin adhéra à ce projet avec enthousiasme, et se déclara prêt à l’appuyer de toutes ses forces ; mais ce pieux souhait n’était pas destiné à se réaliser.
L’influence mondiale exercée par Calvin constitue un de ses plus puissants titres à une renommée durable. Les forces protestantes qui ne relevaient pas de Luther furent liées par lui en un faisceau spirituel dominé par les mêmes principes et par la même conception de la vie chrétienne. Les mouvements réformateurs qui s’étaient manifestés sans cohésion entre eux, en France, aux Pays-Bas, en Ecosse, et à un degré moindre en Pologne et en Hongrie, trouvèrent en lui la force qui les unit. Il leur donna leur confession de foi, leur discipline, leur organisation. Il formula leur théologie. Il leur inspira l’héroïsme du martyre. Il leur fournit les meilleures armes pour combattre Rome. Il fit l’éducation de beaucoup de leurs conducteurs, leur prépara une ville de refuge dans la persécution, et un modèle de communauté chrétienne qui excita leur admiration et les encouragea à l’imiter. Sur toute l’étendue de ces vastes régions il exerça une sorte d’épiscopat, sans aucun caractère officiel, mais dont l’influence se faisait sentir au loin. Par sa correspondance incessante, par ses relations avec des gens qu’il ne vit jamais et par les appels qu’il leur adressait, par les travaux de ceux qui avaient été ses élèves et qui propageaient son influence, il détermina le développement et façonna les conditions de la Réforme dans des proportions qui n’ont été égalées par l’œuvre d’aucun autre réformateur sauf Luther. Sans lui l’histoire de la Réformation, en dehors de l’Allemagne où ce mouvement avait pris naissance, aurait été essentiellement différente. On a appelé Calvin un « papen », désignation que justifie seule l’étendue géographique de son autorité. Celle-ci ne procédait ni des fonctions qu’il exerçait, ni d’une situation éminente qui lui aurait été assignée. C’était celle d’un esprit agissant sur d’autres espritso, mais elle n’en était que plus réelle et plus durable. Son interprétation de la vérité et de la vie chrétiennes faisait sur ses contemporains une impression si puissante que leur pensée se modelait sur la sienne et que ses idées formèrent un élément essentiel de la mentalité d’une partie considérable des habitants de l’Europe centrale et occidentale, et finalement des États-Unis d’Amériquep.
n – Cf. W. H. Frere, The English Church in the Reigns of Elisabeth and James I., p. 78.
o – Voir sur ce point le travail de M. Ch. Lelièvre, La maîtrise de l’Esprit, essai critique sur le principe fondamental de la théologie de Calvin, Cahors, 1901.
p – C’est un Américain s’affichant calviniste, qui écrit cela…, mais observés par un Français, les descendants des pionniers du Nouveau Monde sont bien trop attachés à leurs libertés individuelles pour prétendre sérieusement vouloir se placer sous le joug du vrai Calvin. En vérité, ce qui plaît le plus aux calvinistes américains dans la panoplie réformée, ce sont les lauriers académiques de la vieille Europe, dont leur jeune peuple a toujours fait un petit complexe. (ThéoTEX)
Durant plus d’un siècle après sa mort l’influence de Calvin fut la force la plus efficace pour le développement de la liberté politique dans l’Europe occidentale. A cet égard il est presque impossible d’évaluer ce que le monde moderne lui doit. Et pourtant il n’avait jamais eu l’intention de devenir un réformateur politique. Son but fut toujours exclusivement religieux, et les résultats obtenus par le calvinisme pour faire progresser la liberté religieuse furent les conséquences plutôt indirectes et inattendues que prévues et préméditées de son œuvre. Ces progrès apparaissent comme la résultante logique de ses principes plutôt que comme un élément conscient de son dessein.
Les idées de Calvin sur « le gouvernement civil » sont exposées succinctement dans son Institution, et ont été exprimées d’une manière définitive dans la dernière édition de ce livre parue en 1559. Le but du gouvernement est que :
…« L’idolâtrie, blasphèmes contre le nom de Dieu et contre sa vérité et autres scandales de la religion ne soyent publiquement mis en avant et semez entre le peuple ; à ce que la tranquillité publique ne soit troublée ; qu’à chacun soit gardé ce qui est sien ; que les hommes communiquent ensemble sans fraude et nuisance ; qu’il y ait honnesteté et modestie entre eux : en somme qu’il apparoisse forme publique de religion entre les chrétiens, et que l’humanité consiste entre les humains ».
[Nous citons la traduction française de 1560, Institution, 4.20.3 (Opera, iv, 1128) ; cf. W. A. Dunning, A history of political Theories from Luther to Montesquieu, p. 26-33.]
Pour Calvin, théoriquement et pratiquement, le maintien de la religion est une fonction de l’État, plus importante même que le maintien de l’ordre. Quant aux diverses formes de gouvernement, chacune a ses dangers caractéristiques. Aucune n’est parfaite :
…« Il est bien vray qu’un Roy ou autre à qui appartient la domination aisément décline à estre tyran. Mais il est autant facile, quand les gens d’apparence ont la supériorité, qu’ils conspirent à eslever une domination inique : et encore il est beaucoup plus facile où le populaire a authorité, qu’il esmeuve sédition (irc.4.20.8) ».
Ses préférences personnelles, conformes et à son tempérament et au milieu genevois, sont pour « l’aristocratie pure ou tempérée par la domination populaire », mais aucune forme ne convient également à tous les temps et à tous les lieux, et on ne doit poursuivre aucun changement, car :
« Si c’est son plaisir (à Dieu) de constituer Rois sur les royaumes, et sur les peuples libres autres supérieurs quelconques : c’est à nous à faire de nous rendre sujets et obéissans à quelconques supérieurs qui domineront au lieu où nous vivrons ».
L’obéissance, même aux mauvais souverains, ne doit pas être moins absolue :
« Si nous dressons notre veue à la parolle de Dieu, elle nous conduira plus loin. Car elle nous rendra obéissans, non seulement à la domination des Princes qui justement font leur office et s’acquittent loyallement de leur devoir, mais à tous ceux qui sont aucunement en prééminence, combien qu’ils ne facent rien moins que ce qui appartient à leur estat (irc.4.20.25) ».
Le devoir des diètes et des parlements est, il est vrai, de contenir la tyrannie de souverains indignes ; mais le particulier doit se soumettre, sauf en un point important et fondamental :
…« Nous devons être sujects aux hommes qui ont prééminence sur nous, mais non autrement sinon en luy (Dieu). S’ils viennent à commander quelque chose contre luy, il nous doit estre de nulle estime et ne faut avoir en cela aucun esgard à toute la dignité des supérieurs (irc.4.20.32) ».
Dans ces citations, émanant du jugement réfléchi de Calvin, il y a peu de chose, sauf dans la dernière, pour faire naître la liberté politique ; mais le principe d’après lequel l’obéissance au souverain terrestre s’arrête là où Dieu commande a des conséquences lointaines. Calvin énonçait une pensée, — déjà exprimée par Zwingli, — qui plus qu’aucune autre devait servir à traduire l’individualisme intellectuel de la Renaissance et l’individualisme religieux de la Réforme en liberté politique. Qui décidera si l’ordre d’un souverain est contraire à la volonté de Dieu, si ce n’est chaque homme pensant et appréciant cet ordre suivant le témoignage de son propre jugement qu’il tient de Dieu ? Calvin n’a formulé aucune conclusion de ce genre ; mais son principe devait inévitablement amener les hommes à mettre en doute la légitimité des ordonnances d’institution humaine et à exiger pour des lois mauvaises d’autres titres que le fait d’avoir été promulguées par l’autorité établie.
Bien plus, la constitution ecclésiastique de Calvin travailla à l’avènement de la liberté politique, surtout étant données les conditions sociales de son temps. L’insistance avec laquelle il réclamait à la fois pour l’Église la protection de l’État et l’indépendance à l’égard de ce dernier, préparait pour l’Ecosse et pour la France, plus encore qu’à Genève, l’organisation d’institutions religieuses représentatives très affranchies de la suprématie de l’État. Ainsi c’est dans l’Assemblée générale plutôt que dans le parlement d’Ecosse qu’on trouvera, à la fin du xvie et au xviie siècle, l’expression des désirs et des espérances du peuple écossais. Le protestantisme français, à partir de 1559, s’affirma dans une série de synodes nationaux, assemblés en dépit d’un gouvernement hostile.
Le système de discipline ecclésiastique qui appartient en propre à Calvin, appliqué dans chaque congrégation, — ou, comme à Genève, au sein de l’Église envisagée comme un corps unique, — par le ministère aristocratique d’un ou de plusieurs pasteurs coopérant avec des anciens laïques, faisait de chaque paroisse calviniste une école de gouvernement dans un sens qui ne trouvait son équivalent dans aucune autre communauté de l’époque de la Réforme. En même temps le principe d’après lequel ceux qui exercent une fonction ne doivent servir qu’avec le consentement de la congrégation qu’ils sont appelés à diriger, ce principe, quelqu’imparfaitement qu’il fût appliqué à Genève, contenait en germe la responsabilité des directeurs spirituels à l’égard de ceux qu’ils dirigent. Calvin ne tira pas de ce principe toutes ses conséquences logiques ; mais il n’est pas possible à des hommes de soutenir une théorie en matière de gouvernement ecclésiastique et de la contredire dans le gouvernement civil. Si des dignitaires ecclésiastiques sont responsables à l’égard de leurs commettants, pourquoi des rois et des magistrats ne le seraient-ils pas ? L’Ecosse et l’Angleterre puritaine se posèrent cette question et y répondirent amplement au cours de l’histoire du xvie siècle. Le roi Jacques Ier d’Angleterre exprima les conséquences que cet aspect du calvinisme entraînait à l’égard de sa conception de la monarchie absolue, lorsqu’à la conférence de Hampton-Court de 1604, il déclarait :
« Un presbytère écossais s’accorde avec une monarchie comme Dieu avec le diable. Jack, Tom, Dick et Will s’assembleront et, à leur convenance, ils me censureront, moi et mon conseil et tout ce que nous ferons ». [W. Barlow, The Summe and Substance of the Conference, Londres, 1638, p. 81.]
L’âme aristocratique de Calvin se serait peut-être soulevée tout autant que celle du roi Stuart devant la liberté démocratique que ce dernier tournait en ridicule ; elle n’en était pas moins un fruit naturel de son système.
Enfin la théorie ecclésiastique de Calvin, c’était le seul moyen efficace, à l’époque de la Réforme, d’organiser un parti protestant dans un pays dont le gouvernement était hostile. Le luthéranisme, l’anglicanisme et le zwinglianisme dépendaient tous de l’État. Le calvinisme pouvait exister sans lui : la France, la Hollande, l’Ecosse et l’Angleterre allaient le démontrer abondamment. Mais ce n’est que là où le calvinisme accomplit son œuvre disciplinaire en même temps que théologique qu’il rendit de grands services à la liberté politique. Là où, comme en Allemagne, il se bornait à représenter un certain type doctrinal et non une conception particulière de la vie chrétienne, son action sur la pensée politique passa inaperçue.
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