Vous, riches, je viens maintenant à vous ; pleurez et jetez des cris à cause des malheurs qui vont tomber sur vous. Vos richesses sont pourries, et les vers ont mangé vos habits ; votre or et votre argent se sont rouillés, et leur rouille s’élèvera en témoignage contre vous, et dévorera votre chair comme un feu. Vous avez amassé un trésor pour les derniers jours. Voici, le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs, et dont vous les avez frustrés, crie ; et du Seigneur des armées. Vous avez vécu dans les voluptés et dans les délices sur la terre, et vous êtes rassasiés comme en un jour de sacrifice. Vous avez condamné et mis à mort le juste, qui ne vous résistait point.
Mes frères, l’Évangile est toujours actuel et répond encore maintenant aux besoins de l’homme. Il domine tous les développements de la civilisation et de l’état social, et ce n’est pas la moindre preuve de son origine divine. Depuis longtemps celui qui a écrit ces paroles véhémentes s’en est allé vers ses pères ; les riches qu’il dénonce aux jugements de Dieu, comme les pauvres qu’il console, les bourreaux et les victimes ont disparu de la face de la terre. Tout a changé dès lors. Et pourtant cette page, écrite par un homme du Ier siècle à ses contemporains, est encore tellement actuelle qu’elle pourrait avoir été composée de nos jours par quelque apôtre des revendications de la classe ouvrière. Tant il est vrai que la question sociale a été et sera peut-être de tous les temps. Aucune époque ne peut avoir la prétention de la poser et de la résoudre complètement. Si elle prend un caractère toujours plus aigu et menace d’ébranler la société jusqu’en ses fondements, il ne faut pas oublier qu’elle a menacé d’autres sociétés et qu’elle s’est présentée déjà à d’autres hommes d’une manière redoutable.
Jacques reproche violemment aux riches de son temps le mauvais emploi qu’ils font de leurs richesses.
C’est la même plainte que font beaucoup de travailleurs de notre époque. Et comme les riches ne veulent pas entendre, ils passent de la réclamation à la théorie et de la théorie aux faits : communisme, collectivisme, anarchie, syndicats, grèves, révoltes, en un mot, la poursuite de l’argent que trop souvent on confond avec le bonheur.
Nous ne nous proposons point de jeter un coup d’œil d’ensemble sur cette grave question ; aussi bien, notre texte est plus précis dans ses reproches ; il attaque le mauvais usage de la richesse dans trois points spéciaux : 1° l’avarice, 2° l’injustice, 3° la sensualité.
Ces riches n’ont rien fait pour les autres ; bien plus, ils leur ont fait du mal ; bien plus encore, ils se sont fait du mal à eux-mêmes.
Si notre texte est restreint dans les reproches qu’il fait, il est général dans ceux auxquels il s’adresse. Sans doute Jacques parle à une catégorie de personnes bien délimitée. Chrétiens ou non, ces mauvais riches étaient bien connus pour leur avarice, leur injustice et leur sensualité. Leur conduite abominable était un scandale public ; on sent le frémissement d’indignation qui remplit le cœur de l’homme de Dieu. Il les montre du doigt ; il pourrait dire leurs noms.
Mais le terme de richesse est très relatif ; on est toujours le riche de quelqu’un. La richesse se présente sous mille formes diverses : c’est votre argent, ce sont vos terres ; ce sont aussi vos outils, vos livres, votre mobilier, votre instruction, votre santé, vos facultés. C’est tout ce qui contribue à faire vivre et à développer votre corps et votre âme. Nous avons tous de cette richesse-là et nous sommes tous des riches. Dieu nous a à tous confié quelque chose, et si notre responsabilité grandit avec nos biens, tous nous devrons pourtant en rendre compte. Tous nous pouvons commettre un abus de confiance vis-à-vis de Dieu et être avares, injustes ou sensuels ; c’est donc à nous tous que Dieu s’adresse aujourd’hui ; quand nous parlerons des riches, nous ne jetterons pas les yeux sur les autres, mais sur nous.
L’avare, au sens propre du mot, tel qu’il a été immortalisé dans plusieurs personnages classiques, se rencontre rarement. Les hommes n’enfouissent guère leur argent dans la terre. Cette passion est trop repoussante pour être ordinaire ; elle dégrade trop le corps et dessèche trop l’âme pour n’être pas marquée du sceau de la réprobation. « Il y a, dit Labruyère, des âmes sales, pétries de boue et d’ordure, éprises du gain et de l’intérêt comme les belles âmes le sont de la gloire et de la vertu ; capables d’une seule volupté qui est celle d’acquérir ou de ne point perdre ; enfoncées et comme abîmées dans les contrats, les titres et les parchemins. De telles gens ne sont ni parents, ni amis, ni citoyens, ni chrétiens, ni peut-être des hommes ; ils ont de l’argent. »
Si je me contentais d’attaquer ce genre d’avarice, vous chercheriez peut-être dans votre mémoire si vous connaissez des cas semblables. Les capitaux, on ne les enfouit pas, on les fait travailler. L’or et l’argent circulent, ils ne stationnent pas dans quelque recoin. Ce sont des titres, des actions, des obligations, des valeurs soigneusement classées dans un coffre-fort et rapportant un intérêt aussi élevé que possible.
L’or et l’argent ne se rouillent pas ; mais celui qui fait valoir sa richesse (nous employons ce mot dans son sens le plus général), le fait peut-être pour lui ; il ajoute l’intérêt au capital ; il agrandit sa fortune pour le plaisir de la voir s’augmenter, mais aussi et surtout pour en jouir d’une manière égoïste. Il y met son cœur, il se confie en elle, il s’en croit le propriétaire définitif ; il en fait le but de sa vie. Il oublie Dieu, qui y a droit, et les malheureux qui périssent autour de lui.
Il est d’ailleurs honnête ; il vit de ses rentes ; il ne fait de mal à personne. Il s’en va dans la vie en s’occupant de ses affaires, du placement de son argent, des bénéfices qu’il peut faire, des plaisirs qu’il peut s’accorder. Son habileté passera pour de la prudence ; son égoïsme pour de la dignité et du comme il faut. Son avarice s’appellera l’esprit d’économie et sa fortune lui assurera le respect de chacun.
Au reste, il sera sourd aux cris de pitié ou de colère qu’il entendra pousser ; on pourra bien souffrir autour de lui, faute de ce superflu qu’il entasse, il ne s’en troublera pas. Il lira dans son journal le récit de misères affreuses ; il les contemplera comme un spectacle, mais son cœur ne frémira pas. Il ne se dira pas qu’il est homme, que des hommes, ses frères, souffrent et que son devoir est de leur aider. Ou s’il leur aide, il y mettra assez d’ostentation ou de mépris pour qu’il soit préférable encore qu’il ne leur aide point.
Vous me direz que ces riches-là sont rares parmi nous. J’aimerais le croire. Mais nous-mêmes, quels que soient les biens que nous possédons — richesse, santé, intelligence — nous avons été et nous sommes peut-être de ces avares, en ceci, c’est que nous nous croyons des propriétaires qui ont le droit de dépenser leurs richesses à leur guise. Nous avons une peine infinie à comprendre que tout ce que nous avons nous est confié. Nous gardons pour nous ce qui ne nous appartient pas. Nous l’employons un peu pour Dieu, un peu pour les autres, je le crois. Mais notre portion n’est-elle pas beaucoup trop grande ? Dieu a-t-il ce qui lui revient ? Et les malheureux, nos frères, ont-ils leur part de nos biens, de notre santé, de notre intelligence ?
Sans doute, vis-à-vis de mon prochain, je suis propriétaire, mais vis-à-vis de Dieu, je suis tenancier. Devant Dieu, je ne possède rien. Vous êtes-vous dit que, d’ici à peu de temps, Dieu pourra changer de fermier ? Ces champs, ces maisons, ces titres que vous avez, passeront en d’autres mains. Combien d’hommes se sont crus propriétaires de ce champ que vous croyez vous appartenir ! Ils en étaient, comme vous, les tenanciers ; ils ont déjà rendu compte de leur administration. Le moment va venir où Dieu, en annulant le bail qu’il a conclu avec vous, vous demandera également de rendre vos comptes. Et alors, si vous avez enfoui le talent que Dieu vous avait confié, alors, « pleurez et jetez des cris à cause des malheurs qui vont fondre sur vous » (v. 1). Malheur à vous, si vous vous êtes amassé des trésors sur la terre seulement ! Malheur à vous, si vous avez commis, vis-à-vis de Dieu, ce grave abus de confiance !
A quoi vous serviront vos biens, dans le grand dépouillement de la mort ? Voici les vers et la rouille gâtent tout ; vos vêtements sont rongés des vers ; vos biens se corrompent. Ces richesses que vous avez amassées sont votre juste condamnation. Leur entassement même vous accuse. Plus vous en avez joui en égoïste, plus vous les avez accumulées pour vous, plus aussi le témoignage qu’elles déposent contre vous est écrasant. « Vous avez amassé un trésor — de colère — pour les derniers jours » (v. 3). Chaque parcelle de votre richesse mal employée rend votre condamnation plus certaine.
Vous direz en vain que vous n’avez fait de mal à personne. Votre péché, c’est justement de n’avoir fait de bien à personne ou de n’avoir pas fait tout le bien que vous pouviez faire. Ne rien faire ! mais c’est justement ce que Dieu vous reproche. Le riche, qui se traitait magnifiquement, n’avait commis qu’un crime, mais un crime suffisant, c’était de n’avoir pas vu Lazare à sa porte, affamé et mourant. Votre péché, ce ne sont pas ces richesses que Dieu vous a données, c’est cette rouille que vous avez permise et entretenue qui s’élève en témoignage contre vous. Elle sera une preuve indéniable de la dureté de votre cœur.
A ce moment suprême, les seuls biens qui vous seraient utiles, les seuls qui vous accompagneraient dans la sombre vallée, seraient ceux que vous auriez donnés à Dieu ou aux autres ; les seuls qui vous sont ôtés sont justement ceux que vous avez poursuivis.
Aussi, cet égoïsme, cette avarice seront comme un feu qui vous dépouillera de vos richesses et qui vous dévorera vous-même après avoir dévoré ce que vous avez aimé (v. 3).
Mais il ne s’agit pas seulement de ce péché négatif, si j’ose ainsi dire. Ce n’est pas seulement parce que les mauvais riches n’ont rien fait qu’ils seront condamnés. A cette avarice, à cet oubli des souffrances des autres, ils ont ajouté l’injustice et le vol. Au bien omis, ils ont ajouté le mal commis. Non seulement ils n’ont pas aidé ces malheureux, ils les ont encore frustrés de ce qui leur était dû.
« Voici le salaire des ouvriers qui ont moissonné vos champs et dont vous les avez frustrés, crie ; et les cris de ceux qui ont moissonné sont parvenus jusqu’aux oreilles du Seigneur des armées » (v. 4).
L’avarice a pour compagne la dureté de cœur, et de la dureté à l’injustice il n’y a qu’un pas. Si le cœur est insensible aux souffrances d’autrui, il ne se fera pas de scrupule d’être injuste. L’avarice est une passion envahissante ; elle tue dans le cœur ce qu’il y a de noble et de droit. Ne rien faire pour les autres, c’est déjà de la dureté et de l’injustice. Quand le gain légitime ne suffit pas à l’avare, il y ajoute la mauvaise foi.
La loi ordonnait de payer à l’ouvrier son salaire « avant que le soleil se couche, car, disait-elle, il est pauvre et c’est à quoi son âme s’attend » (Deutéronome 24.14).
Le mauvais riche prend des ouvriers qu’il considère comme des esclaves. Il les emploie à moissonner. S’il existe un travail pénible et qui mérite une récompense, c’est bien celui-là. Cette moisson, le riche la tient de Dieu seul ; c’est une faveur de sa part. Comment peut-il être injuste au jour de la moisson ? Mais non seulement il ne donne pas de son superflu, il prive encore de leur pain ceux qu’il a chargés de ramasser son propre pain. Il refuse à ces malheureux leur salaire. Hé bien ! du sein de ces richesses et de ces moissons monte le cri des opprimés ! Cette plainte immense grandit ; elle se confond encore un instant avec les bruits de la terre, mais bientôt elle monte seule vers le trône de Dieu. Le Seigneur des armées a entendu ces lamentations ! Ces ouvriers peuvent répéter l’admirable parole du Psalmiste : « Tu as compté mes allées et mes venues ; mets mes larmes en tes vases ; ne sont-elles pas dans ton registre ? » (Psaumes 56.9)
De nos jours aussi, plus que jamais, on entend une grande plainte qui monte vers le ciel : cris de détresse ou cris de fureur, voix des grèves et des révoltes ; l’immense peuple des salariés se réveille ; il veut plus de salaire et moins de travail ; il veut être considéré comme faisant partie de la race humaine ; il demande grâce pour les faibles, pour les femmes, pour les enfants, pour les hommes qui usent leur vie pour fournir aux autres leur luxe et leur superflu.
Ils se disent des victimes et il faut avouer qu’ils ont souvent raison. Il est vrai que, si l’on fait des rapprochements, on trouve que la condition de l’ouvrier s’est bien améliorée depuis un siècle et qu’elle s’améliore tous les jours. Le paysan dont parle Labruyère et qu’on pouvait confondre avec un animal sauvage, n’existe plus chez nous, Dieu soit béni. Il y a eu des temps où les ouvriers mouraient de faim au bord des chemins ; ce temps n’est plus. On accuse la machine d’avoir réduit le nombre des ouvriers en même temps que le salaire. Au dire d’économistes compétents, elle ne mérite pas cet excès d’indignité. Il est prouvé, au contraire, que la machine, qui met au service de l’homme des forces immenses, qui l’affranchit du travail mécanique, qui fait l’ouvrage mieux, plus vite et à meilleur marché, — il est prouvé que la machine a fait augmenter le nombre des ouvriers, et, en faisant baisser le prix de la vie, a augmenté leur salaire.
Stuart Mill a dit mélancoliquement : « Jusqu’à présent, les machines n’ont pas diminué d’une seule heure le travail d’un seul être humain. »
Tout cela est vrai ; il y a de l’exagération et de l’injustice dans les réclamations que nous entendons ; il y a des progrès accomplis ; mais ils disparaissent parfois devant la misère poignante que nous pouvons voir sous nos yeux.
Le salaire, c’est la rémunération du travail ; mais le travail est-il payé, payé exactement ? Est-ce que le capital ne garde pas souvent pour lui une portion énorme du travail de l’ouvrier ?
Le capital est payé par l’intérêt ; le travail est payé par le salaire. Hélas ! souvent le capital, à côté de l’intérêt, garde la plus grosse partie du salaire. Que de patrons oublient que c’est en payant bien qu’on obtient de la besogne exécutée à bon marché ! Pour être juste, le maître devrait payer l’ouvrier exactement pour son travail ; le fait-il parfois ? le fait-il toujours ? Que de dureté, d’injustices, de mauvaise foi dans les rapports du patron vis-à-vis de l’ouvrier !
Au lieu de voir les exagérations des plaintes des ouvriers, ayons pitié d’eux : la misère rend l’homme injuste, mais le bien-être le rend égoïste. Examinons-nous nous-mêmes : Peut-être renvoyons-nous trop facilement le malheureux qui frappe à notre porte ? Nous sommes peut-être injustes avec nos ouvriers ? Pourraient-ils dire que nous sommes toujours des chrétiens ? Aimons-nous notre prochain comme nous-mêmes ? — Peut-être ne payons-nous pas nos fournisseurs, ou les payons-nous trop peu régulièrement. Or il est pauvre et c’est à quoi son âme s’attend. Il compte sur notre argent pour vivre et pour payer ses propres créanciers.
Et si nous sommes justes dans nos payements, quel emploi faisons-nous de notre richesse ? Nous souvenons-nous, comme on l’a dit justement, que la richesse nous a été donnée pour effacer le contraste choquant qui existe entre la pauvreté et l’abondancea. Lequel de nous oserait dire que, dans cette plainte qui monte vers Dieu, il n’y a pas quelque cri qui l’accuse.
a – Commentaire sur l’Évangile de Saint-Luc, par M. F. Godet.
Si les chrétiens étaient de fidèles administrateurs des biens qui leur sont confiés ; s’ils étaient de bons Samaritains qui relèvent avec amour ceux qui tombent dans ce grand combat ; s’ils se rappelaient que la question sociale est leur affaire parce qu’elle est aux trois quarts au moins une question morale et parce que l’Évangile seul affranchit du péché ; s’il en était ainsi, le monde verrait s’accomplir la plus grande, la plus tranquille, la plus bienfaisante des révolutions.
Pendant que les cris des opprimés montaient vers l’Éternel des armées, les oppresseurs vivaient dans les voluptés et dans les délices, v. 5 ; leur vie était une fête continuelle ; ils dépensaient cet argent volé aux pauvres, dans la luxure et la prodigalité. Non seulement ils font du mal aux autres, ils s’en font encore à eux-mêmes. Pais, comme la sensualité et la cruauté cheminent volontiers côte à côte, comme la conscience tourmentée se venge volontiers sur l’innocent, ils condamnent et mettent à mort le juste qui ne leur résiste point. Au resté, en volant leurs ouvriers, ils avaient déjà fait leur possible pour les plonger dans la misère et dans la mort. Dans quelque réduit des malheureux mouraient parce qu’ils n’avaient pas reçu le salaire auquel ils avaient droit.
Ce dernier trait achève l’acte d’accusation que Saint-Jacques dresse contre les mauvais riches. Nous comprenons son indignation et la véhémence de ses menaces.
Ceux qui vivent dans les voluptés et qui insultent à la misère, ne se trouvent peut-être pas parmi vous. Toutefois n’y a-t-il pas, dans votre manière de vivre, un superflu et un luxe choquants qui peuvent vous faire mal juger ? Tandis que, à vos côtés, parmi vos employés, parmi vos voisins, vous voyez la pauvreté et presque la disette, comment pouvez-vous contenter des goûts égoïstes de luxe et de bonne chère ?
Vous me direz que vous pouvez les payer, et même, pour vous excuser, vous direz que ces dépenses superflues et coûteuses ont au moins l’avantage de faire vivre des travailleurs. Tout d’abord ne dites pas que c’est pour favoriser le commerce que vous vivez dans le luxe ; c’est pour vous-mêmes et pour satisfaire les désirs de votre cœur. Puis on s’est assez longtemps consolé d’avoir des habitudes de prodigalité en disant qu’elles apportent de l’ouvrage à des malheureux et qu’elles donnent une sorte de satisfaction à des goûts artistiques ou littéraires.
Cette excuse est mauvaise ; et pour être très vieille et très répandue, cette erreur est pourtant une erreur.
Le luxe est souvent un gaspillage de choses inutiles ; c’est une force perdue pour l’humanité. « Ce qui peut satisfaire le goût du beau, ce n’est pas tant la richesse de la matière que la perfection de la formeb. »
b – Eléments d’économie politique, par Emile de Laveleye, page 207.
Si le riche, au lieu de dépenser son argent à des choses souvent inutiles ou ruineuses, le consacrait, par exemple, à des améliorations agricoles ou industrielles, il emploierait un plus grand nombre d’ouvriers. Au lieu de faire un repas magnifique qui va être anéanti, ou une parure de diamants qui ne rapporte rien, ces ouvriers travaillant la terre, par exemple, créeront un capital utile qui, à son tour, produira son intérêt. La question n’est pas de dépenser le plus d’argent possible, mais, en le dépensant, de faire vivre le plus de monde possible en produisant le plus possible.
Mais si, au milieu de nous, grâces à Dieu, le mal est encore relatif, que voyons-nous dans le monde si nous y jetons les yeux ?
Les cris des malheureux, frustrés de leur salaire, montent vers l’Éternel. Et, au milieu de ces clameurs et de ces cris de détresse, les riches, qui vivent du travail de ces ouvriers, étalent leur luxe tapageur, leurs festins et leurs débauches. Ah ! nous comprenons, en face de ces abus scandaleux de la richesse, que des pensées d’envie, de révolte et de vengeance montent au cœur des pauvres. Quand le riche, par ses prodigalités, insulte à la misère ; quand l’ouvrier, manquant de pain, se dit que l’argent dépensé en un repas le ferait vivre une année, lui et sa famille, et que c’est son travail et ses sueurs qui ont en partie payé ce festin, nous comprenons qu’il répète la parole de Saint-Jacques : Riches, je viens à vous, jetez des cris à cause des malheurs qui vont tomber sur vous !
Mais qu’ils attendent ! Dieu règne et il agira. Qu’ils laissent l’Éternel exercer la vengeance ; elle lui appartient.
L’avare, l’injuste, le débauché trouvent dans leurs propres péchés le plus terrible des châtiments. Au delà de la terre, sur la terre déjà peut-être, il se fait des compensations. Le mauvais riche trouve déjà son châtiment dans la vanité de ses richesses, dans les remords de sa conscience et dans les maladies qui accompagnent ou qui suivent toujours la sensualité.
Mais Dieu lui tient en réserve une punition plus terrible. Il y a un ver qui ne meurt point et un feu qui ne s’éteint point. Tandis que Lazare trouve enfin le repos dans le séjour des élus, le mauvais riche s’aperçoit que son bonheur est passé, qu’il a tout perdu et qu’il est trop tard pour recommencer une nouvelle vie.
Jamais peut-être l’Église chrétienne n’a eu plus besoin d’un aussi sérieux avertissement. Voyons si nous ne sommes pas, en quelque manière, des mauvais riches ; s’il n’y a pas, dans notre administration, de l’égoïsme, des infidélités, des injustices ou du gaspillage !
Voyons si nous ne devons pas commencer ou poursuivre beaucoup plus énergiquement, à l’égard des malheureux, des pauvres, des tombés, des blessés de la vie, cette œuvre d’assistance, de relèvement, de consolations, de prières.
Dieu nous confie des trésors matériels ou spirituels ; nous devons les faire valoir, les dépenser pour les autres, comme Jésus-Christ, notre Sauveur, qui a dépensé sans compter les trésors de son amour, de sa puissance et de ses compassions ; comme Jésus-Christ, le bon berger, qui a donné sa vie pour ses brebis.
« Soyons fidèles ; » (1 Corinthiens 4.2) c’est ce que Dieu demande de ses dispensateurs ; qu’il puisse nous dire un jour : « Cela va bien, bon et fidèle serviteur ; tu as été fidèle en peu de chose, je t’établirai sur beaucoup ; entre dans la joie de ton Seigneur. » Amen.
Henri Jeanrenaud
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