L’épître de Jacques en 25 sermons

L’attente patiente du chrétien

Mais vous, mes frères, attendez patiemment jusqu’à l’avènement du Seigneur. Vous voyez que le laboureur attend le précieux fruit de la terre avec patience, jusqu’à ce qu’il reçoive du ciel la pluie de la première et de la dernière saison. Vous donc de même, attendez patiemment et affermissez vos cœurs, car l’avènement du Seigneur est proche.

Jacques 5.7-8

Si quelqu’un devait douter de l’inspiration des Saintes Écritures, c’est-à-dire de l’influence surhumaine qui a présidé à la composition des écrits bibliques, il y aurait lieu — sans doute à côté d’autres preuves non moins convaincantes — d’attirer son attention sur tel chapitre, tel récit, tel précepte, qu’il est difficile d’attribuer au seul pouvoir humain. Et si, en particulier, quelqu’un osait prétendre que l’épître de Saint-Jacques n’a pas reçu sa part et sa grande part de l’appui divin, nous lui demanderions comment il aurait été possible à un homme vivant dans un temps d’instruction restreinte et sorti, en définitive, de la classe des artisans, de composer, au moyen de ses seules ressources intellectuelles, un passage comme celui qui fait l’objet de notre méditation.

C’est une exhortation à l’attente. Or, il a suffi à l’auteur sacré, des quelques mots dont se composent ces deux versets, pour résumer tout ce qui peut être dit sur cet important sujet, au point que ces lignes, écrites sans doute au courant de la plume, semblent être le résultat d’un long travail de réflexion et de condensation. Motifs de l’attente, forme de l’attente, durée de l’attente, résultat de l’attente, rien n’y manque et rien n’y est de trop. Qui doit attendre ? Vous, mes frères. — Dans quelles dispositions faut-il attendre ? Patiemment. — Jusqu’à quand faut-il attendre ? Jusqu’à l’avènement du Seigneur. — Pourquoi faut-il attendre ? Parce que nous sommes des laboureurs, dépendant d’une multitude de conditions sur lesquelles nous ne pouvons exercer aucune action. — Enfin, quel profit aurons-nous à attendre ? Un affermissement de nos cœurs. — N’est-il pas vrai que la patience est ici étudiée à tous les points de vue qu’elle peut suggérer ?

Nous nous trompons cependant. Il est une chose, et une chose essentielle, que l’auteur sacré a passée sous silence. C’est l’objet de l’attente. Attendre quoi ? Saint-Jacques ne le dit pas. — Mais était-il besoin de le dire ? Ne le savaient-ils pas surabondamment, ceux auxquels s’adressaient ces mots, et fallait-il, par une longue énumération de leurs souffrances, retourner encore le fer dans leurs plaies saignantes ? Attendre quoi ? Ils ne le savaient que trop, les chrétiens d’alors ; attendre la fin de leurs maux, l’exaucement de leurs prières, un résultat de leur travail. Il nous semble même que cette omission, bien douce aux lecteurs d’autrefois, ajoute encore à la valeur de l’exhortation pour les hommes de tous les temps, puisqu’elle revêt ainsi un caractère d’universalité qui lui permet de s’appliquer aux positions les plus diverses, aux nécessités de toutes les conditions et de toutes les époques.

Mais si la forme en laquelle est présentée cette exhortation lui donne d’emblée une haute valeur, sa provenance lui ajoute une portée non moins significative. Quel est l’homme qui donne ce conseil facile à donner, difficile à suivre ? Quels sont ses droits à prendre vis-à-vis de ses lecteurs la position d’un juge ?

C’est Jacques, le frère du Seigneur, le premier pasteur de l’Église qui s’était formée à Jérusalem ; ses droits sont résumés tout entiers dans cette expression dont il se sert vis-à-vis d’eux : Mes frères. Il n’est pas un de ces aimables et subtils donneurs de conseils, du genre de ceux qu’il stigmatise quelques lignes plus haut et qui, lorsqu’un frère ou une sœur sont nus et qu’ils manquent de la nourriture qui leur est nécessaire chaque jour, leur disent : « Allez en paix, chauffez-vous et vous rassasiez, » — mais se gardent bien de leur donner de quoi couvrir leur corps et apaiser leur faim. Non, cette attente patiente qu’il leur recommande, il est bien décidé à en user pour lui-même. Et s’il s’adresse à eux comme à des frères, c’est qu’il se sent uni à eux par la communauté de la souffrance comme par celle de la foi. Sorti comme eux du sein de la famille juive pour s’enrôler sous la bannière du Crucifié, devenu infidèle aux traditions religieuses de la nation pour suivre celui que les Scribes et les Pharisiens avaient déclaré un imposteur et un blasphémateur, se sachant désigné d’avance pour la prochaine hécatombe de chrétiens, il est bien leur frère, frère dans la foi, frère aussi dans la détresse. Elle est facile, elle est naturelle la fraternité des jours prospères, celle de la place de fête ou de la fin d’un banquet, mais elle est autrement significative et vraie, celle qui s’affirme en face des édits oppressifs d’un Néron ; elle donne des droits à nul autre pareils …

Et maintenant, que va dire à ses frères ce frère dans la foi et dans la souffrance ? Rappelons-nous que c’était au temps des premières persécutions contre les chrétiens. Sans doute il va les exhorter à une vigoureuse résistance ; il leur rappellera qu’ils sont hommes et qu’on ne foule pas impunément aux pieds les droits sacrés de la conscience, qu’ils ont donc à user de toutes les ressources, à épuiser toutes les instances ; ou bien il leur enseignera quelque manœuvre habile qui les mettra hors de l’atteinte de leurs persécuteurs ; il trouvera bien dans sa vieille expérience quelque idée neuve et pratique ; on n’est pas une des colonnes de l’Église, sans être au fait des moyens les plus propres à relever l’Évangile de l’abaissement où de vils adversaires voudraient le réduire.

Or le voici venu, ce conseil impatiemment attendu ; il est là dans cette lettre qu’ils viennent de recevoir et dont ils déchiffrent, non sans peine, les caractères tracés d’une main appesantie par l’âge ; il est là, clair, précis, pratique, comme tout ce qui sort de la bouche de cet homme : Pour vous, mes frères, attendez.

Et c’est là tout ce que le digne pasteur de Jérusalem a su tirer de sa grande sagesse et de sa longue expérience ! Attendre, quand le bourreau est déjà à nos portes ! Attendre, quand tout nous convierait à une action prompte et énergique ! Attendre jusqu’à une échéance absolument indéterminée qui s’appelle l’avènement du Seigneur ! Attendre patiemment, sans fourbir nos armes, sans comploter dans l’ombre ! Sûrement il y a malentendu et les braves chrétiens dispersés devaient, à la lecture de ces mots, se sentir singulièrement déçus.

Celui qui écrit ces lignes éprouvait, il y a bientôt 25 ans, pareille déception et pareil étonnement en entendant un semblable conseil. C’était au moment où notre pays était en émoi par suite de la campagne entreprise par un conférencier contre l’Écriture sainte ; partout aussi, d’un bout à l’autre du canton, s’étaient levés de courageux défenseurs de la Bible injustement attaquée. J’étais alors à l’Université de Tubingue. Fier de la belle levée de boucliers qui s’était manifestée dans mon pays, j’en racontais orgueilleusement les détails au professeur distingué dont les étudiants, venus par centaines de toutes les parties de l’Europe, suivaient les remarquables enseignements ; je m’attendais de sa part à une approbation sans réserve et à une admiration entière des grandes choses qui s’étaient passées à Neuchâtel. Mais lui : « Laissez faire, attendez ; ne sortez pas de votre calme et de votre confiance ; le Seigneur règne, il saura bien, quand il le jugera à propos, faire le procès à ses adversaires ; bornez-vous à être de fidèles et patients laboureurs du champ spirituel que Dieu vous a confié. »

Attendez, tel est le conseil que Saint-Jacques donnait aux chrétiens de son temps. Or, ce que l’Évangile recommandait alors à une minorité écrasée est sûrement en place de nos jours et dans des contrées où le christianisme est devenu majorité, où il est reconnu et prépondérant.

Attendre ; mais peut-on parler d’attendre dans notre siècle de vie intense, de ressources nombreuses, dans notre époque de communications instantanées, d’échanges rapides ? Attendre, c’est un anachronisme ! Au contraire, de nos jours il faut se hâter, se répandre, multiplier les appels, les prospectus, les manifestes, les œuvres nouvelles ; il faut forcer la main à la trop lente évolution des choses, décréter qu’avant la fin du siècle le monde entier sera converti à l’Évangile ! Qui parle d’attendre est un lâche et un traître ! …

Mon cher frère, qui parles ainsi, permets à Saint-Jacques de te le dire, tu ferais un singulier laboureur. Toujours occupé à remuer le sol où la semence que tu as répandue accomplit son lent travail de germination, tu aurais bientôt fait de compromettre la future récolte ; toujours inquiet, tu emploierais le meilleur de ton temps et de tes forces à supputer anxieusement les chances de pluie de la première et de la dernière saison. Rappelle-toi que tu n’es ici-bas qu’un laboureur. Le champ ne t’appartient pas, la semence t’appartient encore moins, il n’est pas en ton pouvoir de faire descendre du ciel la pluie fertilisante. Simple laboureur du sol où tu travailles, il ne dépend pas de toi d’en changer les conditions, de faire qu’il produise plus rapidement ; tu ne peux pas non plus donner à la semence la faculté de germer dans d’autres délais que ceux qui lui ont été fixés par le Créateur ; enfin, quoi que tu fasses, la pluie viendra en son temps, et si même elle devait tarder à venir, tes craintes et tes impatiences ne changeront pas le cours des saisons. Laboureur prudent, ton rôle est d’attendre, d’attendre patiemment, d’attendre jusqu’à l’avènement du Seigneur.

Attendre ; à quoi aboutit d’ailleurs le plus souvent votre travail et votre agitation ? Et, bien que notre époque paraisse être, moins que d’autres, sujette aux conditions du temps et de l’espace, elle non plus ne fait rien en un jour ; ses progrès sont d’une lenteur désespérante et cela précisément dans les domaines où elle serait tenue de progresser rapidement, dans toutes les questions qui ont trait à la vie morale, intellectuelle, sociale. Que de temps il faut à une idée pour faire son chemin ; les mêmes questions d’organisation sociale qui se posaient déjà pour le peuple hébreu et que Moïse résolvait à sa manière, ne sont pas encore résolues. Les progrès sont insensibles, si même il n’y a pas recul. Et dans les mille détails de la vie de tous les jours, que de choses qu’il faut renvoyer, différer ; que de compromis auxquels il faut se soumettre ; que de petits faits que la volonté la plus énergique ne parvient pas à faire plier ! Et ce dont vous n’êtes pas capables dans les plus petites choses, vous l’exigeriez dans les grandes choses ! Ah ! sachez attendre, ne vous consumez pas en vaines impatiences ; l’auteur sacré vous le dit, attendez patiemment.

Patiemment ; n’êtes-vous pas les enfants du Dieu de patience, de celui qui, comme le disait Esaïe, attend pour vous faire grâce ? N’êtes-vous pas les disciples de celui qui n’éleva point sa voix et ne la fit point retentir dans les rues ? Vos pères dans la foi ont attendu ; Noé attendit la délivrance promise ; Abraham, Joseph, Moïse, Gédéon, Barac, Samson, David, Samuel n’ont point reçu immédiatement ce qu’ils attendaient. Siméon attendait la consolation d’Israël. Le Maître règne ; il tient d’une main ferme le gouvernail de ce monde ; depuis 60 siècles il est là, résistant à la formidable poussée des passions humaines qui, sans lui, auraient déjà conduit notre humanité à la sauvagerie, si ce n’est à un anéantissement complet. Or, il faut le laisser faire, le laisser passer, ne pas entraver son œuvre par une activité inintelligente, qui le plus souvent lui crée de nouveaux obstacles. Il y a, dans la plupart des cas, plus d’héroïsme à ne rien faire qu’à s’agiter, quand même cette agitation ne serait pas l’indice d’une faiblesse maladive ; les fiévreux sont plus actifs que les gens en santé. Le Seigneur, dit Saint-Paul, veuille conduire vos cœurs à attendre patiemment Jésus-Christ.

L’avènement du Seigneur, voilà ce qui, plus que toute notre agitation, débrouillera le chaos des choses humaines ; l’avènement d’aucune autre personnalité ne produira ce résultat ; les soi-disant Sauveurs de l’humanité n’ont fait le plus souvent qu’apporter de nouvelles complications et de nouvelles difficultés.

Au reste, l’avènement du Seigneur est proche ; notre patience ne sera jamais exposée à une trop longue épreuve : il vient, il est en route, il est là tout près. Mais il lui faut du temps pour débrouiller le tissu infiniment compliqué des compétitions, des erreurs et des faiblesses humaines. Sans doute, il pourrait d’un coup de foudre y ramener l’ordre ; mais il aime mieux, lentement, délicatement, remettre chaque chose à sa place, suivre longtemps, plutôt que de le briser, le fil enchevêtré de vos égarements. D’ailleurs il n’a pas seulement à tenir compte de vos désirs et de vos embarras, mais de ceux de toute l’humanité, car son vœu est que tous soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité.

Mais, direz-vous, ce serait donc là l’idéal, le but suprême de mon existence ; attendre ! Et, quand je sens au dedans de moi un intense besoin d’agir, de me dépenser, je devrais comprimer ces nobles désirs et, ces forces, ces talents que Dieu m’a donnés, les enfouir paresseusement !

Erreur, mon cher frère ; il est immense le champ qui reste ouvert à ton activité. Rappelle-toi la comparaison de Saint-Jacques. N’es-tu pas le laboureur du terrain sur lequel Dieu t’a placé ? N’as-tu pas à le cultiver fidèlement, jour après jour, saison après saison, année après année ? N’as-tu pas à y répandre de la bonne semence, celle de la foi, d’une vie de sainteté et de piété ? Mais accomplis ce travail avec le calme et la patience de celui qui sait que les résultats ne sont pas entre ses mains.

Laboureur dans le champ de l’enseignement, cultive fidèlement cette terre souvent aride et rocailleuse, arrose-la de tes sueurs, accomplis au temps voulu les travaux exigés, répands-y de la bonne semence et attends. Un jour, le Seigneur répandra sur ton champ les pluies de la première et de la dernière saison et une riche moisson récompensera tes patients travaux.

Laboureur dans le champ de l’évangélisation, champ immense, souvent semé d’épines ; la semence y germe avec peine ; le soleil du milieu du jour en détruit souvent les tendres épis : le travail est dur et la moisson lente à mûrir. Mais patience ; cultive fidèlement la portion du champ où Dieu t’a placé ; répands-y abondamment la semence de la Parole de Dieu. Laboure, sème et attends.

Laboureur du champ de la responsabilité, terre lourde et ingrate, terre qui quelquefois engloutit ses habitants, comme celle qu’entrevoyaient en Canaan les espions de Josué, terre où croît en abondance l’herbe amère de la déception. Ne te lasse pas de la cultiver, sèmes-y la fidélité et la droiture ; laboure, sème et attends.

Laboureur du champ de la maladie, de l’épreuve ; à toi les sillons profonds de la souffrance, la terre brûlante de la douleur. Ne te hâte pas de désirer un champ moins pénible à cultiver. A toi de semer avec larmes, mais à toi aussi de récolter un jour avec chants de triomphe. Sème la résignation, la soumission, prie, regarde à Dieu et attends.

Et si tu veux un résultat immédiat de ton travail, le voici, c’est encore Saint-Jacques qui l’indique dans les deux mêmes versets où nous avons déjà trouvé tant de richesses : Affermis ton cœur. La voilà la véritable conquête ; celui qui possède son cœur vaut mieux que celui qui prend des villes ; le voilà le véritable profit, la récompense constante et journalière de ta fidélité. Car, peu importe au fond que tu aies changé quelque chose à ce qui existe autour de toi ; le Maître lui-même changera quand besoin sera. Que seulement tu aies changé ton cœur, que tu l’aies affermi par une longue attente, une fidèle activité, et que tu sois de ceux dans la bouche desquels le prophète met cette parole : « Voici notre Dieu, nous l’avons attendu ; nous nous réjouissons en son salut. » Amen.

Paul Buchenel

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant