Histoire de la Réformation du seizième siècle

18.4

Le manoir de Sodbury – Tyndale chez sir John Walsh – Entretiens à table – Les Écritures – Les images – L’ancre de la foi – Un camp romain – Prédications, la foi et les œuvres – Tyndale accusé par les prêtres – Ils arrachent ce qu’il plante – Il veut traduire l’Écriture – Conversion au manoir – On l’attaque dans les cabarets – Comparution devant le chancelier – Un vieux docteur le console – Un scolastique veut le ramener – Retraite et travail – Son secret s’évente – Ses adieux au manoir

Tandis que ce prélat ambitieux ne pensait qu’à sa gloire et à celle du pontificat romain, un grand désir, mais d’une tout autre nature, germait dans le cœur de l’un des humbles évangéliques de l’Angleterre. Si Wolsey avait les yeux fixés sur le trône de la papauté pour s’y asseoir, Tyndale songeait à relever le trône de l’Église véritable, en rétablissant la souveraineté légitime de la Parole de Dieu. Le Testament grec d’Érasme avait été un premier pas, il fallait maintenant apporter aux simples ce que le roi des écoles avait donné aux savants. Cette grande pensée, qui poursuivait partout le jeune docteur d’Oxford, devait être le principe puissant de la Réforme en Angleterre.

Dans la belle vallée de la Severn, où Tyndale était né, habitait une famille noble, dont le manoir simple mais vaste, situé sur le revers de la colline de Sodbury, commandait une vue fort étendue. Sir John Walsh, seigneur du lieu, avait brillé dans les tournois de la cour, et s’était ainsi concilié la faveur de son prince. Il tenait table ouverte, et gentilshommes, doyens, abbés, archidiacres, docteurs en théologie et gras bénéficiers, charmés du bon accueil et des bons dîners de sir John, fréquentaient à l’envi sa maison. L’ancien frère d’armes de Henri VIII prenait intérêt aux questions qui se débattaient alors dans la chrétienté. Lady Walsh elle-même, femme sage et généreusea, ne perdait pas un mot des conversations animées de ses commensaux, et s’efforçait discrètement de faire pencher la balance du côté de la vérité.

a – Lady Walsh, a stout and wise woman. (Foxe, Acts, 5 p. 115.)

Tyndale, après avoir quitté Oxford et Cambridge, avait dirigé ses pas vers la vallée de ses pères. Sir John lui avait proposé d’élever ses enfants, et il avait accepté. William, dans la force de l’âge (il avait environ trente-six ans), était bien instruit dans les Écritures, et plein du désir de faire valoir la lumière que Dieu lui avait donnée. Les occasions ne lui manquaient pas. Assis à table avec tous les docteurs auxquels sir John faisait accueilb, Tyndale entrait en conversation avec eux. On parlait des savants du jour, beaucoup d’Érasme, quelquefois même de ce Luther qui commençait à étonner les Anglaisc. On discutait plusieurs questions touchant les saintes Écritures, et divers points de théologie. Tyndale exprimait ses convictions avec une admirable clarté, les soutenait avec une grande science, et tenait tête à tous avec un indomptable courage. Ces entretiens animés de la vallée de la Severn sont l’un des traits essentiels du tableau que présente la Réformation en Angleterre. Des historiens de l’antiquité ont inventé les discours qu’ils ont placés dans la bouche de leurs héros. De nos jours, l’histoire, sans inventer, doit faire connaître les pensées des personnages dont elle parle. Il suffit de lire les œuvres de Tyndale pour se former quelque idée de ces conversations : c’est de ses écrits que les paroles suivantes sont tirées.

b – Who were together with Master Tyndale sitting at the same table. (Ibid.)

c – Talk of learned men, as of Luther and Erasmus, etc. (Ibid.)

Dans la salle à manger du vieux manoir, se trouvaient autour de la table, sir John, lady Walsh, quelques gentilshommes, plusieurs abbés, doyens, moines et docteurs, avec leurs costumes et leurs babils divers. Tyndale occupait la place la plus modeste, et tenait d’ordinaire à sa portée le Nouveau Testament d’Érasme, afin de prouver ce qu’il avançaitd. Les domestiques allaient et venaient, et la conversation, après avoir un peu divagué, prenait à la fin une direction plus précise. Les prêtres s’impatientaient quand ils voyaient paraître le terrible volume. « Vos Ecritures ne font que des hérétiques ! disaient-ils. — Au contraire, répondait Tyndale, la source des hérésies, c’est l’orgueil ; or la Parole de Dieu dépouille l’homme de tout et le laisse aussi nu que Jobe. — La Parole de Dieu ! — nous ne comprenons pas nous, votre Parole, comment donc le peuple l’entendrait-il ? — Vous ne la comprenez pas, répliquait Tyndale, parce que vous n’y cherchez que des questions folles, comme si vous lisiez les matines de Notre-Dame ou les prophéties de Merlinf. Les Écritures sont un fil conducteur qu’il faut suivre, sans se détourner, jusqu’à ce que l’on arrive à Christg ; car Christ est le but. — Et moi je vous dis, reprenait un prêtre, que les Écritures sont le labyrinthe de Dédale, plutôt que le fil d’Ariane, un grimoire où chacun voit ce qu’il veut voir. — Ah ! répondait Tyndale, c’est sans Jésus-Christ que vous les lisez ; voilà pourquoi elles sont pour vous un livre obscur ; que dis-je ? une caverne pleine de broussailles, où vous n’échappez aux ronces que pour être déchirés par les épinesh. — Non, répliquait un autre clerc, sans se soucier de contredire son confrère, il n’y a pour nous rien d’obscur ; c’est nous qui vous donnons les Écritures, et c’est nous qui vous les expliquerons. — Vous y perdriez votre temps et votre peine, répliquait Tyndale ; savez-vous qui a enseigné à l’aigle à trouver sa proiei ? Eh bien, ce même Dieu apprend à ses enfants affamés à trouver leur Père dans sa Parole ! Loin de nous avoir donné les Écritures, c’est vous qui nous les cachez ; c’est vous qui brûlez ceux qui les prêchent, et c’est vous qui, si vous le pouviez, les brûleriez elles mêmes… »

d – When they at any time did vary from Tyndale in opinions and judgement, he would show them in the book. (Ibid.)

e – Maketh them as bare as Job. (Tynd. II, p. 989)

f – Our Lady’s matins, or as it were Merlin’s prophecies. (Ibid.)

g – Go along by the Scripture as by a line until thou come at Christ. (Ibid., I, p. 354.)

h – A grove of briars, if thon loose thyself in one place, thou art caught in another. (Ibid., II, p. 230.)

i – Who taught the eagles to spy ont their prey? (Ibid., p. 50.)

Tyndale ne se contentait pas d’établir les grands principes de la foi. Il cherchait, il est vrai, toujours ce qu’il appelle lui-même « la douce moelle du dedans ; » mais à l’onction divine, il unissait l’esprit, et se moquait impitoyablement des superstitions de ses adversaires. — « Vous placez des cierges devant les images, leur disait-il… Et pourquoi, puisque vous leur donnez de quoi voir, ne leur donneriez-vous pas de quoi se nourrir ? Faites-leur donc un trou dans le ventre, et mettez-y à manger et à boirej. Servir Dieu par de telles momeries, c’est le traiter comme un enfant qu’on calme avec un hochet quand il crie, et auquel on fait un cheval avec un bâtonk. »

j – Make a hollow belly in the image. Tyndale, Answer to More (Park. Soc.), p. 81.

k – Make him a horse of a stick. Tyndale’s Wks. (ed. Russell) 2, p. 475.

Mais bientôt l’helléniste revenait à des idées plus graves, et quand ses adversaires exaltaient la papauté comme la puissance qui, au jour de l’orage, sauverait l’Église, il répondait : « Attachons seulement au navire l’ancre de la foi, après l’avoir plongée dans le sang de Jésus-Christl, et quand la tempête éclatera, jetons hardiment l’ancre à la mer ; alors, soyez-en sûrs, le navire demeurera ferme sur les grandes eaux. » Enfin, si ses adversaires rejetaient quelque doctrine de la vérité, Tyndale, nous dit le chroniqueur, ouvrant son Testament, montrait du doigt le verset qui réfutait l’erreur romaine, et s’écriait : « Voyez et lisezm ! »

l – Tynd., II, p. 245.

m – And lay plainly before them the open and manifest places of the Scriptures, to confute their errors and confirm his seings. (Fox, Acts. V. p. 115)

Les origines de la Réformation en Angleterre ne se trouvent donc pas, on le voit, dans un matérialisme ecclésiastique, que l’on décore du nom de catholicisme anglais ; elles sont essentiellement spirituelles. Le Verbe divin, créateur de la vie nouvelle dans l’individu, est aussi fondateur et réformateur de l’Église. C’est à l’évangélisme que les Églises réformées appartiennent, et spécialement celles de la Grande-Bretagne.

La contemplation des œuvres de Dieu délassait Tyndale des luttes qu’il soutenait à la table de son patron. Il parcourait souvent la gracieuse colline de Sodbury, et parvenu près de quelques décombres, restes d’un vieux camp romain qui la couronnent, il s’y reposait solitairement sur quelque pierre. C’était là que s’était arrêtée la reine Marguerite d’Anjou, puis Édouard IV, qui la poursuivait, avant la fameuse bataille de Tewkesbury, qui fit tomber cette princesse dans les mains de la Rose blanche. Tyndale, au milieu de ces décombres, monuments de l’invasion romaine et des luttes intestines de l’Angleterre, rêvait à d’autres batailles qui devaient rendre à la chrétienté la liberté et la vérité. Puis il se levait, descendait la colline, et se mettait à l’œuvre avec courage.

Derrière le manoir était une petite église, dédiée à sainte Adeline, dont deux ifs ombrageaient l’entrée. Le dimanche, Tyndale montait en chaire ; sir John, lady Walsh et l’aîné de leurs enfants occupaient le banc seigneurial. Leurs gens et tenanciers remplissaient cet humble sanctuaire, écoutant avec recueillement la parole du précepteur, qui sortait de ses lèvres comme les eaux de Siloé qui coulent doucement. Plein de vivacité dans la discussion, Tyndale exposait les Écritures avec tant d’onction, dit une chronique, « que ses auditeurs croyaient entendre saint Jean lui-même. » S’il rappelait Jean par la douceur de sa parole, il rappelait Paul par la force de sa doctrine. « Selon le pape, disait-il, il faut d’abord que nous soyons bons envers Dieu, et qu’ainsi nous l’obligions à être bon envers nous. Non, c’est la bonté de Dieu qui est la source de la nôtre. L’Antechrist tourne l’arbre du salut sens dessus dessousn ; il met en bas les branches, et en haut les racines ; il faut le redresser. Comme le mari épouse sa femme avant qu’il ait eu d’elle des enfants, la foi aussi nous justifie avant que nous ayons produit des bonnes œuvres. Mais ni l’une ni l’autre ne doivent demeurer stériles. La foi est le flambeau de la vie ; sans elle vous vous égarerez dans la sombre vallée de la mort, y eût il autour de votre lit mille cierges alluméso. »

n – Antichrist turneth the roots of the tree upward. (Tynd. W. I, p. 330.)

o – Though thou hadst a thousand holy candles about thee. (Tyndale’s Wks. p. 48.)

Les prêtres, indignés de ces discours, résolurent de perdre Tyndale, et quelques-uns d’entre eux invitèrent sir John et sa femme à un banquet, duquel ils écartèrent maître William. Pendant le festin, on déblatéra contre le jeune docteur et son Nouveau Testament, en sorte que le seigneur de Sodbury et sa femme se retirèrent fort ennuyés de ce que leur précepteur se faisait tant d’ennemis. Ils lui répétèrent ce que l’on avait dit, et Tyndale réfuta victorieusement les raisonnements de ses adversaires. « Quoi ! dit lady Walsh, encore troublée par les discours des prêtres, il y a tel de ces docteurs qui a cent livres sterling à dépenserp, tel autre deux cents, un troisième trois cents, … et c’est vous, maître William, vous, que nous devrions croire !… » Alors le précepteur, ouvrant son Nouveau Testament, répondait : « Non ce n’est pas moi ! les prêtres vous ont affirmé cela ; mais, voyez ! saint Paul, saint Pierre, le Seigneur lui-même, disent tout le contraireq. » La Parole de Dieu était là, positive et souveraine ; le glaive de l’Esprit tranchait la difficulté.

p – Well, there was such a doctor who may dispend a hundred pounds. (Foxe, Acts, 5 p. 115.)

q – Answering by the Scriptures maintained the truth. (Ibid.)

Bientôt le manoir et Sainte-Adeline furent trop étroits pour le zèle de Tyndale. Il prêchait chaque dimanche tantôt dans un village, et tantôt dans une ville. Les habitants de Bristol s’assemblaient pour l’entendre dans le grand préau appelé sanctuaire de Sainte Augustinr. Mais à peine avait-il prêché en un lieu, que les prêtres s’y précipitaient, arrachaient ce qu’il avait plantés, l’appelaient un hérétique, et menaçaient ceux qui l’écoutaient de se voir chassés de l’Église. Quand Tyndale revenait, il trouvait le champ ravagé par l’adversaire ; et le contemplant tristement, comme le laboureur qui voit ses épis brisés par la grêle, et ses riches sillons changés en stériles ravins, il s’écriait : « Que faire ? Tandis que je sème en un lieu, l’ennemi ravage le champ que je viens de quitter. Je ne puis être partout. Oh ! si les chrétiens avaient en leur langue la sainte Écriture, ils pourraient eux-mêmes résister aux sophistes. Sans la Bible, il est impossible d’affermir les laïques dans la véritét. »

r – In the town of Bristol, in the common place called St-Austin’g Green. » (Fox, Acts, V, p. 117.)

s – Whatsœver truth is taught them, these enemies of all truth quench it again. (Tynd. Doct. Tr. p. 394.)

t – Impossible to establish the lay people in any truth, except the Scripture were plainly laid before their eyes in their mother-tongue. (Ibid.)

Alors une grande pensée s’éleva dans le cœur de Tyndale. « C’est dans la langue même d’Israël, dit-il, que les psaumes retentissaient au temple de Jéhovah ; et l’Évangile ne parlerait pas parmi nous la langue de l’Angleterre ?… L’Église aurait-elle moins de lumière en plein midi qu’à l’heure du crépuscule ?… Il faut que les chrétiens lisent le Nouveau Testament dans la langue de leur mère. » Tyndale vit dans cette pensée une pensée de Dieu. Le nouveau soleil ferait découvrir un monde nouveau, et la norme infaillible ferait succéder à toutes les diversités humaines une divine unité. Vous suivez, disait Tyndale, vous, Duns Scot, vous, Thomas d’Aquin ; vous, Bonaventure, Alexandre de Hales, Raymond de Penafort, Lyra, Gorram, Hugues de Saint-Victor, et tant d’autres encore… Or, chacun de ces auteurs contredit l’autre !… Comment donc discerner celui qui dit faux de ce lui qui dit vrai ?… Comment ?… par la Parole de Dieu.u » Tyndale n’hésite plus… Tandis que Wolsey se propose de conquérir la tiare des pontifes, l’humble précepteur de Sodbury entreprend de placer au milieu de son peuple le flambeau du ciel. La traduction de la Bible sera l’œuvre de sa vie.

u – Tynd., I, p. 189

Le premier triomphe de la Parole fut une révolution dans le manoir ; sir John et lady Walsh en goûtant l’Évangile se dégoûtèrent des prêtres. Les membres du clergé n’étaient plus invités si souvent à Sodbury et n’y trouvaient plus le même accueilv. Bientôt ils cessèrent leurs visites, et ne pensèrent qu’à chasser Tyndale du château et du diocèse.

v – Neither had they the cheer and countenance when they came as before they had. (Foxe, Acts, 5 p. 116.)

Ne voulant pas se compromettre dans cette guerre, ils se firent précéder des troupes légères que l’Église tient à sa disposition. Des moines mendiants et des des servants qui comprenaient à peine leur missel, et dont les plus érudits faisaient de l’Albertus de secretis mulierum leur lecture habituelle, se jetèrent sur Tyndale comme une meute de chiens affamés. Ils accouraient au cabaretw, ils se faisaient donner un pot de bière, l’un se mettait à une table, l’autre à une autre ; il versaient à boire aux paysans, puis ils engageaient avec eux une conversation, à la suite de laquelle retentissaient mille imprécations contre l’audacieux réformateur. « C’est un hypocrite, disait l’un, un hérétique, » disait l’autre. Le plus habile prenant pour chaire un escabeau, et pour temple la taverne, faisait pour la première fois un discours improvisé. Il racontait des paroles que Tyndale n’avait point dites, et des actions qu’il n’avait point faitesx. Se ruant sur le pauvre précepteur, dit-il lui-même, comme d’impurs pourceaux, qui se livrent à leurs grossiers appétitsy, ces prêtres déchiraient à l’envi sa réputation, se partageaient ses dépouilles, et l’auditoire, excité par les calomnies et échauffé par les pots de bière, sortait plein de haine et de colère contre l’hérétique de Sodbury.

w – Come together to the alehouse, which is their preaching place. (Tynd. Doct. Tr. 394.)

x – They add too of their own heads what I never spake. (Ibid. p. 395.)

y – Unclean swine that follow carnal lusts. (Ibid., II, p. 238.)

Après les moines vinrent les dignitaires. Les doyens et les abbés, anciens commensaux de sir John, dénoncèrent Tyndale à la chancellerie du diocèsez, et la tempête qui avait commencé dans le cabaret, vint éclater dans le palais épiscopal.

z – Accused me secretly to the chancelier. (Ibid., I, p. 3.)

Le fameux Jules de Médicis, homme instruit, grand politique et prêtre fort rusé, qui, sans être pape, gouvernait déjà la papautéa, était évêque titulaire de Worcester, apanage des prélats italiens. Wolsey, qui administrait le diocèse pour son collègue absent, avait élu chancelier Thomas Parker, docteur dévoué à l’Église romaine. Ce fut à lui que les clercs s’adressèrent. Une poursuite juridique avait ses difficultés ; le compagnon d’armes du roi était patron du prétendu hérétique, et sir Antoine Poyntz, frère de lady Walsh, était shérif du comté. Le chancelier se contenta donc de convoquer une conférence générale du clergé. Tyndale partit, mais prévoyant ce qui l’attendait, il demanda à Dieu, en remontant le cours de la Severn, de le maintenir ferme dans la confession de la véritéb.

a – Governava il papato e havia piu zente a la sua audien zia che il papa. (He governed the pœdom, and had more people at his audiences than the pope.) (Relazione di Marco Foscari, 1526.)

b – He by the way, cried in his mind heartily God, to give him strength fast to stand in the truth of his word. (Fox, Acts, V, p. 116.)

A peine fut-on réuni, que les abbés, doyens et autres ecclésiastiques du diocèse, la tête haute et le regard menaçant, entourèrent la figure modeste, mais ferme de Tyndale. Son tour étant arrivé, il s’avança et le chancelier lui adressa une sévère réprimande ; il répondit avec calme. Alors le chancelier s’anima, articula les accusations les plus étranges, et traita Tyndale comme un chienqc. « Où sont vos témoins ? demanda celui-ci ; que mes accusateurs s’avancent et je leur répondrai ! » Nul n’osa soutenir la plainte ; on détournait la tête ; le chancelier attendait ; il lui fallait au moins un témoignage, et il ne pouvait l’obtenird. Alors, irrité de ce que les prêtres l’abandonnaient, le représentant de Médicis redevint plus équitable et laissa tomber l’accusation. Le précepteur reprit tranquillement le chemin de Sodbury, bénissant Dieu qui l’avait sauvé des cruelles mains de ses adversairese, et ne ressentant pour eux qu’une tendre charité. « Prenez mes biens, leur disait-il un jour, enlevez-moi ma bonne renommée ! tant que le Christ habitera en moi, je vous aimeraif. » C’était bien là le saint Jean auquel on avait comparé Tyndale.

c – He threatened me grievously and reviled me, and rated me as though I had been a dog. (Tynd. Doct. Tr. p. 395.)

d – And laid to my charge whereof there would be none accuser brought forth. (Ibid.)

e – Escaping out of their hands. (Foxe, Acts 5 p. 116.)

f – Tynd. Doctr. Tr. p. 298. For to him he durst be bold to disclose his heart. (Fox, Acts, 5 p. 117. Ibid.)

Cependant cette rude guerre ne laissait pas de lui porter quelques coups ; et où trouver la consolation ? Fryth, Bilney étaient loin de lui. Tyndale se rappela un vieux docteur qui vivait près de Sodbury et qui lui avait montré beaucoup d’affection ; il alla le voir et lui ouvrit son cœurg. Le vieux docteur le regarda quelque temps comme s’il hésitait à lui dévoiler un mystère. « Ne savez-vous pas, lui dit-il en baissant la voix, que le pape est l'Antechrist dont parle l’Écriture… Mais prenez garde… silence !… Cette science-là pourrait vous coûter la vieh. » Cette doctrine de l’Antechrist que Luther exprimait alors avec hardiesse, frappa Tyndale. Fortifié par elle comme le réformateur saxon, il sentit en son cœur une nouvelle énergie, et le vieux docteur fut pour lui ce qu’avait été pour Luther le vieux moine.

g – For to him he durst be bold to disclose bis heart. (Fox, Ad, V, p. 117.)

h – Do you not know that the pope is very Antechrist ?… It will cost you your life. » (Ibid.)

Les prêtres, voyant leur complot déjoué, chargèrent un théologien célèbre d’entreprendre sa conversion. Le réformateur répondit aux arguments du scolastique, avec son Testament grec. Le théologien demeura interdit ; puis il s’écria : « Eh bien ! plutôt me passer de la loi de Dieu que de la loi du papei. » Tyndale ne s’attendait pas à un aveu d’une si choquante naïveté ! « Et moi répond-il, je brave le pape et toutes ses lois ! » Puis ne pouvant retenir son secret : « Si Dieu me conserve la vie, ajouta-t-il, je veux que dans peu d’années un valet de ferme qui conduit sa charrue connaisse l’Écriture mieux que moij. »

i – We were better to be without God’s laws, than Ihe Pope’s. (Fox, Acts, p. 117)

j – Cause a boy that driveth the plough to know more of the Scriptures than he did. (Ibid.)

Il ne pensa plus qu’à réaliser ce dessein, et voulant éviter des conversations qui pouvaient compromettre son entreprise, il passa dès lors la plus grande partie de son temps dans la bibliothèque du manoirk. Il priait, il lisait, il commençait sa traduction de la Bible, et selon toute probabilité il en communiquait quelques fragments à sir John et à lady Walsh.

k – Cette partie de la maison subsistait encore en 1889 ; elle a été dès lors abattue. (Anderson, Bible Annals, I, p. 37.) On ne peut que se joindre au vœu exprimé dans ce livre, savoir que le reste de l’édifice, habité maintenant par un fermier, soit précieusement conservé.

Toutes ces précautions furent inutiles ; le théologien scolastique l’avait trahi, et les prêtres avaient juré de l’arrêter dans sa traduction de la Bible. Un jour, une bande de moines et de desservants l’ayant rencontré, vociféra contre lui de grossières injures. « C’est la faveur des gentilshommes du comté qui te rend si fier, lui dirent-ils ; mais en dépit de tes patrons, on parlera de toi sous peu, et d’une belle manière !… Tu n’habiteras pas toujours un château ! — Reléguez-moi, répondit Tyndale dans le coin le plus obscur de l’Angleterre ; pourvu que vous me permettiez d’y instruire les enfants, d’y prêcher l’Évangile, et que vous me donniez dix livres sterling pour mon entretienl … je suis content ! » Les prêtres le quittèrent, mais pour lui préparer un autre sort.

l – Binding him to no more but to teach children and to preach. (Foxe, Acts, 5 p. 117.)

Tyndale ne se fit plus d’illusions. Il vit qu’il allait être cité, condamné, interrompu dans son grand travail. Il lui faut une retraite où il puisse en paix s’acquitter de la tâche que Dieu lui a donnée. « Vous ne pouvez me sauver des mains des prêtres, dit il à sir John, et Dieu sait à quoi vous vous exposeriez en me gardant dans votre famille. Permettez donc que je vous quitte. » Ayant dit, il recueillit ses papiers, prit son Testament, serra la main de ses bienfaiteurs, embrassa les enfants et descendant le coteau, dit adieu aux bords riants de la Severn et s’en alla seul avec sa foi. Que fera-t-il ? que deviendra-t-il ? où ira-t-il ? Il s’avance comme Abraham ; une seule chose le préoccupe : l’Écriture sera traduite en langue vulgaire, et il déposera au milieu de son peuple les oracles de Dieu.

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