[La double préoccupation de restreindre les proportions de cet ouvrage et d’éviter le plus possible les redites, nous a conduits à résumer à grands traits les développements contenus dans les sections II, III et IV de ce chapitre. On comprendra d’autant mieux notre réserve que la plupart des textes et des sujets examinés ici l’ont été longuement dans le chapitre précédent (miracles), et surtout dans la brochure que M. Jalaguier publia en 1851 : « De l’inspiration du Nouveau Testament », à laquelle nous renvoyons le lecteur. (Edit.)]
Parmi les données les plus saillantes du Nouveau Testament, il en est une qui s’offre de prime abord à notre attention et à notre investigation : c’est l’existence de dons miraculeux et prophétiques dans l’Eglise primitive, fait capital auquel il convient de nous arrêter, car c’est dans les charismes de ce genre que peut se trouver et que doit se chercher la théopneustiea.
a – On réserve souvent, je ne sais trop pourquoi, le terme de théopneustie à la théorie de l’inspiration plénière. Nous l’appliquons, dans sa large signification, à l’inspiration en général, laissant au mot grec le même sens qu’au mot latin.
Nous avons à examiner si les mêmes données historiques, les mêmes signes du Ciel qui ont constaté pour nous la révélation chrétienne, n’impliquent pas aussi l’inspiration apostolique, identifiant à leur source ces deux actes de l’intervention divine que distingue la science, mais que confond généralement la foi.
Les dons miraculeux sont nettement caractérisés et formellement attestés dans les Actes et dans les Epîtres (voir en particulier 1 Corinthiens 12.1-31)… Il est impossible de mettre en question le surnaturel qui présida à la promulgation de l’Evangile, à moins de placer une hallucination générale à la base du Christianisme et défaire de saint Paul un visionnaire dupe de ses propres actes… En présence d’un témoignage tel que celui de Luc et de Paul, vivant au centre de l’ordre de choses qu’ils décrivent et qu’implique d’ailleurs l’existence même de l’Eglise, il ne reste vraiment d’autre parti que d’y croire ou de ne croire à rien…
Les miracles admis, l’inspiration n’a plus rien qui puisse étonner ou répugner. Elle appartient à ces charismes supérieurs dont elle a tous les caractères propres…
Le rapport des dons miraculeux aux dons théopneustiques est plus étroit qu’on ne se le figure communément : 1° ils les attestent ; 2° ils les contiennent.
1° Le miracle transforme le témoignage humain en témoignage divin ; il le certifie, le légalise, pour ainsi parler, en y apposant le sceau du Ciel… Je dois certainement une tout autre confiance à l’homme que Dieu autorise, par des signes indubitables, à me parler en son nom, qu’à celui qui ne t’ait que m’exposer ses convictions ou ses impressions personnelles… Les miracles sont les garants d’une doctrine religieuse parce qu’ils démontrent qu’elle est de Dieu. Ils supposent une action quelconque de Dieu sur ceux qui l’annoncent. L’autorité céleste qui sanctionne cette doctrine en garantit manifestement l’intégrité. Par cela seul qu’elle s’impose au nom du Ciel, elle se pose comme venant du Ciel… Le miracle atteste que dans la parole qu’il sanctionne, il y a de la révélation ou de l’inspiration…
Un témoignage purement historique ne suffit pas au Christianisme. S’il existait seul, il faudrait bien s’en contenter ; mais il laisserait infiniment à désirer ou à regretter sur beaucoup de points, et des plus considérables. A côté des faits, il y a leur fin mystique, leur signification religieuse, c’est-à-dire ce qui les met en rapport avec nous, ce qui nous les ouvre en quelque sorte, ce qui nous y fait chercher et trouver la venu céleste qu’ils recèlent ; à côté des faits externes et visibles, qui tombent sous l’observation et que l’histoire peut constater, il y a les faits internes et invisibles que la révélation ou l’inspiration seule peut certifier et qui sont de beaucoup les plus importants ; à côté de la vie, de la mort, de la résurrection, de l’ascension de Jésus-Christ, il y a les mystères de sa personne et de son œuvre, auxquels se rattachent par-dessus tout les grâces évangéliques, et que l’histoire ne peut ni dévoiler ni assurer. L’histoire raconte ce qu’a fait le Fils de l’homme ; elle ne dit pas ce qu’a fait le Fils de Dieu, ou, en d’autres termes, ce qu’il a mis de divin dans les actes du Fils de l’homme ; et c’est cela pourtant qui est le salut. L’enseignement de Jésus-Christ, si important qu’il soit, ne suffit pas à lui seul. Outre qu’il ne nous est parvenu que par l’intermédiaire des Apôtres, il se mêle partout aux compléments que les Apôtres y ont ajoutés, ce qui livrerait la foi aux inquiétudes et aux incertitudes les plus graves, si elle ne regardait à la vertu d’En-haut annoncée par le Seigneur aux continuateurs de son œuvre. Qu’on prenne, par exemple, le prologue de saint Jean. Cette histoire de l’existence supérieure du Sauveur, qui va se fondre dans son existence terrestre, que sera-t-elle pour moi si je ne vois dans l’Evangéliste qu’un simple témoin, sans autre lumière que son examen ou son jugement personnel ? Où avait-il pris ces faits qui remontent par delà la Création et qu’il atteste avec la même assurance que ceux qu’il avait pu observer ? Enlevez de ce texte la théopneustie, il n’y reste qu’une page de métaphysique, une série d’assertions idéales, vis-à-vis de laquelle vous êtes tout aussi libre que si elle était de Platon ou de Philonb.
b – « Jean, dit M. Schérer (Revue de Strasbourg, février 1835), a écrit que la parole a été faite chair. Je ne l’ignore point ; mais j’ignore de quel droit vous faites un dogme d’une opinion, cette opinion fût-elle apostolique ». Cela dit tout ; et l’on voit où mène le principe pleinement admis et résolument suivi. Là même où il n’agit que de loin, partiellement, obscurément, que de convictions il trouble et ébranle !
Sur mille autres articles de dogme et de morale, où les Apôtres ne distinguent nullement leur enseignement de celui de Jésus-Christ, et qu’ils imposent à la foi de l’Eglise comme parole de Dieu, il est clair que le témoignage purement historique n’est de rien, et qu’il y faut un témoignage théopneustique. Si ce témoignage leur manque, ils ne sont plus ce qu’ils se disent être. Aussi les écoles qui ne veulent voir dans les Ecrits sacrés qu’un document humain, mettent-elles une sorte de révélation psychologique à la place de la révélation biblique. L’histoire leur fournit ce qu’elles nomment d’un terme fort indéfini le fait chrétien ; mais le sens de ce fait, son fond religieux et permanent, elles le demandent à la conscience, comme nous le demandons à l’Ecriture.
2° Non seulement les miracles attestent l’inspiration au dehors, mais ils la contiennent au dedans. D’après l’Ecriture, le miracle est de Dieu. C’est aussi la doctrine rationnelle. Dans le miracle, le vrai miracle, la pensée spéculative, comme la conscience religieuse, voit immédiatement la main de l’Ordonnateur suprême. Si ce n’est pas une démonstration qui force l’assentiment, c’est une intuition qui l’entraîne. Comment les Apôtres savent-ils que les puissances du Ciel vont se déployer concurremment avec leur parole, si ce n’est par une illumination intérieure qui leur en donne le sûr pressentiment ? et qu’est cette illumination, sinon de la théopneustie telle que nous la cherchons, c’est-à-dire une lumière d’En haut portant à l’homme la pensée du Seigneur ? Le théopneustique et le miraculeux se tiennent jusqu’à ne faire qu’un.
Ce que donne le miracle est plus évident encore dans la prophétie. L’inspiration proprement dite inhère à la prophétie sous sa double forme de révélation et de prédiction…
La prédiction, la vraie prédiction, est la manifestation de la théopneustie. A Dieu seul appartient la préconnaissance et la prédétermination de l’avenir, puisqu’à Dieu seul appartient l’avenir lui-même. La révélation, la prédiction sont l’inspiration en acte, l’inspiration devenue en quelque sorte sensible et se posant, non seulement comme un dogme qu’il faut recevoir par la foi, mais comme un fait qui éclate d’un bout à l’autre de l’histoire évangélique. Ce fait, pris en soi, ne saurait être contesté, lorsque la vérité historique de nos Livres saints ne l’est point.
Nous avons le droit d’affirmer que la révélation historique de Dieu en Christ, admise par les opinions avec lesquelles nous discutons, emporte l’inspiration apostolique qu’elles rejettent ou vaporisent, tant le second fait se pose et s’impose comme corollaire essentiel du premier. En donnant cette grande révélation, lumière et vie du monde, en la sanctionnant par ces puissances de l’Esprit qui y apposaient le sceau du Ciel, Dieu a voulu évidemment qu’elle fût intégralement annoncée, puisqu’il légalisait lui-même le témoignage qu’on en rendait en son nom : et l’on ne peut certes supposer que la dispensation, extranaturelle à tant d’égards, sous laquelle s’opéra la promulgation de l’Evangile, n’ait pas été adéquate à son but. Or, l’aurait-elle été, le serait-elle, si le fait d’inspiration ne s’y trouvait à quelque degré ?
La révélation chrétienne fut à la fois historique et doctrinale ; elle est un fait divin, divinement attesté ou manifesté. La doctrine, en s’unissant à l’histoire en devient la clef. La parole de Jésus-Christ dévoile les mystères de sa personne et de son œuvre qui, sans elle, auraient été pour nous comme n’étant point ; elle nous fait voir les choses du Ciel à travers et par delà ce qui se passe sur la terre. C’est l’attestation théopneustique qui nous découvre dans le fils de Marie le Fils de Dieu et dans la croix du Calvaire le salut du monde. Jésus-Christ ne communiqua que partiellement aux Apôtres le conseil divin qui s’accomplissait en lui, ainsi qu’il le leur déclara en les quittant (Jean 16.12-13). Il ne leur donna, pour ainsi parler, que les rudiments de l’Evangile. Ce fut à eux de l’organiser, sous cette direction céleste qui leur avait été promise, et qu’ils affirment avoir reçue, et dont leurs œuvres constatent la présence et l’action. Aussi, sur bien des points, et des plus considérables, complétèrent-ils renseignement de Jésus-Christ par le leur, sans distinguer aucunement entre l’un et l’autre. Tout est également parole de Dieu. Par là, l’inspiration se pose comme postulat et complément nécessaire de la Révélation ; elle est la révélation de la Révélation, dont elle donne seule la connaissance et la certitude réelles ; elle en ressort comme de tout le miraculeux, parce qu’elle y est manifestement impliquée. A cette démonstration de fait, on objectec :
c – Revue de Strasbourg, septembre 1851.
1° Que la notion des dons miraculeux, sur laquelle notre argument repose en entier, est en désaccord avec le point de vue du siècle apostolique qui ne distinguait pas entre le surnaturel et le spirituel.
Il est bien vrai que la distinction des dons du Saint-Esprit en ordinaires et extraordinaires, ou permanents et exceptionnels, n’est pas faite catégoriquement dans les Livres saints. Mais l’indétermination est à peu près partout dans ces Livres, parce qu’elle tient à la forme générale de leur enseignement et de leur langage. On en citerait des exemples sans nombre. En ecclésiologie, double caractère d’institution divine et de libre association que présente l’Eglise, et dont rien ne précise les rapports ; devoir de condescendance et devoir de fidélité, etc. En dogmatique, grâce, prédestination et liberté ; justification par la foi, sans les oeuvres, et jugement selon les œuvres ; symbolisme dans l’eschatologie, la théodicée, etc. En morale, voir le Sermon de la montagne, etc. L’indétermination est là bien sensible ; devons-nous nous étonner de la retrouver ici ?…
Les faits portent en eux-mêmes la distinction qu’on nous conteste ; ils la font voir à l’œil et toucher du doigt. Les charismes. supérieurs ont été mesurés aux besoins de l’Eglise et du monde, conformément à la grande loi providentielle de l’économie des forces. Au premier moment, où il fallait implanter sur un sol ingrat les racines de la vérité sainte et de la vie spirituelle, presque tous les croyants participèrent, à un degré ou à l’autre, à ces charismes, parce que, dans un sens ou dans l’autre, tous devaient être confesseurs et propagateurs… La proportion diminue à mesure que l’Eglise s’étend, s’affermit et passe sous les lois générales qui doivent la régir : les opérations communes et, pour ainsi parler, naturelles du Saint-Esprit, remplacent ses opérations exceptionnelles et surnaturelles. Les annales de l’Eglise placent ce fait tellement en relief qu’il ne reste d’autre alternative, à qui refuse de le reconnaître, que de nier tout le surnaturel interne et externe du Nouveau Testament, avec le rationalisme ancien et nouveau, ou de soutenir, du point de vue montaniste et irvingien, qu’il est toujours là comme aux premiers temps : il faut aller à un illuminisme illimité ou à un négativisme absolu, l’un et l’autre intenables devant les faits…
Tenons-nous, nous en avons le droit, aux grandes assises de l’histoire évangélique. Quoiqu’elle ne nous ait laissé que des indications là où nous aurions besoin d’informations précises et détaillées, puisqu’il s’agit d’un ordre de choses tout exceptionnel ; quoique bien des points demeurent dans l’ombre, et doivent probablement y rester toujours, la lumière des faits généraux, qui ressortent de partout parce qu’ils portent tout, met en évidence les fondements de la croyance ecclésiastique. En dévoilant la théopneustie dans tout le miraculeux de ces premiers temps, elle y constate aussi de nombreux degrés, depuis la glossolalie jusqu’aux charismes constitutifs de la prophétie ou de l’apostolat, laissant ainsi apercevoir les bases et les raisons de la croyance traditionnelle ; ses bases, savoir les dons miraculeux, garantie des dons théopneustiques ; ses raisons, car si elle s’est spécialement arrêtée à la parole de certains hommes, c’est que ces hommes lui étaient spécialement désignés par leurs œuvres et par leurs prérogatives : premièrement les apôtres, deuxièmement les prophètes…
Il nous suffit que le fait demeure comme fait. Ce n’est pas sa conception, son explication ou sa systématisation rationnelle, c’est sa réalité historique qui importe à notre argument. Dans la sphère théologique, non plus que dans la sphère physique, l’incompris ne saurait infirmer le certain…
2° On soutient que les miracles n’ont pas le caractère téléologique, la destination providentielle que nous leur attribuons.
3° Le miracle et la prophétie n’apparaissant que par intervalles, ils ne peuvent, nous dit-on, ni constituer ni assurer l’inspiration ou la révélation permanente que vous supposez. Si le miracle garantit la parole qu’il accompagne, il ne dit rien pour le reste de l’enseignement que vous lui faites couvrir aussi. Votre conclusion dépasse vos prémisses.
Cela est-il aussi vrai que spécieux ?
a) Les actes miraculeux et prophétiques constatent l’inspiration au sens propre, l’inspiration surnaturelle du dogme ecclésiastique. S’ils n’en déterminent pas l’étendue ou la durée, ils en démontrent l’existence réelle ; elle est bien là, puisqu’elle y opère. Or, ce point est capital. Dès qu’on voit de la théopneustie dans les faits, on ne se refuse guère à en voir dans les enseignements.
b) Le miraculeux ayant marqué jusqu’à la fin le ministère apostolique, il prouve que l’inspiration, dont il était le signe, y fut toujours. Quoique momentanées et en quelque sorte intermittentes, ces manifestations célestes légitiment, à l’égard des hommes chez qui elles apparaissent, le titre d’hommes de Dieu, tel que le leur a appliqué la langue religieuse ; elles sanctionnent indirectement leur ministère par l’auréole de divinité dont elles l’entourent. Il est visible que l’objection dépasse le vrai. Un signe céleste, bien constaté, place hors de pair la personne ou la doctrine en faveur de laquelle il s’opère ; il l’empreint d’un caractère sacré, qui ne s’efface pas si vite, et devant lequel le sentiment religieux s’arrête, se recueille et s’incline…
Quand, en dehors et au-dessus des systèmes, on se place simplement devant les grandes données historiques des Livres saints, le fait théopneustique y éclate de toutes parts. On ne peut l’en arracher qu’en en arrachant le fait miraculeux. Et c’est là que tendent, en effet, les théories qui nient l’inspiration apostolique ou ne la retiennent que de nom ; c’est là qu’elles arrivent toutes les fois qu’on les force à s’expliquer et à se développer jusqu’au bout. Pour elles, en fin de compte, le miracle n’est plus miracle au sens propre ; mais alors aussi la Bible n’est plus la Bible ; elle n’est qu’un livre incertain où se mêlent la légende et l’histoire, le fantastique et le réel. Pour nous, qui croyons et à la Bible et au miracle, qui admettons et le divin externe et le divin interne de la révélation de Dieu en Christ, regardons à ce que le surnaturel évangélique atteste et contient. L’élément théopneustique s’y montre de telle sorte, à la surface et au fond des choses, qu’il ne peut pas ne pas être admis dès que les faits le sont ; et à ceux qui nient ou volatilisent les faits, nous-n’avons plus rien à dire, ce n’est pas avec eux que nous discutons ici…