Mes frères, que servira-t-il à un homme de dire qu’il a la foi, s’il n’a point les œuvres ? Cette foi le pourra-t-elle sauver ? Et si un frère ou une sœur sont nus, et qu’ils manquent de la nourriture qui leur est nécessaire chaque jour ; et que quelqu’un d’entre vous leur dise : Allez en paix, chauffez-vous et vous rassasiez, et que vous ne leur donniez point ce qui leur est nécessaire pour le corps, à quoi cela servira-t-il 1 De même aussi la foi, si elle n’a pas les œuvres, elle est morte en elle-même. Quelqu’un dira : Tu as la foi, et moi j’ai les œuvres. Eh bien, montre-moi ta foi sans tes œuvres et moi je te montrerai ma foi par mes œuvres. Tu crois qu’il y a un seul Dieu ; tu fais bien ; les démons le croient aussi, et ils en tremblent. Mais, ô homme vain ! veux-tu savoir que la foi qui est sans les œuvres, est morte ? Abraham, notre père, ne fut-il pas justifié par les œuvres, lorsqu’il offrit Isaac son fils sur un autel ? Ne vois-tu pas que la foi agissait avec ses œuvres, et que par ses œuvres sa foi fut rendue parfaite ? Et qu’ainsi ce que dit l’Ecriture s’accomplit : Abraham a cru en Dieu, et cela lui a été imputé à justice, et il a été appelé ami de Dieu. Vous voyez donc que l’homme est justifié par les œuvres, et non par la foi seulement. De même aussi Rahab l’hôtelière ne fut-elle pas justifiée par les œuvres, lorsqu’elle reçut les messagers, et qu’elle les renvoya par un autre chemin ? Car comme un corps sans âme est mort, de même la foi sans les œuvres est morte.(Jacques 2.14-26)
Vous avez dû le remarquer, une même pensée se trouve, depuis la fin du chapitre précédent, au fond de toutes les pensées de l’apôtre, et elle reparaît sans cesse. C’est celle que, sans la charité, il n’y a point de vraie religion. A prendre le mot de religion dans le sens étroit et frivole que tant de gens y attachent, il est bien plus facile et plus commode d’avoir de la religion que de la charité. Un trop grand nombre de faits en fournissaient la preuve à l’apôtre. Il voit, de toutes parts, le culte extérieur s’efforcer de prendre la place du culte en esprit et en vérité, et les observances vaines se substituer à l’amour, qui est la suprême observance. Il voit, dans le sein du christianisme, des pharisiens d’une nouvelle espèce, les pharisiens de la foi, corrompre, au profit de leur égoïsme, la belle doctrine de saint Paul sur la justification par la foi, ériger leur sécheresse de cœur en orthodoxie, et, sous prétexte que les œuvres ne sauvent pas, se dispenser des œuvres et se retrancher dans ce qu’ils appellent la foi ; il voit de véritables infidèles se targuer de leur fidélité, qui n’est autre chose qu’une prétendue exactitude de doctrines ou de formules. L’enseignement de saint Paul réclame dès lors un commentaire ; saint Jacques va le donner. C’est l’objet d’une grande partie de son épître ; c’est plus particulièrement le but des derniers versets de ce chapitre, sur lesquels nous appelons aujourd’hui toute votre attention. Nous ne prétendons point suivre pas à pas le discours de l’apôtre ; mais ses excellents raisonnements viendront tous en aide à notre dessein, qui est de vous prouver que la foi et les œuvres, en tant qu’il s’agit de la véritable foi et des véritables œuvres, composent un tout indivisible et se complètent mutuellement, si bien que les œuvres sans la foi ne sont rien ; et que la foi sans les œuvres n’est qu’un mot.
La première de ces vérités a trouvé en saint Paul un éloquent défenseur. Il l’a établie contre les pharisiens du judaïsme et, par avance, contre les pharisiens de tous les temps. Car il y a eu et il y aura de tout temps des hommes qui se plairont à croire que l’œuvre en elle-même, l’acte extérieur, indépendamment du motif, du principe, ou de l’acte intérieur, peut avoir un mérite et une valeur. De tout temps on a vu et de tout temps on verra des hommes qui, ne connaissant point Dieu, ne le servent pas, ne font rien pour lui ; de tout temps on a vu, de tout temps on verra, parmi ceux qui le connaissent, des âmes mercenaires, qui marchandent avec Dieu, pèsent ce qu’ils en reçoivent, comme si l’on pesait l’infini, pèsent ce qu’ils lui donnent, comme si l’on pesait le néant, et à la place de leur amour qu’ils lui refusent, lui jettent froidement de prétendus sacrifices, de prétendues vertus, je ne sais quelle obéissance qui, n’étant pas l’obéissance du cœur, ne peut avoir aucun prix à ses yeux. Saint Paul a reçu, de la part de Dieu, la charge de leur déclarer que Dieu ne veut point de leur offrande, qu’il n’en tient aucun compte, et que, la considérant dans son principe, il s’en tient pour offensé, bien loin de s’en croire honoré.
Cette déclaration de saint Paul n’est point une de celles qu’on reçoit d’autorité parce qu’on ne saurait la comprendre. Notre raison et notre conscience sont toutes prêtes à déposer en sa faveur, soit qu’il s’agisse de la foi en général, ou de la foi chrétienne en particulier. Considérons d’abord la foi sans égard au christianisme. L’idée la plus simple qu’on puisse d’abord se faire de la foi est celle-ci : la foi consiste à croire, et croire c’est tenir une chose pour vraie et certaine. Pour agir, il faut croire ; pour agir avec décision, il faut croire fermement ; pour remplir un devoir, il faut être persuadé qu’en effet c’est un devoir ; pour obéir à une personne, il faut être certain que cette personne existe, et qu’elle a bien sur nous le droit qu’elle réclame ; il faut croire enfin (notre nature l’exige), qu’en définitive nous nous trouverons bien d’avoir rempli ce devoir, d’avoir obéi à cette personne. La foi remplace la vue, la foi est une espèce de vue. Elle est, dit l’auteur de l’Epître aux Hébreux, une vive représentation (ou comme une présence) des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit point[a]. Remarquez d’ailleurs que c’est de la foi religieuse qu’il s’agit ici, je veux dire d’une croyance qui a Dieu pour objet, et qui aboutit au service de Dieu, puisque la religion n’est pas autre chose que le service de Dieu, ou l’accomplissement de certains actes, l’exercice de certaines vertus, en vue de Dieu. Si Dieu veut être servi, ce qui ne peut pas être douteux, il veut d’abord qu’on croie en lui, puisque, si l’on ne croyait pas en lui, on ne le servirait pas. Et c’est dans ce sens que le même auteur de l’Epître aux Hébreux dit : qu’il est impossible d’être agréable à Dieu sans la foi, attendu qu’il faut que celui qui s’approche de Dieu, croie que Dieu est, et qu’il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent[b].
[a] Hébreux 11.1
[b] Hébreux 11.6
Ceci, cependant, n’est que le commencement, le minimum et, pour ainsi dire, l’A b c de la foi. On ne s’en peut passer, non plus que le laboureur d’un terrain pour y semer son blé ; toutefois, si l’on en restait là, non seulement on n’en serait pas plus avancé, mais il vaudrait mieux peut-être n’avoir jamais cru. Si la croyance pure et simple, c’est-à-dire la certitude qu’une chose est et qu’une autre n’est pas, passe à bon droit pour un avantage, c’est que la vue qu’elle nous procure de certains objets, je veux dire de Dieu, de sa gloire, de ses promesses, nous dispose à l’obéissance ; mais, avant l’obéissance des mains, il doit y avoir l’obéissance du cœur.
Car le cœur obéit, comme les mains obéissent, et il n’y a même de vraie obéissance que celle du cœur. L’esclave cède, il n’obéit pas ; pour obéir, dans toute la force et toute la beauté du terme, il faut être libre. Et nous ne sommes libres que par le cœur. Car qu’est-ce qui est à nous ? qu’y a-t-il que nous puissions retenir ? qu’y a-t-il que nous puissions refuser à Dieu, si Dieu veut l’avoir ? Absolument rien. La seule chose qui soit à nous, c’est notre cœur, et par conséquent la seule manière dont nous puissions être libres, c’est d’aimer. C’est donc, tout à la fois, par le cœur qu’on est libre et par le cœur qu’on obéit. Ne parlez pas d’une obéissance où le cœur n’est pour rien ; et parlez hardiment, au contraire, d’une obéissance dont le cœur fait tous les frais, alors que toute autre manière d’obéir est devenue impossible.
Or, la foi, dans sa plénitude, est une obéissance du cœur, et ce n’est qu’à ce titre qu’elle est véritablement la foi ; jusqu’alors ce n’est que la croyance. Quand l’auteur de l’Epître aux Hébreux nous dit que, sans la foi de la première espèce, qui n’est que la connaissance de la vérité, il est impossible d’être agréable à Dieu, il dit tout ce qu’on peut dire ; il reste exactement dans les limites du vrai ; il les dépasserait de beaucoup s’il allait jusqu’à dire que, par cette foi, l’on est agréable à Dieu. La foi, sans doute, nous rend agréables à Dieu, mais en tant seulement qu’elle est une obéissance du cœur, et il faut qu’elle le soit en effet.
Elevons-nous, avec l’aide de l’Evangile lui-même, au-dessus des idées communes qu’on entretient au sujet de la foi. Si la foi consistait uniquement à dire, vaincu par des preuves : Cela est ou cela n’est pas, la foi n’étant pas une obéissance du cœur, ne serait pas une vertu, la première vertu, et ne mériterait pas tout le bien qu’en dit l’Evangile. Et nul de nous ne pourrait comprendre ni croire véritablement que l’homme puisse être justifié par la foi. Mais la foi est autre chose. Autre chose était- elle en Abraham, le père et le modèle des croyants. Il obéit du cœur. Il crut à Dieu, il se fia à Dieu. Il fit plier ses doutes, ses craintes, et ce qu’il eût pu appeler sa raison, sous l’autorité des oracles divins. Il s’engagea dans les obscurités de l’avenir et dans les périls d’une entreprise immense, sans aucun encouragement du dehors et sans autre garant que Dieu, qui lui disait : Va. Il reconnut le droit de Dieu, il ne résista point, et dès qu’il l’eut reconnu, il y subordonna sa vie, il en fit la règle de ses actions, la règle même de ses pensées. Qu’est-ce que la foi du chrétien ? Ce n’est pas encore la charité, ce n’est pas la sanctification ; mais c’est déjà une obéissance. Que de choses, en lui comme hors de lui, s’opposent à l’acceptation du message de grâce, contenu dans l’Evangile ! Que de répugnance n’éprouve-t-il pas même à l’écouter ! Ecouter, c’est déjà beaucoup, et Jésus-Christ disait aux Juifs : Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage ? C’est que vous ne pouvez écouter ma parole[c]. Avant même d’être chrétien, le chrétien écoute ; il se soumet ; il adore ; il s’unit à la vérité qui lui est annoncée ; elle le possède comme il la possède ; elle est en lui comme elle est à lui ; elle anime toute sa vie, comme le sang anime son corps.
[c] Jean 8.43
Remarquez que les Juifs, à qui Paul et Jacques s’adressent dans leurs épîtres, ne manquaient pas de la foi élémentaire dont nous avons parlé en premier lieu ; ils savaient bien que Dieu est, et qu’il est le rémunérateur de ceux qui le cherchent. Si c’est là toute la foi, Paul n’avait point à leur prêcher la nécessité de la foi, et n’était point fondé à leur reprocher de n’en point avoir. S’il est fondé à le faire, c’est que leur foi n’était point cette vraie foi, cette confiance aux paroles et aux dispensations de Dieu, cette soumission de l’esprit et du cœur, toute semblable à la ferme assurance avec laquelle un fils compte sur son père, un ami sur son ami, un homme sur la simple parole d’un homme, indépendamment de toute espèce de garantie. C’est là qu’ils devaient s’élever, pour s’étendre de là à tous les actes et à tous les développements d’une vie véritablement religieuse.
Mais nous n’avons pas tout dit. Saint Paul ne recommandait pas la foi en général, mais la foi, disait-il, à son Evangile. Le caractère de la foi n’est pas tout sans l’objet de la foi, et c’est à son objet qu’elle doit son caractère. Ce n’est pas à mesure que nous croyons davantage, c’est selon ce que nous croyons, que nous sommes tout ce que nous pouvons, tout ce que nous devons être. La foi qui nous élève au but de notre existence, c’est celle qui nous dépouille de nous-mêmes et nous revêt de Dieu ; c’est celle qui nous met à la merci de Dieu ; celle qui nous fait tout attendre de lui ; celle qui anéantit en nous l’idée que nous ayons un droit quelconque à exercer contre Dieu (car c’est bien en ces termes que doit se traduire la prévention de la propre justice) ; en un mot, c’est la foi qui ne compte pas avec Dieu, qui se répute insolvable, et ne trouve que l’amour qui soit digne de correspondre à l’amour. C’est la foi à l’Evangile, la foi en Jésus-Christ. Ce n’est donc pas seulement la foi en général, mais la foi chrétienne que saint Paul, dans ses controverses avec les Juifs, met au-dessus des œuvres, et paraît même opposer aux œuvres. C’était, en d’autres termes, opposer la reconnaissance à la vénalité, l’amour à la crainte, la liberté à la servitude, la vie à la mort. Et tout le monde comprendra ceci, si tout le monde prend garde que, sous le nom d’œuvres, ou d’œuvres de la loi, saint Paul entend toujours les œuvres comme œuvres, les œuvres renfermées en elles-mêmes, et ayant une valeur indépendante de leur principe ; en d’autres termes, l’obéissance aveugle, indifférente et servile.
Comment une doctrine aussi généreuse, aussi raisonnable, n’est-elle pas accueillie avec empressement ou du moins saluée avec honneur par les hommes qui se piquent de grands sentiments et de philosophie ? C’est apparemment que la philosophie et les grands sentiments ont moins de rapport qu’on ne le croit avec la vérité divine, et qu’on ne s’élève point à l’intelligence de la sagesse de Dieu à force de sagesse humaine. Quoi qu’il en soit, vous savez quelle fut la doctrine de saint Paul, et sur quel point ce grand homme appuya avec le plus de force pendant toute la durée de son ministère. C’était, vous ne le méconnaissez pas, mettre d’un même coup l’esprit au-dessus de la chair, la générosité de l’amour au-dessus des calculs de l’égoïsme, et Dieu au-dessus de l’homme. Mais de quoi n’abusons-nous pas, et quelle grâce de Dieu ne tournons-nous pas en dissolution ! De faux disciples de Paul vinrent, et confondant ce que l’apôtre avait distingué, les œuvres de la loi avec les œuvres de la foi, l’œuvre en soi et l’œuvre comme manifestation de l’intérieur, calomnièrent les œuvres, les firent mépriser et par conséquent négliger, et se donnèrent une religion de rites ou de formules, où il y avait tout, excepté l’amour ; c’est-à-dire tout, excepté Dieu ; tout, excepté tout.
C’est contre cette erreur, ou contre ce mensonge, que saint Jacques s’élève dans mon texte.
Plusieurs ont vu, sur ce sujet, une opposition entre saint Paul et, saint Jacques. On a mis, pour ainsi dire, aux prises ces deux apôtres. On s’est, d’une part alarmé, de l’autre réjoui, de leur opposition, mais l’un et l’autre gratuitement ; car à quoi revient tout le raisonnement de saint Jacques ? Evidemment à ceci : Paul, mon compagnon dans l’apostolat, a dit que c’est la foi qui justifie, que c’est par le moyen ou l’intervention de la foi que nous sommes sauvés. Paul a dit vrai, mes bien-aimés ; mais avez-vous la foi ? Comment le saurai-je ? comment vous-mêmes le saurez-vous ? Une chose telle que la foi ne se voit point, ne se touche point, non plus que dans un corps vivant la force vitale ou la vie ; mais ce que je sais, ce que vous savez, c’est que la vraie foi régénère ; or, si vous n’êtes point régénérés, vous n’avez point la foi ; je ne puis autrement savoir où vous en êtes quant à la foi ; mais de cette manière je le sais, et vous le savez vous-mêmes.
Qu’est-ce à dire ? Que la foi et l’œuvre proprement dite sont deux œuvres, dont l’une, qui est du dedans, est continuée par celle du dehors ; ou, si vous l’aimez mieux, qu’il n’y a qu’une œuvre, laquelle commence au dedans et se prolonge au dehors, comme la racine d’une plante est prolongée en dehors du sol par la tige, et la tige par les rameaux. Et de même qu’il n’y a dans une plante, à la prendre de l’extrémité des racines à l’extrémité des rameaux, qu’une sève et qu’une vie, de même que la racine, le tronc et les rameaux ne font qu’un, de même la foi qui est du dedans et qui ne paraît point, les œuvres qui sont du dehors et qui paraissent, ne sont ensemble qu’un tout, qu’une même œuvre, dont les parties ne diffèrent entre elles qu’en ce que les unes paraissent et les autres ne paraissent point.
Le texte qui nous occupe n’exprime point cette pensée comme nous venons de l’exprimer ; mais il en est tout rempli, et la reproduit à chaque pas.
Nous avons dit que la vraie foi est une œuvre ou une action. Saint Jacques affirme au verset 22, que la foi agit. « Ne vois-tu pas, dit-il, que la foi d’Abraham agissait avec ses œuvres ? »
Nous avons dit que les œuvres sont la continuation, le développement de la foi, comme l’arbre est la continuation, le développement du germe, dans lequel, à vrai dire, il est tout entier renfermé. Saint Jacques parle d’une foi qui n’a pas les œuvres[d], ce qui suppose une foi meilleure qui a les œuvres, c’est-à-dire qui les contient, qui les porte en soi, de la même manière que la semence contient ou porte la plante. Et remarquez bien de quelle manière la semence porte la plante. Ce n’est pas matériellement ; car alors le germe serait la plante ; il n’y aurait plus de distinction à faire, et l’un des termes serait de trop ; non ; mais il y a dans le germe une force vive, un principe de développement, une action continuelle qui échappe à tous les regards, et qui, s’aidant de la terre, de l’air et du soleil, produira la plante, deviendra la plante. La foi est, dans l’homme, cette force vive, ce principe de développement, cette action incessante et cachée ; et c’est dans ce sens qu’on peut dire qu’elle a les œuvres, comme on peut dire que la semence de la plante a ou contient la plante. En d’autres termes, l’obéissance du dedans contient en germe toute l’obéissance du dehors.
[d] Jacques 2.17
Nous avons dit que l’arbre est la perfection ou l’accomplissement du germe ; que les œuvres, pareillement, sont la croissance, la stature parfaite de la foi. Saint Jacques, au verset 22, nous dit que « par les œuvres d’Abraham sa foi fut rendue parfaite ». Ceci, vous le comprenez bien, ne veut pas dire que la foi en est meilleure en soi, mais simplement qu’elle a produit tout ce qu’elle devait produire ; que, comme l’arbre, elle a poussé au dehors son tronc, ses branches, son feuillage. Les œuvres ne sont encore que la foi, mais la foi rendue parfaite, la foi déployée, ramifiée, fructifiante. L’arbre ne vaut pas mieux que son germe, la vie ne vaut pas mieux que son principe ; mais le germe, mais le principe ont donné tout ce qu’ils devaient donner, tout ce qu’ils contenaient. Les œuvres ont rendu la foi visible, et, en la rendant visible, elles l’ont rendue puissante au dehors, communicative, contagieuse ; mais elles ne l’ont pas fait être ce qu’elle n’était pas.
Enfin, pour qu’il soit bien entendu qu’il n’y a dans les œuvres que ce qu’il y avait dans la foi, l’apôtre nie que la foi qui ne produit point d’œuvres soit réellement la foi ; car il dit, au verset 17, que la foi qui n’a pas les œuvres, est morte en elle-même. Pesez bien cette expression. La mort, en général, est un accident, un changement ; la mort vient après la vie, elle suppose une vie antérieure. Pour être mort, il faut avoir vécu. Mais cette foi est morte en elle-même, essentiellement morte, morte par nature ; elle est née morte, elle n’a jamais vécu. En un mot, cette foi n’est pas la foi. « Si vous n’avez pas les œuvres, semble dire l’apôtre, c’est que nous n’aviez pas la foi ; de l’absence des œuvres je conclus à l’absence de la foi ». Est-ce là nier la nécessité de la foi, la vertu justifiante de la foi ? Est-ce faire descendre la foi de son trône pour y faire monter l’œuvre pure et simple, l’œuvre de la loi, l’obéissance servile ? N’est-ce pas plutôt rendre hommage à la foi, et consacrer le principe que saint Paul a proclamé ?
Qu’importe, après cela, que saint Jacques ait l’air de prendre le contre-pied de saint Paul lorsqu’il dit à la fin de ce chapitre : Vous voyez donc que l’homme est justifié par les œuvres et non par la foi seulement ? La contradiction n’est qu’apparente. Saint Paul aurait souscrit à cette sentence de saint Jacques, dans le sens que saint Jacques lui donne ; car elle signifie que l’homme ne peut être justifié par une foi que les œuvres n’accompagnent pas, ne légitiment pas, par une foi dont l’absence des œuvres proclame la fausseté. Saint Paul lui-même n’a-t-il pas dit la même chose que saint Jacques lorsqu’il a déclaré qu’il n’y a qu’une chose qui serve, c’est-à-dire qui sauve, c’est la foi opérante par la charité[e] ? N’est-ce pas dire en d’autres termes qu’il n’y a qu’une chose qui justifie, savoir la foi manifestée par les œuvres ? De bonne foi, qui peut en douter ? Ne mettons donc pas, gratuitement, la guerre entre saint Jacques et saint Paul ; laissons ces deux apôtres combattre dans un même esprit des erreurs opposées et faire face à deux pharisaïsmes, saint Paul à celui de la loi, saint Jacques à celui de la foi ; et, certains désormais du consentement de Paul, prêtons l’oreille à son digne compagnon d’œuvre lorsqu’il nous met en garde contre de vaines distinctions et de vaines disputes, et lorsqu’il nous avertit, à sa manière, de nous examiner pour voir si nous sommes dans la foi.
[e] Galates 5.6
Car il fait ces deux choses dans l’endroit que nous étudions. Il étouffe le germe des discussions vaines lorsqu’il s’écrie : Quelqu’un dira : Tu as la foi, et moi j’ai les œuvres. Eh bien, montre-moi ta foi sans tes œuvres, et moi je te montrerai ma foi par mes œuvres. C’est-à-dire qu’on n’a pas l’un sans l’autre ; c’est-à-dire qu’on ne peut ni séparer ni choisir ; que les deux choses, séparées, ne sont pas deux choses, mais deux mots, et que celui qui n’a que l’une des deux n’a rien. Il n’y a pas des chrétiens de foi et des chrétiens d’œuvre ; dans ce sens exclusif, ni les uns ni les autres ne sont des chrétiens, ni des moitiés de chrétiens ; ce sont des pharisiens. La seule distinction à faire, c’est entre les ténèbres et la lumière, entre le mal et le bien, entre les ennemis et les amis de Dieu. Au lieu de fortifier et de défendre deux positions chimériques, deux erreurs également éloignées de la vérité, avant de chercher, à force de subtilités, lequel de deux néants est moins néant que l’autre, voyez seulement à vous sauver du néant, et à ne pas vous laisser ranger par votre cœur charnel, et en dépit de l’exactitude de vos formules ou de l’exactitude de votre obéissance, dans la classe infortunée des ennemis de Dieu.
L’apôtre, ai-je dit encore, vous avertit de vous examiner pour voir si vous êtes dans la foi. « De même, vous dit-il, qu’un corps sans âme est mort, la foi sans les œuvres est morte » ; c’est-à-dire fausse, illusoire, nulle, non seulement de droit, mais de fait. Si vous n’agissez pas, vous ne croyez pas. Règle simple et lumineuse ; car qui ne sait s’il agit ou s’il n’agit pas ? Et ne dites pas que l’action, dans certains cas, est impossible. Elle ne l’est jamais. Elle ne l’est qu’à celui qui ne veut pas agir. Dans l’absence de tous les moyens extérieurs, et même de la parole, la prière est toujours possible, et la prière est une action. Il n’en est même point de plus réelle, comme il n’en est point de plus efficace. Vous avez la croyance, j’y consens ; voulez-vous savoir si vous avez la foi : voyez si vous savez agir, donner, pardonner, prier. A défaut de tout cela, votre foi est un cadavre qui a bien, comme le cadavre d’un homme, les organes, les formes, l’aspect de l’homme, mais qui n’est pourtant qu’un cadavre.
Ce n’est pas à dire que vous ne connaissiez d’une certaine manière, et très exactement peut-être, la vérité. C’est le préliminaire de la justification ; mais c’est aussi bien, si vous en restez là, le commencement de la condamnation. Il est vrai que ces vérités que vous connaissez sont grandes, sont belles ; vous vous enorgueillissez peut-être de pouvoir les comprendre et de savoir les expliquer. Mais voulez-vous savoir, après tout cela, quel rang vous assigne cette connaissance ? Ecoutez l’apôtre : les démons aussi possèdent d’assez belles connaissances ; ils savent, par exemple, qu’il y a un Dieu : oui, mais ils en tremblent. Ils savent même tout ce que vous savez ; ils savent qu’il y a un Sauveur : oui, mais ils en tremblent. Vous n’en tremblez pas, vous, peut-être. Non, mais vous en devriez trembler, et vous en tremblerez un jour, lorsque appelés à rendre compte de votre foi ou de vos œuvres (n’importe lequel, puisque l’un renferme l’autre), vous ne trouverez, dans vos œuvres comme dans votre foi, dans votre foi comme dans vos œuvres, rien qui ne vous humilie, rien qui ne vous accable.
Voilà pour ceux qui pensent avoir la foi. Quant à vous qui pensez avoir les œuvres, ou qui vous prévalant avec empressement de cette déclaration de saint Jacques : L’homme est justifié par les œuvres, vous reposez sur le nombre et l’excellence de vos bonnes actions, ah ! ne vous hâtez pas d’abuser de la vérité, ne soyez pas si cruels envers vous que de la corrompre ; et de même que vous avez bien voulu que les sectateurs de la foi jugeassent de leur foi par leurs œuvres, consentez pareillement à juger de vos œuvres par votre foi ; car l’un n’est ni plus ni moins raisonnable que l’autre. Jugez de vos œuvres par votre foi ; c’est-à-dire sachez à qui, par quel motif, dans quel esprit vous obéissez. A qui ? Est-ce à l’opinion, à vous-mêmes, ou à Dieu ? Par quel motif ? Est-ce pour mériter des grâces ou pour y correspondre ? Est-ce sous l’impression servile de la crainte ou sous la généreuse impulsion de la reconnaissance et de l’amour ? Dans quel esprit ? Est-ce dans un esprit d’orgueil ou dans un esprit d’humilité ? Il se pourra bien que, dans cet examen, vous vous trompiez ; mais si vous vous trompez, vous en répondrez, car vous ne deviez pas vous tromper, et si la vérité vous a échappé, c’est qu’en feignant de la chercher, de la désirer même, vous l’avez soigneusement évitée.
Nous tous, ne séparons point ce que Dieu a uni ; la foi des œuvres, les œuvres de la foi. C’est de leur réunion intime que se compose l’homme et le chrétien. Croire la vérité et agir selon la vérité qu’on croit, c’est tout l’homme, c’est toute la vie, et c’est aussi le salut. Toutefois l’ordre n’en est pas indifférent ni arbitraire, et quoique notre Seigneur ait pu dire avec une vérité profonde : Celui qui voudra faire la volonté de mon Père connaîtra si ma doctrine vient de Dieu ou si je parle de mon chef[f], il n’en est pas moins vrai que l’action naît de la foi, que la foi précède l’action, que la foi est donc le principe de la vie et du salut, comme la grâce est le principe de la foi. Car on ne se donne pas la foi ; on ne se donne rien ; on reçoit tout ; il faut tout demander. Demandez donc, ô mes frères, qui connaissez peut-être la vérité de Dieu, sans croire véritablement à Dieu, demandez avant tout cette foi de grand prix sur laquelle, comme sur un tronc généreux, croissent toutes les bénédictions du temps et de l’éternité. Et vous qui n’avez pas même encore la connaissance, cherchez-la avec toute la sincérité dont vous êtes capables ; et pourquoi ne vous dirais-je pas : Demandez, quoique vous ne sachiez peut-être pas encore que ces choses se demandent et qu’en tout cas elles se donnent ? Oh ! la qu’il la donne même à ceux qui ne la demandent pas ; qu’il leur apprenne du moins à la demander : cela même est une grande, une féconde vérité, qui nécessairement les mènera plus loin. Oui, ô Dieu ! nous te demandons la vérité pour ceux qui ne la connaissent pas, la foi pour ceux qui connaissent la vérité. Donne, oh ! donne avec abondance, et que la terre soit remplie de ta connaissance comme le fond de la mer l’est des eaux qui le couvrent[g] !
[f] Jean 7.17
[g] Esaïe 11.9