L’usage de la primitive Eglise était de conférer tout de suite aux néophytes admis au baptême trois sacrements : celui du baptême, celui de la confirmation et celui de l’Eucharistie. Ce n’était qu’au moment même de les baptiser qu’on les instruisait du sens mystérieux que l’Eglise attachait aux cérémonies préliminaires du baptême, qui se pratiquaient dans le portique du baptistère, aux renonciations, à la profession de foi. C’est le sujet de la première mystagogique ;
La deuxième traite de l’onction de l’huile exorcisée et de l’acte du baptême ;
La troisième, de l’onction du saint chrême ou du sacrement de confirmation ;
La quatrième, du sacrement de l’Eucharistie ;
La cinquième, de la lithurgie et de la communion.
On ne pouvait dévoiler la connaissance de ces mystères aux néophytes ; mais, pour ne pas les admettre à la participation de ces sacrements dans un état d’ignorance absolue, on se contentait, le samedi saint, de leur en faire une brève exposition ; sauf à entrer dans de plus amples développements pendant tous les jours de la semaine de Pâques. (Voy. Catéc. XVIII, 32, 23.)
Cet usage était presque général. Car nous trouvons le même ordre exactement observé dans les sermons de S. Gaudence aux néophytes, dans le livre de S. Ambroise de Mysteriis, dans l’ouvrage de Sacramentis, dont l’auteur est incertain, et dans les sermons de S. Augustin ad Infantes.
A la lecture de ces Catéchèses, on concevra aisément l’intérêt qu’ont eu les enfants de Calvin, tels que Rivet et Aubertin, pour jeter des doutes sur l’authenticité de ces cinq Discours, puisqu’ils renferment la condamnation expresse et positive de leur infernale doctrine. Si un Père de l’Eglise s’est servi de quelques expressions obscures qui semblent favoriser leurs erreurs, ils n’ont pas de termes assez emphatiques pour le louer ; si, au contraire, ils y rencontrent la condamnation de leur hérésie, aussitôt ils crient à la falsification, à l’interpolation. C’est ce dont on peut se convaincre en lisant les notes de Pearson sur S. Cyprien, et celles de Butteius et autres sur Lactance, sur Sulpice Sévère, etc.
C’est Cyrille lui-même qui a donné à ces Catéchèses le titre de Mystagogiques, qui signifie : Introduction aux mystères. (Vid. Catéch. XIX, II, XX, I.) Elles renferment, en effet, une exposition claire et précise, quoique brève, des trois sacrements et de la liturgie soutenue et appuyée sur les témoignages de l’Ecriture sainte.
Il ne faut cependant pas croire qu’il soit entré dans tous les détails qui concernent les rites et les cérémonies. Car dans la première il ne dit rien des exorcismes, de l’imposition des mains et des diverses prières qui précèdent et suivent les renonciations, ni du vin et du miel qu’on donnait dans l’Eglise d’Orient aux nouveaux baptisés.
Dans la deuxième, il ne parle ni de la bénédiction des fonts, ni de la robe blanche dont on revêtait les nouveaux baptisés, ni des cierges dont ils étaient porteurs.
Dans la troisième, il passe sous silence l’imposition des mains qui accompagne l’onction, les prières et la formule des paroles qui faisaient partie intégrante de l’un et de l’autre.
Dans la cinquième, il s’étend sur plusieurs points de la liturgie, et ne dit cependant rien de ce qui précède le lavement des mains et le baiser de paix.
De ce silence il ne faut pas conclure que ces rites n’étaient pas observés dans l’Eglise de Jérusalem.
Ces instructions sont en général beaucoup plus courtes que les précédentes, soit que l’office solennel ne permît pas de leur donner plus d’étendue, soit que le sujet qu’on avait à traiter et qui avait pour principe la tradition, n’exigeât pas un aussi long développement, ni autant de preuves puisées dans l’Ecriture sainte, soit enfin qu’après les instructions faites le samedi saint, l’Eglise accordât aux esprits un repos, comme elle en accorde aujourd’hui dans les offices.
Ces instructions ne se faisaient pas alors au milieu de l’office, mais après l’office, comme dans la plupart de nos cathédrales ; non pas dans l’église principale, mais dans l’annexe ou chapelle du Saint-Sépulcre dite Anastasie. Cet usage se conserve encore dans l’église primatiale de Lyon, où le prône du dimanche se fait, non pas dans l’annexe, puisqu’elle n’existe plus depuis 1794, mais dans la cathédrale après l’office canonial.
Cette XIXe Catéchèse est, surtout remarquable par les cérémonies qui y sont décrites, et qui étaient particulières à l’Eglise de Jérusalem.
Les renonciations se faisaient dans le vestibule du baptistère, tandis que dans les églises grecques elles se faisaient dans l’église même, ainsi que nous le voyons dans l’Euchologe de Jacq. Goar, dans la Hiérarchie ecclésiastique (Cap. II, Part. 2, n. 6) dans l’auteur des Questions orthodoxes n. 137, qu’on trouve à la suite de S. Justin, enfin dans les rituels et Ordo romains. Mais dans l’église d’Apamée les renonciations se faisaient dans le baptistère même, (Vid. Epist. Cleri Apam. in conc. sub Menâ, t. V, p. 229.)
Dans les Gaules les renonciations se faisaient à la fontaine même, comme nous le voyons dans le rituel et le sacramentaire de Thomassin et de Mabillon, sans parler ici de Salvien, de Gubern. Dei. L. VI. Biblioth. PP. T. VIII, etc.
Les renonciations se faisaient à Jérusalem avant la bénédiction des fonts, comme l’Eglise grecque le pratique encore, conformément aux Constitutions apost. 1. VII, cap. 41,42,43 ; à l’Hierarchie eccles. De S. Denys, et à l’usage de Rome, contrairement à l’usage des Eglises des Gaules et d’Espagne. Ex Hildefonso, cap. 109. L’onction du baptême précédait les renonciations, mais celles-ci se faisaient en vêtements blancs, contre l’usage des Grecs. (Vid. Eucholog. p. 338, Elie de Crète, in orat. IV Nazianz. n. 24.)
Dans les Eglises grecque et latine les renonciations se sont toujours faites sous forme interrogative. Renoncez-vous à Satan ? Mais à Jérusalem elles se faisaient sous forme impérative. Renoncez à Satan.
A Jérusalem les renonciations se faisaient la main étendue vers le couchant qui est le côté de la nuit et des ténèbres (Cat. XIX, 2) ; mais dans l’Eglise de CP. et dans tout l’Orient elles se faisaient les mains élevées vers le ciel. (Vid. Eliam Cret. in orat. IV, Greg. Nazianz. n. 24.) L’auteur de la Hiérarchie ecclés. Veut que le néophyte, avant de prononcer la formule de renonciation, tourné vers le couchant, souffle trois fois, comme pour rejeter le diable, ter diabolum exsufflare. (Vid. Euchol. græc.) Après la récitation il soufflait encore une fois. Enfin dans la même position il crachait vers le couchant.
D’après S. Grégoire de Nazianze (orat. IV, n. 24) il paraît que le ministre soufflait sur le néophyte, et que celui-ci soufflait ensuite. Cette double cérémonie s’appelait insufflation et exsufflation. S. Ephrem fait mention de l’une et l’autrè (2º Adventu) S. Chrysostôme, Homil. in peccat. Observait-on à Jérusalem ce double rit ? C’est ce que S. Cyrille ne nous apprend pas.
Après la formule des renonciations, on trouve dans les rituels grecs celle de l’alliance avec Jésus-Christ, Συντάσσομαι τῷ Χρίστῳ, ου σοὶ, Χριστὲ ; Aggregor Christo, outibi, Christe ; ou bien, Adorans te, intua castra transeo : En t’adorant, je passe dans ton camp : paroles que les néophytes prosternés la face contre terre, tournés vers l’orient, prononçaient avant le Credo. S. Cyrille n’en fait pas ici une mention expresse ; mais il semble l’indiquer dans ces mots. Après la renonciation à Satan et l’agrégation à Jésus-Christ, n. 8 : Metà Thy ánótağıv τοῦ Σατανᾶ, καὶ τὴν πρὸς τὸν Χριστὸν σύνταξιν. Mais dans les églises latines le Credo se récitait immédiatement après les renonciations. (Voyez, pour l’Afrique, Optat. 1. V, n. 5. Voyez, pour les Gaules, Salvien, de Gubernat. Dei, lib. VI, Biblioth. PP. t. vII, p. 364.) Dans l’Eglise romaine on faisait les onctions et la bénédiction des fonts entre les renonciations et la profession de foi.
Après les renonciations on récitait à Jérusalem un précis du Credo. Ailleurs on le récitait presque tout au long, comme on le voit dans le Rituel d’Antioche de Sévérus, et dans l’auteur de la Hiérarchie ecclés. dans l’Euchologe de CP. pag. 388 ; dans Salvien, pour ce qui regarde les Gaules, dans S. Augustin pour ce qui concerne l’Afrique, serm. LVIII, n. 13. Mais à Rome il était encore plus concis. Dans le rit Ambrosien on ne confessait que la sainte Trinité, ainsi qu’en Espagne, (Ex Hildefonso, cap. CX) ; ce qui se pratiquait aussi quelquefois dans les Gaules, dans la Cappadoce (voyez S. Basile et S. Grégoire de Nazianze).
Enfin après cette brève exposition de foi qui suivait immédiatement les renonciations, il s’en faisait à Jérusalem encore une, avant d’entrer dans les fonts, sur le mystère de la Trinité par demande et par réponse. (Catéch. XX, 4.) Aucune autre Eglise ne présente dans son Rituel cette double profession de foi. Cette Catéchèse fut prononcée le lundi après Pâques.
I. Motifs pour lesquels l’explication des mystères a été différée jusqu’à ce moment. – II. Exposition de ce qui s’est passé à l’extérieur du baptistère, des renonciations à Satan faites le bras tendu vers l’occident. III. Parallèle entre Moïse envoyé pour délivrer Israël de l’esclavage de Pharaon, et Jésus-Christ envoyé par Dieu son Père pour délivrer le genre humain de la servitude de Satan. IV. Raisons pour lesquelles, pendant les renonciations, le néophyte est debout, regardant l’occident. V. Il renonce d’abord à Satan, et à ses œuvres dont suit le détail ? – VI. Puis à ses pompes, c’est-à-dire à toutes les vanités du siècle. VII. Puis aux idolothytes, c’est-à-dire, aux viandes consacrées aux idoles. – VIII. Il renonce pour la quatrième fois à tout culte du démon, et de tout ce qui en fait partie. IX. Après les renonciations le néophyte se tourne vers l’orient, prononce un abrégé du Symbole. – X. Exhortation en forme de conclusion.
Sobrii estote et vigilate. (1 Petr. V, 8, ad finem.)
« Soyez sobres et veillez. »
Il y a longtemps, très-chers Enfants de l’Eglise, que je désirais m’entretenir avec vous de nos mystères spirituels et célestes. Mais n’ignorant pas que nous en croyons plus à nos yeux qu’à nos oreilles, j’ai différé jusqu’à ce moment, dans l’espoir que ce qui aurait frappé vos yeux, vous rendrait plus intelligible ce qui me restait à vous dire, et qu’au sortir des fonts sacrés, je pourrais vous conduire, comme par la main, dans le pré émaillé et embaumé de ce verger spirituel.
D’ailleurs, vous êtes reconnus capables de comprendre des mystères encore plus divins, du moment que vous avez été jugés dignes d’être admis à la piscine régénératrice ; il faut donc maintenant vous offrir des mets plus substantiels et plus parfaits. Courage, mes Frères, nous allons soulever le voile qui cache encore à vos yeux toute la profondeur des mystères auxquels vous venez d’être initiés. Nous allons vous en faire connaître toute la vertu, et tous les effets qui se sont opérés en vous le soir de votre baptême.
Vous êtes d’abord entrés dans cette partie du temple qui sert de vestibule au baptistère. Là, debout et tournés vers l’occident, sur l’ordre qu’on vous a donné, vous avez étendu la main et vous avez renoncé à Satan, comme s’il eût été présent. Il faut que vous sachiez voir et reconnaître dans l’ancienne loi la figure de cette cérémonie.
Lorsque le peuple Hébreu gémissait sous le joug de Pharaon, le plus impitoyable et le plus féroce des tyrans, Dieu suscita Moïse pour délivrer ce peuple infortuné et le rendre à la liberté. Tous les chefs de famille reçurent l’ordre de marquer leurs portes du sang de l’agneau, pour que l’Ange exterminateur les reconnût et passât outre. Vous connaissez les prodiges qui accompagnèrent et signalèrent la délivrance des Hébreux. Vous vous rappelez que Pharaon voulut courir après ce peuple esclave qui lui échappait, et qu’ayant aperçu une route ouverte au sein de la mer Rouge, il n’hésita pas de se précipiter sur les pas du peuple Israélite à travers les flots suspendus sur sa tête, et qu’il fut submergé avec toute son armée.
Passons maintenant de l’Ancien Testament au Nouveau, de la figure à la réalité. Dans l’un c’est Moïse que Dieu envoie en Egypte ; dans l’autre c’est Jésus-Christ que Dieu son père envoie sur la terre. La mission de Moïse avait pour objet la délivrance du peuple que Dieu s’était choisi ; celle de Jésus-Christ eut pour objet l’affranchissement de tout le genre humain qui gémissait sous le joug du péché et du démon. Là c’est le sang de l’agneau qui détourne la main de l’Ange exterminateur ; ici c’est le sang de Jésus-Christ, de l’agneau[1] sans tache qui met en fuite les démons. Car cet impitoyable tyran, cet audacieux prince des ténèbres n’a pas cessé de vous poursuivre, comme faisant partie de son antique domaine, jusque dans les eaux de la régénération. C’est là qu’il a été submergé ; c’est dans les eaux salutaires qu’il s’est évanoui.
[1] Ici c’est le sang de Jésus-Christ, de l’agneau sans tache.
Tous les Pères se sont accordés à voir dans le sang de l’agneau pascal dont les Hébreux marquèrent leur maison, la figure de l’effet que le sang de Jésus-Christ devait opérer sur les démons dans la personne des chrétiens ; mais ils varient beaucoup dans leur explication. Les uns n’ont vu la réalité de la figure que dans le signe de la croix. C’est en ce sens que Prudence a dit : Passio quæ nostram defendit sanguine frontem, Corporeamque domum signato collinit ore. (Apotheosi cont. Judæos, V. 38.)
S. Césaire disait aussi : Quando postes domorum sanguine illius agni jubentur inscribi, id est, crucis titulo mens (fortè frons) nostra depingi. (Homil. VI, de Paschate.)
Primasius sur l’Epître aux Heb. (XI, 28) S. Cyrille d’Alexandrie (Hom. X, Pasch.) l’ont ainsi compris.
D’autres n’ont saisi cette réalité que dans l’Eucharistie et dans la communion même. Suum sanguinem, a dit Eusèbe, pro nostræ salutis lytro dedit. Et animam corpusque nostrum obsignantes ac munientes, omne genus dæmonum nobis insidiantium ejicimus. (Cant. in Luc. cap. XXVII, 7.) (Voyez aussi Chrysostôme, Homil. XVI in Heb. Nicetas in orat. Naz. XLI, 4 ; Liturgia gallica, 1. ш, 30 ; le Missel gothique de Mabillon.)
Quelques-uns enfin se sont bornés à voir la figure de l’Agneau pascal dans la passion de Jésus-Christ en général, dont les mérites devaient seuls éloigner de nous les démons et nous communiquer la force de leur résister.
Cyrille a eu sans doute en vue les trois sens. Mais le second qu’il adopte dans cette catéchèse est plus littéral et plus frappant pour des néophytes ; il s’y attache d’autant plus volontiers, comme nous le verrons dans la XXIII, n. 22, que l’usage où étaient les fidèles de passer leur doigt sur les lèvres après la communion du calice, et de se frotter les yeux, le nez, le front et les autres sens, l’y invitait.
Vous avez entendu l’ordre qui vous fut donné d’étendre le bras, comme vers une personne présente, et de prononcer ces paroles solennelles : Je renonce à toi, Satan. Je veux aujourd’hui vous faire comprendre pourquoi vous étiez tournés vers l’occident ; car cela est nécessaire. Comme l’occident est la partie de ce globe d’où les ténèbres se répandent sur la terre, comme le Démon est le prince des ténèbres, étant ténèbres lui-même, c’est pour vous rendre sensible l’objet de votre renonciation, et palpable, pour ainsi dire, le sens des paroles que vous alliez prononcer, qu’on vous a fait regarder l’occident, et qu’en même temps chacun de vous debout, s’adressant au prince des ténèbres, a dit à haute voix : Je renonce à toi, Satan ; à toi, perfide et cruel tyran ; je ne te crains plus, ni toi ni ta puissance ; car le Christ a brisé ton sceptre, en me faisant participer à sa chair et à son sang[2], pour combattre la mort par la mort, pour m’arracher à jamais à ton odieux esclavage.
[2] En me faisant participer à sa chair et à son sang.
Selon le père Touttée, il faudrait dire : Il s’est fait participant de ma chair et de mon sang. Ce qui serait relatif au mystère de l’Incarnation, tandis qu’ici il est évident que S. Cyrille fait allusion à la communion pascale à laquelle ont été admis les néophytes. Voici la phrase grecque · Κατέλυσε γάρ ταύτην (ἰσχύν) Χριστὸς, ἅιματός μοι xai caρxòs xowvwvhods. Le Père Touttée a traduit : Hanc (virtutem) enim dissolvit Christus, sanguinis et carnis mecum particeps factus. Le Christ a brisé cette puissance, en devenant avec moi participant de chair et de sang ; c’est-à-dire en se faisant homme comme moi. J’observe que grammaticalement la phrase ne peut supposer aucun autre sens que celui que je lui donne, vu que le verbe χοινωνήσαζ est ici actif, et n’est ni moyen ni passif, et qu’il régit le datif de la personne et le génitif de la chose. (Note du Trad.)
Je renonce à toi, Satan, odieux et rusé serpent ; je renonce à toi qui sous le masque hypocrite de l’amitié as engendré l’iniquité et jeté dans nos pères l’esprit de révolte.
Je renonce à toi, Satan, auteur, source, principe de toute perversité quelconque.
Dans la seconde formule on vous a fait dire encore : Et à toutes tes œuvres. Quelles sont les œuvres de Satan ? C’est toute espèce de péché. Comme celui qui abjure le service d’un tyran, en jette bas les armes, de même faut-il qu’un soldat enrôlé sous la bannière de la croix renonce au péché, à toute espèce de péchés qui sont autant d’œuvres de Satan.
Il faut, au reste, que vous sachiez qu’au moment redoutable où vous avez prononcé ces abjurations solennelles, elles ont été enregistrées dans les livres de l’Eternel, et que tout acte contraire au pacte que vous venez de faire, vous sera remis sous les yeux comme à un parjure, à un violateur de la foi des serments. Vous avez renoncé à Satan, à ses œuvres, c’est-à-dire à toutes pensées, paroles ou actions que la raison condamne.
Vous dîtes ensuite : A toutes tes pompes. Quelles sont les pompes du démon ? Ce sont les folies du théâtre, les courses de l’hippodrome, les chasses du cirque et toutes les autres folies du même genre. C’était pour s’en garantir que le Roi-Prophète adressait à Dieu cette prière : Détournez mes yeux, pour qu’ils ne voient pas la vanité. (Psaumes 118.37.) Dépouillez donc votre cœur de toute affection pour le théâtre, où vous n’avez sous les yeux que le dévergondage des. histrions féconds en propos et gestes cyniques, que les danses qui ne respirent que la fureur de la volupté, ou la lâcheté d’une honteuse mollesse ; fuyez ces cirques où des hommes font métier de s’exposer aux dents des tigres et des lions, pour assouvir leur propre gloutonnerie ; fuyez ces hommes qui, en s’abandonnant aux excès de leur voracité, ne font qu’engraisser des victimes destinées aux féroces habitants des déserts, ou, pour parler plus juste, sacrifient à leur ventre leur unique divinité, leur propre vie, et précipitent leur âme dans un abîme éternel.
Fuyez ces spectacles où des insensés courent à la mort, montés sur des chars, pour amuser un peuple stupide. Car voilà ce qu’on appelle les pompes du démon.
Parmi ces pompes, il faut encore compter les solennités consacrées aux idoles, et s’abstenir sévèrement de toutes viandes, de tout pain, de toutes espèces de nourriture, qui ont été suspendues dans leur temple, qui ont été souillées par l’invocation des démons les plus impurs[3].
Car de même que le pain et le vin, avant l’invocation de la très-adorable Trinité, n’est autre chose que du pain et du vin, et que ce pain et ce vin, après la consécration, devient le corps et le sang de Jésus-Christ[4] de même aussi les viandes qui ont fait partie des pompes de Satan, qui de leur nature sont pures, sont, par l’invocation des démons, profanées et souillées.
[3] Qui ont été souillées par l’invocation des démons les plus impurs.
Toute solennité païenne était l’occasion d’une foire où se rendaient les bateleurs, les ménestriers, les cabaretiers du pays. Dans ces foires on ne servait sur les tables que des viandes, des boudins, des pâtisseries, qui avaient été consacrés au Dieu du jour et du lieu. C’est ce que S. Paul appelle : Idolothytes. L’usage de ces idolâtres était de manger ces viandes en cérémonie, la tête couronnée de fleurs, en faisant la part du Dieu et lui adressant leurs vœux. Et à son honneur ils versaient à terre quelque peu de vin. Cela s’appelait libation. Il est ici aisé de reconnaître l’origine des vogues qui sont dans nos campagnes des sources intarissables de désordre. La Religion n’a pu détruire ces usages invétérés chez les païens ou paysans. Elle n’a pu que substituer le culte d’un Saint à celui d’un faux Dieu. Mais les danses, les jeux, l’ivrognerie et mille autres excès n’ont pu se déraciner de ces réunions d’ailleurs nécessaires pour les communications sociales entre les habitants de la campagne.
[4] Car de même que le pain et le vin deviennent, etc.
Les païens étaient persuadés que le Dieu auquel ils sacrifiaient, venait réellement savourer l’odeur des viandes qu’on brûlait, ils se regardaient comme les commensaux de la divinité, en mangeant les viandes offertes, et ils croyaient s’identifier avec le Dieu de la fête. En effet, si on était ivre, c’était le dieu Bacchus qui s’était identifié avec le buveur. C’était à la déesse Vénus qu’on attribuait, à la suite des orgies, les transports aphrodisiaques dont on était agité.
Cyrille paraît ici persuadé que les viandes vouées aux démons contractaient une véritable souillure, et étaient pernicieuses pour ceux qui en faisaient usage, par la présence malfaisante des démons. C’est donc dans la présence de Jésus-Christ dans la sainte Eucharistie et la présence des démons dans les idolothytes que la comparaison de S. Cyrille peut être juste.
Il y eut d’abord du doute parmi les chrétiens s’il était permis dans les repas de famille de manger de ces viandes, de boire de ces vins ainsi offerts, mais qu’on vendait et achetait sur le marché. Dans le concile de Jérusalem (Actes 15.29) il fut défendu aux fidèles d’en faire usage, 1°parce que sans doute les Juifs s’en abstenaient, comme ils s’abstiennent encore de toute viande qu’ils n’ont pas eux-mêmes préparée à la boucherie et à la cuisine ; 2°à cause des conséquences que les païens pouvaient malicieusement tirer de cette indifférence des chrétiens, et que cet usage eût été un scandale pour les Juifs et les Païens.
Cinq ans après, S. Paul consulté sur cette question (1 Corinthiens 8.4) répondit qu’on pouvait en manger sans s’informer si elles avaient été offertes. Cependant la crainte du scandale a maintenu les chrétiens dans l’usage de s’abstenir de ces viandes. C’est pour les gêner et leur tendre un piège que l’empereur Julien fit offrir aux idoles toutes les viandes de la boucherie.
Vous dites ensuite, à son culte.
Le culte du diable est une prière quelconque faite dans un temple consacré aux idoles, ou devant des images peintes ou sculptées d’êtres inanimés. Allumer des lampes, brûler des aromates sur le bord des fontaines et des rivières, ou aller, comme quelques-uns, sur la foi d’un songe et d’illusions du démon, se baigner dans telle fontaine ou telle rivière dans l’espoir d’y recouvrer la santé, d’y trouver la guérison de quelques infirmités corporelles, ce sont tout autant d’actes qui font partie du culte des démons, dans lesquels vous ne pouvez vous immiscer sans impiété.
Les augures, les divinations, les prestiges, les amulettes, les phylactères, les inscriptions gravées sur des lames de métal, les talismans[5], la magie, et toute autre pratique de cette nature font partie du culte des démons. Gardez-vous bien de vous y laisser entraîner. Si par malheur, après votre renonciation à Satan, après votre agrégation à l’Eglise de Jésus-Christ, vous venez à succomber à de pareilles tentations, vous trouveriez dans le démon un tyran plus cruel qu’auparavant. Peut-être autrefois vous traitait-il en serviteur fidèle, peut-être n’exerçait-il pas alors sur vous son empire dans toute sa rigueur. Mais aujourd’hui que vous l’avez outragé, bafoué, exaspéré, il vous traitera comme un esclave fugitif, et vous vous trouverez en même temps abandonné de Jésus-Christ lui-même.
[5] Les inscriptions gravées sur des lames de métal, les talismans.
Sous le nom d’amulettes on entendait certains préservatifs ou phylactères qui avaient été consacrés aux démons, que les femmes suspendaient à leur col et à celui de leurs enfants, que les Grecs appelaient Periammata. C’était une amulette que le morceau d’ambre ou succin taillé sous des formes très-variées. Les païens leur attribuaient la faculté occulte non-seulement de préserver mais encore de guérir plusieurs maladies. Il s’en faisait avec des simples cueillis mystérieusement.
On peut lire dans Elien, dans Apulée, dans Pline, etc. toutes les vertus occultes que le Paganisme attribuait à certaines plantes cueillies ritė, suivant certains rites prescrits par la magie, à certaines pierres sur lesquelles on gravait certaines figures de divinités ; de là les camées. Le nom d’amulettes vient du latin amoletum, du verbe amoliri, écarter.
Les talismans étaient des plaques de métal, couvertes de caractères dont la vertu dépendait de la constellation sous laquelle les figures avaient été gravées. Ainsi les astrologues vous disent sérieusement que si la figure d’un lion est gravée en or pendant que le soleil est dans ce signe, ceux qui portent ce talisman sont préservés de la gravelle ; la figure d’un scorpion gravée sous ce signe préserve de la piqûre de cet animal. La figure de Vénus en la première face de la balance, des poissons ou du taureau, procure la beauté ou la force du corps. Les Gnostiques des premiers siècles en ont répandu beaucoup. On en trouve un grand nombre gravées dans l’Antiquité expliquée de Montfaucon. On croit les Egyptiens inventeurs des talismans. Beaucoup en attribuent l’invention à Apollonius de Thyane ; mais ils sont beaucoup plus anciens. Ducange dérive ce mot de Talamasca, vieux mot qui signifiait en langue saxonne une sorcière, un visage hideux. Mais il faut encore remarquer que les Turcs ont donné à leurs prêtres le nom deTalismans. (Vid. Wadding in Annalibus minor. ann. 1342.) On peut, au reste, consulter Saumaise (in Kerkætium, p. 75) Gaffarel (de Curiositatibus inauditis.)
L’Eglise a constamment combattu ces superstitions ; mais elle n’a pu les détruire qu’en leur opposant l’usage des croix ou des médailles suspendues au col, dont au moins l’efficacité reposait sur la foi dans les mérites de Jésus-Christ ou des Saints par Jésus-Christ.
Vous vous rappelez l’histoire de Loth et de ses deux filles[6]. N’avaient-ils pas éprouvé les effets de la clémence et de la miséricorde de Dieu ? Ne les avait-il pas tirés de dessous les ruines de Sodome et amenés sains et saufs sur la montagne ? Sa femme ne fut-elle pas changée en une statue de sel, monument éternel de son apostasie, c’est-à-dire, de son retour intérieur vers les sales voluptés, et de la vengeance de Dieu.
[6] Vous vous rappelez l’histoire de Loth et de ses deux filles.
Tous les pères de l’Eglise s’accordent à parler de la statue de Loth, comme existante encore de leur temps. On en trouve de nombreuses mentions dans les auteurs hébreux, grecs et latins.
Josèphe (lib. I, Antiquit. cap. 12) affirme l’avoir vue. Les rabbins l’appellent Hedith, témoin.
Le témoignage de S. Irénée (L. IV, cont. Hær. cap. 51) est assez curieux pour trouver place ici dans son entier.
Loth in confinio reliquit uxorem suam, statuam salis usque in hodiernum diem… Et cùm hæc fierent, uxor remanserat in Sodomis, jam non caro corruptibilis, sed statua salis semper manens, et per naturalia ea quæ sunt consuetudinis hominis, ostendens, quoniam et Ecclesia quæ est sal terræ, subrelicta est in confinio terræ, patiens quæ sunt humana ; et dum sæpe auferuntur ab ed membra integra, perseverat statua salis, quod est firmamentum Fidei, firmans et præmittens Filios ad Patrem ipsorum. Pour comprendre ce que peut avoir d’obscur ce passage, il faut savoir que la croyance générale était que par un miracle continuel elle ne perdait rien ni de sa grosseur ni de sa forme, quoiqu’on en arrachât toujours quelques pièces ; c’est ce qu’assure l’auteur du poème : de Sodoma, qu’on trouve à la suite des Œuvres de Tertullien et qu’on attribue à S. Cyprien. Voici ce qu’il en dit :
Durat adhuc etenim nuda statione sub athram,
Nec pluviis dilapsa situ, nec diruta ventis.
Quin etiam si quis mutilaverit advena formam,
Protinus ex sese suggestu vulnera complet.
Il dit bien plus :
Dicitur et vivens alio jam corpore, sexûs
Munificos solito dispungere sanguine menses.
On lit dans la première aux Corinth. de S. Clément n. 11 en parlant de la statue de Loth : Quæ enim una cum viro egress a fuerat uxor illius, cùm diversa sentiret, nec concors esset in ejusmodi signum, posita est ut salis statua in hodiernum usque diem.
Une chose digne de remarque, c’est que Philon attribue cette métamorphose, comme S. Cyrille, à un retour intérieur vers les débauches de Sodome, au regret de les avoir perdues. Malens à tergo relicta respicere, vanam gloriam, cæcas voluptates, insensatam corruptelam, etc. (De Somniis, pag. 466, n. F. édit. Col. Allob, 1613.) (Note du Traducteur.)
Brocard (Bonaventure) auteur du XIIIe siècle, nous a laissé une savante description de la Terre-Sainte (Colog. 1774, in-8.) Il dit que de son temps on voyait encore cette statue entre Engaddi et la mer Morte.
Adrichomius (Christien) auteur d’un ouvrage intitulé Theatrum Terra Sancta (Col. 1643, in-8) assure qu’elle existait encore de son temps.
Les rabbins sont persuadés qu’elle durera jusqu’à la consommation des siècles. (Vid. Targum Hierosolymitanum.) Cette statue a donné lieu à cette énigme :
Cadaver nec habet suum sepulcrum.
Sepulcrum nec habet suum cadaver.
Sepulcrum tamen et cadaver intus.
(Voy. Hierar. M. Subter. 1. part. pag. 302.) (Note du Traducteur.)
Veillez donc sur vous-mêmes, prenez garde de retourner sur vos pas et de regarder derrière vous, après avoir mis la main à la charrue ; fuyez vers Jésus-Christ qui est la pierre détachée de la montagne sans le secours des mains, qui a rempli toute la terre.
Lorsque vous avez renoncé à Satan, vous avez ‘rompu tout pacte avec lui, vous avez foulé aux pieds l’ancienne alliance qui existait entre vous et l’enfer. Le paradis que Dieu planta à l’orient, dont notre premier père fut expulsé pour avoir violé ses ordres, vous est rouvert. Voilà le motif pour lequel vous vous êtes tournés vers l’orient d’où sort la lumière. Alors on vous a fait dire : Je crois au Père, au Fils et au Saint-Esprit, et en un baptême de pénitence, etc. Nous ne reviendrons pas sur l’explication de ces mots que dans nos précédentes Catéchèses nous avons développés aussi longuement que la grâce de Dieu nous l’a permis.
Veillez maintenant que vous êtes suffisamment instruits ; car le démon votre ennemi, ainsi que nous venons de le lire, rôde sans cesse autour de vous comme un lion rugissant, cherchant une proie à dévorer. (1 Pierre 5.8.) Vous étiez naguère sous l’empire de la mort dévorante. Dans la sainte piscine de la régénération, Dieu a séché les larmes de tous les yeux. (Esaïe 25.8.) Non, vous ne pleurerez plus maintenant que vous avez dépouillé le vieil homme, vos jours seront plutôt des jours de fête, parce que vous vous êtes revêtus de Jésus-Christ (Romains 13.14) qui est le vêtement du salut. (Esaïe 56.10.),
Voilà ce que j’avais à vous dire sur ce qui s’est passé dans le vestibule du baptistère. Dans nos instructions prochaines mystagogiques nous entrerons avec vous dans le Saint des Saints, et avec l’aide de Dieu nous lèverons le voile qui couvre les saints mystères qui s’y célèbrent. Gloire, empire, magnificence soit à Dieu le Père avec le Fils et le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.