Suite et fin de l’argument sur la préexistence de Jésus-Christ.
On ne saurait rien comprendre dans le commencement de l’Évangile selon saint Jean, si l’on nie la préexistence et la divinité du Seigneur Jésus-Christ. Toutes ces expressions : Au commencement était la Parole ; la Parole était avec Dieu ; la Parole était Dieu ; toutes choses ont été faites par elle ; la Parole a été faite chair ; le monde a été fait par elle, toutes ces expressions ne sont plus sans cela qu’un incompréhensible galimatias ; et les hommes, qui ne sont pas obligés d’entendre ce qui en soi est inintelligible, ne seront pas coupables de n’y point découvrir un sens si contraire à l’impression naturelle des paroles, qu’il ne peut être découvert que par l’esprit de prophétie. C’est ce que nous allons faire voir plus particulièrement.
Au commencement était la Parole. Notre exposition n’a rien d’obscur ni d’embarrassé. Si cette exposition s’entend du commencement de toutes choses, voilà la préexistence du Seigneur Jésus-Christ et sa divinité bien établies. Je dis sa préexistence ; car il s’ensuit de là que Jésus-Christ existe dès la naissance du monde. Je dis sa divinité, parce que sa puissance infinie justifie cette dernière, et que, si toutes choses ont été faites par lui, on ne peut point douter de sa puissance infinie.
Mais on a cru trouver le moyen de se défendre contre cette évidence, en expliquant du commencement de l’Évangile ce qui paraît avoir été dit du commencement du monde. On veut que le dessein de l’évangéliste étant de faire connaître la dignité de Jésus-Christ dès l’entrée de son ouvrage, il ait appréhendé qu’on lui fit tacitement une objection qui pouvait nuire à ce dessein : c’est que Jean-Baptiste était venu, et avait commencé les fonctions de son ministère avant Jésus-Christ, et qu’ainsi il pouvait sembler que Jean-Baptiste devait être regardé comme le Messie, plutôt que Jésus-Christ. On prétend que l’apôtre détruit cette objection, en disant que la Parole, c’est-à-dire Jésus-Christ, était au commencement, c’est-à-dire lorsque Jean-Baptiste commença d’enseigner ; qu’il était, dis-je, non seulement quant à son essence, mais aussi quant à sa charge, etc.
Ils prétendent que Jésus-Christ est appelé le Verbe ou la Parole dans ce commencement de l’Évangile selon saint Jean, en figure ; qu’il est, dis-je, ainsi appelé : ou par métaphore, parce que comme la volonté de l’homme est manifestée par sa parole, ainsi aussi la volonté de Dieu nous a été découverte par Jésus-Christ ; ce qui fait aussi qu’il est appelé la voie ou la porte, ou, par métonymie, étant nommé du nom de la chose qu’il a révélée ; auquel sens il est aussi appelé la vérité, la vie et la résurrection.
Ils ajoutent que, comme il pouvait venir dans l’esprit de quelqu’un qu’au commencement de l’Évangile, lorsque Jean-Baptiste commença d’exercer les fonctions de son ministère, Jésus-Christ était tout à fait inconnu, et qu’ainsi c’était Jean-Baptiste, et non pas Jésus-Christ, qui devait être pris pour le Messie ; saint Jean a voulu répondre à cette objection, en disant que celui qu’il appelle la Parole avait été avec Dieu, c’est-à-dire connu de Dieu seul. Ils ajoutent que cet évangéliste diffère en cela des autres, qu’au lieu que les autres supposent sans le prouver, que Jésus-Christ est le Christ, à moins que le récit de ce qu’ils rapportent ne les oblige en quelque sorte, saint Jean, au contraire, avant que de décrire la vie de Jésus-Christ, entreprend de prouver, avec un extrême soin, que c’est lui, et non aucun autre, qui doit être regardé comme le Sauveur du monde.
Ils prétendent que Jésus-Christ est appelé Dieu en cet endroit, premièrement, parce que toutes les choses qui ont paru dans son ministère ont été pleines de la divinité ; de sorte que le ministère des prophètes qui ont été avant lui, était plutôt un ministère humain qu’un ministère divin, si on le compare avec celui de Jésus-Christ. D’où vient aussi qu’aucun des prophètes n’a été appelé Dieu simplement à cause de sa charge, comme Jésus-Christ l’a été en cet endroit à cause de sa charge de prophète. Ils veulent, en second lieu, qu’il soit appelé Dieu parce qu’il soutenait la personne de Dieu même ; enfin, parce qu’il était tellement destiné dès lors à cette puissance et à cette gloire qu’il possède maintenant, qu’il n’en pouvait jamais être privé.
Ils veulent que lorsque l’évangéliste dit que toutes choses ont été faites par lui, et que, sans lui rien de ce qui a été fait n’a été fait, il ne faille pas entendre par cette expression : toutes choses, toutes choses généralement, mais seulement toutes les choses qui, de quelque manière que ce soit, appartiennent à l’Évangile de Jésus-Christ, à notre salut, et à la religion sous la nouvelle alliance, comme la vocation des nations, l’abolition de la loi cérémonielle, les miracles et les divers dons qui ont été distribués dans l’Église primitive.
Ils prétendent que, dans ces paroles de l’évangéliste : il était au monde, et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a point connu, le terme de monde se prend en trois sens différents ; de sorte que l’évangéliste dit que Jésus-Christ a été dans un de ces mondes, que l’autre a été fait par lui, et que le troisième ne l’a point connu. Le monde où Jésus-Christ était, est la société des hommes. Le monde qui a été fait par Jésus-Christ, est ce siècle à venir, qui a été maintenant présent à Jésus-Christ, et dans lequel il est introduit après l’avoir acquis et formé par son obéissance, et dans lequel nous serons immortels et à jamais heureux avec lui, tout autant que nous sommes qui aurons été trouvés lui appartenir. Par le monde qui n’a point connu Jésus-Christ, il faut entendre les hommes charnels, ou les hommes qui sont entièrement attachés à ce monde. Au reste, ils prétendent que lorsqu’il est dit que le monde pris pour le siècle à venir a été fait par Jésus-Christ, il ne faut point prendre cela dans un sens absolu, mais dans un sens particulier, dans lequel cette expression signifie que ce siècle a été fait par Jésus-Christ, parce que nous avons espérance de l’obtenir, et que nous l’obtiendrons en effet par Jésus-Christ. Ou bien, prenant le terme de monde pour la société des hommes, soit lorsqu’il est dit qu’il était au monde, que le monde ne l’a point connu, soit lorsqu’il est dit que le monde a été fait par Jésus-Christ, ils disent que le monde a été fait par Jésus-Christ, parce que les hommes ont été renouvelés par lui ; et alors fait signifie, selon eux, refait ou rétabli.
Enfin, au lieu de traduire comme nous ces paroles : la Parole a été faite chair, ils les rendent par celles-ci : la Parole a été chair, croyant par là se pouvoir dispenser de reconnaître la préexistence de cette Parole. Voilà leur doctrine : il est temps de faire là-dessus nos réflexions.