Remarquable vigueur physique de Wesley. — Deux maladies. — Son activité et sa sérénité. — Empressement et affection dont il est l’objet. — Conversions intéressantes. — Progrès sociaux et religieux sur tous les points de l’Angleterre. — Wesley en Écosse. — Wesley en Irlande : scènes d’itinérance, état de l’œuvre. — Opposition vaincue. — Un soufflet à Halifax. — Wesley impose le respect aux malintentionnés. — Les gentlemen rappelés à l’ordre. — Le méthodisme dans l’île de Man : opposition de l’évêque ; lettre de Wesley. — Courtoisie des évêques de Londonderry et de Londres. — Il prêche dans les églises. — Le salut des âmes. — La cure d’âmes. — La réunion de classe. — La discipline. — La question des sacrements. — La chapelle de City-Road. — Difficultés au sujet de l’occupation de la chaire de la nouvelle chapelle. — Le conflit de Bath. — Expulsion et réintégration de Mac-Nab. — Statistique du méthodisme. — Nouveaux prédicateurs. — Confiance de Wesley. — La misère en Angleterre. — Efforts de Wesley pour la soulager. — Silas Told. — Wesley assiste le Dr Dodd condamné à mort. — Wesley et la question de l’esclavage. — Son écrit sur ce sujet. — Écrits relatifs à la crise américaine. — Reconnaissance du gouvernement. — Accusations calomnieuses. — Écrits au sujet de la question catholique. — Son loyalisme. — Attaques de la presse. — Sérénité de Wesley. — Publications.
Si importante que fût la controverse que nous venons de raconter, elle ne fut cependant qu’un incident dans la vie de Wesley, et elle ne diminua en rien ni son activité ni sa sérénité. Il pouvait dire, au terme de la période de dix ans, dont nous allons résumer les travaux : « Je ne me souviens pas d’avoir éprouvé pour un quart d’heure d’abattement d’esprit depuis que je suis néa. » — « Je sais sentir et je sais souffrir, disait-il encore ; mais, par la grâce de Dieu, je ne m’agite de rienb. » Les attaques et les outrages ne lui avaient pourtant pas manqué, comme nous l’avons vu et comme nous le verrons encore ; les difficultés étaient loin d’être toutes aplanies, et le problème de l’avenir de son œuvre le préoccupait ; mais sa foi comptait sur Dieu et relevait au-dessus du découragement.
a – Methodist Magazine, 1781, p. 185.
b – I feel and grieve, but, by the grace of God, I fret at nothing. (Journal, 28 juin 1776.)
Il conservait dans un âge avancé des forces qui d’ordinaire sont refusées aux vieillards. En 1772, il consulta, pour faire plaisir à ses amis, trois médecins d’Edimbourg au sujet d’une indisposition, qui était le résultat d’une chute de cheval. Ils reconnurent chez lui une hydrocèle et lui ordonnèrent de s’abstenir désormais des voyages à cheval. Il fit en effet désormais en voiture la plupart de ses courses missionnaires, mais sans diminuer en rien son travail. Trois ans après, il eut en Irlande une dangereuse maladie, à la suite d’un refroidissement causé parla pluie qui, une nuit, tomba sur son lit, à travers le chaume du toit. Il eut une fièvre violente qui le garda, pendant quelques jours, entre la vie et la mort. Les soins et les prières de ses amis, aidés de son robuste tempérament, le sauvèrent.
Dès lors, à chaque anniversaire de sa naissance, il enregistre dans son journal, avec une satisfaction évidente, le bulletin de sa santé. Il écrivait à son soixante-onzième anniversaire : « Je suis aussi fort qu’il y a trente ans. » Deux ans après, il écrivait dans son journal : a J’ai aujourd’hui soixante-treize ans, et je prêche plus aisément qu’à vingt-trois ans. » Sa voix était aussi puissante que jamais ; sa vue s’était améliorée ; son aptitude au travail avait grandi. « Je n’ai aucune des infirmités de la vieillesse, pouvait-il dire, et j’en ai même quelques-unes de moins que dans ma jeunesse. » En 1780, il disait : « Je puis difficilement croire que j’entre aujourd’hui dans ma soixante-dix-huitième année. Par la bénédiction de Dieu, je suis aussi bien que lorsque j’entrai dans ma vingt-huitième. C’est Dieu qui a fait cela, au moyen surtout de l’exercice continuel, de l’habitude que j’ai conservée de me lever de bonne heure et de prêcher matin et soir. »
Il continuait en effet à faire en moyenne de 4 000 à 4 500 milles par an c’est-à-dire que tous les six ans il parcourait une distance équivalente à la circonférence du globe. Ce septuagénaire pouvait encore au besoin faire une centaine de lieues en quarante-huit heures sans se sentir fatigué. A quelqu’un qui le plaignait d’être ainsi toujours par voies et chemins, il disait :
« Vous ne comprenez pas ma manière de vivre. Quoique je sois toujours pressé, je ne le suis jamais jusqu’à la précipitation, parce que je n’entreprends jamais plus d’ouvrage que je n’en puis faire en conservant tout le calme de mon esprit. Il est vrai que je fais de 4 à 5 000 milles par an, mais je voyage généralement seul dans ma voiture, et il en résulte que je suis aussi tranquille dix heures par jour que si j’étais dans un désert. En d’autres temps, je suis toujours seul au moins trois heures, et souvent dix ou douze par jour. De sorte qu’il y a peu de personnes dans le royaume qui passent autant d’heures que moi loin de toute compagnie. Avec cela je trouve le temps de visiter les malades et les pauvres ; et je dois le faire, si je crois à la Bible, si je crois que c’est à ces signes que le Berger d’Israël reconnaîtra et jugera ses brebis au grand jourc. »
c – Lettre du 10 décembre 1777. Meth. Mag. 1799, p. 364.
On rencontre toujours de loin en loin, dans les notes de voyage de cet infatigable missionnaire, un mot qui montre qu’il eût pu autant qu’un autre apprécier les joies d’une vie sédentaire. « J’ai passé ma soirée utilement et agréablement, écrit-il un jour ; j’étais au milieu d’amis qui sont parmi les excellents de la terre. J’étais disposé à dire : Il est bon que je demeure ici ! Mais, non ! La voix de Dieu me dit : « Toi ! va, et prêche l’Évangile ! » Dans sa soixante-seizième année, il écrit : « Je me suis reposé à Newcastle ; aimable lieu ! aimable compagnie ! Mais j’ai foi en un autre monde que celui-ci, et je dois me lever et aller en avant. » Rien n’est fortifiant comme le spectacle de la courageuse activité de ce vieillard, que les déceptions d’une longue vie n’ont pas abattu, et qui poursuit son œuvre avec un enthousiasme qui semble le lot de la jeunesse seule.
Dans ses tournées, Wesley rencontrait d’ailleurs le même empressement qu’autrefois ; le succès qui avait accueilli sa parole n’était pas un engouement passager ; il durait après plus de trente ans, et grandissait toujours. Le prédicateur à cheveux blancs savait conserver les sympathies qu’il avait conquises au temps de sa jeunesse et de sa vigueur. Autour de lui une nouvelle génération avait grandi, et les enfants apprenaient à vénérer l’homme dont leurs pères leur racontaient le zèle et les souffrances. Le bruit de son passage dans une contrée suffisait pour faire accourir de tous côtés une affluence considérable d’auditeurs. L’amphithéâtre naturel de Gwennap se remplissait toujours de multitudes frémissantes. A Birstal, à Leeds, à Londres, il avait encore les vastes assemblées des anciens jours. « J’ai prêché à Moorfields, écrit-il en 1775, à un auditoire plus grand que jamais ; il est étonnant qu’après avoir entendu pendant quarante ans les mêmes choses, les gens n’aient pas encore satisfait leur curiosité. » Bien que ses tournées eussent en général un itinéraire tracé d’avance, l’imprévu y avait nécessairement une large place. On l’arrêtait journellement dans les localités qu’il traversait, pour lui demander une prédication ; parfois même, il apprenait qu’une assemblée s’était spontanément formée sans son aveu, et qu’elle l’attendait. Lorsqu’il avait fini, il ne lui était pas toujours facile d’échapper à l’affection de ses auditeurs qui refusaient de s’en aller et demandaient qu’il leur parlât encore. « Quoi qu’on en dise, s’écriait-il, tant que le peuple montrera un pareil empressement, il est bien clair que le temps de la prédication en plein air n’est pas passé. »
Avec des auditeurs si bien disposés, Wesley se sentait à l’aise. « J’étais fatigué en arrivant à Portsmouth, dit-il dans son journal, mais mon auditoire m’a bien vite fait oublier ma fatigue. Les habitants de cette ville sont plus civils et mieux disposés que ne le sont en général les gens du Sud ; ils reçoivent la parole de Dieu avec promptitude. »
Sa prédication avait toujours cette puissance pénétrante qui en avait fait le succès ; elle savait encore arracher les âmes à leur torpeur et les amener à un sentiment profond de leur misère morale. Si des crises extérieures, telles qu’il s’en était produit au commencement du Réveil, ne se montraient plus guère, l’œuvre de conversion ne s’en poursuivait pas moins, et le journal de Wesley nous raconte plusieurs faits de cette nature.
A Gwennap, un homme qui avait renié la foi et abandonné ses frères fut atteint par la parole du prédicateur et revint à l’Église qu’il avait attristée par sa chute. A Sainte-Agnès, après une prédication qu’il fit dans l’église paroissiale, une jeune femme vint à lui tout en larmes : « J’ai besoin de Christ, criait-elle dans son angoisse ; donnez-moi Christ ou je meurs. » Le vieux missionnaire la conduisit à son Maître, et, pendant qu’il priait avec elle, cette âme tourmentée trouva la paix. « Je voudrais mourir maintenant, s’écriait-elle, pour être avec lui. Oh ! comment pourrai-je attendre à plus tard pour aller le rejoindre ! »
La puissance de la foi de Wesley éclatait tout autant dans ses prières que dans ses prédications. Un jour, comme il priait dans une assemblée à Sunderland, sa pensée se porta sur un apostat dont la chute avait eu un retentissement douloureux. Aussitôt il éleva la voix en sa faveur : « Seigneur, Saül ne serait-il pas aussi parmi les prophètes ? James Watson est-il ici ? S’il y est, fais éclater ta puissance à son égard ! » Le pauvre homme était là en effet, et, saisi par la conviction de sa misère morale, il tomba à terre et se mit à sangloter et à demander sa grâce à grands cris.
A part ces conversions qui continuaient à se produire sur tous les points, Wesley constatait partout sur son passage les heureuses transformations que le méthodisme avait opérées. Le niveau des populations ouvrières s’élevait rapidement ; les mineurs étaient méconnaissables. En traversant le Nord, et en admirant les petites maisons de Weardale coquettement cachées dans la verdure et où tout respirait l’aisance et le bien-être, Wesley pouvait se dire que « trois sur quatre et peut-être neuf sur dix s’étaient élevées depuis que le méthodisme avait fait son apparition dans la contrée. »
Dans cette localité, il fut témoin d’une œuvre merveilleuse au milieu d’une population de mineurs, employés à l’extraction du plomb. Des conversions nombreuses se produisirent, et la contrée tout entière fut profondément remuée. Voici en quels termes il décrit cette société modèle : « Elle est particulièrement remarquable, dit-il, à deux égards : elle a fait preuve d’une grande libéralité chrétienne envers ses prédicateurs, et elle a veillé soigneusement à empêcher les mariages anti-chrétiens. Il en résulte que nos amis se marient entre eux, non par amour de l’argent, mais pour leur bien spirituel. Les époux, unis dans la grâce, sont d’accord pour s’aider dans l’éducation de leurs enfants, et Dieu les a abondamment bénis à cet égard ; dans la plupart des familles, les enfants au-dessus de dix ans sont convertis à Dieu. »
Dans les Cornouailles, Wesley trouvait de grands sujets de satisfaction. « Il ne nous reste, dit-il, que fort peu de membres de nos vieilles sociétés dans ce pays ; la plupart de nos amis s’en sont allés dans le sein d’Abraham. Mais la nouvelle génération a le même esprit que l’ancienne ; elle est sérieuse, zélée, dévouée à Dieu et particulièrement remarquable par sa simplicité et sa sincérité chrétiennes. »
A Shoreham, où son vieil ami Perronet vivait encore, Wesley trouvait une société tellement prospère qu’il pouvait dire « qu’aucune autre n’avait grandi si rapidement en nombre et en grâce » ; et il attribuait surtout cette œuvre à l’activité de la fille du vénérable vicaire. Dans la paroisse d’un autre de ses amis, l’excellent Grimshaw, il se sentait pénétré de reconnaissance à la vue des changements qui s’étaient produits. « Quelle œuvre Dieu a faite ici, disait-il, depuis le jour où M. Grimshaw et moi fûmes faits prisonniers pour quelques heures par une populace furieuse. Les fils de celui qui commandait l’émeute sont maintenant les amis de notre prédication. » La société de Nottingham lui inspirait les réflexions suivantes : « Il y a quelque chose dans ce peuple qui me plaît beaucoup. Bien que la plupart des membres du troupeau appartiennent aux classes les plus humbles et soient ouvriers dans les manufactures, il y a dans leur caractère tant de douceur et d’amabilité, et dans leur conduite tant de véritable distinction, que ces qualités, unies à une piété solide et vivante, les rendent dignes de l’admiration de tous. »
Wesley visita l’Écosse à diverses reprises pendant cette période, et sa prédication y fut goûtée par les riches et par les pauvres, sans obtenir pourtant ces succès décisifs qu’elle trouvait dans les autres parties de la Grande-Bretagne. Accueilli dans les chaires officielles, honoré à l’égal d’un grand homme par les habitants de Perth et d’Arbroath, qui lui conférèrent le droit de bourgeoisie, il n’eut qu’à s’applaudir de l’amabilité des Ecossais ; mais il se plaignait un peu de leur froideur et de leur impassibilité religieuse. Il était évident qu’ils demeuraient un problème pour lui et qu’il en était un pour eux.
L’Irlande répondait mieux, par sa condition religieuse et par le caractère de ses habitants, aux aptitudes spéciales de Wesley, et ses succès continuaient à y être grands. Il ne se contentait pas de visiter les centres principaux de l’œuvre dans ce pays, mais, fidèle dans sa vieillesse aux traditions de toute sa vie, il pénétrait dans les régions montagneuses et jusque dans les villages les plus reculés, pour y annoncer l’Évangile à des populations ignorantes et arriérées. Il retrouvait là des scènes de la vie missionnaire qui lui rappelaient celles des premières années de son ministère. Ici il prêchait dans un bois, à l’ombre d’un vieux chêne, éclairé par les rayons du soleil couchant, dont la lumière filtrait entre les branches des arbres. Là, il s’établissait dans un jardin public, et la foule s’asseyait devant lui sur la pelouse. Ailleurs, une tente était dressée dans la cour d’une forteresse, et abrité par elle il haranguait une troupe de soldats, qui écoutaient avec enthousiasme cette parole énergique et martiale.
Le peuple irlandais était en général si bien disposé en sa faveur qu’il quittait tout pour l’écouter. Il arriva à Clara un jour de marché, et toutes les affaires s’interrompirent aussitôt et ne reprirent que lorsque sa prédication fut finie. Pendant qu’il prêchait à Blackpool, la pluie commença à tomber, mais tous, prédicateur et auditeurs, restèrent bravement à leur poste, et nul ne songea à partir avant la fin du sermon. Une fois ou deux seulement, au commencement de cette période, Wesley fut exposé aux injures et aux projectiles de la populace fanatisée par les prêtres ; mais ces agressions cessèrent bientôt complètement, et tout rentra dans l’ordre.
L’œuvre irlandaise était en pleine prospérité ; le nombre des membres se multipliait ; des chapelles spacieuses et commodes s’élevaient sur divers points, grâce à la libéralité très grande des sociétés. Wesley, tout en se réjouissant de cette prospérité générale, comprenait qu’elle n’était pas sans dangers : « Personne ne nous fait plus d’opposition à Athlone, écrit-il ; il en résulte que le zèle diminue. Quel est donc sur la terre l’état qui soit exempt de dangers ? Lorsque la persécution s’élève, combien d’âmes se scandalisent ! Quand elle s’apaise, combien se refroidissent et perdent leur premier amour ! La tempête fait de nombreuses victimes, mais le calme en fait encore plus quelquefois. Seigneur, sauve-nous, ou nous périssons ! »
Partout, dans la Grande-Bretagne, l’émeute était décidément vaincue, et les opposants n’osaient plus guère se montrer. Si certains perturbateurs s’avisaient de tramer quelque complot, la clameur publique en faisait prompte et bonne justice. Les défenseurs officieux de Wesley le protégeaient parfois plus qu’il ne le désirait lui-même. Tel mauvais plaisant qui se permettait d’interrompre le prédicateur par ses lazzis trouvait chaude réception et s’en retournait confus. Tel ivrogne qui jetait le trouble dans l’assemblée, tombait entre les mains de sa vaillante femme, qui le saisissait virilement au collet, et, après lui avoir administré quelques corrections salutaires, le ramenait au domicile conjugal, au milieu des applaudissements du publicd. Souvent aussi la foule, mieux inspirée et ne voulant pas se faire justice à elle-même, se contentait de livrer les fauteurs de désordre aux magistrats les plus voisins. Ceux-ci se montraient désormais justes et même bienveillants ; une seule exception se produisit pendant cette période de dix années ; un maire s’avisa d’envoyer deux agents de police pour interdire à Wesley de prêcher sur une place publique ; mais ceux-ci, honteux de leur mission, perdirent courage au moment de l’accomplir et préférèrent obéir à leur conscience qu’à leur chef.
d – Journal, 12 juin 1780.
S’il savait être lion lorsque les circonstances l’exigeaient, il savait au besoin avoir la douceur et la patience d’un agneau. Il savait pardonner et il savait souffrir, deux qualités sans lesquelles il n’eût jamais vaincu l’obstination des masses. A Halifax, un homme exalté par la rage s’avança à travers les rangs pressés de la foule, et, arrivé auprès du prédicateur, le frappa rudement sur un des côtés de la figure. Le coup fut si violent que les yeux de Wesley se remplirent de larmes ; mais sans la moindre hésitation, il présenta, suivant le précepte de Christ, son autre joue à son assaillant. Celui-ci, apaisé et confus, recula et alla cacher sa honte au milieu de l’assemblée. Il devint à partir de ce moment l’ami dévoué des méthodistes, et dans la suite il exposa sa vie pour sauver de l’incendie l’une de leurs chapellese. Un homme qui savait ainsi en appeler des passions brutales aux aveux mêmes de la conscience et qui savait si bien réveiller dans les masses les instincts généreux qui y dorment, ne pouvait échouer dans son œuvre d’amour.
e – Walker, Methodism in Halifax, p. 122, 126. Cité par Tyerman, t. III, p. 126. D’après Stevens, que nous avons suivi dans notre première édition, ce fait aurait eu lieu à Dewsbury. (Hist. of Meth., II, p. 386).
Cet ascendant que Wesley exerçait sur le peuple était personnel et tenait en partie à certaines qualités de son caractère. Ce qui le prouve, c’est qu’à la même époque, d’autres prédicateurs eurent beaucoup à souffrir des mauvaises dispositions de la populace. William Darney fut maltraité, traîné dans la boue et foulé aux pieds par un peuple en démence, excité par les déclamations d’un ministre intolérant. Matthew Mayer eut également à souffrir des excès d’une multitude fanatisée par ses chefs. John Oliver fut jeté en prison pour avoir prêché l’Évangile. Nelson, Mather, Taylor, Roddaf qui occupèrent des places éminentes parmi les auxiliaires de Wesley, eurent à endurer des traitements analogues. Quant à Wesley, il savait dominer les mauvais instincts de la foule par la puissance de sa parole et par le prestige de ses longs services ; les passions se sentaient désarmées, en face de cette figure sereine, encadrée de cheveux blancs. Ce prestige s’exerçait non seulement sur les populations qui le connaissaient depuis longtemps, mais même sur celles qu’il évangélisait pour la première fois. Quand il parut à Redmire, dans le Nord, il reçut un accueil glacial ; il fut frappé des dispositions malveillantes qui éclataient de toutes parts : « On nous regardait comme des monstres, » écrit il. A peine eut-il parlé que les dispositions changèrent, et lorsqu’il quitta la ville, il put dire : « Je n’ai jamais vu une transformation aussi radicale que celle-là s’opérer en si peu de tempsf. »
f – Journal, 14 juin 1774.
Cette supériorité de Wesley dans son action sur la foule était si reconnue que ses prédicateurs l’appelaient souvent à leur aide. A Thame, par exemple, le peuple s’était montré si revêche que les prédicateurs refusaient d’y retourner. Là encore, il suffit de la présence et de la parole de Wesley pour pacifier les esprits.
La résistance des masses eût moins duré si elle n’eût été soutenue par des encouragements partis de haut. Nous avons vu quelle large part les magistrats et les hommes d’Église avaient prise à cette opposition. Durant la période où nous sommes parvenus, un apaisement général semble s’accomplir, mais, chose étonnante ! au lieu de descendre des classes élevées aux classes humbles de la société, c’est l’inverse qui se produit. C’est le peuple qui donne à ses chefs l’exemple de la tolérance et de la modération. On vit trop longtemps encore ces hommes qui, par leur position et leurs lumières, auraient pu inspirer l’ordre aux masses, oublier tout respect d’eux-mêmes et se comporter fort mal en présence d’une foule dont le maintien décent et recueilli eût dû les faire rougir. Wesley se plaint vivement, à diverses reprises, de « ces hommes que la politesse anglaise veut bien appeler des gentlemen, et qui se conduisent beaucoup plus mal que des marins ou des mineurs. » Plus d’une fois ces perturbateurs de bonne compagnie reçurent des leçons méritées de gens qui, s’ils leur étaient inférieurs au point de vue de la culture intellectuelle, les surpassaient par le bon sens et l’honnêteté. « Croyez-vous que j’aie besoin de recevoir des leçons d’un cocher ? » demandait avec arrogance un gentleman à un honnête cocher qui s’était permis de lui adresser des remontrances au sujet de la conduite inconvenante qu’il tenait dans une assemblée. — « Je pense en effet, monsieur, répondit le brave homme avec un peu de malice, que vous en avez le plus grand besoin. »
Wesley savait à l’occasion rappeler à l’ordre ces grossiers personnages. L’un d’eux affectait un jour de ricaner pendant qu’il prêchait dans l’église de Bingley. Le prédicateur s’arrêta et le regardant en face, dit : « Je me soucie de vos ricanements aussi peu que du bourdonnement d’une mouche ; mais je connais les bonnes manières aussi bien qu’aucun gentleman dans ce paysg. »
g – Tyerman, Life of Wesley, t. III, p. 325.
Les évêques ne montraient plus à Wesley l’hostilité d’autrefois. Celui de l’île de Man faisait encore exception. Le Méthodisme avait commencé en 1775 à se répandre dans cette île, grâce aux travaux d’un brave soldat, nommé John Crook, qui, converti et devenu prédicateur local, avait renoncé au métier des armes et, sans être envoyé par personne, s’était rendu dans l’île de Man, pour y prêcher l’Évangile. L’évêque crut devoir fulminer contre les « conventicules » méthodistes, et déclarer que ceux qui s’y rendraient s’exposaient à être privés des sacrements dans son diocèse. Dans son mandement, il parlait avec dédain des « enseignements grossiers, brouillons et inconséquents, sinon profanes et blasphématoires, et des effusions improvisées de ces adeptes d’une prétendue vraie religionh ». Encouragés par leur premier pasteur et par un ministre influent, le Dr Moor, les gens de l’île de Man se crurent tout permis contre les méthodistes et les persécutèrent sans merci. Le prédicateur écrivit à Wesley pour lui demander ce qu’il fallait faire.
h – Ce curieux mandement, du 16 juillet 1776, est reproduit par Tyerman, Life of Wesley, t. III, p. 229.
« Par-dessus tout, lui répondit celui-ci, restez dans l’île jusqu’à ce que l’orage ait passé ; possédez votre âme par votre patience. Gardez-vous de mépriser vos opposants ! Gardez-vous de l’aigreur et du ressentiment ! Ne rendez pas mal pour mal et injure pour injure. Je vous engage à avoir, avec quelques personnes sérieuses, un jour de jeûne et de prières. Dieu tient dans ses mains les cœurs de tous les hommes. Ni le Dr Moor ni l’évêque lui-même ne sont hors de sa portée. Demandez avec ferveur à Dieu qu’il maintienne sa cause. Il ne souffrira pas que vous soyez tenté au-delà de vos forces. Il ne faut avoir recours aux grands moyens pour obtenir justice que lorsque tous les autres font défaut. Je connais parfaitement les dispositions de Lord Mansfield et de quelqu’un qui est plus grand que lui. Si j’en appelais auprès d’eux, cela pourrait causer bien des ennuis au Dr Moor et à d’autres ; aussi ne le ferai-je que si j’y suis forcé ; j’aime mon prochain comme moi-même. Il est à espérer qu’ils changeront d’avis et qu’ils laisseront aux autres cette liberté de conscience qui est le droit de tout homme et spécialement de tout sujet de Sa Majesté britanniquei. »
i – Méthod. Mag., 1868, p. 103.
Trois ans après ces commencements difficiles, l’île de Man formait un circuit florissant, avec 1050 membres de la société.
Les évêques anglicans étaient en général moins étroits que celui de Man, et témoignaient à Wesley la plus grande déférence. Celui de Londonderry, en Irlande, était heureux de le recevoir à sa table. Il dîna un jour avec l’évêque de Londres, le célèbre Dr Lowth, chez leur ami commun Ebenezer Blackwell. Au moment de se mettre à table, l’évêque refusa de s’asseoir au-dessus de Wesley et en donna cette raison : « Monsieur Wesley, je désire être assis à vos pieds dans l’autre monde. »
Les chaires officielles, jadis fermées pour lui, s’ouvraient l’une après l’autre, et les églises étaient insuffisantes pour contenir tous ceux qui voulaient entendre retentir sous ces voûtes cette voix qui, depuis quarante ans, ne réveillait guère d’autres échos que ceux des carrefours et des bois.
Wesley, en avançant en âge, sentait toujours mieux la nécessité de ne jamais perdre de vue le grand but du ministère chrétien, le salut des âmes.
« Oh ! quelle responsabilité, écrivait-il en 1772 à son frère, que d’avoir curam animarum ! (soin des âmes). Vous et moi sommes appelés à cela : sauver les âmes de la mort et veiller sur elles comme devant en rendre compte ! Si notre office n’impliquait rien de plus qu’un certain nombre de prédications par semaine, ce serait là un amusement pour moi, et pour vous aussi. Mais ce n’est qu’une faible partie de notre tâche, de la vôtre comme de la mienne ! Dieu vous dit, aussi bien que moi : « Fais tout ce qui est en ton pouvoir pour sauver les âmes pour lesquelles mon Fils est mort. » Que cette voix retentisse toujours à nos oreilles ; alors nous pourrons rendre compte de notre vie avec joie. Eia age, rumpe morasj ! Pour moi, j’ai honte de mon indolence et de mon inactivité. Votre affaire, aussi bien que la mienne, est de sauver des âmes. Quand nous avons reçu les ordres, nous avons fait de cela l’affaire unique de notre vie. J’estime perdue toute journée qui n’est pas (au moins en grande partie) employée à cette œuvre. Sum totus in illo (je suis tout entier à cela). »
j – (Va-t-en donc ! Trêve d’atermoiements ! (Virgile Énéïde livre IV) ThéoTEX
Dans le même ordre d’idées, il disait à ses prédicateurs à la conférence de 1780 :
« N’oubliez pas que votre grande affaire n’est pas de prêcher tant de fois, et de prendre soin de telle ou telle société, mais de sauver autant d’âmes que vous le pouvez, d’amener à la repentance autant de pécheurs que vous le pourrez, et ensuite de les faire progresser de tout votre pouvoir dans cette sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur. »
Par de telles exhortations, il s’efforçait de combattre l’esprit de routine et de formalisme qui eût stérilisé le méthodisme. Mais plus cette préoccupation du salut des âmes était vive chez Wesley et plus elle lui faisait attacher une très grande importance à la cure d’âme et à la discipline. Les réunions de culte ou d’évangélisation ne lui paraissaient avoir de résultats sérieux que lorsqu’elles amenaient à leur suite des entretiens intimes. Plus il avançait en âge et plus il attachait d’importance aux réunions d’entretiens religieux auxquelles est demeuré le nom de classes. Dans sa correspondance avec ses auxiliaires, il revient continuellement sur le devoir de maintenir à ce moyen d’édification son caractère obligatoire :
« Nous ne devons plus nous borner à des menaces, écrivait-il à Benson, mais les mettre à exécution. En novembre dernier, je dis à la société de Londres : Notre règle est de se réunir en classe une fois par semaine, et non une fois en deux ou trois. Je vous en avertis, je ne donnerai de billets en février qu’à ceux qui auront observé cette règle. — Et j’ai tenu parole. Allez et faites de même partout où vous visitez les classes. Excluez ceux qui ne se sont pas rendus à la classe au moins sept fois dans un trimestre, à moins qu’ils n’en aient été empêchés par la distance, par la maladie ou par quelque autre cause légitime. Et, je vous en prie, remplacez, sans crainte et sans partialité, les conducteurs qui ne veillent pas sur les âmes qui leur sont confiées comme devant en rendre comptek. »
k – Œuvres, t. XIII, p. 423. Lettre du 22 février 1776.
L’attachement extrême que Wesley montre ici et ailleurs pour la discipline du méthodisme s’explique par la ferme conviction où il était que les progrès spirituels de ses sociétés et leur force d’expansion en dépendaient en grande mesure.
Les sociétés continuaient à être troublées par de graves questions d’organisation intérieure, dont la solution devait encore tarder longtemps. La question de l’administration des sacrements restait toujours pendante. Sous l’influence de son frère Charles qui, en vieillissant, était de plus en plus conservateur et attaché à l’anglicanisme, Wesley recommandait à ses sociétés de demeurer unies à l’Église établie et de s’adresser à elle pour les sacrements. Mais ce n’était là qu’une solution provisoire qui devait, par la force même des choses, faire place à une solution plus en rapport avec les nécessités spirituelles des sociétés. Divers incidents vinrent, pendant ces années, montrer la nécessité d’une solution libérale.
L’un de ces incidents se rattache à l’érection de la nouvelle chapelle de City-Road à Londres. Les méthodistes de la capitale y avaient plusieurs lieux de culte ; ils avaient occupé, entre autres, de vieilles églises huguenotes et deux chapelles épiscopales ; mais leur principal lieu de réunion était encore, en 1776, cette vieille chapelle de la Fonderie que Wesley avait ouverte en 1739 et dans les dépendances de laquelle il avait son logement. Menacé de se voir dépossédé de cet édifice qu’il tenait en location, il décida de construire un temple permanent. Il adressa à toutes les sociétés des trois royaumes un appel auquel il fut libéralement répondu, et il posa la première pierre du nouvel édifice en avril 1777, dans cette rue de City-Road, qui est devenue l’une des grandes artères de Londres. Le 1er novembre 1778, la construction était achevée et Wesley en prit solennellement possession. Cette chapelle, qui est encore aujourd’hui le principal lieu de culte des méthodistes de Londres, était alors le plus bel édifice religieux de la capitale, en dehors du culte anglican, et demeure toujours parfaitement appropriée à sa destination.
Le culte du dimanche dans la nouvelle chapelle fut, pendant les premiers temps, exclusivement confié à des ministres régulièrement consacrés, tels que Charles Wesley, Thomas Coke, John Richardson et James Creighton. Ce culte était célébré avec les formes liturgiques de l’Église anglicane. Les prédicateurs du circuit de Londres, John Pawson, Thomas Rankin et leurs collègues, n’acceptèrent pas sans peine d’être évincés de la chaire de City-Road, tandis qu’ils prêchaient auparavant à tour de rôle dans la chapelle de la Fonderie aussi bien que dans les autres chapelles de Londres. Les auditeurs partageaient cette impression et montraient une préférence marquée pour les prédications de ces hommes dont la tête n’avait pas été touchée par la main d’un évêque, mais qui n’en étaient pas moins de puissants prédicateurs de l’Évangile. Charles Wesley, très jaloux de ses droits de ministre régulier, et un peu jaloux aussi de la popularité des prédicateurs irréguliers, écrivit à son frère, alors en tournée, pour se plaindre d’eux et maintenir ses droits sur la chaire de City-Road. Son frère, plein d’égards pour lui, essaya de ramener la paix en conseillant aux uns et aux autres le support et la charité ; mais il ne se dissimulait pas qu’il y avait là une cause de trouble permanent à laquelle il faudrait tôt ou tard porter remède.
Un autre incident qui se produisit peu après mérite d’être raconté comme symptôme de la situation à cette époque. La conférence de 1778 avait placé à Bath Alexandre Mac-Nab, prédicateur itinérant pieux et capable. Un ministre de l’Église d’Irlande, le Rev. Edward Smyth, étant venu résider à Bath, à cause de la santé de sa femme, Wesley, qui le connaissait et l’appréciait, le chargea d’occuper tous les dimanches soir la chaire de la chapelle de cette ville. Mac-Nab s’y opposa, en déclarant que la conférence l’avait placé à Bath et qu’il entendait ne pas être dépossédé de la chaire. Wesley, excité par son frère qui lui représenta que, s’il cédait, c’en était fait de son autorité, se rendit avec lui à Bath, et, après enquête, déclara à Mac-Nab qu’il ne pouvait plus le considérer comme l’un de ses prédicateurs, puisqu’il refusait de se soumettre à l’une des règles fondamentales du méthodisme. Il justifia cet acte d’autorité par l’affirmation de son droit de diriger les sociétés, même en se passant du concours de la conférence. C’était là une théorie contestable et qui se produisait d’une façon au moins inopportune, à un moment où les prédicateurs itinérants étaient au nombre de cent soixante, parmi lesquels beaucoup d’hommes de haute valeur. L’un d’eux, Pawson, qui fut président de la conférence après la mort de Wesley, déclare que « les prédicateurs en général pensèrent qu’on en avait agi cruellement avec M. Mac-Nab », et, ajoute-t-il, « leur avis sur ce point n’a pas changé jusqu’à ce jourl. »
l – Tyerman, t. III, p. 311. Cité d’après la vie manuscrite du Dr Whitehead, par Pawson.
Cet incident causa une vive agitation, surtout dans les sociétés de Bath et de Bristol qu’il divisa profondément. L’agitation eût été plus grande encore si Wesley, revenant en arrière avec un courage qui l’honore, n’avait réintégré Mac-Nab, au grand déplaisir de Charles et à la vive satisfaction des prédicateurs. Grâce à cette issue d’une malheureuse affaire, la conférence de 1780 fut l’une des plus paisibles.
Malgré ces luttes intérieures, le méthodisme continuait à s’étendre, et ces dix années lui amenèrent un accroissement net de 14 651 membres et de 52 prédicateurs itinérants. Le chiffre total des membres pour l’Angleterre et l’Amérique s’élevait, en 1780, à 52 334 ; celui des prédicateurs itinérants à 213, sans compter plusieurs centaines de prédicateurs locaux non salariés. L’œuvre, en Amérique, avait pris un essor merveilleux, et ses progrès n’allaient pas tarder à contraindre Wesley à accomplir une évolution considérable dans sa marche ecclésiastique.
Le corps pastoral s’était développé et fortifié pendant ces dix années. Parmi les nouvelles recrues de Wesley, se comptaient Francis Asbury, qui allait devenir le père du méthodisme américain et l’un de ses premiers évêques ; — le commentateur Joseph Benson, repoussé comme méthodiste de l’université d’Oxford, et qui devint l’une des lumières de la société ; — Samuel Bradburn, le Démosthène du méthodisme par ses magnifiques talents oratoires, et dont un juge compétent, le Dr Clarke, disait qu’il n’avait pas entendu son égal ; — James Rogers, l’ardent évangéliste ; — Jean Valton, jeune Français qui, après avoir servi la messe comme enfant de chœur dans son pays, devint l’un des meilleurs associés de Wesley et fut le moyen de quelques réveils remarquablesm ; — Henry Moore, le premier biographe de Wesley, qui, pendant un ministère de près de soixante-dix ans, fut l’un des chefs les plus dignes de la société ; — et enfin le Dr Coke qui, après avoir renoncé à une belle position dans l’Église anglicane pour s’unir étroitement au méthodisme, devint l’une de ses gloires et fut le fondateur de ses grandes entreprises missionnaires.
m – On raconte que, dans l’ouest de l’Angleterre, une seule de ses prédications fut le moyen de la conversion d’une centaine de personnes.
De pareilles accessions relevèrent beaucoup le niveau général des prédicateurs de Wesley et étaient une garantie pour l’avenir. Le Réveil pouvait compter désormais sur le concours d’hommes capables par leur piété et par leurs lumières de le continuer après la mort de Wesley. Il le sentait lui-même, et, plein d’espérance, il écrivait à un ami : « La remarque de Luther, qu’un réveil ne dure guère que trente ans, n’est pas toujours vraie. Le réveil actuel a déjà duré cinquante ans. Et, Dieu soit béni ! il est aussi vivace aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans, ou plutôt il l’est davantage. Il a plus d’étendue et plus de profondeur que jamais ; un plus grand nombre de personnes peuvent rendre témoignage que le sang de Jésus-Christ purifie de tout péché. Nous avons donc tout lieu d’espérer que ce réveil ira se continuant et se développant sans interruption, jusqu’au jour où « tout Israël sera sauvé, et où la plénitude des Gentils sera entrée dans l’Église. »
Wesley n’était pas seulement le chef du méthodisme ; il resta jusqu’à la fin un philanthrope et un patriote chrétien. Le gouvernement alors était en guerre avec ses colonies américaines, auxquelles la France avait fini par s’allier. Cette lutte prolongée amena de grandes misères en Angleterre. Wesley s’occupa à les soulager dans la mesure de ses moyens. Grâce à une vie frugale et à des goûts simples, il se créait quelques ressources qu’il dépensait en œuvres de bienfaisance. Un jour, en Irlande, sa voiture s’était embourbée dans une fondrière, et, pendant que quelques hommes s’efforçaient de la dégager, un passant s’avança, et Wesley, remarquant l’expression profondément abattue de ses traits, lui en demanda la cause. Le pauvre homme lui raconta qu’il se voyait privé d’abri, son propriétaire menaçant de le chasser parce qu’il ne pouvait lui payer un loyer de vingt shillings. Le missionnaire lui mit aussitôt cette somme dans la main, et cet homme touché jusqu’aux larmes se jeta alors à genoux au milieu du chemin en s’écriant : « J’aurai donc une maison pour m’abriter ! » et il se mit à prier ardemment pour son bienfaiteur. « Je crois bien, dit Wesley dans son journal, que Dieu exauça sa prière en nous aidant à nous dégager de la fondrière. »
Les misères dont il fut témoin, en 1777, en visitant les membres de la société dans le pauvre faubourg de Bethnal-Green, sont ainsi racontées par lui :
« J’en ai trouvé plusieurs dans une telle pauvreté, qu’il serait difficile de s’en faire une idée sans l’avoir vue. Oh ! pourquoi les riches qui craignent Dieu ne visitent-ils pas continuellement les pauvres ? Pourraient-ils mieux employer leurs loisirs ? Certainement non. J’ai vu une autre scène le lendemain en visitant une autre partie de la société, et je puis ajouter que nulle part je n’ai rencontré une pareille détresse, pas même dans la prison de Newgate. Un pauvre homme malade se traînait hors de son lit pour porter secours à sa femme couverte de haillons et à ses trois enfants à moitié nus et qui semblaient l’image vivante de la faim. Quelqu’un ayant apporté un morceau de pain, tous ces malheureux se le sont arraché et l’ont dévoré en un instant. Comment ne pas se réjouir à la pensée qu’il existe un autre monde que celui-cin ? »
n – Journal, 15 janvier 1777.
Wesley s’occupa du paupérisme et de la cherté des vivres dans un écrit remarquable qui fut reproduit par plusieurs journaux. Mais en même temps il donna une attention particulière aux institutions de secours qui se formèrent au sein de ses sociétés. Dès 1772, se fonda à Londres, sous son patronage, une société de visiteurs des pauvres, qui prit le nom de « Communauté chrétienne » (Christian Community), et qui existe encore aujourd’hui.
Il recommandait à ses prédicateurs de visiter les prisonniers. L’un des membres de la société de Londres, Silas Told, le maître d’école de la Fonderie, se voua à cette œuvre avec une admirable charité, et, pendant plus de trente ans, fut le visiteur assidu des prisons. L’œuvre qu’il y fit, et qu’il a racontée dans une touchante autobiographie, lui assigne une belle place parmi les philanthropes chrétiens qui ont essayé d’apporter quelque consolation dans les prisons.
Wesley lui-même continuait à visiter fréquemment les prisonniers, et plus d’une fois il eut la joie de réconcilier avec Dieu des malheureux condamnés à la peine capitale. En 1767, il avait soutenu une discussion assez vive avec le docteur Dodd, prédicateur anglican de renom et écrivain distingué, qui avait voulu, comme tant d’autres, briser quelques lances avec le fondateur du méthodisme. Dix ans se passèrent, et Wesley avait un peu perdu de vue son ancien antagoniste lorsqu’il reçut de sa part un message qui le suppliait d’accourir auprès de lui. Le brillant prédicateur, naguère en vogue, était en prison sous l’accusation de faux en écriture ; il était convaincu d’avoir contrefait l’écriture de son ancien pupille, le comte de Chesterfield, pour lui extorquer une somme d’argent, et, d’après la sévère pénalité du temps, il devait expier son crime par le supplice de la potence. Bourrelé de remords et désireux de se réconcilier avec Dieu, le malheureux condamné réclama le ministère de son ancien adversaire, rendant ainsi hommage à la piété d’un homme qu’il avait autrefois vivement combattu. Dans les quelques visites qu’il lui fit, Wesley trouva chez lui tous les signes d’une repentance sincère, et il montra à ce pécheur humilié l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. Deux jours avant l’exécution, il était encore auprès du condamné, et il assista à la dernière entrevue qu’il eut avec sa femme ; ce fut une scène déchirante. « Oh ! monsieur, lui dit ensuite ce malheureux, il n’appartient plus à un aussi grand pécheur que moi d’attendre quelque joie dans ce monde ; la seule chose qu’il me soit permis de désirer, c’est d’être en paix ; et, par la grâce de Dieu, je suis en paix. » — « Lorsque arriva le jour de l’exécution, raconte Wesley, le docteur Dodd montra un grand sang-froid. La foule, en le voyant, changea en un moment de disposition à son égard, et tels qui avaient eu la pensée de l’insulter se mirent à le bénir et à prier pour lui. On le vit, s’oubliant lui-même, s’occuper à encourager l’un de ses compagnons d’infortune. Après quelques instants consacrés à la prière, il se livra entre les mains du bourreau et mourut en un moment. Je suis persuadé, ajoute Wesley, qu’en cet instant même les anges étaient prêts à le transporter dans le sein d’Abrahamo. »
o – Œuvres, t. XI, p. 454.
Wesley fut rendu attentif, dès 1772, à la question de l’esclavage et à celle de la traite des noirs, et il en mesura aussitôt l’importance et mit toute son énergie au service de la cause de la justice.
Voici, d’après son journal, comment cette grave question s’imposa pour la première fois à ses réflexions : « J’ai lu, écrit-il le 12 février 1772, un livre d’un honnête quaker sur ce résumé de toutes les infamies, communément appelé la traite des esclaves. Mes lectures ne m’ont rien montré de pareil dans le monde païen, ancien ou moderne ; et ce que les esclaves chrétiens ont à souffrir en pays musulman est infiniment dépassé par toutes les cruautés qui résultent de ce commerce. »
[Le livre dont Wesley parle est probablement celui d’Antoine Bénézet, quaker français, élevé en Angleterre et qui alla s’établir à Philadelphie. Il publia en 1762 l’ouvrage qui attira l’attention de l’Angleterre sur l’infâme trafic. Ce fut l’année même où Wesley lisait ce livre que Granville Sharpe commença son œuvre, qui aboutit, quinze ans plus tard, à la fondation de la « Société pour la suppression de la traite », qui, outre Sharpe, compta parmi ses membres Clarkson et Wilberforce.]
Deux ans plus tard, Wesley publiait ses Pensées sur l’esclavage, et dans cet écrit il discutait la question sous ses divers aspects et dénonçait avec force l’iniquité de l’asservissement dé l’homme par l’homme. Cet éloquent pamphlet, dans lequel le noble vieillard avait mis toute sa raison et tout son cœur, se terminait par cette prière à Dieu :
« O toi, Dieu d’amour, qui aimes tout homme et dont les compassions sont sur toutes tes œuvres ; toi qui es le Père des esprits de toute chair et qui es riche en miséricorde envers tous ; toi qui as fait d’un seul sang toutes les nations qui sont sur la terre ; aie compassion de ces hommes bannis de l’humanité et que l’on foule aux pieds comme la boue de la terre ! Lève-toi et aide ceux que personne n’aide et dont le sang est répandu comme de l’eau sur le sol ! Ne sont-ils pas aussi l’œuvre de tes mains et le salaire du sang de ton Fils ? Pousse-les à crier à toi dans le pays de leur captivité, et que leur gémissement monte devant toi, et qu’il parvienne à tes oreilles ! Fais que ceux qui les mènent en esclavage aient pitié d’eux, et ramène-les de la captivité comme les ruisseaux aux pays du midi. Oh ! brise toutes leurs chaînes ; brise surtout les chaînes de leurs péchés ! Sauveur de tous les hommes, affranchis-les, afin qu’ils soient véritablement libres ! »
Au moment où Wesley dénonçait à son pays le crime de l’esclavage, l’opinion de la nation n’était pas encore saisie de la question, et les chrétiens eux-mêmes ne paraissaient pas se douter de sa gravité. Whitefield était mort, quatre ans auparavant, possesseur de nombreux esclaves dans ses propriétés de Géorgie, et il les avait légués par son testament à lady Huntingdon, sans que personne y trouvât à redire. Wesley fut l’un des premiers philanthropes anglais qui firent entendre sur ce sujet la protestation de la conscience chrétienne, soixante ans avant le triomphe de la cause de l’émancipation.
Il fut moins clairvoyant, il faut le reconnaître, dans les questions purement politiques, sur lesquelles il crut devoir dire son sentiment au public. Son patriotisme lui fit prendre nettement parti contre les colonies américaines dans leurs revendications au sujet des taxes que la mère-patrie voulait leur imposer. Il publia plusieurs écrits sur ce sujet, dont le premier était une Adresse à nos colonies américainesp, qui eut un immense succès en Angleterre, et dont quarante mille exemplaires furent enlevés en trois semaines. Le gouvernement anglais, heureux de trouver un allié aussi distingué, dans une cause où une partie de l’opinion était contre lui, fit distribuer cet écrit à la porte des églises de Londres. Un officier de la cour vint même demander à Wesley s’il n’aurait pas quelque faveur à solliciter du gouvernement. Il répondit qu’il n’avait rien d’autre à demander que le maintien des privilèges civils et religieux dont il jouissait. Il accepta cependant, sur les instances de son visiteur, cinquante livres sterling pour ses pauvres. Le docteur Clarke ajoute qu’en racontant cette histoire Wesley exprimait, en souriant, le regret de n’avoir pas sollicité le droit de prêcher librement dans toutes les églises du royaumeq. Si cette campagne politique mit Wesley bien en cour, elle lui attira plus de haines et plus d’invectives que la controverse calviniste elle-même. Il n’est pas d’accusations odieuses et de venimeuses calomnies qu’on ne lui ait lancées à cette occasion. A ceux qui le représentaient comme un courtisan du pouvoir, il répondait, en 1777, en commençant son Adresse aux habitants de l’Angleterrer :
p – A Calm Address to our American Colonies, 1775.
q – Everett, Life of Adam Clarke.
r – A Calm Address to the inhabitants of England. Les autres écrits de Wesley sur cette question sont : Some observations on Liberty, 1776. A seasonable Address to the inhabitants of Great Britain, 1776. A compassionnate Address to the inhabitants of Ireland, 1778.
« Je n’ai aucun intérêt personnel en m’adressant à vous. Je ne m’assieds à la table d’aucun des grands de la terre. Je n’ai rien à demander ni au roi, ni à aucun de ses ministres. Vous pouvez aisément me croire ; car à supposer que j’eusse cherché la fortune ou les honneurs il y a un demi-siècle, j’estimerais qu’ils ne valent plus la peine d’être poursuivis aujourd’hui que j’ai un pied dans la tombe. Ce que je veux, c’est contribuer autant qu’il est en mon pouvoir au bien public. »
Le gouvernement anglais ayant cru devoir améliorer la situation des catholiques, en rapportant les édits de Guillaume III, Wesley critiqua cette mesure dans une lettre qui parut dans les feuilles publiques. Une polémique s’engagea à cette occasion entre lui et un prêtre irlandais d’un certain talent, le Rév. O’Leary. Il ne voulait pas restreindre la liberté civile et religieuse dont jouissaient les catholiques romains ; mais, d’accord avec tous les hommes religieux de l’Angleterre à cette époque, il n’eût pas voulu qu’on l’étendît.
Si la politique de Wesley, dans les affaires d’Amérique comme dans celles des catholiques anglais, manqua parfois d’élévation et de libéralisme, ce fut par excès de loyalisme. Il entendait que ses sociétés et ses prédicateurs fussent fidèles au roi, et il les exhortait souvent dans ce sens. Ce sentiment put l’aveugler sur les fautes du gouvernement et l’amener à défendre des causes que l’histoire impartiale a condamnées. Mais il fut toujours d’une droiture et d’un désintéressement absolus dans ses préférences et dans ses antipathies, et ceux qui en ont douté n’ont fait tort qu’à eux-mêmes.
La presse fut cruelle pour Wesley pendant cette décade. La controverse calviniste avait fait surgir un certain nombre de folliculaires qui se firent une spécialité de s’attaquer à lui, et de profiter de toutes les occasions pour diffamer son caractère et sa vie dans les termes les plus grossiers et parfois les plus obscènes. On croirait difficilement aujourd’hui à quels excès de polémique purent descendre ces pamphlétaires, dont la plupart n’osaient pas signer leurs œuvres. C’est à l’heure où la populace, domptée par la patience et par la charité de ce noble vieillard, avait cessé de lui jeter de la boue, que ces insulteurs de lettres la remplacèrent et se montrèrent plus cruels qu’elle ne l’avait jamais été. L’année 1778 fut celle où ces écrits anonymes se multiplièrent le plus et où ils eurent le caractère le plus venimeux.
La grandeur de Wesley se montre bien dans l’indifférence avec laquelle il accueillait ces attaques. « Frère, disait-il à Charles qui le pressait de confondre la calomnie qui s’attaquait à son caractère, frère, quand j’ai consacré à Dieu mes aises, mon temps, ma vie, ai-je excepté ma réputations ? »
Aux publications de Wesley que nous avons mentionnées dans ce chapitre et dans le précédent, il faut ajouter une édition de ses œuvres en trente-trois volumes, imprimée à Bristol, de 1771 à 1774, et l’Arminian Magazine, revue mensuelle, dont il commença la publication en 1778, et qui, sous le titre de Wesleyan Methodist Magazine, a continué à paraître jusqu’à nos jours.