Notre génération est, plus qu’aucune autre, agitée, haletante, fiévreuse. Tout travaille à nous distraire, à nous dissiper, à nous rendre superficiels: la multiplicité des découvertes, les nouvelles du monde entier, et même les œuvres religieuses et sociales.
Et pourtant l’expérience nous montre, et la Parole de Dieu nous dit que rien de grand, de fécond, de durable ne s’est jamais accompli ici-bas sans recueillement. La réflexion a toujours précédé l’action. Les individualités puissantes, les hommes aux convictions fortes et lumineuses se sont formés dans la solitude. Les Moïse, les Elie, les Jean-Baptiste, les Paul, les Luther, les Calvin, les Wesley ont été des hommes puissants parce qu’ils avaient commencé par se recueillir en présence de Dieu. C’est là le secret de toute vie féconde. Pour apprendre à nous connaître, pour nous voir tels que nous sommes, pour cesser de nous séduire par de faux raisonnements, pour arriver à cette sincérité absolue qui permet à l’esprit de Dieu de nous juger, de nous dépouiller, de nous vider, il faut absolument que nous ayons des heures de solitude. «Toi, quand tu pries, entre dans ton cabinet».
La solitude, toutefois, peut n’être qu’apparente. On peut s’isoler sans se recueillir, parce que le cœur est rempli de préoccupations mondaines. C’est pourquoi, après avoir dit: «Entre dans ton cabinet», le Seigneur ajoute: «ferme ta porte».
C’est que la voix de Dieu a besoin de silence pour se faire entendre. Si le cœur est rempli de convoitises charnelles, si le bruit des passions mondaines s’y fait entendre, Dieu se tait. L’arche de Dieu et Dagon, Jésus-Christ et Satan ne peuvent habiter ensemble. Pour rencontrer Dieu dans le sanctuaire de notre âme et nous entretenir avec Lui, il faut en chasser le Diable.
Ferme la porte de ton cœur à l’incrédulité, aux pensées mondaines, aux soucis; mets dehors ta sagesse propre, ta volonté propre, tes ambitions charnelles. Détourne-toi du monde et tourne-toi vers ton Père.
Ces heures de recueillement sont infiniment sérieuses. C’est là que se remportent les victoires ou que se font les chutes; c’est là qu’un Jacob devient Israël et qu’un Balaam se perd; c’est là que les Abraham sont appelés à immoler leur Isaac; c’est là que Dieu forge ses instruments d’élite.
Et à mesure que le monde s’éloigne et que l’âme, penchée sur les pages divines, se sépare de tout ce qui la souille, Dieu s’approche.
Le cœur, en effet, ne peut rester vide. S’éloigner du monde, c’est s’approcher de Dieu. «Comme une biche altérée soupire après des courants d’eau, ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu! Mon âme a soif de Dieu, du Dieu vivant.» L’âme se retrouve et se reconnaît; elle n’est pas sourde, ni muette; elle entend la voix divine et elle y répond; elle apprend à se connaître et à connaître Dieu. Un dialogue sublime a lieu entre le Père céleste et son enfant; Dieu se révèle et se communique. Des vérités cent fois entendues froidement deviennent esprit et vie en nous. Dans ces entretiens bénis, des impressions qui jadis n’avaient fait que nous effleurer, des vérités qui étaient restées mortes en nous, nous sont rappelées par le Saint-Esprit et rendues vivantes. Toute la volonté de Dieu nous est révélée à la lumière de son amour. Ses compassions et notre misère, sa miséricorde et notre égoïsme, sa puissance et notre faiblesse, sa sagesse et notre folie, sa grandeur et notre petitesse, notre origine, notre vocation, notre destinée, le don de Dieu en Jésus-Christ, tout cela nous humilie, nous subjugue et nous remplit de reconnaissance.
Et quand ces tête-à-tête se prolongent avec notre conscience et Dieu, qui nous instruit par sa Parole et son Esprit, nous sommes amenés à toujours plus rechercher nos voies et à les sonder. Que de découvertes pénibles! Que de racines d’amertume, que de restes d’orgueil, d’égoïsme, de volonté propre, de timidité nous sont révélés! Nous commençons seulement à nous prendre en dégoût, à haïr notre vie propre. Nous avions cru être consacrés au Seigneur, et voici, nous découvrons que dans mille circonstances, c’est notre volonté que nous avons faite, ce sont nos décisions que nous avons prises, ce sont nos paroles que nous avons prononcées, c’est l’esprit du monde qui nous a inspirés.
Et la stérilité de nos œuvres nous est révélée. Il n’y avait pas entre le Seigneur et nous une communion profonde et permanente; notre foi était plus une conviction de l’intelligence qu’une confiance, qu’un abandon de nous-mêmes à Lui. Ce n’était pas Lui qui portait des fruits par notre moyen. Nous avions oublié que, hors de Lui nous ne pouvions rien faire, que Lui seul doit être l’inspirateur de toutes nos pensées, de tous nos actes, que son Esprit doit être le mobile de toute notre vie. Notre stérilité nous étonnait; maintenant nous en découvrons la source.
Et la stérilité de nos prières, que de fois ne nous a-t-elle pas angoissés, tourmentés, découragés. Jésus a dit: «Demandez et vous recevrez»; or, nous demandions et nous ne recevions pas. Et voici, dans le silence du recueillement, l’Esprit de Dieu nous révèle la duplicité de notre cœur. Les lèvres formulaient certaines demandes, tandis que le cœur soupirait après d’autres biens. Entre nos prières et nos sentiments, entre nos prières et notre vie, il y avait contradiction. Nous disions à Dieu: «Donne-moi, pardonne-moi», et nous ne donnions pas, et nous ne pardonnions pas. Nous lui demandions son Saint-Esprit, c’est-à-dire l’humilité, le renoncement, la générosité, le zèle, la fidélité, l’amour, et nous gardions de l’orgueil, de l’avarice, de l’égoïsme, de la paresse à nous dépenser pour autrui. Nous manquions donc de conscience dans nos prières; elles n’étaient pas suffisamment sérieuses: elles consistaient le Saint-Esprit parce qu’elles renfermaient du mensonge.
Oh! révélations bénies, continuez votre œuvre de lumière et de purification! Pénétrez dans tous les recoins de notre âme jusqu’à ce que tout en nous soit esprit et vie.
Maintenant l’enfant; de Dieu peut prier. Dans la solitude du cabinet, il a contemplé l’aveuglement et la surdité de l’Eglise. Ses yeux, à lui ont été ouverts. La vision d’une humanité certainement coupable, mais aussi victime d’une Eglise trop sourde et trop aveugle, le hante. Ses oreilles entendent des cris de détresse ses yeux contemplent partout la souffrance, le péché, des enfers corrupteurs. En regardant notre monde comme Jésus le regardait, en voyant les hommes assis dans les ténèbres et l’ombre de la mort comme saint Paul et le Christ, il éprouve une grande tristesse et il a dans le cœur un chagrin continuel. Comme le voyant de Patmos, il est hanté par de douloureux problèmes jusqu’à ce que le plan d’amour de Dieu lui ait été dévoilé et qu’il entende la voix de Jésus lui dire: «Prie ton Père là dans le secret, et ton Père, qui te voit dans le secret, te le rendra publiquement.»
L’histoire de l’Eglise est une merveilleuse illustration de cette vérité. Les dix jours de retraite dans la chambre haute ont produit la Pentecôte avec ses 3.000 convertis; les prières incessantes de l’Eglise ont arraché Pierre à sa prison et à la mort; les prières constantes de Paul ont enfanté une légion de croyants. Suivez les évangélistes des premiers siècles ou les missionnaires du moyen âge, étudiez la vie intime des grands remueurs de consciences, suivez dans leurs retraites les croyants qui ont porté des fruits qui demeurent, songez aux grands réveils de l’Eglise, et vous verrez que, partout et toujours, les effusions du Saint-Esprit ont été la récompense publique de ceux qui avaient lutté avec Dieu dans le secret.
Essayez par la pensée de supprimer nos hautes montagnes couvertes de glaciers et de neiges éternelles. A quoi servent-elles? N’est-ce pas du terrain perdu? dites-vous peut-être. Ne vaudrait-il pas mieux voir à leur place de magnifiques vignobles ou de beaux champs de blé?
Malheureux! l’ignorance vous fait déraisonner. Si votre vœu se réalisait, notre monde ne serait bientôt plus qu’un désert. Savez-vous d’où viennent les fleuves qui fertilisent nos campagnes et qui alimentent nos industries? Ils jaillissent de ces montagnes, qui vous paraissent inutiles. C’est là qu’ils ont leurs sources.
De même, interrogeons les hommes de foi et de dévouement, demandons-leur quelle est la source de leur vie féconde, comment sont nés en eux ces fleuves d’eau vive qui arroseront éternellement le monde. Ils nous diront qu’à genoux devant Dieu, ils ont appris à connaître la communion des souffrances de Christ. Ils ont entendu les blasphèmes, les sanglots, les cris de détresse de l’humanité païenne et civilisée; ils ont vu les existences qui se perdent dans le péché et la souffrance, les bastilles qui doivent disparaître. Puis leurs regards se sont tournés vers Celui qui fait surabonder la grâce là où le péché abonde. Dans sa communion, ils ont trouvé le secret de la prière victorieuse et de l’action efficace.