Simples entretiens sur la prière

CHAPITRE VI – Une délivrance miraculeuse {1}

Dieu n’est jamais la cause d’aucune de nos déceptions. Il ne l’a jamais été; Il ne le sera jamais; Il ne peut pas l’être. Cela ne veut pas dire que nous n’ayons jamais de déceptions. Nous connaissons trop la vie pour nous faire des illusions à ce sujet. Mais cela veut dire que nos déceptions ne viennent pas de Dieu; au contraire, elles viennent malgré Lui. Et Il en souffre autant que nous, plus peut-être.

Dieu ne manque jamais à sa Parole; Il y est absolument fidèle. La promesse d’un banquier est loin d’offrir autant de garanties, car une banque peut faire faillite, mais Dieu pas. L’Ecriture ne peut être anéantie. {Jn 10.35} Jusqu’ici rien n’a pu l’ébranler. Dieu veille attentivement sur sa Parole et n’en laisse pas effacer un iota. {Jer 1.12 ; Mt 5.18 ; 24.35}

La vraie prière est toujours efficace. Elle ne peut pas échouer, parce qu’elle s’appuie sur Dieu et sur sa Parole. Je parle ici, notez-le bien, de la vraie prière, car on emploie trop souvent le mot prière d’une façon superficielle et on lui fait désigner bien des choses qui ne sont pas vraiment des prières.

La prière est en elle-même une chose fort simple. C’est la demande de quelque chose dont on a besoin, demande faite par un cœur sincère, s’appuyant sur les promesses de la Parole de Dieu et se réclamant du sang de Jésus. {Ap 12.11} C’est là une chose toute simple. Sa puissance, pour autant qu’elle dépend de l’homme, réside dans sa simplicité même. Cette prière-là ne demeure jamais sans réponse. Elle est toujours exaucée; elle ne peut pas ne pas l’être. Le ciel et la terre passeraient avant qu’une vraie prière reste sans effet.

On ne peut guère se représenter qu’à la suite d’un événement extraordinaire et vraiment invraisemblable, la Banque d’Angleterre soit obligée un jour de suspendre ses paiements, ou que le gouvernement de Washington ne puisse plus faire face à ses engagements. Et, pourtant, des catastrophes analogues se sont déjà produites. Mais que Dieu permette qu’un de ses enfants, après avoir placé sa confiance en Lui, soit déçu, cela est impossible, pour autant du moins que cela dépend de Lui. Sa Parole est sûre et ne peut faillir.

Le jour où se produiront les tremblements de terre prédits dans l’Apocalypse, les chèques, les billets de banque, les actions garanties par l’Etat, les valeurs «de toute sécurité» n’auront pas plus de valeur que le papier sur lequel ils sont imprimés. Tandis que pas une lettre de ce vieux Livre qu’on nomme la Bible ne sera atteinte, pas une parcelle de la puissance de Dieu ne sera amoindrie. Il n’y aura pas de baisse dans ses trésors, ses actions seront plus haut que jamais.

La vie de tous les jours se charge d’illustrer cette vérité. Il arrive encore à notre époque des histoires aussi frappantes que celle de la veuve de Sarepta dont la provision de farine ne s’épuisait jamais. {1Ro 17.8-16} En maint endroit ignoré de la terre, Dieu montre sa fidélité à ceux qui ont à la fois assez de simplicité et assez de force pour se confier en Lui et pour gravir l’âpre sentier de la foi.

J’ai appris dernièrement un fait de ce genre; je veux le raconter ici, tout simplement, tel qu’il m’a été révélé. Je ne le considère pas, d’ailleurs, comme un fait exceptionnel; il me semble plutôt qu’il est conforme à la manière dont Dieu agit à l’égard de ceux qui mettent leur confiance en Lui. {Ge 22:16-18 ; Jn 2:24,25}

Bien des fleurs cachent modestement leur beauté et leur suave parfum sous un épais feuillage. Le muguet recherche les coins ombragés. Les fleurs les plus belles ne se trouvent pas dans les vitrines des magasins; elles ne sont découvertes que par ceux qui les cherchent dans la douce retraite des vallées ou dans la solitude de la montagne. La vérité, elle aussi, est modeste et réservée. Et il y a, si j’ose dire, une exquise modestie en Dieu. Il parle à l’humanité par le soleil radieux, par le ciel étoile, par la pluie bienfaisante et la fraîche rosée. Mais il ne se révèle vraiment qu’à ceux qui sortent de la foule et qui s’approchent de Lui. C’est à ceux qui cherchent la communion du cœur avec Lui et à ceux-là seuls qu’il fait connaître les profondeurs de son amour. {Ps 25.14 ; Jn 15.15}

L’histoire que je vais raconter est celle d’une femme qui menait une existence tranquille dans un coin retiré du monde. Nous y verrons la pauvreté spirituelle du milieu dans lequel elle vivait; le courage avec lequel elle s’efforça de remédier à cette misère; la détresse par laquelle elle passa lorsque l’Adversaire harcelait et torturait son âme; enfin, l’inébranlable fidélité de Dieu. Car tout l’enseignement de ce simple récit est là: Dieu est fidèle. {1Co 10.13} Il ne peut pas manquer à sa Parole. La prière est toujours exaucée.

Je vous rapporte cette histoire comme elle s’est présentée à moi, car je vois, dans les circonstances mêmes à travers lesquelles elle m’est parvenue, une action directe de Dieu. J’ai été conduit, nettement conduit à la découvrir. Cela fait comme une introduction à mon récit.

Je me trouvais à Stockholm, un soir d’hiver, parmi tout un cercle de chrétiens réunis à table. Nous revenions d’une réunion et, pendant le repas, nous nous faisions part de nos expériences touchant la bonté du Seigneur. Une dame de la société en vint à raconter, en se faisant traduire, une expérience peu commune faite par une de ses amies en Finlande.

Il s’agissait d’une femme qui avait à payer une traite faussement surchargée, pour des bois de charpente employés à la construction d’une petite chapelle. Elle n’avait pas assez d’argent, et tous ses efforts pour se procurer la somme nécessaire avaient échoué; la justice allait intervenir; tout à coup, pendant qu’elle priait, la somme, contenue dans une petite boîte, se mit à augmenter et devint suffisante pour payer la traite. Telle était l’histoire, en résumé. Elle frappa vivement tous les auditeurs. Un tel fait, de nos jours, paraissait chose inouïe. Aussi les plus sérieux et les plus avisés parmi nous ne craignirent-ils pas d’exprimer quelque doute. On doutait, non pas que Dieu puisse faire une chose pareille, mais que l’histoire fût exactement rapportée. On se demandait si, dans sa joie, cette femme ne se serait pas trompée; si un ami ne lui serait pas venu en aide à son insu; si elle avait l’habitude de tenir des comptes; si la boîte était bien fermée. Il s’agissait sans doute d’une femme sincère, mais très impressionnable. C’est ainsi que questions et remarques allaient leur train.

En entendant ce récit, puis les commentaires, je me dis que, si l’histoire était vraie—et l’amie qui nous la racontait et qui connaissait personnellement la femme en question, en semblait absolument convaincue—on devait la garder secrète jusqu’au jour où l’on aurait les moyens d’en vérifier l’exactitude, mais que lorsqu’on pourrait en faire la preuve, il y aurait lieu de la publier, et de la publier hautement. Depuis lors, ma femme et moi, nous nous mîmes à présenter chaque jour la chose à Dieu, lui demandant, si le fait était exact, de nous permettre de visiter un jour cet humble village de Finlande et de m’accorder le privilège de prêcher dans la petite chapelle.

Plusieurs mois s’écoulèrent; à la fin du même hiver, je reçus un appel de Finlande, mais ne pus l’accepter, étant déjà engagé ailleurs pour la date qu’on me fixait. Un peu plus tard, on me demanda, de façon pressante, de me rendre l’été en Finlande, et cette fois j’eus la joie de pouvoir accepter. Mais c’était sur la côte sud de la Finlande, à une longue distance—douze heures de trajet—du village où la chose s’était passée. Cependant ma prière quotidienne permit à Dieu d’accomplir son plan.

Peu de temps après, me trouvant à Christiania pour des réunions, je fus invité à la Conférence annuelle des Eglises libres de Finlande. Le nom de la localité où elle devait se tenir m’était totalement inconnu. Aussi nous nous hâtâmes, ma femme et moi, de nous rendre à un bureau de renseignements et de consulter une carte. Nous vîmes avec une réelle émotion, que c’était tout au nord de la Finlande et que nous devrions juste passer par le village que nous désirions tant connaître. Comme la date de cette conférence suivait de près celle des réunions que je devais avoir en Finlande, il nous sembla que nous étions dirigés par une main invisible, que l’histoire devait être vraie et que Dieu désirait le faire connaître, à nous et à d’autres. Mais je persistai à garder le secret le plus absolu.

C’est alors que je reçus une lettre de la personne qui avait fait cette remarquable expérience et avec laquelle j’avais correspondu pendant l’hiver. Elle me disait qu’elle était déléguée à cette conférence des Eglises libres et m’invitait à prendre part à des conférences régionales qui devaient avoir lieu la semaine d’après dans le village qu’elle habitait. Enfin je fus invité à des cours de vacances d’une Université finlandaise, cours qui avaient lieu à deux heures de ce même village.

Lieux et dates, tout s’accordait à merveille. Mon émotion s’accrut. Je sentais qu’il y avait là un plan de Dieu et que j’étais dans la main d’un Guide invisible. Il allait me faire rencontrer cette femme, m’amener dans son village, dans sa maison, et jusque dans la petite chapelle qui était comme un témoin et un monument de cette merveilleuse délivrance. J’avais demandé à Dieu que, si ce voyage en Finlande et en Norvège était conforme à sa volonté, il le montrât en en réglant lui-même le cours. Or, aucun itinéraire n’avait jamais été aussi satisfaisant que celui-là. Tout y concordait à merveille, l’heure des trains et l’heure des réunions, comme si tout avait été arrangé d’avance. En trois semaines, je pus ainsi assister à cinq congrès annuels, réunissant des chrétiens de toutes les parties de la Finlande et des auditoires très différents. J’appris dans la suite que l’amie à laquelle la chose était arrivée avait, de son côté, demandé à Dieu de faire connaître au loin la délivrance qu’il lui avait accordée, afin que sa fidélité fût glorifiée. Puis, lorsqu’elle apprit que je venais en Finlande, elle pria pour que les portes me fussent largement ouvertes, mais évita de faire quoi que ce soit elle-même, pour que la volonté de Dieu et sa puissance en fussent plus manifestes. On voit que nos prières furent admirablement exaucées.

Nous avions également demandé à Dieu de nous faire trouver un bon interprète. En effet, je ne pouvais arriver à une claire intelligence de l’événement que si j’avais, pour me l’expliquer, une personne parlant à la perfection l’anglais et le suédois. Or, c’était très difficile. D’abord, parce que les bons interprètes sont très rares; ensuite, parce que les habitants de cette région ne parlent que le finnois, qui est la langue des sept huitièmes des Finlandais environ. Il fallait donc trouver un interprète capable de parler couramment le finnois et l’anglais pour nos réunions et, de plus, pour notre histoire, le suédois, langue maternelle de la personne que nous allions visiter.

Tout s’arrangea de telle sorte que la réponse à nos prières n’aurait pas pu être plus satisfaisante. L’une des personnes qui m’avait traduit à la Conférence de l’Eglise libre se trouvait être en relations avec notre amie. C’était une maîtresse d’école de la capitale de la Finlande, et elle réunissait à un rare degré les qualités intellectuelles et spirituelles qu’il faut pour bien traduire. Le finnois était sa langue maternelle; elle avait appris le suédois dans son enfance et parlait l’anglais avec toute la facilité désirable. J’ai appris dans la suite qu’elle était bien connue pour ses aptitudes à l’enseignement, son habileté à traduire, son sérieux comme chrétienne. Quoique j’aie eu d’excellents interprètes, je n’ai jamais été traduit avec autant de ferveur, d’amour et d’intelligence. Cette dame était en vacances et eut l’amabilité de mettre à ma disposition le temps dont elle disposait. J’ai un peu anticipé sur les événements, afin de mettre en pleine lumière la façon dont Dieu m’a guidé dans toute cette affaire.

C’est avec une singulière émotion et un profond sentiment de la présence de Dieu que nous nous rendîmes en Finlande, aux différents endroits où nous étions attendus. Jamais je n’oublierai ces trois semaines passées en Finlande. Si jamais je me suis senti au pouvoir de la volonté de Dieu, c’est pendant ces jours-là. Il se dégageait des réunions une calme et irrésistible puissance. C’était comme un courant qui m’entraînait, et pour avoir de la puissance, je n’avais qu’à rester dans le courant.

Nous trouvâmes donc notre amie, et nous nous rendîmes ensuite dans son village situé dans l’intérieur du pays, à deux heures de chemin de fer de la côte de la mer Baltique; nous arrivâmes enfin dans sa modeste demeure et jusque dans la petite chapelle dont l’histoire nous parlait en termes si admirables de la fidélité de Dieu.

L’endroit qu’elle habite n’est pas à proprement parler un village, c’est un embranchement important de lignes de chemin de fer se rendant en Russie. Nous avions environ deux jours devant nous avant les réunions suivantes, pour nous entretenir avec notre nouvelle amie et pour entendre son histoire C’est une directrice des postes, une femme d’âge moyen, d’apparence modeste, dont le visage bon et patient racontait toute une vie de pénible labeur et de dévouement. Son frère était un ministre de la vieille Eglise nationale, à Abo, la vieille cité épiscopale du centre de la Finlande. Elle y avait passé son enfance et sa jeunesse; le père de sa mère était médecin. Elle-même était depuis plus de vingt ans dans les postes, et elle avait dû passer un sérieux examen pour y entrer.

Cela a plus d’importance que chez nous, car, dans ces régions reculées de la Finlande, la poste est en réalité une sorte de banque d’Etat, et la plupart des transactions, au lieu de se faire par chèques, se font par mandats. En outre, le développement du trafic par voie ferrée avait augmenté l’importance de son bureau, et elle avait toujours trois, parfois quatre ou cinq employés. J’ai pu constater que, pendant le trimestre écoulé, il lui avait passé entre les mains, rien que comme valeurs recommandées, une somme d’environ un million de marks finnois {2}, ce qui représente pour l’année entière à peu près quatre millions de francs. Je ne parle pas des sommes non recommandées, dont on ne peut savoir la valeur, mais cela suffit pour montrer l’importance de son bureau et la responsabilités qui lui incombait.

Ses livres étaient parfaitement tenus, aussi bien tenus que ceux que j’ai pu voir lorsque j’étais moi-même dans une banque. Cela anéantissait les objections que j’avais entendu faire à Stockholm: cette femme était habituée, depuis de longues années, à tenir une importante comptabilité. L’exactitude absolue dans les affaires d’argent était devenue comme inhérente à sa nature.

Par quelques questions, je me rendis compte des besoins qui avaient conduit à la construction de cette chapelle. Il y a en Finlande une Eglise nationale, l’Eglise luthérienne, qui est en somme la seule Eglise du pays, l’Eglise libre étant d’origine relativement récente et n’ayant pas encore d’existence légale. Le territoire est divisé en paroisses, la plupart très étendues. En cet endroit, la paroisse, très grande, n’avait qu’une seule église pour une population de quatre mille habitants et un territoire de vingt-huit kilomètres de long. Cette église se trouvait à quatre kilomètres du village, et les églises les plus rapprochées après elle se trouvaient à six, seize et dix-neuf kilomètres. Grâce à l’initiative de notre amie, des réunions avaient été organisées dans des salles d’école et dans des maisons particulières, et il en était résulté de nombreuses conversions et beaucoup de bénédictions; aussi le besoin d’une petite chapelle se faisait-il grandement sentir. L’histoire de sa construction est très intéressante, mais je dois en venir de suite à celle de l’argent.

Durant la construction de la chapelle, arriva tout à coup une traite en paiement de bois qui avait été commandé et livré pour la charpente. Seulement, la somme était plus grande que le prix convenu: 751 francs au lieu de 616. De plus, la traite était accompagnée d’une lettre peu courtoise exigeant un paiement immédiat et menaçant de poursuites judiciaires. Cela, contrairement aux usages commerciaux du pays qui accordent de longs crédits. Ainsi la somme était malhonnêtement augmentée; le délai usuel n’était pas accordé, et on menaçait d’une action judiciaire. C’était un événement aussi imprévu que désagréable.

Notre amie était bien embarrassée par cette augmentation inattendue de la dette. Une différence de plus de 130 francs était sérieuse, vu les fonds limités dont on disposait et la difficulté qu’il y avait à trouver de l’argent pour l’entreprise. Elle pouvait refuser de payer et aller en justice; mais c’étaient des complications sans fin et de nouvelles dépenses, et d’ailleurs, notre amie ne pouvait, en bonne conscience, engager la cause de Dieu dans un procès. Les paroles de Jésus: «Si quelqu’un veut plaider avec toi pour t’enlever ta tunique, abandonne-lui aussi ton manteau» {Mt 5.40} lui revenaient sans cesse en mémoire. Enfin, elle résolut de payer la somme entière si elle y était contrainte, mais non sans protester énergiquement contre cette injustice. Elle devait, par la suite, être grandement fortifiée dans ses prières par le sentiment qu’elle avait agi d’une manière conforme aux enseignements du Maître.

Les fonds pour la construction de la chapelle venaient uniquement de dons volontaires offerts par les fidèles. Ceux-ci étant très pauvres, les ressources étaient des plus limitées. Toute la responsabilité reposait sur notre amie qui avait, d’autre part, rencontré beaucoup d’opposition du côté des membres de l’Eglise nationale. Elle connut des jours de profonde détresse.

Mais elle cria à Dieu, et une paix profonde finit par envahir son âme et semblait planer sur elle. Elle commença alors à prier pour cet argent. Cela se passait en mai 1908, et si l’affaire allait en justice, elle avait jusqu’en octobre pour payer.

Ce fut pour elle un temps inoubliable d’efforts incessants, de continuelles déceptions, de prière constante, de détresse intérieure, et, alternant avec tout cela, de paix et de calme. Tous ses efforts pour obtenir de l’argent, sous forme de dons ou sous forme de prêt, restaient vains. Elle semblait se heurter à un mur. Elle rencontrait partout critiques, reproches et railleries, mais guère d’argent. Son embarras fut bientôt connu et commenté par la petite communauté, surtout par ceux qui s’étaient opposés à la construction de la chapelle et qui annonçaient maintenant qu’il faudrait la vendre pour payer la dette.

Mais elle ne cessait pas de prier. Selon son expression, «la lampe de la prière brillait jour et nuit.» Son angoisse était grande. Le dernier délai approchait; il fallait agir. L’encaisseur était bien disposé, mais naturellement il devait faire son devoir. Un dernier effort, un voyage à une ville voisine demeura de même sans résultat. L’ami qu’elle voulait voir était absent, et sa femme exprima l’avis qu’elle n’aurait pas dû commencer à bâtir avant d’avoir les fonds nécessaires. Elle reprit son train, plus embarrassée que jamais, et pourtant elle avait toujours cet étrange sentiment de paix qui ne la quittait pas.

Elle était si émue en nous faisant ce récit qu’elle dut s’interrompre un moment, pour reprendre possession d’elle-même, elle toujours si calme. Et nous étions, de notre côté, saisis d’une vive émotion en face de cette âme humaine qui nous révélait le secret de sa vie intérieure et l’intensité de ses luttes.

Dans le train, au milieu du bruit, assise à côté de gens indifférents à ses préoccupations, elle eut conscience de la présence de Jésus. Elle se sentit pressée de prier et le fit avec plus de ferveur que jamais. Dans son angoisse extrême, elle s’en remit entièrement à Dieu. Alors lui revint une pensée qu’elle avait déjà eue lors de la construction de la chapelle, mais qui prenait maintenant une portée toute nouvelle. Elle songeait au temps où les pains et les poissons avaient été multipliés dans le désert, et se sentait poussée à prier Dieu de bénir de même la somme insuffisante dont elle disposait et de la rendre assez grande pour acquitter sa dette.

De retour chez elle, elle alla chercher la petite boîte où elle mettait l’argent pour la construction de la petite chapelle. La somme, qu’elle avait comptée avant son départ, n’était que de trois cent cinquante francs. Elle apporta la boîte dans la chambre où elle se tenait. Elle avait à la main quatre-vingt dix francs qui lui appartenaient. Elle les ajouta à l’argent du Seigneur et posa le tout sur la table. Il était midi. Le bureau de poste, attenant à l’appartement, était fermé. Elle était absolument seule.

Elle se jeta à genoux, joignit les mains au-dessus de la table où était la somme et pria Dieu de réaliser le désir qu’il avait lui-même mis dans son cœur. Dans sa foi naïve, elle disait: «Seigneur Jésus; bénis ton argent, comme tu as béni les pains dans le désert. J’y ajoute ma part aussi, je la mets avec la tienne, fais que cet argent suffise pour payer la dette.» Et elle demeura ainsi quelque temps en prière.

Alors elle compta cent francs, dont elle fit une pile à part; puis elle fit de même une seconde, une troisième fois, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il y eût sept piles de cent francs et une plus petite de cinquante et un. Elle constata qu’il y avait beaucoup de pièces d’or, alors qu’elles étaient auparavant en petite proportion dans la boîte. Et cela lui rappela les paroles de Esa 60:17. {3} Avec un profond sentiment de gratitude, elle se jeta à genoux pour remercier le Seigneur, puis elle se releva et recompta soigneusement la somme. Elle étendit de nouveau les mains sur elle, et demanda à Jésus, dont elle sentait la présence, que la somme pût rester jusqu’au moment de payer.

Nous l’avons vue sortir cette boîte d’un tiroir pour nous la montrer. Personne, à la vue du gros trousseau de clefs qu’elle avait toujours sur elle, et du soin avec lequel elle ouvrait et refermait les tiroirs contenant ses papiers et ses registres, n’aurait pu mettre en doute que cette petite boîte de bois avait été soigneusement enfermée et absolument hors d’atteinte. Elle se rendit chez l’encaisseur et lui dit qu’il pouvait passer chez elle, qu’elle avait l’argent. Il ne pouvait pas le croire, connaissant sa détresse, et lui demanda comment elle s’était procuré la somme. Elle répondit tout simplement: «Le Seigneur l’a envoyée.» Deux jours plus tard, il la prévint qu’il passerait le lendemain pour encaisser le montant de la traite.

Ce jour-là, dès qu’elle eut fini son travail à la poste, et se retrouva seule, elle alla chercher la boîte et en vida de nouveau le contenu. Cette fois, elle se sentit poussée à commencer par mettre à part les quatre-vingt-dix francs qui lui appartenaient. Elle obéit à cette impulsion; puis elle étendit de nouveau les mains au-dessus de l’argent, elle pria et bénit Dieu, et lorsqu’elle compta, elle fut en présence d’une nouvelle preuve de la puissance de Dieu: la somme de sept cent cinquante et un francs était intacte, et à côté se trouvait son petit avoir, si péniblement amassé.

Le cœur trop plein de reconnaissance pour pouvoir parler, elle tomba à genoux, dans l’adoration. Elle comprit mieux alors ce qu’avait fait le Seigneur; elle avait donné sans compter ses propres économies, mais Dieu les lui rendait. Il voulait parfaire la somme sans les prendre. Elle Le pria encore de conserver la somme jusqu’au moment de payer.

Enfin l’encaisseur vint. Lorsqu’elle lui raconta l’histoire, il en fut fortement impressionné. Puis, comme elle avait fait les autres fois, elle versa l’argent sur la table, pria tranquillement et bénit Dieu, puis compta la somme et paya. Elle avait mis de côté son propre argent, et pourtant, après qu’elle eut payé, il restait quelques pièces d’argent. Elle avait demandé souvent à Dieu que sa petite boîte pût n’être jamais complètement vide, et Il s’était souvenu de cette prière. L’huissier en fut profondément ému et y ajouta une pièce de cinq francs, en disant: «Je désire ajouter mon offrande à ce merveilleux argent.»

C’est ainsi que la dette fut payée, et que notre amie entra en possession d’une quittance régulière. Elle écrivit alors une lettre qui devait être envoyée en même temps que l’argent au marchand de bois. Elle lui disait que la traite était inexacte, comme il le savait d’ailleurs, qu’elle’ la payait, néanmoins, en protestant énergiquement, pour mettre en pratique le précepte d’amour du Sauveur: «Si quelqu’un veut plaider contre toi pour t’enlever ta tunique, laisse-lui encore le manteau.» {Mt 5.40} Ainsi, tout en payant, elle rendait son témoignage.

Récapitulons l’histoire.

Notre amie avait trois cent cinquante francs dans une petite boîte qu’elle tenait sous clef. Elie y ajouta quatre-vingt dix francs lui appartenant, ce qui fit en tout quatre cent quarante francs. Cette somme arriva au total de sept cent cinquante et un francs; elle s’accrut donc de trois cent onze francs. Une seconde fois, elle fut augmentée de quatre-vingt dix francs, soit en tout une augmentation de quatre cent un francs, sans compter la petite somme qui resta dans la boîte après le paiement.

Cette augmentation a été produite par l’action de la prière seule, sans aucun secours humain, quoique tout ait été mis en œuvre pour obtenir ce secours humain. Cette femme ne pria ainsi que parce qu’elle s’y sentait poussée intérieurement. L’intervention divine ne se produisit qu’après cinq mois de longs et rudes combats intérieurs, de continuelles prières, de cruelles épreuves; enfin, après le sacrifice complet d’économies péniblement réalisées. Ce sacrifice n’était d’ailleurs, comme je l’appris par la suite, qu’un incident dans la vie de continuels renoncements que menait cette femme depuis que la chapelle était en construction.

C’est un miracle analogue à celui qui se produisit pendant des mois pour la veuve de Sarepta. {1Ro 17.8-16} Il est identique à celui qui arriva à la veuve d’un prophète dont les fils allaient être vendus comme esclaves pour payer ses dettes; {2Ro 4.1-7} identique aussi à la multiplication des pains dans un temps de famine. {2Ro 4.42-44} Il ne diffère qu’en degré des multiplications des pains et des poissons par lesquelles le Seigneur, à deux reprises, nourrit les multitudes et dans lesquelles il y eut aussi un reste important de pain et de poisson, qui fut soigneusement recueilli et servit à nourrir d’autres affamés {Mt 14.13-21; 15.32-39 et parallèles.}. Enfin on peut le placer dans le même groupe de miracles que les deux pêches miraculeuses {Lu 5.4-11 ; Jn 21.1-14} dont nous parlent les Evangiles et qui furent dues à la présence du Maître.

Je dois avouer que l’interprète, ma femme et moi, nous ne fûmes pas toujours maîtres de nos larmes, lorsque, réunis autour de notre amie, nous écoutions son récit. Elle consultait son journal intime, très soigneusement tenu, pour faire revivre devant nous ces jours mémorables. Et nous avons revécu avec elle son angoisse et sa joie, nous arrêtant avec elle lorsque l’émotion l’empêchait de continuer, puis l’écoutant attentivement, lui posant des questions et bénissant dans nos cœurs ce Sauveur, cet Ami, ce Maître si fidèle.

L’enseignement qui se dégage de cette émouvante histoire est fort simple. Je demande instamment à mes éditeurs de ne jamais séparer les lignes qui suivent du récit lui-même.

Je ne conclus pas de ce miracle que nous devions demander à Dieu d’augmenter notre argent de cette manière. Je ne conclus même pas que nous puissions le faire, Si jamais le Seigneur conduit quelqu’un de ses enfants à présenter une prière analogue et à faire de semblables expériences, ce chrétien saura reconnaître la main de Dieu, sans avoir à s’appuyer sur ce qui est arrivé à d’autres.

Il est possible qu’une semblable intervention ne se produise pas de toute une génération, ou même de plusieurs générations. Je n’ai jamais entendu parler jusqu’ici d’un fait du même genre, quoique je sois très attentif, depuis des années, à enregistrer les preuves de l’action de Dieu à notre époque. C’est là une délivrance particulière, accordée dans une crise spéciale.

L’enseignement que nous apporte ce récit est le suivant: Dieu ne trompe jamais notre confiance. Il ne déçoit jamais personne. Sa Parole ne peut faillir. La vraie prière, inspirée par le Saint-Esprit, pénétrée de l’esprit de sacrifice, est toujours exaucée et ne peut pas ne pas l’être. Dans une crise où les hommes refusent d’aider, Dieu accomplit un acte créateur, plutôt que de laisser faillir sa Parole, ou de permettre que l’un de ses enfants ne vienne à être déçu dans sa confiance en Lui. Dieu peut seul savoir quand des circonstances pareilles se produisent. Son Esprit dirige nos prières. Voilà la pierre de touche de la vraie prière.

Quelqu’un pourrait ne voir dans notre histoire qu’un moyen commode de sortir des embarras d’argent. Mais il se pourrait qu’un pareil fait ne se reproduise pas, même dans un cas de grande détresse. Il y a lieu de noter, en particulier, qu’au moment où nous écrivons ces lignes, la petite chapelle n’est pas encore complètement payée. C’est même une grosse préoccupation et un continuel sujet de prière pour notre amie de Finlande. Il reste encore plus de quatre mille francs à payer, ce qui est une grosse somme, vu l’indigence de cette population pourtant généreuse. Cependant notre amie n’a pas eu l’idée de demander à Dieu de renouveler le miracle dont elle a été l’objet. Cette prière ne lui a pas encore été mise au cœur; elle ne sait pas d’où lui viendra l’argent, mais elle continue à prier avec confiance.

J’y vois un second enseignement: la vraie prière est mise dans nos cœurs par le Saint-Esprit. Lorsque nos cœurs soupirent après Dieu, lorsqu’ils intercèdent pour des bien-aimés ou pour un besoin spécial, ces prières ne sont qu’un écho. Ces sentiments sont d’abord dans le cœur de Dieu, et ils y sont avec plus d’intensité que dans le nôtre. Ils ne font que passer, comme un écho, de son âme dans la nôtre. Il désire ardemment que nous soyons dans une telle communion spirituelle avec Lui, que notre coeur batte à l’unisson du sien.

Lorsque, jour après jour, penchés en sa présence sur les pages de sa Parole inspirée, nous Le laissons parler à notre âme, Il nous attire à Lui, Il élève notre jugement, Il forme notre intelligence, Il nous discipline pour son service, Il nous apprend ce qu’il faut demander, comment il faut le demander, et surtout avec quelle persévérance il faut le demander.

Notre amie dut passer pendant cinq mois par l’école de la prière avant que Dieu lui mît au cœur la requête qu’il attendait d’elle. Jusqu’à ce moment-là, elle n’était pas prête. Si elle l’avait présentée plus tôt, de son propre mouvement, elle n’aurait obtenu aucun résultat. La vraie prière n’est pas le produit d’une déduction logique venant de l’étude des promesses de la Parole de Dieu, c’est quelque chose d’infiniment plus profond et pourtant de très simple. On l’apprend à genoux, dans la communion du Saint-Esprit.

C’est avec autant d’émotion que d’intérêt que nous descendîmes le chemin poudreux qui conduisait à la petite chapelle. C’est une construction des plus modestes, mais bien comprise et aménagée de façon très pratique. La salie principale communique avec une salle plus petite et avec une pièce pouvant servir de chambre à coucher et de cuisine. En haut est ce qu’on appelle la «chambre du prophète», à la fois cabinet de travail et chambre à coucher pour le prédicateur de passage, quand ils ont le bonheur d’en posséder un.

Le dimanche, à dix heures, il y a une Ecole du Dimanche en finnois; à midi, un culte, dont notre amie se charge quand il n’y a pas de pasteur: enfin, à quatre heures de l’après-midi, une Ecole du Dimanche en suédois. La concierge est une femme pratique: elle habite la pièce du bas et s’occupe de tout le service; elle est convertie et dirige l’Ecole du Dimanche finnoise.

La chapelle, lorsqu’elle est bien remplie, peut contenir environ deux cents auditeurs. Mais nous en avons eu beaucoup plus pendant nos quelques jours de réunions; tout l’espace libre était occupé, et sur l’estrade, orateur et interprète n’avaient que juste la place de se mouvoir. L’on voyait même à chaque fenêtre un groupe d’auditeurs attentifs, écoutant du dehors. Quoi d’étonnant à ce que, dans un bâtiment comme celui-là, l’Esprit de Dieu agît sur les cœurs avec une puissance persuasive? Il semblait que les cieux étaient ouverts et que les brises du Ciel soufflaient doucement sur la terre. Des cœurs fermés s’ouvrirent à ce contact, et d’autres à demi-ouverts s’épanouirent complètement à la vie divine.

Tout en causant avec notre amie dans la petite chapelle, en la questionnant, en réfléchissant, il m’apparut de plus en plus nettement que cette histoire n’était qu’un chapitre d’une longue histoire. Ce miracle est le point culminant de toute une vie. L’histoire qui le précède parle de longues années de luttes, de fidélité; de patience au milieu de difficultés de toute sorte; elle parle de plans constamment renversés, comme si des esprits ou des forces invisibles étaient ligués contre eux; elle parle de persévérance dans la prière et dans la lutte, persévérance toujours un peu plus prolongée que la résistance de la force ennemie; elle parle par-dessus tout de la continuelle présence de l’Ami invisible. C’est là le facteur essentiel, le secret de la victoire. La persévérance l’a emporté, et elle l’a emporté parce qu’elle se prolongeait toujours un peu plus que la résistance.

En écoutant ce récit, les paroles du Maître: «Il faut toujours prier et ne point se lasser» {Lu 18.1-8} me revenaient à la mémoire. La prière est l’arme essentielle contre les soucis du monde et pour le service de Dieu. Les grands dangers qui la menacent sont la lassitude et le découragement. Il semble qu’une puissance invisible essaie de nous abattre, d’épuiser notre vigueur physique et notre persévérance. Une persévérance ferme, inlassable, inaccessible au découragement, mais n’ayant rien de commun avec l’entêtement, voilà ce qu’il faut à notre prière. Gardons-nous, en effet, de confondre la persévérance avec l’entêtement, qui n’a rien d’intelligent ni de raisonnable. {Ps 32.9} On peut être assez fort pour résister, mais pas assez pour résister avec bonne grâce, pas assez pour céder sur les points secondaires. La force de persévérance qui vient du Saint-Esprit sait examiner, interroger, changer au besoin ses plans pour mieux affronter l’obstacle; elle sait déployer un calme, une égalité d’humeur, un aimable bon sens, qui n’ont aucun rapport avec l’entêtement. Cette persévérance, qui seule triomphe, ne peut venir que de l’Esprit. Lui seul là donne, et il ne peut la donner qu’à ceux qui se mettent sérieusement, jour après jour, à son école. C’est ce que le Maître veut dire par l’expression: «Ne vous relâchez point.» Cette persévérance vaillante et joyeuse {Lu 11:8-9} est l’un des caractères essentiels de la prière qui transforme le monde; un autre caractère est la précision. {Mat 18.19 ; Mr 11.24}

Telles sont les réflexions que m’inspirait l’expérience de notre amie.

Au début, elle n’avait trouvé à acheter aucun terrain convenable pour construire la chapelle. Peu à peu les choses changèrent. Le propriétaire de l’emplacement que l’on désirait vint de l’étranger visiter ses propriétés; on put lui parler directement, et finalement un beau terrain fut légalement acquis. Mais ce n’avait pas été sans longues luttes; il avait fallu vaincre, pas à pas, une âpre opposition; elle durait toujours, mais l’Ami invisible était là avec sa force et son appui.

Ensuite, lorsqu’il s’agit de bâtir, il sembla impossible de se procurer le bois nécessaire. Toutes les réserves de la saison étaient épuisées. Mais l’Ami fidèle permit à notre amie de conserver l’espérance au milieu des circonstances les plus désespérées. {Ro 4.17-21} Elle ne fut pas déçue. Un lot de poutres inattendu arriva par la rivière; il y eut une baisse de prix sur diverses marchandises; des ouvriers inconvertis vinrent offrir leurs services; on put engager le meilleur entrepreneur. A mesure que les difficultés surgissaient, elles étaient aplanies, et notre amie avançait ainsi, pas à pas, de délivrance en délivrance. A la fin, à mesure que la flèche de la chapelle s’élevait, sa foi atteignit, elle aussi, son point culminant. Le miracle que nous avons raconté n’est que la dernière pierre d’un édifice; il est soutenu par des années de luttes, de crises de prière et d’inébranlable fidélité de la part de Dieu.

Je l’ai rapporté pour rendre gloire à Dieu et pour que les hommes aient en Lui une confiance plus absolue et plus simple.


{1} The Finnish gold story, tiré de The quiet lime, par S.-D. Gordon.)

{2} Le mark finnois vaut exactement 1 franc et ne doit pas être confondu avec le mark allemand, qui vaut 1 fr. 25. <

{3} Au lieu de l’airain, je ferai venir de l’or.

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