10 Au reste, fortifiez-vous dans le Seigneur et dans le pouvoir de sa force. 11 Revêtez-vous de l’armure complète de Dieu, pour que vous puissiez tenir ferme contre les séductions du Diable. 12 Car notre lutte n’est pas contre le sang et la chair, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les dominateurs universels de ces ténèbres, contre les vertus spirituelles de la malice, dans les lieux célestes. 13 C’est pourquoi, prenez l’armure complète de Dieu, afin que vous puissiez résister dans le mauvais jour, et, après avoir tout accompli, tenir ferme ! 14 Tenez donc ferme, ayant ceint vos reins de vérité, et ayant revêtu la cuirasse de la justice, 15 et ayant chaussé vos pieds de la promptitude de l’Évangile de la paix ; 16 ayant pris en outre le bouclier de la foi, par lequel vous pourrez éteindre les traits enflammés du malin. 17 Prenez aussi le casque du salut, et l’épée de l’Esprit, qui est la parole de Dieu ; 18 priant, par toutes sortes de prières et de supplications, en toute occasion, dans l’Esprit, et veillant à cela en toute persévérance et supplication pour tous les saints, 19 et pour moi, afin que la parole me soit donnée, ma bouche étant ouverte, pour faire connaître en liberté le mystère de l’Évangile, 20 pour lequel je suis ambassadeur dans les chaînes, afin que je parle librement en lui, comme il faut que je parle.
Après avoir exposé la doctrine du salut dans la première partie de son épître, l’Apôtre a terminé en priant Dieu de révéler aux Éphésiens la grandeur de l’amour que Dieu y a fait paraître (3.14-fin) ; et après avoir, dans la seconde, exposé les obligations de la morale chrétienne, il conclut en exhortant les Éphésiens à se fortifier, pour les accomplir, de la force toute-puissante du Seigneur. Cette exhortation est d’autant mieux à sa place que la vie nouvelle, décrite dans les chapitres 4, 5, et 6.1-9, est plus sainte et plus excellente. « Qui est suffisant pour ces choses ? » Dieu seul est celui « qui opère en nous le vouloir et le faire, selon son bon plaisir. »
Au reste, c’est-à-dire pour ce qui me reste à vous dire, enfin ; formule de conclusion, dont notre Apôtre se sert également dans Philippiens 3.1 et 1 Thessaloniciens 4.1. L’expression grecque employée dans Galates 6.17, et que Lachmann substitue ici sans raison suffisante à la version reçue, a un sens un peu différent : au surplus, d’ailleurs.
Nous supprimons, avec les meilleurs critiques, les mots mes frères, qui ne se lisent pas dans les manuscrits les plus considérables, et qui ne se trouvent d’ailleurs nulle autre part dans notre épître ; ce qui semble confirmer ce que nous avons dit en commençant sur le caractère de généralité qu’il faut lui reconnaître.
Fortifiez-vous dans le Seigneur et dans le pouvoir de sa force. Pour ces derniers mots, voyez la note sur 1.19. L’impératif grec est au passif, littéralement « soyez fortifiés ; » le même terme est employé dans Romains 4.20 et Actes 9.22. La force qui peut nous faire vaincre est toute en Dieu seul ; et comme on n’y a recours qu’en se dépouillant de la force propre, il faut commencer par sentir notre faiblesse pour parvenir à la véritable force. De là ce mot profond de l’Apôtre, et si exactement confirmé par l’expérience : « Quand je suis faible, alors je suis fort » (2 Corinthiens 12.10). Cette doctrine est fondamentale dans la vie chrétienne. Il arrive assez communément que le nouveau converti éprouve d’abord une certaine force dans laquelle il accomplit bien des œuvres utiles, mais qui est mêlée de confiance propre et de complaisance en soi-même. Plus tard, venant à se mieux connaître, il perd cette première ardeur de zèle et de joie, et le sentiment de sa corruption et de son impuissance s’empare peu à peu de son cœur et menace de l’accabler. Que ceux qui se trouvent dans cette situation d’esprit ne se hâtent pas de conclure, comme ils pourraient le faire aisément, que tout est perdu, ni même qu’ils ont reculé. Peut-être n’est-ce qu’une transition salutaire par laquelle Dieu les conduit, par l’expérience de leur faiblesse propre, à la possession d’une force plus réelle et plus pure, dont le principe est en Dieu seul. C’est une époque de crise qui sépare deux périodes de la vie chrétienne : la première, qu’on pourrait appeler la période de la jeunesse, marquée par la joie et la ferveur du nouvel amour ; la seconde, qu’on pourrait appeler la période de l’âge mûr, qui substitue à ce premier feu le dépouillement plus complet de soi et l’établissement plus tranquille et plus humble dans la force du Seigneur. Sans doute, on a perdu quelque chose au change ; mais on a plus gagné que perdu. Ce qui arrive à l’individu se reproduit en quelque manière dans l’histoire de l’Église à une époque de réveil comme la nôtre. Le réveil est suivi d’une première période de ferveur et d’activité. Mais bientôt, l’ennemi se réveille à son tour, et suscite, au dehors, des embarras croissants, en même temps que l’Église est humiliée, au dedans, par la vue de ses infirmités et des écarts du réveil. Telle est notre situation actuelle. Alors, on est tenté de perdre courage ; on n’entend que gémissements et que plaintes ; mais on oublie que c’est une crise bienfaisante destinée, dans les voies du Seigneur, à préparer au réveil une seconde période, moins brillante peut-être que la première, mais plus sainte, plus mûre et plus réellement fructueuse.
Revêtez-vous de l’armure complète de Dieu. L’image dont l’Apôtre se sert, d’abord pour montrer que le chrétien a besoin de la force de Dieu (11-13), ensuite pour expliquer les moyens par lesquels il peut se l’approprier (14-18), se présente naturellement à l’esprit ; elle a été employée dans toutes les langues, et elle l’est souvent dans les Écritures. Voyez, en particulier, 2 Timothée 2. 3-4 ; 2 Corinthiens 10.4 ; 1 Thessaloniciens 5.8, et surtout Ésaïe 59.16-17, qui a servi de base au développement de notre Apôtre dans 1Thessaloniciens chapitre 5, et dans notre texte3. Mais cette image est ici plus développée qu’elle n’est ailleurs ; Olshausen fait observer que saint Paul écrivait cette épître à Rome, environné des soldats du prétoire (c’est-à-dire de la garde impériale), avec lesquels il était aisément conduit à se servir de cette comparaison (Philippiens 4.22). Quoiqu’il en soit de ce rapprochement, qui déplaît vivement à Harless, nous avons sous les yeux ce qu’on peut appeler le passage central des Écritures sur « les armes de notre guerre, » c’est-à-dire sur les moyens de grâce par lesquels nous devons nous fortifier en Dieu. Il n’y a guère de point capital de la doctrine et de la morale biblique, qui n’ait quelque part dans les Écritures, son passage central, je veux dire un endroit où elle est présentée plus directement et plus complètement qu’ailleurs ; par exemple, la divinité de Jésus-Christ, le premier chapitre de l’Évangile selon saint Jean ; la régénération, le chapitre troisième ; la justification par la foi, le troisième de l’épître aux Romains ; la sanctification par la foi, le sixième ; le mariage, Éphésiens chapitre 3 ; la sacrificature du Seigneur, Hébreux chapitre 7, etc. Cette remarque est importante pour les personnes qui veulent étudier les Écritures, en composant par elles-mêmes une collection de parallèles ; elles feront bien de choisir, pour chaque matière, le passage central, et de grouper autour de lui les autres endroits où la même matière est traitée.
3 – Voyez le livre apocryphe de la Sapience, 5.19.
L’armure complète de Dieu. Contrairement au sentiment de presque tous les commentateurs, Harless veut qu’on abandonne l’interprétation littérale et étymologique que nous avons suivie, et qu’on traduise l’armure de Dieu, ou les armes de Dieu, sans presser l’idée de totalité. Nous ne saurions partager ce sentiment. Quand il serait vrai que le mot grec que nous rendons par armure complète ne conserve pas toujours sa signification étymologique, ce qui ne nous paraît pas démontré par les citations de Harless (Judith 14.3 ; 2 Macchabées 5.23 ; Luc 11.22), il n’en résulterait pas qu’il ne la conserve pas dans notre texte. Ici, l’idée de totalité nous paraît essentielle. Que le soldat chrétien néglige une seule de ses armes, c’en est assez pour qu’il laisse un point vulnérable, dont un ennemi aussi subtil et aussi redoutable que celui à qui nous avons à faire ne manquera pas de se prévaloir. C’est pour cela que l’Apôtre nomme, une à une, chacune de ces armes, tant défensive qu’offensive (2 Corinthiens 6.7), et c’est ce qui distingue notre passage de 1 Thessaloniciens 5.8, et de Ésaïe 59.16-17, où l’on ne trouve qu’une énumération incomplète.
Cette armure est appelée une armure de Dieu, selon les uns, parce que c’est l’armure que porte le Seigneur lui-même en livrant pour nous le combat qui nous procure le salut (Ésaïe 11.54 ; 59.16-17 ; rapprochez Matthieu 4.1-11, et 12.29)5 ; et, selon les autres, parce que c’est l’armure que Dieu, fournit au fidèle ; la seconde explication est préférée par Olshausen et par Harless. Il nous semble que ces deux explications sont vraies l’une et l’autre, qu’elles sont moins distinctes en réalité qu’en apparence, et qu’elles tiennent ensemble par une idée commune, qui est précisément celle que l’Apôtre a voulu exprimer. Quand nous combattons dans la force de Dieu, c’est moins nous qui combattons que Dieu qui combat en nous. Rapprochez 2 Chroniques 20.15 : « Cette bataille n’est pas à vous, mais à Dieu » (traduction littérale), et 2 Corinthiens 10.4 : « Les armes de notre guerre ne sont pas charnelles, mais puissantes à Dieu » (traduction littérale), et non par Dieu (Lausanne, 1839), ni par la vertu de Dieu (Martin). Le vrai combat est entre le Seigneur et le Diable. Dès lors, comme la force de Dieu (verset 10) n’est pas seulement la force que Dieu fournit au fidèle, mais la force, que Dieu possède et qu’il déploie dans le fidèle, les armes de Dieu ne sont pas seulement les armes que Dieu fournit, mais les armes par lesquelles Dieu combat dans le fidèle. C’est une troisième explication qui réunit les deux autres et que nous croyons plus complète et plus vraie que l’une ou l’autre prise isolément. Cette distinction peut sembler subtile, mais elle nous paraît avoir son importance, même pour l’interprétation des versets suivants. Parce que les armes de Dieu sont pour nous les armes avec lesquelles Dieu combat, « la vérité » (verset 14), « la justice » (id.), etc., sont aussi pour nous la vérité de Dieu, la justice de Dieu, etc., et non la sincérité du fidèle, la sainteté du fidèle, etc., comme l’entend Olshausen. Nous reviendrons là-dessus.
4 – Au lieu de la fidélité, traduisez la vérité.
5 – Il est vraisemblable que l’Apôtre aurait dit l’armure du Seigneur, plutôt que l’armure de Dieu, s’il avait eu exclusivement la pensée qu’on lui attribue ici.
Afin que vous puissiez tenir ferme contre les séductions. (Voyez la note sur 4.14)6 du Diable (Note sur 4.27). Ce langage suppose deux pensées dont il est également nécessaire d’être pénétré pour prendre l’armure complète de Dieu : la première, c’est que nous ne pouvons pas vaincre sans cette armure, tant nos ennemis sont puissants ; la seconde, c’est que nous pouvons vaincre avec elle, tant elle est irrésistible. Celle-là doit nous prémunir contre une sécurité qui perd ; celle-ci, nous préserver d’un découragement qui énerve. L’une, indiquée d’abord ici par les artifices du Diable, est reprise et développée dans le verset 12 ; l’autre, indiquée ici par le mot tenir ferme (ce n’est qu’un mot dans l’original), est reprise et développée dans le verset 13.
6 – Le mot séduction est mis au singulier dans 4.14, et ici au pluriel, parce qu’il désigne, là, une disposition générale, et ici les moyens employés ; les séductions, c’est-à-dire les artifices. (Voyez la note sur, 2.1.)
Car notre lutte n’est pas contre le sang et la chair, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les dominateurs universels de ces ténèbres, contre les vertus spirituelles de la malice, dans les lieux célestes. Cette expression le sang et la chair a une toute autre acception dans le Nouveau Testament que dans notre idiome. En français, le sang et la chair, ou, comme l’on s’exprime de préférence, la chair et le sang, ce sont les affections de la nature corrompue. Ostervald, trompé par cet usage, a entendu ces mots de la sorte dans notre texte ; mais comme il a senti qu’on ne saurait nier que l’homme ait à combattre les affections de sa nature corrompue, il a pris la liberté d’ajouter au texte le mot seulement, qui défigure tout à fait la pensée de l’Apôtre. Le sang et la chair, dans le langage de l’Écriture, c’est la nature humaine par opposition à la condition des esprits purs ou des êtres revêtus d’un corps, mais d’un corps plus délié que le nôtre et que l’Écriture appelle « corps spirituel » (1 Corinthiens 15.44). C’est ce dont on se convaincra en examinant Matthieu 16.17 (« ce n’est pas un homme, ou, ce n’est pas ton propre esprit qui t’a révélé cela, » Galates 1.16 « je n’ai pas consulté des hommes ; » voyez le commencement du verset 17 et le verset 1) 1 Corinthiens 15.50, et surtout Hébreux 2.14, où le Seigneur est dit avoir « participé au sang et à la chair. »
Voici donc la pensée de notre Apôtre : Ce n’est pas contre la nature humaine, contre des êtres semblables à nous que nous avons à lutter. S’il en était ainsi, homme contre hommes, luttant à armes égales, nous pourrions nous flatter de vaincre ; mais ce qui rend la victoire impossible, tant que nous luttons par nos propres forces, c’est que nous avons à faire à des ennemis à qui leur nature même assure des avantages que rien de notre côté n’est capable de balancer. Il est bien vrai que nous pouvons avoir à lutter contre des hommes, dans ce sens qu’ils peuvent être pour nous des instruments de tentation ; mais alors même, pour qui remonte, comme le fait ici l’Apôtre, à l’origine et à l’essence de la tentation, ces hommes ne sont que des instruments ; c’est moins eux qui nous tentent, que le démon qui nous tente par eux ; c’est contre lui proprement que nous devons diriger nos efforts, et quant aux hommes qu’il emploie, nous ne devons pas cesser de voir en eux des créatures accessibles à la grâce et à la rédemption. – Par cette distinction établie entre la nature humaine et les vrais auteurs de la tentation, l’Apôtre établit ici avec une telle clarté l’existence et l’influence « du démon et de ses anges, » qu’il ne reste que le choix entre croire cette doctrine ou rejeter l’inspiration de saint Paul, quelque théorie qu’on adopte d’ailleurs sur l’inspiration.
Contre les principautés, contre les puissances, etc. Au verset précédent, l’Apôtre a nommé le Diable seul, parce qu’il considère la puissance infernale comme se concentrant en lui, qui en est le chef et l’âme. Ici, il décompose cette puissance dans ses éléments, et nous fait voir un grand nombre d’esprits malins, composant son armée, ou son royaume. Pourquoi l’Apôtre les appelle-t-il « des principautés, des puissances, » etc. ? Est-ce à cause de l’autorité qu’ils exercent contre nous, ou de celle que certains d’entre eux exercent sur les autres ? Olshausen adopte la seconde réponse, et voit ici les degrés divers de pouvoir qui existent parmi les démons. Mais la première nous paraît préférable. Elle nous paraît indiquée par ce qui suit, « dominateurs de ces ténèbres, » où il s’agit évidemment de l’empire que les esprits malins exercent sur notre monde. D’ailleurs, si saint Paul a voulu nommer à part ceux d’entre les démons qui sont plus considérables que les autres, il semble qu’il aurait distingué nettement d’avec eux les démons d’un ordre inférieur. Si ce sont ici les chefs, où est l’armée ? Nous ne pensons pas qu’on puisse répondre qu’elle est désignée par les mots « esprits de malice ; » car rien n’indique une distance hiérarchique entre ce nom et ceux qui précèdent. Il nous paraît plus simple de voir ici des expressions diverses, toutes applicables au corps entier des esprits malins, et destinées à relever les avantages qu’ils possèdent dans la lutte que nous soutenons contre eux. Le premier avantage, indiqué par les mots principautés et puissances, est celui d’une puissance supérieure à la nôtre.
Les dominateurs universels de ces ténèbres ; et non des ténèbres de ce siècle, comme lit le texte reçu, qui a contre lui les autorités critiques les plus considérables. Cette correction n’affecte pas essentiellement le sens. Car par « ces ténèbres, » il faut entendre les ténèbres actuelles, les ténèbres qui règnent dans « le présent siècle mauvais » (Galates 1.4). Ainsi, le démon est appelé ailleurs « le prince de ce monde » (Jean 12.31 ; 14.30, etc.), et même, « le Dieu de ce siècle » (2 Corinthiens 4.4). Le mot que nous rendons par « dominateurs universels » signifie, d’après son étymologie, dominateurs du monde. Harless fait observer que l’idée de monde a perdu de sa précision dans le mot composé ; nous sommes de cet avis, d’autant plus que « dominateurs du monde de ces ténèbres » n’a pas de sens ; car de renverser l’ordre, et de traduire, en suivant la leçon que nous avons adoptée : « dominateurs des ténèbres de ce monde, » cela est grammaticalement impossible. Cependant, sans trop presser l’idée de monde, il faut reconnaître qu’elle prête au mot dominateur, en s’y joignant, une nuance particulière d’énergie, que nous trouvons heureusement exprimée par notre traduction, « dominateurs universels, » empruntée à la version de Lausanne 1839. Cette nouvelle épithète donnée aux démons, ajoute à celles qui précèdent, indépendamment de son énergie plus grande, une pensée importante : c’est que les démons sont déjà maîtres de ce monde où nous vivons et où ils nous tentent. Cette terre où nous avons reçu le jour étant tombée sous leur domination même avant notre naissance, nous sommes vaincus-nés dans le combat qu’ils nous y livrent ; et le théâtre seul de la tentation en garantit d’avance le résultat.
Les vertus spirituelles de la malice. Nous essayons de rendre en ces termes une locution qui ne peut être reproduite exactement dans notre langue, et qui est étrange même dans celle de l’original. Littéralement : les choses spirituelles (adjectif pluriel neutre) de la malice. Il semble que l’Apôtre aurait dû dire : les esprits malins ; mais il met un adjectif à la place du substantif, et un substantif à la place de l’adjectif. L’une et l’autre de ces singularités ont sans doute leur but. En disant les choses spirituelles, au lieu de les esprits, il a voulu peut-être, selon un emploi que l’on fait quelquefois en grec du pluriel neutre, marquer le grand nombre, de ces esprits, comme s’il eût dit les troupes spirituelles ; c’est le sentiment de Harless et de Bloomfield. Quant à l’expression de la malice substituée à l’épithète malin, il n’est pas douteux qu’elle ne soit destinée à donner plus de force à la pensée ; le substantif est plus énergique en soi, et, si l’on peut ainsi parler, plus vivant que l’adjectif. – La traduction adoptée par nos versions reçues et par Lausanne 1839, les malices ou les méchancetés spirituelles, n’est pas permise par la grammaire. Peut-être pourrait-on entendre par les choses spirituelles de la malice, la partie spirituelle, les représentants spirituels de la malice. On considérerait alors la malice comme un royaume qui a des sujets tant sur la terre que dans les airs, tant parmi les hommes que parmi les anges ; et les démons en seraient l’élément spirituel. Mais l’interprétation que, nous avons indiquée en premier lieu est la plus naturelle. En insistant sur ce point, que les démons sont des esprits, l’Apôtre veut nous faire observer un nouvel avantage qu’ils ont sur nous, par leur condition même. Êtres déliés, spirituels, et dès lors invisibles pour les yeux de la chair, ils peuvent nous attaquer sans que nous puissions apercevoir ni prévenir leurs coups, en même temps qu’ils se trouvent au-dessus de nos atteintes.
Dans les lieux célestes. Ceci ne peut se rapporter qu’aux esprits malins, ni s’entendre que d’une manière : ces esprits habitent, ou se tiennent, dans les lieux célestes. Pour échapper à cette doctrine étonnante, on a voulu rapporter dans les lieux célestes, soit à nous, en traduisant : Notre lutte, à nous qui sommes dans les lieux célestes, c’est-à-dire dans le royaume de Dieu, est contre les principautés, etc. ; soit à lutte, en traduisant : Notre lutte, pour les biens célestes (sens dont les derniers mots du verset sont rigoureusement susceptibles), est contre les principautés, etc. Mais tout cela est forcé et insoutenable. Car, outre qu’il est impossible de supposer que l’Apôtre eût, dans l’une ou dans l’autre de ces hypothèses, rejeté les mots que nous expliquons à la fin de cette longue phrase, ils n’ont jamais le sens de royaume des cieux ; et quant à celui de biens célestes, ils ne l’ont pas ailleurs dans notre épître, 1.3 ; 1.20 ; ni même dans Jean 3.12 ; sans parler d’autres difficultés auxquelles nous ne nous arrêterons pas ici. Évidemment l’Apôtre enseigne ici que les démons séjournent dans les lieux célestes. Mais ces mots doivent être expliqués par le verset 2 du chapitre 2 où Satan est nommé « le prince de la puissance de l’air. » (Voyez notre note sur ce verset.) Le mot ciel a un sens fort étendu ; et peut-être l’acception dans laquelle on doit le prendre ici a-t-elle du rapport avec celle qu’il a dans Matthieu 6.26 (« les oiseaux du ciel »). Ce serait alors la partie inférieure de la région céleste, ou la partie supérieure de l’atmosphère, qui serait assignée pour demeure aux esprits malins. Au reste, il y a ici un mystère que nous chercherions en vain à pénétrer. D’une part, nous ne pouvons attacher au mot ciel aucune notion bien précise de localité dans des expressions du genre de celle qui nous occupe ; de l’autre, nous sommes entièrement ignorants de la nature des anges, et nous ne saurions concevoir de théorie qui concilie ce qui est dit ici avec Jude 6 et 2 Pierre 2.4. Il faut nous en tenir à l’idée générale que présentent les expressions de l’Apôtre, qui paraît vouloir relever ici un nouvel et dernier avantage que les esprits malins ont sur nous, par leur position élevée, qui tient sans doute à leur haute condition et leur facilite leurs entreprises impies contre les habitants de la terre.
C’est pourquoi, prenez l’armure complète de Dieu, afin que vous puissiez résister dans le mauvais jour, et, après avoir tout accompli, tenir ferme. L’Apôtre, ayant enlevé au fidèle tout espoir de résister aux puissances de l’enfer par sa force propre, reprend son exhortation du verset 11, en s’attachant surtout à lui persuader qu’il peut vaincre par la force de Dieu. Il pourra résister ; il pourra résister jusque dans les jours les plus mauvais ; il pourra résister de telle sorte qu’il remportera une victoire complète, et demeurera maître du champ de bataille. L’ordre et la gradation des pensées dans ce verset sont faciles à saisir ; nous n’y voyons que deux expressions qui demandent quelque éclaircissement.
Dans le mauvais jour. C’est à peu près la même chose que le jour du mal, dans l’Ancien Testament (Psaumes 41.2 ; 49.6 ; Ecclésiaste 7.15), ou le jour de la détresse (Psaumes 77.2). Cette expression, dans son acception générale, s’explique d’elle-même, ici, où il s’agit de la tentation, c’est un de ces jours où la tentation redouble au dehors, où l’âme est mal disposée au dedans, et où tout semble présager une chute. Même alors, nous pouvons résister, avec les armes de Dieu.
Après avoir tout accompli. Le sens du verbe grec n’est pas facile à bien déterminer. Quelques-uns traduisent : « ayant tout préparé, » et cette traduction peut se justifier par 2 Corinthiens 5.5, où le même verbe est employé. Mais cette interprétation donne à la pensée quelque chose de faible, et ne s’accorde pas d’ailleurs avec l’ordre et la gradation que nous avons observés dans la phrase. Car la « résistance dans le mauvais jour, » dont il a été déjà question, suppose que la préparation a précédé. Harless et Olshausen traduisent « ayant tout abattu, tout surmonté, » traduction fort satisfaisante pour le sens, mais qui ne nous paraît pas suffisamment justifiée par l’usage du verbe grec. Nous aimons mieux traduire « ayant tout accompli, » c’est-à-dire s’étant acquitté de toute la tâche imposée à un vaillant soldat ; en d’autres termes, ayant renversé tout ce qui s’opposait à lui (Jean 17.4 ; 2Timothée 4.7).
Tenez donc ferme, ayant ceint vos reins de vérité, et ayant revêtu la cuirasse de la justice. L’Apôtre entre maintenant dans le détail des moyens de grâce dont le chrétien dispose, en les comparant aux diverses armes du soldat. Il ne faut pas presser, avec une exactitude minutieuse, tous les traits de ce rapprochement. Cette précision inquiète, qui a souvent nui à l’exégèse, ainsi qu’à la prédication, n’est pas dans l’esprit des Écritures ; leur manière est trop large et leur style trop grand pour ce genre d’images, peu conforme d’ailleurs au goût de la bonne littérature. La rigueur convient à la logique, non à la métaphore. Dans 1 Thessaloniciens 5.8, « la cuirasse » est l’emblème « de la charité et de la foi, » tandis qu’elle l’est ici de « la justice ; » là « le casque » est l’emblème « de l’espérance du salut, » ici « du salut » lui-même7 ; cette différence est une preuve suffisante de la liberté avec laquelle notre Apôtre se meut dans l’emploi de ses images. Au reste, comme il indique lui-même la disposition correspondante à chacune des armes du soldat, il ne nous reste qu’à bien déterminer le sens de ses expressions.
7 – Dans Ésaïe 11.5, « la ceinture » est l’emblème de « la justice, » aussi bien que de « la vérité. »
Il importe, dans, cette explication, d’avoir présent à l’esprit que les armes spirituelles décrites par l’Apôtre, sont des armes de Dieu ; c’est-à-dire, ainsi que nous l’avons dit plus haut, des armes que Dieu n’a pas seulement fournies au chrétien mais par lesquelles il combat lui-même dans la personne du chrétien. D’après cela, les forces spirituelles, représentées par ces images, ne doivent pas être de simples dispositions du chrétien, mais des forces divines dans le chrétien. La vérité, par exemple, ne sera pas la sincérité de l’homme, mais la vérité de Dieu dans l’homme ; la justice ne sera pas la sainteté de l’homme, mais la justice de Dieu dans l’homme ; la paix sera la paix de Dieu, ou la paix avec Dieu, etc. Dieu est ici sur le premier plan ; à lui est le combat et la victoire. Harless fait remarquer que la description du soldat armé de toutes pièces, qui occupe les versets 14-17, se compose de deux parties distinctes. La première, qui se compose des versets 14 et 15, dépeint l’armement préparatoire du soldat ; la seconde, qui se compose des versets 16 et 17, son armement proprement dit. La ceinture, la chaussure, la cuirasse même, sont moins des armes que les parties du vêtement ou de l’uniforme guerrier ; le bouclier, le casque et l’épée sont les véritables « armes du combat. » Cette remarque paraîtrait à la première vue appuyée par la coupe de la période de l’Apôtre : car le bouclier étant seul entre les cinq dernières pièces de l’armure, introduit sans la conjonction et, il semblerait que la pensée est reprise au commencement du verset 16, après une légère suspension. Mais le style de notre Apôtre n’a pas une précision assez symétrique pour que cette preuve soit décisive ; et d’ailleurs les mots en outre peuvent tenir lieu de la conjonction et au commencement du verset 10. La distinction de Harless nous paraît un peu arbitraire ; nous ne voyons pas, par exemple, pourquoi la cuirasse ne serait pas « une arme du combat » à aussi bon droit que le casque. Dans tous les cas, il nous serait impossible de suivre Harless, lorsqu’il établit un parallélisme rigoureux entre les trois parties de l’uniforme et les trois pièces de l’armure ; la foi correspondant à la vérité, le salut à la justice, et la Parole de Dieu à l’Évangile de paix. Tout cela est ingénieux, mais forcé. Nous aimons bien mieux supposer que l’Apôtre, peu soucieux de ménager dans son tableau ces compartiments symétriques, a peint à grands coups de pinceau les six pièces soit de l’uniforme, soit de l’armure du soldat, et cela probablement dans l’ordre où il avait vu de ses yeux les soldats romains s’en revêtir.
Ayant ceint vos reins de vérité. Selon Olshausen, la vérité est la tendance opposée au mensonge, qui est l’élément du Diable, la sincérité ou droiture d’esprit. Nous croyons devoir rejeter cette interprétation, par la raison alléguée plus haut, ou, comme s’exprime ici Harless, parce que « l’armure que porte le chrétien, est une armure de Dieu. » Cette remarque est confirmée par Ésaïe 11.5, que l’Apôtre a sans doute eu devant les yeux, et où « la vérité » est « la ceinture » du Seigneur. Mais l’interprétation de Harless lui-même nous paraît prêter à la même objection, si toutefois nous comprenons bien sa pensée, ce dont nous ne sommes pas certain : la vérité est selon lui, ici comme dans 4.21, « la vérité morale du vouloir et du connaître, qui est rétablie chez le chrétien par la foi en Christ. » Pour nous, la vérité est cette connaissance vraie de Dieu, de nous-mêmes et de toutes choses (1 Corinthiens 2.15) qui caractérise l’âme régénérée en Jésus-Christ (Colossiens 3.10). Cette connaissance vraie des choses est bien le fondement de la sincérité chrétienne (Colossiens 3.9), mais elle diffère d’avec cette sincérité, comme le principe d’avec l’application, ou le général d’avec le particulier. Harless paraît opposé à cette interprétation par deux raisons : l’une, que la vérité révélée trouve sa place ailleurs dans le tableau de l’Apôtre, au verset 17 ; l’autre, que l’article manquant avant le mot vérité, ce mot ne doit pas s’entendre d’un objet si déterminé. Nous répondrions, à la première de ces objections, que bien que la parole révélée soit le principe de la vraie connaissance, elle en est pourtant distincte, et distinguée ailleurs par l’Apôtre (1 Corinthiens 1.5 : « en toute parole et en toute connaissance ») ; et à la seconde, que nous prenons le mot vérité, non dans le sens déterminé d’une doctrine spéciale, ni même de la doctrine évangélique en général, mais dans le sens indéterminé d’une vue saine des choses de Dieu, dans le même sens où l’Apôtre prend le mot connaissance dans Colossiens 3.10, où l’article manque également. La vérité, telle que nous venons de la définir, est très justement comparée à la ceinture du soldat. Car, de même que la ceinture relève et rassemble les parties flottantes du vêtement, par où elle assure la vigueur et la liberté des mouvements, la connaissance évangélique peut seule fixer l’esprit irrésolu, éclaircir les notions confuses, relever l’être moral, donner un but à la vie et tracer un chemin net et droit dans le vague et immense espace de la pensée humaine.
Et ayant revêtu la cuirasse de la justice. La justice, selon Olshausen, est l’accomplissement de ce qui est juste, la sainteté, par opposition à la malice des ennemis (verset 12). Nous trouvons avec Harless que cette explication ne répond pas à l’image développée par l’Apôtre. La justice, faisant partie de l’armure de Dieu, doit être la justice de Dieu, « la justice qui est de Dieu par la foi » (Philippiens 3.9 ; Romains 3.22). Aussi, dans l’endroit correspondant de 1 Thessaloniciens 5.8, l’Apôtre substitue-t-il à « la cuirasse de la justice, » « la cuirasse de la foi et de la charité. » A cela Olshausen objecte que la foi est mentionnée ailleurs dans notre tableau, au verset 16 ; mais cette objection nous touche peu ; tout se tient dans les forces spirituelles du chrétien, sans doute ; mais autre est la foi, autre la justice qui est par la foi ; comme autre est l’arbre, autre est le fruit. Cette même foi, qui opère la justification du fidèle, opère encore chez lui la conviction que Dieu le délivrera aussi dans la tentation ; ces deux applications de la foi sont assez distinctes pour que la seconde soit réalisée en Jésus-Christ (Matthieu 4.1-11), en qui la première ne pouvait l’être ; l’une est la cuirasse du soldat chrétien, l’autre son bouclier. Nous pourrions ajouter même, si nous ne craignions de trop presser les différences de détail, que l’une et l’autre de ces deux images est très bien choisie pour cette application de la foi qu’elle est destinée à représenter. La cuirasse, immobile et collée au corps, répond exactement à la foi de justification (appropriation de la justice de Dieu) qui met l’âme une fois pour toutes en assurance devant Dieu ; et le bouclier, qui se meut et se présente successivement à tous les coups de l’adversaire, répond avec une égale exactitude à cette foi de confiance (appropriation de la force de Dieu) que nous avons à tenir toujours en mouvement, pour l’opposer aux attaques sans cesse renouvelées et infiniment variées de nos ennemis spirituels. Ésaïe 59.17 achève de prouver la vérité de notre interprétation contre celle d’Olshausen ; la cuirasse dont le Seigneur s’est revêtu lui-même, lorsqu’il a combattu pour nous, est aussi celle dont il nous revêt lorsqu’il combat en nous ; en d’autres termes, c’est sa justice qui est notre justice, et qui protège seule notre poitrine contre les coups de l’ennemi.
Et ayant chaussé vos pieds de la promptitude de l’Évangile de la paix. Le soldat chrétien doit avoir pour chaussure la promptitude de l’Évangile de la paix. Que faut-il entendre par là ? – Quelques-uns traduisent par fondement inébranlable le mot que nous rendons par promptitude. Ils pensent pouvoir justifier cette traduction, qui s’écarte du sens reçu du mot grec, par quelques passages de l’Ancien Testament (Psaumes 10.17 ; 89.15 ; 112.7) où les Septante ont rendu par ce même mot grec un terme hébreu qui signifie fondation, fondement inébranlable. Mais il resterait à savoir si les Septante ne se seraient pas trompés sur le sens de l’original dans ces endroits, et n’ont pas pris le terme hébreu dans le sens de préparation, ce qui serait fort possible. Ils auraient confondu un mot avec un autre qui descend du même verbe. D’ailleurs, quand il serait prouvé que le mot employé dans notre texte puisse signifier fondation, cette signification conviendrait peu ici, où il s’agit non des attributs de l’Évangile, mais des dispositions du fidèle ; à moins qu’on n’entende par le fondement inébranlable de l’Évangile, la fermeté que l’Évangile produit, ce qui serait peu naturel. Il vaut mieux traduire, ainsi que nous l’avons fait, promptitude ; traduction plus littérale qu’il ne semble ; car promptitude vient d’un mot latin qui signifie tout prêt, et correspond ainsi exactement au terme de saint Paul qui signifie en grec préparation. Mais entre les commentateurs qui sont d’accord pour cette traduction, les opinions se partagent encore. Plusieurs entendent par la promptitude de l’Évangile de la paix, l’empressement que doit montrer le chrétien pour annoncer l’Évangile ; et ils se sont appuyés de Ésaïe 52.7. Mais cette idée ne nous paraît pas entrer dans l’image développée par l’Apôtre ; cet empressement ne peut guère être considéré comme un moyen de repousser la tentation, ni comparé à une partie de l’armure du soldat ; sans compter que « la promptitude de l’Évangile » serait une expression au moins étrange pour marquer l’empressement à publier l’Évangile. – Reste le sentiment de Harless, Olshausen, Calvin, etc., auxquels nous nous joignons sans hésitation. La promptitude de l’Évangile de la paix, c’est la liberté d’esprit, la facilité d’action (2 Timothée 2.21), que communique pour faire le bien la bonne nouvelle de notre paix faite avec Dieu (Romains 5.1). Quand on se sent en paix avec Dieu, on remplit la première des conditions nécessaires pour lui obéir : c’est cette liberté d’esprit qui permet de consacrer tout son temps, toutes ses forces, toute son attention à l’accomplissement de sa volonté. Ce qui manque le plus au chrétien pour servir Dieu, ce ne sont pas les facultés spirituelles mais la faculté d’user de ces facultés. Cette liberté est fort bien comparée à une chaussure qui rend faciles et fermes tout ensemble les mouvements du soldat, jusque sur un sol glissant ou rude. La même pensée est exprimée sous une image analogue, Psaumes 119.32 : « Je courrai dans la voie de tes commandements, quand tu auras mis mon cœur au large. »
Ayant pris en outre, ou enfin ; c’est ainsi que nous traduisons une expression grecque qui signifie littéralement sur toutes choses. D’autres traduisent, avant toutes choses, surtout ; ou par-dessus toutes ces armes, parce que le bouclier recouvre le reste de l’armure. Mais ni l’une ni l’autre de ces interprétations ne convient à Luc 3.20, où se trouve la même expression. Harless a fort bien prouvé qu’elle a le sens que nous lui donnons.
Le bouclier de la foi par lequel vous pourrez éteindre les traits enflammés du malin. Nous avons déjà expliqué (note sur le verset 14) qu’il est question ici de cette foi par laquelle on se repose fermement sur Dieu et sur sa Parole pour être délivré de la tentation (2 Pierre 2.9 ; Romains 16.20). Le rapprochement que l’Apôtre fait entre cette foi et le bouclier n’a pas besoin d’éclaircissement ; il est frappant de justesse. La fin du verset fait allusion vraisemblablement à la cruelle précaution que l’on prenait quelquefois d’envelopper les flèches d’une matière inflammable à laquelle on mettait le feu avant de les lancer8. Pour échapper à ce danger, on recouvrait les boucliers de peaux humides, où les flèches enflammées s’éteignaient bientôt. Selon Olshausen, « les traits enflammés du malin » désignent plus spécialement « ces pensées horribles qui pénètrent subitement dans l’âme, et qui y allument les mauvaises convoitises, si le bouclier de la foi n’est là pour les éteindre aussitôt. » Peut-être est-il plus simple de voir, en général, sous cette image toutes les tentations qui offrent un caractère particulièrement dangereux.
8 – Thucydide II, 75.
Prenez aussi le casque du salut. Cette expression, ainsi que celle de cuirasse de la justice, est empruntée à Ésaïe 59.17. Les mots justice et salut ont dans Ésaïe une signification moins déterminée, et, si l’on peut ainsi dire, moins évangélique que dans le passage de saint Paul ; mais les armes dont le Seigneur se revêt, pour combattre en faveur de son peuple (Ésaïe 59.20), sont essentiellement les mêmes que celles dont il revêt son peuple quand il l’envoie lui-même au combat. La justice, c’est la justice qui est en Dieu, et dont il fait part à son peuple, et le salut (littéralement la délivrance) c’est la puissance de Dieu pour sauver, par laquelle il sauve son peuple. Dans Ésaïe, le mot salut a la signification générale de délivrance, tandis qu’il a la signification plus spéciale de salut (délivrance du pécheur) dans le Nouveau Testament, soit ici, soit 1 Thessaloniciens 5.8. Ce dernier passage est parallèle du nôtre, avec cette seule nuance que là il est question de « l’espérance du salut, » et ici « du salut » même ou de la possession du salut. Mais, comme l’espérance, dans le langage de saint Paul (Romains 5.5 ; 7.24) est la ferme assurance d’une délivrance à venir, cette nuance entre l’espérance du salut et la possession du salut est à peine sensible. Comme le casque protège la tête du soldat, la possession du salut assure le cœur du chrétien contre les doutes, les abattements et les tentations de toute nature (Éphésiens 2.8 ; 1 Jean 5.13).
Et l’épée de l’Esprit, qui est la Parole de Dieu. Dans l’original, comme dans la traduction, le relatif qui peut être rapporté également à l’épée (Harless) ou à l’Esprit (Olshausen). Mais la question principale est de savoir si par l’épée, de l’Esprit on doit entendre l’épée, qui représente le Saint-Esprit, ou bien l’épée que fournit le Saint-Esprit.
La première manière est sans contredit celle qui se présente le plus naturellement à l’esprit. Car l’épée de l’Esprit correspond alors exactement au bouclier de la foi, au casque du salut, à la cuirasse de la justice. Cette raison a paru décisive à Harless, Olshausen, etc. Le soldat, dit ici l’Apôtre selon eux, doit prendre pour épée le Saint-Esprit. L’épée, la seule arme offensive du soldat de saint Paul, est une image du Saint-Esprit, par lequel le chrétien peut non seulement attendre de pied ferme le tentateur, mais encore le repousser en arrière. Reste à expliquer les mots : qui est la Parole de Dieu, qui offrent alors une grande difficulté. D’après Olshausen, le qui se rapporte au Saint-Esprit ; et le sens est : Prenez pour épée le Saint-Esprit, et c’est la Parole de Dieu qui est cet Esprit ; d’après Harless le qui se rapporte à l’épée, et le sens est : Prenez pour épée le Saint-Esprit, et c’est la Parole de Dieu qui est cette épée. Selon le premier, la Parole de Dieu est Esprit, « parce que la Parole de Dieu, dans sa nature intime, est la révélation de ce qui est en Dieu, une émanation de Dieu qui est Esprit ; donc elle est Esprit. » Selon le second, « la Parole de Dieu est l’épée qui est Esprit, parce que cette Parole est Esprit et puissance, une Parole vivante et efficace plus pénétrante qu’une épée à deux tranchants » (Hébreux 4.12).
Dans tout cela nous voyons bien des difficultés. D’abord, la comparaison du Saint-Esprit avec l’épée a quelque chose qui étonne. Ensuite, dire avec Olshausen, qui suit la construction la plus naturelle du pronom relatif, que « la Parole de Dieu est le Saint-Esprit, » c’est dire une chose singulière et peu intelligible, malgré les explications. Mais cela vaudrait mieux cependant, ce nous semble, que de dire, avec Harless, que « la Parole de Dieu est cette épée ; » car alors l’épée a deux sens ; elle est le Saint-Esprit, et elle est la Parole de Dieu.
Nous ne voyons qu’un moyen d’échapper à ces difficultés. C’est de donner au génitif de l’Esprit un sens différent de celui des génitifs de la foi, du salut, etc., et d’entendre par l’épée de l’Esprit, non pas l’épée qui représente l’Esprit, mais l’épée par laquelle le Saint-Esprit combat, et qu’il nous met dans les mains ; à peu près comme les armes du soldat chrétien sont appelées l’armure de Dieu. C’est supposer, il est vrai, que l’Apôtre s’est écarté quelque peu de la construction qu’il a donnée au reste de cette période, versets 14-17 ; pour en maintenir la symétrie, il aurait dû dire : « Et l’épée de la Parole de Dieu. » Mais, s’il a voulu exprimer cette idée que cette Parole est l’épée de l’Esprit, dans le sens que nous venons d’expliquer, comment le devait-il faire ? Devait-il dire : l’épée de la Parole, de l’Esprit ; ou, l’épée de la Parole, qui est l’épée de l’Esprit ; ou, l’épée spirituelle de la Parole, etc. ? Pour éviter toutes ces constructions embarrassées ou traînantes, on comprend, ce nous semble, qu’il ait dit l’épée du Saint-Esprit, et qu’une fois le génitif employé de la sorte, il ait substitué au génitif de la Parole de Dieu une périphrase : qui (laquelle) est la Parole de Dieu. Le sens n’offre alors aucune difficulté : prenez l’épée par laquelle combat le Saint-Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu. C’est l’épée avec laquelle Jésus lui-même a lutté contre le démon au désert (Matthieu 4.1-11), et à laquelle l’ennemi n’a jamais pu résister. Que si l’on croyait devoir absolument conserver au génitif de l’Esprit le sens des génitifs de la foi, du salut, etc., nous nous rangerions à l’avis d’Olshausen, en le modifiant ainsi qu’il suit : Prenez pour épée l’Esprit, lequel est la Parole de Dieu ; c’est-à-dire : par l’Esprit, j’entends ici cet Esprit en tant qu’il a parlé, la Parole de Dieu.
Priant par toute sorte de prières et de supplications, en toute occasion, dans l’Esprit. (Rapprochez Colossiens 4.2 et suivants) La prière tient la dernière place dans l’énumération des moyens de grâce. Nous ne savons même si l’on peut dire qu’elle entre dans cette énumération. Car elle est séparée d’avec ce qui précède, tant par la substitution du participe à l’impératif, que par celle du langage propre au langage figuré. L’Apôtre paraît avoir voulu indiquer par là qu’elle doit couronner tout le reste, et prêter aux autres moyens leur véritable force. On ne pouvait faire plus vivement ressortir l’importance prépondérante de la prière ; mais de la prière telle que la décrit l’Apôtre. Par toute sorte de prières et de supplications ; ces mots marquent la ferveur de la prière ; il n’y a sorte de prière à laquelle on n’ait recours, bénissant, confessant, demandant, pleurant, criant et ne se donnant aucun repos que l’on n’ait été exaucé. Si l’on veut marquer la différence qui est entre la prière et la supplication, il faut dire que la première est le genre, et la seconde l’espèce ; la première s’entretient avec Dieu, la seconde sollicite ses grâces ; en d’autres termes, la distinction est en grec ce qu’elle est en français. En toute occasion : voilà la fréquence de la prière ; il n’y a rien qui ne devienne un sujet de prière pour le chrétien, douleur ou joie, revers ou succès, mauvaise ou bonne conscience, etc. Dans l’Esprit, ou par l’Esprit : voilà la vie de la prière ; elle est mue par l’Esprit de Dieu ; lui-même « prie, selon Dieu, pour les saints. » (Romains 8.26 ; Galates 4.6 ; et surtout Romains 8.15, où nous trouvons une locution toute semblable à celle de notre texte : « L’Esprit d’adoption, dans lequel (ou par lequel) nous crions Abba, Père ! ») D’autres traduisent : « En esprit, » et l’entendent de l’esprit de l’homme, comme si l’Apôtre eût dit : Priant du cœur. Mais cette traduction a contre elle la pensée, qui en est affaiblie ; le contexte, où il a été parlé de l’Esprit de Dieu (verset 17) ; et la terminologie même de notre Apôtre. Aussi Harless et Olshausen s’accordent-ils pour la repousser ; nous sommes surpris de la voir adoptée par la version de Lausanne 1839.
Veillant à cela en toute persévérance et supplication pour tous les saints. – Veillant à cela : voilà la vigilance mise au service de la prière ; il faut tenir les yeux de l’âme ouverts, tout exprès pour prier. Colossiens 4.2 : « Persévérez dans la prière, veillant en elle ; » 1 Pierre 4.7 : « Soyez sobres, veillez pour les prières. » – Enfin, en toute persévérance : voilà la persévérance dans la prière, tant de fois recommandée (Luc 18.1, etc.). De la prière pour soi-même, l’Apôtre passe à la prière pour autrui, insensiblement et sans user de la transition dont il se sert dans Colossiens 4. 3 : « Priant en même temps pour nous, » etc. Ce passage a quelque chose de singulier, il faut l’avouer ; mais il nous semble s’expliquer par l’amour fraternel qui confond en quelque sorte les prières que nous faisons pour nous-mêmes et celles que nous offrons pour nos frères. En tout cas, ce qui peut rester de difficulté dans cette explication n’égale pas, selon nous, celle où Harless et Olshausen s’embarrassent en voulant échapper à celle-ci. Ils pensent qu’il est question de la prière pour autrui dès le commencement de ce membre de phrase, et que les mots, « veillant à cela, » etc., signifient : veillant à ce que tous les saints parviennent à prier de la manière décrite dans la première moitié du verset, et dans ce dessein usant de toute persévérance et supplication pour leur obtenir cette grâce. Nous ne saurions admettre cette explication. D’abord, elle s’écarte de Colossiens 4.3, avec lequel notre explication s’accorde exactement. Puis, elle n’est pas naturelle ; priant pour que tous les saints apprennent à prier, c’est une construction un peu enchevêtrée, et que les mots « veillant à cela » sont loin d’indiquer clairement. De plus, il serait étrange que l’Apôtre eût restreint ainsi l’objet de nos prières pour nos frères ; nous devons demander pour eux la faculté de bien prier, sans doute ; mais nous devons demander pour eux bien d’autres choses encore. Enfin, si ce n’était que la faculté de prier que l’Apôtre exhorte ici les Éphésiens à demander pour les frères, on devait s’attendre, d’après le commencement du verset 19, qui se lie étroitement au verset 18, que c’est la même faculté qu’ils seraient exhortés à demander pour lui ; mais c’en est une autre, celle de parler librement. Il est intéressant de remarquer une nuance délicate qui distingue, dans l’original, deux prépositions, dont l’une est placée devant tous les saints et l’autre devant moi. La première signifie proprement au sujet de, la seconde en faveur de (allemand, um et für.) L’Apôtre suppose que les Éphésiens mettront un intérêt tout spécial à prier pour lui. Lausanne 1839 a maintenu cette nuance en traduisant : « Au sujet de tous les saints, et pour moi aussi. » Mais au sujet de est traînant et faible ; nous avons mieux aimé sacrifier une nuance intéressante que de la sauver à ce prix.
Afin que la parole me soit donnée, ma bouche étant ouverte, pour faire connaître en liberté le mystère de l’Évangile. C’est-à-dire, afin qu’il me soit donné ce que je dois dire, selon la promesse du Seigneur, Matthieu 10.19-20 ; Marc 13.11 ; Luc 21.15. La traduction de nos versions reçues, et de Lausanne 1839, « qu’il me soit donné de parler, » présente une idée légèrement différente. Autre chose est de donner à un homme de parler, autre chose de lui donner ce qu’il doit dire. Ma bouche étant ouverte. Ceci peut s’entendre de deux manières, selon que l’Apôtre ouvre la bouche lui-même, ou que c’est un autre qui la lui ouvre. La plupart des commentateurs l’entendent de la première manière (comme dans Matthieu 13.35, etc.), tout en se subdivisant pour le sens qu’il y faut attacher. Selon les uns, « quand j’ouvre la bouche, » c’est-à-dire chaque fois que je me dispose à parler (Fritsch) ; selon d’autres, « quand l’occasion m’en est fournie, » d’après une locution proverbiale (Grotius) ; selon d’autres encore, « en parlant à bouche ouverte, » c’est-à-dire librement (Lausanne 1839, et nos versions reçues). La première de ces explications est un froid pléonasme ; la seconde n’est pas suffisamment justifiée ; la troisième pourrait mieux se défendre (2 Corinthiens 6.11), mais les mots ma bouche étant ouverte auraient alors le même sens que les mots qui suivent, en liberté, ce qui est peu vraisemblable. Il nous paraît bien préférable, ainsi qu’à Olshausen et Harless, d’entendre les mots ma bouche étant ouverte de l’autre manière. Les Éphésiens doivent prier Dieu d’ouvrir la bouche à saint Paul pour faire connaître le mystère de l’Évangile. Ce sens est justifié par les parallèles Psaumes 51.17 ; Ézéchiel 29.21 ; et surtout par Colossiens 4.3 : « Priez pour nous afin que Dieu nous ouvre la porte de la parole, pour annoncer le mystère de Christ. »
Pour faire connaître en liberté le mystère de l’Evangile. Pour le mot liberté, voyez la note sur 3.12 ; pour le mot mystère, la note sur 3.3. Il s’agit, non de liberté extérieure, mais de liberté intérieure. Ce que l’Apôtre veut qu’on demande à Dieu pour lui, ce n’est pas la fin de sa captivité, mais « l’esprit d’affranchissement » (Psaumes 51.14) nécessaire pour annoncer hardiment l’Évangile ; et cette disposition, il la souhaite, non pour sa propre satisfaction, mais pour le succès de sa mission. Il est à remarquer que saint Paul ne demande le secours des prières de ses frères que pour l’efficacité de son ministère, non pour le développement de sa piété individuelle. Il en est de même dans tous les endroits où il demande qu’on prie pour lui, Romains 15.30 ; Colossiens 4.3 ; Philippiens 1.19 ; 2 Thessaloniciens 3.19. Cette observation est d’Olshausen, qui ajoute : « La piété individuelle des apôtres, était suffisamment garantie par l’action spéciale du Saint-Esprit dans leurs cœurs. » J’hésite à accepter cette réflexion ; voyez Romains 1.12.
9 – Cette observation confirme l’explication que nous avons donnée de Éphésiens 3.13.
Pour lequel (pour l’Evangile) je suis ambassadeur dans les chaînes (2 Timothée 1.16). « Les ambassadeurs du monde sont dans la gloire ; ceux de Christ sont dans les fers » (Bengel). Cette situation de l’Apôtre contraste avec sa liberté intérieure, en même temps qu’elle doit exciter les chrétiens à prier pour son ministère.
Afin que je parle librement en lui, comme il faut que je parle. « En lui, » c’est-à-dire dans l’Évangile. L’Évangile est l’élément dans lequel s’exerce la liberté de l’Apôtre, le principe dont elle émane. Ailleurs, ce principe c’est Dieu, 1 Thessaloniciens 2.2 : « Nous avons parlé librement (ou nous nous sommes enhardis) en notre Dieu pour vous annoncer l’Évangile « de Dieu » (traduction littérale). Cette nuance est perdue dans la traduction de Lausanne 1839 : « afin que j’en parle. » Autre chose est de parler librement de l’Évangile, autre chose de parler librement dans l’Évangile. Sans cette distinction, les mots ci-dessus seraient une simple répétition de la fin du verset précédent ; et c’est ainsi que les a pris Martin, qui a cru devoir y ajouter le mot dis-je : « Afin, dis-je, que je parle librement, etc. » C’est l’expression en lui qui sert à caractériser la reprise de la pensée de l’Apôtre, et à empêcher le pléonasme. Au reste, l’afin que du verset 20 dépend de l’afin que du verset 19, auquel il est, pour parler avec Harless, « moins coordonné que subordonné. » Demandez pour moi, dit l’Apôtre, la liberté d’esprit nécessaire pour annoncer hardiment l’Évangile, jusque dans ma captivité, afin que je parle librement, dans l’Évangile, comme il convient à un apôtre de parler.