En 1875, Philothée Bryennios, évêque grec de Serres, en Macédoine, publia pour la première fois le texte complet de l’épître de Clément de Rome aux Corinthiensa. Il en avait trouvé le manuscrit dans la bibliothèque du Saint-Sépulcre adjointe à l’école du Phanar à Constantinopleb. Dans le même volume se trouvaient quelques autres ouvrages, parmi lesquels la Didachè ou Enseignement des douze apôtres. Ce document, de la plus haute antiquité, était bien connu de nom, mais il avait échappé depuis des siècles à toutes les recherches. L’annonce de cette découverte excita la plus vive curiosité chez les érudits et chez tous ceux qui de près ou de loin s’intéressaient à la doctrine et à la discipline de l’Église primitive. Toutefois, le savant historien, devenu patriarche de Nicomédie, ne publia pas la Didachè avant la fin de l’année 1883. Nous allons tout à l’heure en donner la traduction.
a – Il manquait encore quelques courts chapitres vers la fin de cette épître.
b – Ou Fener, ou Fanal (Τὸ φανάρι, le phare). C’est un quartier grec de Constantinople, où se trouvent la principale église grecque et la résidence du patriarche.
[L’introduction et les notes de Bryennios sont en grec moderne. Le volume a été imprimé, et fort bien, à Constantinople. Par cet ouvrage et son Épître de Clément, l’auteur s’est fait une place éminente parmi les savants. Le manuscrit est un petit in-8 de 120 feuilles. Il a été écrit par un scribe nommé Léon et achevé le mardi 11 juin 6564 de l’ère de Constantinople, 1056 de la nôtre.]
Il est infiniment probable, sinon certain, que le document récemment découvert est bien celui dont parlent plusieurs des écrivains ecclésiastiques de la période primitive. Clément d’Alexandrie l’appelle : « l’Écriture » ; Eusèbe, en lui donnant pour titre : l’Enseignement des douze apôtres, le classe parmi les livres apocryphes du Nouveau Testament, en même temps que l’épître de Barnabas, le Pasteur d’Hermas et quelques autres ouvrages. Athanase le considère comme un écrit non canonique, mais d’une lecture très utile pour les catéchumènesc.
c – H. E., liv. III, chap. 25. — Voir l’article du professeur Stokes dans la Contemporary Review, avril 1884.
La Didachè est courte ; elle ne dépasse pas en longueur l’Epître aux Galates. Un examen attentif a montré que le VIIe livre des Constitutions apostoliques avait eu la Didachè pour base, ou plutôt que ce VIIe livre n’était qu’une adaptation doctrinale et pratique de la Didachè à une époque postérieure.
Quelle date faut-il assigner à ce document ? Pour essayer de la déterminer, on n’a que des raisons internes à invoquer, les faits ou documents qui pourraient faciliter la tâche faisant entièrement défaut. Bryennios pense qu’il a été écrit entre 140 et 160. Hilgenfeld et le professeur Bonet-Maury, de Paris, dans la seconde partie du IIe siècle ; le Dr Lightfoot, la plupart des critiques anglais et un certain nombre de critiques allemands, entre 80 et 110, et assurément les termes dans lesquels il est parlé du ministère chrétien, et la simplicité si archaïque, presque puérile, de certaines directions pratiques, prouvent en faveur d’une date très reculée.
Nous avons eu lieu de faire remarquer que les documents concernant le culte chrétien manquent presque absolument pour la période comprise entre les derniers livres du Nouveau Testament et la première Apologie de Justin-Martyr. Si la date fixée par les critiques anglais peut réellement être admise, la Didachè viendrait occuper une place intermédiaire, et serait même probablement antérieure à la lettre de Pline à Trajan. Il est donc difficile d’en exagérer l’importance.
Nous présenterons d’abord quelques remarques sur les parties de la Didachè qui peuvent s’appliquer aux pages qui précèdent. Par exemple, au sujet du culte (ch. 14), la description de l’assemblée du jour du Seigneur est très simple : une réunion de personnes dont chacune accomplit son culte particulier. Il n’y est même pas question de prophète ou de pasteur. Nous n’en conclurons pas que la lecture et l’explication des Écritures, les prières et le chant des hymnes n’y trouvassent point place, comme du temps de Justin-Martyr et de Tertullien. La Didachè ne prétend pas donner une description complète du culte et nous savons que, dès les temps les plus reculés, tout ce que nous venons d’indiquer en faisait partie. Mais il est clair que la confession des péchés, la réconciliation, les actions de grâce et la fraction du pain sont plus particulièrement présents à l’esprit de l’auteur.
Les chapitres 9 et 10 ont trait à l’eucharistie. Les paroles d’actions de grâce qui y sont rapportées nous rappellent celles que les Juifs employaient à leurs repas. Dans les Constitutions Apostoliques, cette expression : « la sainte vigne de David, ton serviteur », a été supprimée. Comme plus tard, au temps de Justin-Martyr, le pain et le vin ne sont donnés qu’à ceux qui sont baptisés, qui croient, qui sont saints. Nous avons parlé ailleurs de ces restrictions. Les mots qui ouvrent le chapitre 10 « après vous être rassasiés » (Μετὰ δε τό ἐμπλησθ ηναι) montrent qu’encore à ce moment-là, ainsi qu’au temps des apôtres, l’eucharistie et l’agape ne formaient qu’un seul et même repas. Dans les Constitutions Apostoliques, elles sont séparées, et les paroles que nous venons de citer sont remplacées par celles-ci : « après la participation ».
Quant au baptême (ch. 7), l’écrivain parle, comme le fera plus tard Justin, de jeûne et d’enseignement précédant la cérémonie ; mais il ne dit rien de la « régénération ». En outre, ni pour le baptême, ni pour l’eucharistie, rien ne permet de conclure qu’ils aient été administrés par un ministre ou par un prêtre.
Les chapitres sur le ministère (11, 13, 15) ont une grande importance. La situation est encore celle dont nous parlent la Ire Épître aux Corinthiens et l’épître aux Éphésiens, « Nous voyons ici, dit le Dr Lightfoot, deux ministères différents. Le ministère itinérant et le ministère local. Le premier est exercé par les apôtres et les prophètes, et leurs fonctions respectives sont si entremêlées parfois, qu’il est difficile de tracer la ligne de démarcation qui les sépare. » Le second est exercé par les surveillants et les diacres, ce qui prouve, pour le dire en passant, que les noms de surveillant et d’ancien étaient synonymes à cette époque. Dans le passage correspondant des Constitutions Apostoliques on lit : « Les surveillants (évêques), les anciens et les diacres », car déjà alors leurs fonctions étaient distinctes. L’Évangile était prêché par des pasteurs itinérants, entretenus en vertu et dans les limites de ce simple principe que l’ouvrier est digne de sa nourriture (Matthieu 10.10). « Si le prophète, dit la Didachè, demande de l’argent, c’est un faux prophète. » Quelques-uns des pasteurs locaux, dont le temps tout entier était consacré à l’exercice de leur ministère, étaient soutenus par les offrandes de la congrégation. On leur donnait les prémices des champs, de la vigne et de l’olivier ; on leur donnait encore de l’argent, des habits et les autres objets nécessaires à leur entretien. D’autres, au contraire, pourvoyaient, semble-t-il, à leurs propres besoins (ch. 15). Nous remarquerons encore, d’après le chapitre 15, que les évêques et les diacres devaient être élus par la congrégation. L’auteur paraît même exhorter les membres de l’Église à les honorer au même titre que les prophètes et les docteurs. Ce détail nous reporte évidemment à une période très reculée de la vie ecclésiastique. Rien ne nous indique la manière dont ces fonctionnaires étaient entretenus. Il est possible que leur entretien fût à leur charge ou que, comme les prophètes, ils reçussent les libres offrandes du troupeau.
On a supposé que Tertullien, le premier, avait comparé l’évêque au grand-prêtre. Mais nous avons un exemple bien plus ancien de cette fâcheuse et trop naturelle confusion. Quoi de plus naturel, en effet, que de voir des judéo-chrétiens, encore imparfaitement pénétrés de l’esprit de l’Évangile, accorder au pasteur du nouveau troupeau, le respect dont ils environnaient ceux qui les avaient dirigés jadis, et lui attribuer le même nom ? Or, il semble peu douteux que l’auteur de la Didachè ne soit un judéo-chrétien, appartenant peut-être (telle est du moins l’opinion du docteur Lightfoot) à l’Église d’Alexandrie.
[La permission d’employer de l’eau chaude pour le baptême semblerait indiquer un climat plus froid que celui de l’Egypte. Hilgenfeld pense à l’Asie Mineure et aux montanistes (Contemporary Review, décembre 1884). Il est assez curieux de remarquer que, tandis que notre auteur demande de prier pour la fin du monde, Tertullien (peut-être n’était-il pas encore montaniste) nous dit que les chrétiens de son temps priaient pour que la fin du monde fût retardée. Apol., chap. 39.]
La Didachè commence par une détermination des deux chemins : celui qui conduit à la vie, celui qui conduit à la mort. En cela, elle ressemble d’une manière frappante à la IIe partie de l’épître de Barnabas (ch. 18, 20). Cette ressemblance a amené quelques auteurs à supposer un emprunt de la part de Barnabas ; d’autres, au contraire, de la part de l’auteur de la Didachè. Le Dr Lightfoot, pour sa part, ne croit point à un emprunt de l’un ou de l’autre, mais pense que tous deux ont puisé à une source commune. Les deux ouvrages, nous l’avons dit, sont mentionnés ensemble par Eusèbe. Tous deux semblent être des traités incomplets et peut-être interpolés, reproduisant un enseignement oralement transmis depuis une génération ou deux, et émanant originairement soit des apôtres eux-mêmes, soit de leurs contemporains. Il règne dans plusieurs passages une simplicité et une spiritualité de ton évidentes. Ainsi, par exemple, le motif d’honorer les docteurs, et la pierre de touche de leur vocation, n’est pas l’autorité dont ils auraient été investis par l’Église, mais simplement le fait qu’ils annoncent la parole de Dieu (ch. 4, 11). Ou encore cette affirmation (ch. 4) : Dieu ne fait pas acception de personnes dans ses appels, mais il vient pour ceux que l’Esprit a préparés.
La Didachè soulève encore une foule de questions intéressantes : ainsi sa théologie ; ainsi encore la manière dont elle cite le Nouveau Testament. Le lecteur pourra, sur ces points et sur d’autres, se former lui-même une opinion.
En résumé, on peut dire que cet opuscule est un des plus intéressants parmi les rares monuments de l’époque immédiatement post-apostolique.
Nous avons reproduit la traduction de M. Bonet-Maury, professeur d’histoire ecclésiastique à la Faculté de théologie protestante de Paris. Il a bien voulu nous y autoriserd.
d – Si nous avons reproduit la traduction de M. le professeur Bonet-Maury, nous n’avons pas reproduit les notes qui l’accompagnent. Nos notes sont celles qui accompagnent le texte anglais.
Enseignement du Seigneur transmis par les douze Apôtres aux nations
Première Partie
Le Catéchisme ou les Deux chemins.
§ 1. — Il y a deux chemins, celui de la vie et celui de la mort, mais il y a entre eux une grande différence. Voici le chemin de la vie : premièrement, tu aimeras le Dieu qui t’a créé ; secondement, tu aimeras ton prochain comme toi-même ; c’est-à-dire que tu ne feras à autrui rien de ce que tu voudrais qu’on ne te fît pas. Or, voici la Doctrine renfermée dans ces paroles : Bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour vos ennemis, jeûnez pour ceux qui vous persécutent. Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? Les païens n’en font-ils pas autant ? — Vous, au contraire, aimez ceux qui vous haïssent, et vous n’aurez pas d’ennemi.
Abstiens-toi des désirs charnels et mondains.
Si quelqu’un te donne un soufflet sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre et tu seras parfait. Si quelqu’un te met en réquisition pour un mille, fais-en deux avec lui ; si quelqu’un t’enlève ton manteau, donne-lui aussi la tunique ; si quelqu’un te prend quelque chose qui soit à toi, ne lui réclame pas : car tu n’en as pas le pouvoir, parce qu’il est défendu à un chrétien d’employer la force, ou même de plaider « devant des infidèles. (1 Corinthiens 6.1-7).. Donne à quiconque te demande, et ne réclame rien, car le Père veut que l’on partage avec tous les biens reçus en propre de sa grâce. Heureux celui qui donne suivant le précepte ; il sera sans reproche ; malheur à qui reçoit. En effet, si quelqu’un reçoit dans le besoin, il ne mérite pas de reproche ; mais celui qui accepte sans être dans le besoin rendra compte pourquoi il a reçu et de ce qu’il a fait de l’aumône. Détenu, il subira une enquête sur ses actes et il n’en sortira pas jusqu’à ce qu’il ait payé la dernière obole. C’est à ce sujet qu’il a été dit : « Laisse ton aumône transpirer entre les mains, jusqu’à ce que lu saches à qui tu donnes !e »
e – On retrouve cette citation dans les Constitutions Apostoliques.
§2. — Voici le deuxième précepte de la Doctrine : Tu ne tueras point, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne débaucheras pas les enfants, tu ne te prostitueras pas, tu ne voleras pas, tu ne t’adonneras ni à la magie, ni à la sorcellerie ; tu ne feras pas avorter l’enfant conçu dans la débauche, et, une fois né, tu ne le tueras pasf. Tu ne convoiteras pas les biens du prochain, tu ne commettras ni parjure, ni faux témoignage ; tu ne seras ni médisant, ni rancunier ; tu n’auras de duplicité, ni en pensée, ni en paroles ; car la duplicité est un piège de mort. Que ta parole ne soit ni menteuse, ni vaine, mais suivie d’effet. Ne sois ni cupide, ni ravisseur, ni hypocrite, ni malicieux, ni orgueilleux. Tu n’écouteras pas de mauvais conseils contre ton prochain. Tu ne haïras personne ; mais, les uns, tu les reprendras ; pour les autres, tu prieras, et d’autres, tu les aimeras plus que ton âme.
f – Ces allusions aux vices des païens indiquent la date reculée de l’écrit. Cf. Romains 1.21-32.
§ 3. — Mon enfant, éloigne-toi du mal et de tout ce qui en a l’apparence. Ne le livre pas à la colère, car la colère conduit au meurtre. Ne sois ni jaloux, ni querelleur, ni irascible ; car toutes ces passions engendrent les meurtres. — Mon enfant, ne laisse pas prise à la concupiscence, car la concupiscence mène à la fornication. Évite les paroles obscènes et les regards provocantsg, car de tous deux naissent les adultères. Mon enfant, ne consulte pas les auspicesh, car cela mène à l’idolâtrie ; ne pratique ni la magie, ni l’astrologie, ni les lustrations, et ne te plais pas à regarder ces choses, car tout cela conduit à l’idolâtrie. Mon enfant, ne sois pas menteur, car le mensonge conduit au vol ; ne sois ni avare, ni amateur de vaine gloire, car toutes ces passions donnent lieu aux vols. — Mon enfant, ne sois pas porté aux murmures, car cela mène au blasphème ; ne sois pas arrogant, ni malveillant, car de là naissent les blasphèmes. — Mais sois débonnaire, car les débonnaires hériteront la terre. Sois magnanime et miséricordieux, sans malice, paisible et bon, et observe en tout les paroles que tu as entendues. Ne t’enorgueillis pas et ne livre pas ton âme à la présomption. Ton âme ne doit pas s’attacher aux orgueilleux, mais se plaire avec les justes et les humbles. Accepte, comme des bienfaits, les épreuves qui t’arrivent, sachant que rien n’arrive sans la volonté de Dieu.
g – Les Constitutions apostoliques disent : des yeux impudiques.
h – Ou augure, οἰωνοσκόπος ; qui examine les oiseaux, pour prophétiser d’après leur vol ou leurs cris.
§ 4. — Mon enfant, souviens-toi jour et nuit de celui qui l’annonce la parole de Dieu ; tu l’honoreras comme le Seigneur, car là d’où est annoncée la majesté de la parole, la est le Seigneur.
Tu chercheras chaque jour le commerce des saints, afin d’être rafraîchi par leurs discours. Tu ne fomenteras pas de dissensions, mais tu feras la paix entre les adversaires. Tu jugeras justement, et ne feras pas acception de personnes, en reprenant tes frères à cause de leurs chutes. Ne doute pas si la promesse de Dieu s’accomplira ou non. Ne tends pas la main pour recevoir, et ne la ferme pas pour donneri. Si tu possèdes quelque bien, produit du travail de tes mains, tu payeras la rançon de tes péchésj. Tu n’hésiteras pas à donner, et ne grogneras pas en donnant, car tu sais quel est le juste dispensateur des récompenses ! Ne te détourne pas de l’indigent, mais partage tout ce que tu as avec ton frère, et ne dis pas que cela t’appartient en propre ; en effet, si vous avez en commun les choses immortelles, à combien plus forte raison les périssables ? Ne cesse pas de tenir la main à l’éducation de ton fils ou de ta fille, mais enseigne-leur la crainte de Dieu dès la jeunesse. Ne commande pas avec aigreur à ton esclave ou à ta servante, qui espèrent au même Dieu, de peur qu’ils ne perdent la crainte du Dieu, qui est au-dessus du maître et de l’esclave ; car il ne fait pas acception de personne dans ses appels, mais il vient pour ceux que l’Esprit a préparés. Quant à vous, esclaves, soyez soumis à vos maîtres, en toute crainte et humilité, comme à l’image de Dieu. Tu haïras toute hypocrisie, et tout ce qui déplaît au Seigneur. Tu ne négligeras pas les préceptes du Seigneur et tu observeras tout ce que tu as reçu, sans y rien ajouter, ni retrancher. Tu confesseras tes fautes dans l’église, et tu n’iras pas à la prière avec une conscience mauvaise. Tel est le chemin de la vie.
i – Ecclésiastique, 4.31.
j – Daniel 4.21.
§5. — Et voilà le chemin de la mort : avant tout, il est mauvais et rempli de malédictions. Il conduit au meurtre, aux adultères, aux convoitises, aux fornications, aux vols, à l’idolâtrie, aux pratiques magiques et à la sorcellerie, aux rapts, aux faux témoignages, à l’hypocrisie, à la duplicité, à la fraude, à l’arrogance, à la méchanceté, à l’effronterie, à la cupidité, au langage obscène, à la jalousie, à la présomption, à l’orgueil, à la forfanterie. C’est le chemin que prennent les persécuteurs des bons, les ennemis de la vérité, les amateurs du mensonge, ceux qui ne savent pas la récompense de la justice, qui ne s’attachent ni au bien, ni au juste jugement ; qui veillent, non pour faire du bien, mais du mal ; les amateurs de vanités qui sont fort éloignés de la douceur et de la patience ; qui recherchent une rétribution, sans pitié pour le pauvre, et sans compassion pour celui qui est travaillé et chargé ; ceux qui ne connaissent même pas leur Créateur, les meurtriers d’enfants, les corrupteurs de l’œuvre de Dieu, qui se détournent de l’indigent, oppriment l’affligé, les avocats du riche et les juges iniques du pauvre, les hommes capables de tous les péchés. Sauvez-vous, mes enfants, de tous ces gens-là.
§ 6. — Prends garde que personne ne te détourne de ce chemin de la doctrine, car un tel enseignement n’aurait pas l’agrément de Dieu.
Si tu peux porter le joug du Seigneur tout entier, tu seras parfait ; sinon, fais ce que tu peux. Quant aux aliments, supporte ce que tu peuxk ; mais abstiens-toi à tout prix des viandes sacrifiées aux idoles, car c’est là un culte rendu à des dieux morts.
k – Il ne s’agit point ici de jeûnes, mais des distinctions si compliquées entre les aliments purs et les aliments impurs. Encore une preuve de l’antiquité de la Didachè.
Deuxième Partie
La Liturgie et la Discipline.
§ 7. — Pour ce qui est du baptême, voici comment il faut l’administrer : Après avoir enseigné tous les préceptes ci-dessus, baptisez au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit dans de l’eau vive. Si tu n’as pas d’eau vive, baptise dans d’autre eau ; si tu ne peux avoir d’eau froide, sers-toi d’eau chaude ; et si tu n’as ni de l’une ni de l’autre, verse trois fois de l’eau sur la tête, au nom du Père, et du Fils et du Saint-Espritl. Qu’avant le baptême on fasse jeûner le baptiseur, le baptisé, et quelques autres, s’ils le peuvent. Quant au néophyte, tu lui commanderas de jeûner un jour ou deux avant.
l – On pense qu’il est fait allusion ici au baptême administré à domicile dans un cas de maladie mortelle.
§ 8. — Mais que vos jeûnes ne soient pas pareils à ceux des hypocritesm ; car ils jeûnent le deuxième et le cinquième jour de la semaine ; vous, au contraire, vous devez jeûner le quatrième jour et la veille du sabbat.
m – Le mot hypocrites est pris ici dans le sens appliqué aux Pharisiens. C’est encore une preuve d’antiquité. — Pour le jeûne bi-hebdomadaire des Pharisiens, voy. Luc 18.12.
Ne priez pas non plus comme les hypocrites, mais comme le Seigneur l’a ordonné dans son Évangile ; priez ainsi :
« Notre Père qui es dans le ciel, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien, et remets-nous notre dette, comme nous la remettons à nos débiteurs, et ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du mal, car à toi appartiennent la puissance et la gloire dans tous les siècles. » Priez ainsi trois fois par jour.
§ 9. — Quant à l’Eucharistie, rendez grâces ainsi. Dites d’abord pour la coupe : « Nous te rendons grâces, ô notre Père, pour la sainte vigne de David, ton serviteurn, que tu nous as fait connaître par Jésus, ton serviteur. A toi soit la gloire aux siècles des siècles. »
n – παις, παιδός,, employé dans le même sens que Actes 3.13 ; 4.25, etc.
Et puis, dites au moment de la rupture (du pain) : « Nous te rendons grâces, ô notre Père, pour la vie et la connaissance que tu nous as révélées, par Jésus, ton serviteur. A toi soit la gloire aux siècles des siècles ! De même que ce pain rompu était dispersé sur le haut des collines et s’est trouvé rassemblé en un seul tout, qu’ainsi ton Église soit rassemblée des extrémités de la terre, dans ton royaume ; en effet, à toi appartiennent la gloire et la puissance (que tu exerces) par Jésus-Christ aux siècles des siècles. » — Que personne ne mange ni ne boive de votre Eucharistie sans avoir été baptisé au nom du Seigneur ; car c’est à ce sujet que le Seigneur a dit : « Ne donnez pas les choses saintes aux chienso ! »
o – Matthieu 7.6. Nous n’assumons pas la responsabilité de l’exactitude de cette interprétation.
§ 10. — Après vous être rassasiés (à l’agapep), rendez grâces ainsi : « Nous te rendons grâces, ô Père saint, pour ton saint nom, que tu as fait habiter dans nos cœurs, et pour la connaissance, la foi et l’immortalité que tu nous as révélées par Jésus, ton serviteur. A toi soit la gloire aux siècles des siècles. Toi, Maître tout-puissant, tu as créé toutes choses à cause de ton nom ; tu as donné aux hommes la jouissance de la nourriture et du breuvage, afin qu’ils te rendent grâces ; mais à nous tu as fait grâce d’une nourriture et d’un breuvage spirituels et de la vie éternelle, par l’organe de ton serviteur. Avant toute chose, nous te rendons grâces de ce que tu es puissant. A toi soit la gloire aux siècles des siècles.
p – A cette époque primitive, cela est évident, l’Agape et l’Eucharistie étaient confondues. On voit ici qu’il s’agit d’un vrai repas et non de la participation à certains éléments. Le développement sacerdotal de l’Eucharistie modifia tout cela. Voy. chap. 10.
Souviens-toi, ô Seigneur, de ton Église, afin de la délivrer de tout mal et de la rendre accomplie dans ton amour ! Rassemble-la des quatre vents du ciel, elle qui a été sanctifiée en vue de ton royaume que tu lui as préparé ; car à toi appartiennent la puissance et la gloire aux siècles des siècles ! »
Vienne la grâce et que ce monde passe ! Hosanna au fils de David ! Si l’on est saint, qu’on s’approche ; sinon, qu’on fasse pénitence, Maran atha ! Amen !
Permettez aux prophètes de rendre grâces à leur gré.
§ 11. — Si quelqu’un vient vous enseigner toutes les choses susdites, recevez-le, mais si ce docteur, ayant dévié, vous donne un autre enseignement, pour dissoudre vos croyances, ne l’écoutez pas. Si au contraire c’est pour faire avancer la justice et la connaissance du Seigneur, recevez-le comme le Seigneur.
Quant aux apôtresq et aux prophètes, voici comme il faut agir suivant le précepte de l’Évangiler. Que tout apôtre venant vers vous soit reçu comme le Seigneur, s’il reste un jour, et, s’il est nécessaire, le lendemain ; mais, s’il reste trois jours, c’est un faux prophète. Et qu’en partant l’apôtre n’accepte rien que du pain pour aller jusqu’à son gîte prochain ; s’il demande de l’argent, c’est un faux prophète. Vous ne devez ni éprouver, ni juger aucun prophète parlant en esprit ; car tout péché sera pardonné, mais ce péché-là ne sera pas pardonnés ! En effet, quiconque parle en esprit n’est pas prophète, mais celui-là seulement qui suit l’exemple du Seigneur. C’est à sa conduite que vous discernerez le vrai du faux prophète. Tout prophète qui, parlant en esprit, a commandé la tablet, s’il y touche, c’est un faux prophète. Tout prophète qui enseigne la vérité, mais ne fait pas ce qu’il dit, c’est un faux prophète. Or tout prophète éprouvé, véritable, exerçant son corps en vue du mystère terrestre de l’Égliseu, sans imposer aux autres ses pratiques ascétiques, ne le jugez pas, car il a Dieu pour juge ; c’est ainsi qu’ont fait les anciens prophètes. Si quelqu’un vous dit en esprit : « Donne-moi de l’argent ou autre chose, » ne l’écoutez point ; mais s’il prescrit de donner pour d’autres indigents, que personne ne le juge.
q – Ἀπόστολος est pris dans le sens de missionnaire dans Romains 16.1 ; 2 Corinthiens 8.23 ; Philippiens 2.25.
r – Voy. Matthieu 10.5-11 ; Luc 10.3-8, 16, etc. Ces préceptes sont basés sur ceux que J.-C. donna aux disciples qu’il envoya prêcher. Au reste, déjà du temps de Paul il ne manquait pas de docteurs itinérants auxquels ces préceptes étaient bien nécessaires. 2 Corinthiens 11.4,13 ; Galates 1.7-9 ; 5.10,12. — Cf. Apocalypse 2.2.
s – C’était donc regardé comme une des formes du péché contre le Saint-Esprit. Matthieu 12.31.
t – Cette curieuse phrase semble établir une sauvegarde contre les tentations qu’auraient pu avoir les prophètes « parlant en esprit », de donner des directions au sujet des agapes avec le désir secret de ménager leur propre intérêt (Farrar).
u – L’une des expressions les moins claires de la Didachè. D’après le contexte, on serait disposé à penser à certaines actions symboliques semblables à celles d’Esaïe, de Jérémie, d’Ezéchiel, etc.
§ 12. — Recevez tout homme qui vient au nom du Seigneur, et ensuite vous l’éprouverez pour le connaître ; car vous devez avoir une intelligence capable de discerner ceux de droite et ceux de gauche. Si celui qui vient est un pauvre passant, secourez-le autant que vous pourrez ; il ne doit pas rester chez vous plus de deux ou trois jours. Que s’il veut se fixer parmi vous comme artisan, qu’il travaille pour obtenir de la nourriture ; s’il n’a pas de métier, veillez suivant votre prudence à ce qu’il n’y ait point parmi vous de chrétien oisif. Mais s’il ne veut pas agir ainsi, c’est un trafiquant de christianisme, éloignez-vous de ces gens-là.
§ 13. — Tout prophète véridique, qui veut se fixer parmi vous, est digne de sa nourriture. De même, un docteur véridique est, lui aussi, comme l’artisan, digne de sa nourriture. Tu prendras donc toutes les prémices de l’aire et du pressoir, des bœufs et des brebis, et les donneras aux prophètes ; car ils sont vos grands prêtres. Si vous n’avez pas de prophètes, donnez-les aux pauvres. Si tu prépares une fournée de pain, prends-en les prémices et donne-les suivant le commandement. De même, si tu ouvres un tonneau de vin ou d’huile, donnes-en les prémices aux prophètes. Quant à ton argent, à tes vêtements et à tous tes biens, prélèves-en les prémices, à ton idée, et donne-les suivant le commandement.
§ 14. — Le dimanche du Seigneur, une fois rassemblés, rompez le pain et rendez grâces après avoir confessé vos péchés, afin que votre sacrifice soit pur. Que quiconque a un différend avec son ami s’éloigne de votre assemblée tant qu’il n’est pas réconcilié, afin de ne pas profaner votre sacrifice. Car voici la propre parole du Seigneur : « Apportez-moi une victime pure en tout temps et en tout lieu ; car je suis un grand roi, dit le Seigneur ; et mon nom est admirable parmi les peuples païens ! »
[Malachie 1.11, 14. Justin-Martyr s’appuie sur une fausse interprétation de ce texte pour justifier son opinion d’un sacrifice dans l’Eucharistie. On pourrait croire que le même ritualisme se retrouve ici. Mais ce serait contraire à l’ensemble de la Didachè. Nous pensons plutôt, avec le Dr Farrar, que le mot sacrifice désigne ici métaphoriquement la prière et les actions de grâces. Cf. Romains 12.1 ; Hébreux 13.15, et ci-dessous, IIe Partie, chap. 16.]
§ 15. — Élisez-vousv des évêques et des diacres du Seigneur, hommes doux et désintéressés, véridiques et éprouvés ; car eux aussi vous rendent le service des prophètes et des docteurs. Ne les méprisez donc pas, car ils sont vos dignitaires, avec les prophètes et les docteurs.
v – Χειροτονήσατε. Voy. 2 Corinthiens 8.19 ; Actes 14.23 ; Tite 1.5.
Reprenez-vous les uns et les autres, non pas en colère, mais en paix, comme vous en avez l’ordre dans l’Évangile. Quant à celui qui a manqué à son prochain, que personne ne lui parle ; et qu’il ne jouisse d’aucune considération parmi vous, jusqu’à ce qu’il se soit repenti. Faites vos prières, vos aumônes et toutes vos actions, suivant les préceptes contenus dans l’Évangile de Notre-Seigneur.
§ 16. — Veillez sur votre vie ; que vos lampes ne s’éteignent point et que vos reins ne soient pas desserrés ; mais tenez-vous prêts ; car vous ne savez pas l’heure où Notre-Seigneur viendra. Réunissez-vous fréquemment pour chercher les choses qui conviennent à vos âmes ; car tout le temps de votre foi ne vous servira point, si vous n’êtes pas accomplis au dernier jour. En effet, dans les derniers temps, les faux prophètes et les corrupteurs pulluleront et les brebis seront changées en loups, et l’amour se changera en haine. L’iniquité ayant augmenté, on se haïra, on se persécutera, on se livrera réciproquement. Alors paraîtra le Séducteur du monde, se donnant pour le fils de Dieu et faisant des signes et des prodiges ; la terre sera livrée entre ses mains et il commettra des forfaits, tels qu’on n’en a point vus depuis l’origine des temps.
Alors les créatures humaines seront soumises à l’épreuve du feu : beaucoup seront scandalisées et périront ; mais celles qui persévéreront dans la foi seront sauvées de cette malédiction.
Alors paraîtront les signes de la vérité : d’abord, le signe du déploiement (Ἐκπετάσεως) dans le ciel, puis le signe du coup de trompette, et troisièmement la résurrection des morts, non pas de tous, mais suivant ce qui a été dit : « Le Seigneur viendra, et tous ses Saints avec lui ! » Alors, le monde verra le Seigneur venant sur les nuées du ciel !