Au sud-est du lac Léman, non loin du Rhône, se trouve le bourg d'Aigle, à l'entrée d'une vallée boisée, au bord d'une rivière appelée la Grande-Eau. Pendant l'hiver de 1526, un étranger arrivait à Aigle, sous le nom de maître Ursinus. Il annonça qu'il allait ouvrir une école pour enseigner à lire et à écrire aux enfants qu'on voudrait bien lui envoyer. Les villageois en furent bien aises, parce qu'en hiver il y a peu de travaux dans les champs et qu'il n'y avait point d'autre école dans le voisinage. Bientôt les enfants dirent à leurs parents que tout en leur enseignant à lire et à écrire, le maître leur racontait de belles histoires sur le Seigneur Jésus, comment il avait aimé les pécheurs, avait été puni à leur place et comment après avoir été mort, Il était ressuscité et s'était assis à la droite de Dieu dans le ciel, où Il continue à être l'Ami des pécheurs.
Les parents écoutaient avec étonnement, puis l'un après l'autre, ils allèrent demander à maître Ursinus ce que c'était que cette merveilleuse histoire. Ursinus, qui était un homme bienveillant, leur expliqua avec empressement ce qui se rapporte à Jésus, à son amour et à sa grâce. Il leur dit aussi que le purgatoire n'existait pas et que ceux qui sont sauvés par le Seigneur Jésus deviennent aussi blancs que la neige, qu'ils sont rendus parfaitement dignes d'entrer au ciel et qu'en quittant ce monde de péché et de misère, ils vont directement dans la maison du Père, dans la gloire de Dieu. Ursinus expliquait aussi que c'était au Seigneur Jésus Lui-même qu'il fallait s'adresser pour obtenir grâce et non à Pierre, à Marie, aux saints, ni aux anges.
Ces pauvres gens écoutaient avec joie, reconnaissants qu'un étranger fût venu de France leur faire connaître le Sauveur dont ils n'avaient jamais entendu parler. Comme jadis les Israélites regardaient au serpent d'airain, élevé par Moïse, ainsi ces pauvres habitants d'Aigle, hommes et femmes, regardèrent au Sauveur dans la gloire et, croyant en Lui, ils reçurent la vie. Il n'y avait pas de curé à Aigle dans ce moment-là ; l'ancien venait de mourir et n'était pas encore remplacé.
Un jour Ursinus monta en chaire et révélant son vrai nom de Guillaume Farel, il s'engagea à prêcher régulièrement. Jusqu'alors le Conseil de Berne lui avait interdit la prédication, parce qu'il n'était pas consacré, cette interdiction venait d'être levée. « Notre bon plaisir, disait le Conseil, c'est que tous les prédicateurs du pays enseignent la Parole de Dieu, librement et ouvertement et que nul ne les empêche de prêcher ce qu'ils croient conforme à l'Écriture, même s'ils se trouvent contredire par là les ordonnances et les commandements de n'importe quels hommes. »
Le peuple n'avait jamais entendu parler de Farel, mais les prêtres du voisinage le connaissaient bien. Remplis de colère et craignant le courroux des seigneurs de Berne, ils durent se contenter de chercher à soulever le peuple et de répandre toutes les calomnies imaginables contre lui. Farel écrivait à cette époque ce qui suit : « Le père du mensonge lance ses serviteurs chaque jour contre moi, et il voudrait bien me décourager de mon travail ; mais Christ, au service duquel je suis, est beaucoup plus puissant que Satan. En m'appuyant sur Lui, je ne crains pas d'écraser l'ennemi sous mes pieds, d'envahir son royaume et d'arracher à sa tyrannie au moyen de la Parole, ceux que le Père attire à Christ. Appuyé sur le Seigneur, je me sens le courage de proclamer la Parole de Dieu, de renverser les traditions et les inventions des hommes, et d'inviter tous ceux qui sont fatigués et chargés à venir au Sauveur. Et je supplie tous ceux qui sont déjà venus à Lui d'intercéder auprès du Père, afin que le St-Esprit répande l'amour de Dieu dans tous les cœurs, en sorte que sa Parole soit obéie et qu'un vrai culte puisse enfin s'élever vers Lui, un culte en esprit et en vérité, comme a dit le Seigneur : Ni sur cette montagne ni à Jérusalem, mais un culte et un service qui soit offert par ceux qui se sont donnés à Lui de cœur et d'amour. »
Le Seigneur bénit abondamment la parole de son serviteur, des foules furent sauvées ; on venait de tous les environs pour l'entendre. À ce moment Farel fut invité à rentrer dans sa bien-aimée France. Un jour de grande réception à la cour de France, deux jeunes gens furent présentés à la princesse Marguerite ; c'étaient les fils de Robert de la Marck. « Profitez de l'occasion pour leur parler de Christ, » dit Marguerite à Gérard Roussel qui était présent. Roussel le fit et découvrit que ces jeunes gens avaient déjà entendu l'Évangile et qu'ils étaient très bien disposés. Il les engagea alors à employer tout leur pouvoir à répandre la vérité parmi leurs sujets. Les jeunes étrangers répondirent qu'ils le feraient volontiers, mais qu'ils étaient trop jeunes et trop ignorants pour cela. Si seulement, disaient-ils, un prédicateur voulait venir dans nos États, nous l'encouragerions par tous les moyens possibles. Je connais un seul homme tout à fait propre à cette œuvre, dit Roussel ; c'est Guillaume Farel, invitez-le. Les jeunes princes prièrent Roussel de se charger d'inviter de leur part le prédicateur, assuré que leur père en serait enchanté. « Il vivrait au palais avec nous, comme s'il était de la famille, dirent-ils, et tous lui feront bon accueil. Qu'il vienne dès le commencement de l'année » (1527). Bientôt Farel reçu des lettres où Roussel et Pierre Toussaint joignaient leurs instances à celles des jeunes princes pour l'engager à rentrer en France. Les jeunes princes comptaient si bien sur son arrivée qu'ils avaient déjà fait préparer une imprimerie, afin que Farel pût avoir des traités à distribuer.
Gérard Roussel écrivait toutes ces choses à son ami Guillaume et il ajoutait : « Toutefois, vous comprenez bien qu'il faudra vous abstenir de mentionner les sujets qui pourraient amener des dissensions (comme la messe, par exemple), et vous contenter de prêcher Christ et la vraie portée des sacrements. » Guillaume eut donc à chercher encore une fois la volonté du Seigneur ; il n'avait de nouveau qu'un mot à dire et le désir de son cœur aurait été accompli : il aurait pu rentrer dans son pays bien-aimé. Il refusa encore cette fois. Il ne pouvait se résoudre à cacher les vérités que Dieu lui avait fait connaître. Si même elles devaient causer des dissensions, il fallait qu'il les prêchât. Son Maître avait dit : « Pensez-vous que je sois venu donner la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais plutôt la division. » Eh bien, ne valait-il pas mieux suivre les traces de Jésus que celles de Gérard Roussel et de la princesse Marguerite ?
En outre, Farel n'aurait pu quitter l'ouvre que le Seigneur lui avait confiée en Suisse ; maintenant il se sentait certain d'y avoir été envoyé par son Maître. Son travail était béni et accepté d'une manière merveilleuse ; les âmes affamées et altérées qui l'entouraient étaient aussi des brebis du Christ. C'était de sa Parole qu'elles avaient faim et soif, c'était son Evangile qu'elles venaient entendre en foule ; aussi, en berger fidèle, il ne pouvait les abandonner. Et la bonne nouvelle se répandait de village en village et de ville en ville dans les vallées et sur les rives du Léman ; comme du temps des apôtres, beaucoup de croyants furent ajoutés au Seigneur.
Avez-vous jamais réfléchi à ce que signifient ces mots : « ajoutés au Seigneur », non pas simplement pardonnés, convertis, mais ajoutés à Celui qui est la Tête du Corps, l'Église, ajoutés à Celui dont tous ceux qui croient deviennent les membres, unis au Seigneur par le Saint-Esprit ? De sorte que si vous et moi nous sommes des croyants, nous avons des devoirs et des privilèges qui nous sont dévolus comme membres du corps de Christ, membres les uns des autres. Nous ne sommes pas seuls ici-bas et nous ne sommes pas seulement appelés à nous aimer les uns les autres. Il existe maintenant un lien plus intime que celui de l'amour réciproque : « Nous tous qui sommes plusieurs, sommes un seul corps », appelés non seulement à nous aimer les uns les autres, mais à agir, à penser et à parler comme n'étant qu'un, tous les membres agissant de concert sous la direction de la tête, ayant chacun leur place dans le corps, mais agissant sous la même autorité, comme le font les membres de nos corps terrestres.
Telles étaient les choses que Farel enseignait aux croyants. Il leur démontrait qu'ils étaient un désormais avec tous les enfants de Dieu, non seulement en Suisse, mais sur toute la terre. « Qu'il n'y ait pas dans le corps de Christ, disait-il, des bras, des yeux ou des oreilles agissant séparément, mais un seul cœur que rien ne puisse diviser. »