Une des meilleures apologies du iie ou du iiie siècle, et l’un des plus anciens monuments de la littérature chrétienne latine est l’Octavius de Minucius Félix. Analysons d’abord cet ouvrage.
L’Octavius comprend quatre parties : 1° Une introduction (1-4) met d’abord les acteurs en scène. L’auteur, qui se nomme lui-même Marcus, veut raconter comment son ami, Octavius, gagna au christianisme le païen Caecilius Natalis. Un jour que les trois personnages se promenaient ensemble près d’Ostie, au bord de la mer, la rencontre d’une statue de Sérapis, que Caecilius salua, donna l’occasion d’entamer la question religieuse. On résolut de la traiter à fond. Marcus devait être l’arbitre de la discussion entre Caecilius et Octavius. — 2° La deuxième partie (5-13) est remplie à peu près uniquement par le discours de Caecilius. Dans ce discours on peut distinguer trois idées : a) Un développement philosophique : la vérité est inaccessible : nous ne savons rien des dieux qui, en tout cas, ne s’occupent pas de nous. Dès lors le plus sage est de suivre, en matière religieuse, les lois de son pays. b) Une attaque contre le christianisme. Les chrétiens ne suivent pas ces lois : ils forment une société secrète, immorale, criminelle, ennemie du genre humain et qui pratique un culte absurde en adorant un homme crucifié. c) Conclusion : pas d’innovation religieuse ; laisser les choses ce qu’elles sont. — 3° Dans la troisième partie (14-38), Octavius réfute pas à pas son adversaire. Il est faux que nous ne puissions pas connaître Dieu : la raison prouve l’existence d’un Dieu unique et d’un Dieu-Providence. Le polythéisme vient d’une méprise que les démons ont favorisée. Ce sont eux qui répandent contre les chrétiens les calomnies que Caecilius a rapportées. Mais les chrétiens ont des mœurs pures, une foi et un culte raisonnables et, malgré les persécutions dont ils sont l’objet, ils trouvent dans le témoignage de leur conscience un bonheur qu’on ne leur peut ravir. Non : il ne faut pas laisser aller les choses : « Cohibeatur superstitio, impietas expietur, vera religio reservetur !b » — 4° Les chapitres 39-41 contiennent la conclusion du récit : Caecilius reconnaît sa défaite et se convertit.
b – Arrêtons la superstition, chassons l’impiété et que la véritable religion triomphe toute seule !
Les critiques sont d’accord pour voir dans l’Octavius le chef-d’œuvre d’un écrivain habile qui a su donner à des idées en soi peu originales la plus heureuse expression. La composition est forte, élégante, pleine de vie : il y circule un sentiment continu qui ne se traduit jamais d’une façon violente. L’auteur s’est visiblement inspiré du De natura deorum de Cicéron, et s’est servi également du De divinatione du même écrivain aussi bien que du De providentia et du De superstitione de Sénèque. Son but a été d’offrir aux païens cultivés, en une langue et suivant une forme déjà estimées d’eux, une apologie du christianisme qui pût leur plaire. De là le soin, dans son exposé de la religion chrétienne, d’écarter tout ce qui est mystère et qui semble heurter la raison, pour faire ressortir surtout les enseignements spiritualistes et l’élévation morale de la nouvelle foi.
L’auteur de l’Octavius se nomme lui-même, nous l’avons dit, Marcus (3, 5). Lactance et saint Jérôme donnent son nom entier, Marcus Minucius Felix. C’était un avocat célèbre, d’origine africaine probablement, qui habitait Rome et qui avait passé, assez tard du stoïcisme au christianisme (1). Le héros du dialogue, Octavius Januarius, était également un converti : il était mort au moment où l’ouvrage fut écrit (1).
Quant à Caecilius Natalis, il habitait Rome, comme Minucius, mais était, ce semble, originaire de Cirta (Constantine) (9, 31). On a trouvé à Cirta une inscription où il est question d’un Marcus Caecilius Quinti filius Quirina Natalis, triumvir sous Caracalla (211-217).
L’Octavius a été écrit certainement après l’an 175, car Fronto, dont il y est question comme d’un mort ou au moins d’un homme très âgé (9, 31), est mort peu après cette date. Une fixation plus précise de la date de la composition dépend de l’opinion que l’on adopte sur les relations de l’Octavius avec l’Apologeticum de Tertullien. Il est certain que, de ces deux ouvrages, l’un a connu et copié l’autre. L’Apologeticum étant de l’an 197, s’il a copié l’Octavius, celui-ci se placera entre 175-197. Si l’Octavius au contraire a copié l’Apologeticum, il sera postérieur à 197 et devra se mettre à la fin du iie ou dans la première moitié du iiie siècle. Or ce point de critique est malheureusement un de ceux qui divisent le plus les auteurs. Muralt, Ebert, Schwenke et d’autres opinent pour la priorité de l’Octavius ; Massebieau, Harnack, Monceaux pour la priorité de l’Apologeticum. Il faudrait, d’après ces derniers, mettre l’Octavius entre 197 et 250.