Wesley avait l’esprit trop actif et trop ouvert pour laisser les choses finales en dehors de sa théologie. Il ne les a pas étudiées sans doute d’une façon systématique ; mais, sans innover les grandes lignes de l’orthodoxie traditionnelle, il a eu, sur quelques points, des aperçus originaux qui méritent d’être relevés.
Sur le seuil de cette étude, nous rencontrons deux sermons de Wesley, datant des années de sa vieillesse et insérés par lui dans l’Arminian Magazine. Comme ils n’ont jamais été publiés en français, nous en donnerons quelques extraits.
Ce discours, le 60e de la collection, a pour but de montrer que le relèvement embrassera toute la création animée, et que les animaux, qui ont participé à la chute de l’homme, participeront aussi à sa restauration finale. Le texte, sur lequel Wesley appuie ces déclarations hardies, est le passage bien connu (Romains 8.19-22), où saint Paul semble annoncer la palingénésie universelle :
« La création attend, avec un ardent désir, que les enfants de Dieu soient manifestés. Car la création a été assujettie à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de celui qui l’y a assujettie. Et elle espère qu’elle aussi sera délivrée de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Car nous savons que, jusqu’à ce jour, toute la création ensemble soupire, et qu’elle est comme en travail. »
Après avoir cité divers passages de l’Écriture, relatifs aux soins que Dieu prend des animaux, Wesley cherche à établir, en premier lieu, quel fut l’état originel de la création animale. De l’état de l’homme primitif, créé à l’image de Dieu et moralement très supérieur à ce qu’il est devenu depuis la chute, il conclut, par analogie, que les animaux aussi devaient jouir d’un état supérieur à leur état présent. Ils jouissaient d’intelligence, de sentiment, de liberté. Mais l’homme leur était supérieur, parce qu’il possédait la connaissance de Dieu dont les animaux étaient privés. « La perfection de l’homme consistait à obéir à Dieu en L’aimant, et la perfection de l’animal consistait pareillement à obéir à l’homme en l’aimant. Ils étaient heureux et exempts de souffrance, et de plus immortels ; car la souffrance et la mort n’avaient pas place dans le paradis terrestre. »
Dans sa seconde partie, Wesley montre que les animaux, depuis le péché de l’homme, sont dans un état de profonde déchéance. L’homme était le canal de communication entre le Créateur et les créatures inférieures. Il s’est rendu impropre à cette sorte de médiation, la communication a été de la sorte interrompue, et ces créatures, comme dit saint Paul, « ont été assujetties à la vanité, non pas volontairement, mais à cause de celui qui les y a assujetties », c’est-à-dire du fait de l’homme. « De même que l’homme est dépouillé de sa perfection, qui consistait dans l’obéissance par amour à Dieu, les animaux ont été dépouillés de la leur, qui consistait à aimer et à servir l’homme. Le plus grand nombre fuient sa présence détestée, et, s’ils le peuvent, le combattent et le tuent. » Wesley, dans un tableau plein de vie et d’imagination, montre les animaux s’entre-dévorant, et il y voit l’une des conséquences du désordre que le péché de l’homme a jeté dans toute la création.
Ce désordre durera-t-il toujours ? La création inférieure demeurera-t-elle à jamais dans cette condition déplorable ? Cet « ardent désir », ce « soupir » et ce gémissement des créatures, ce « travail d’enfantement », que discernait l’apôtre, n’aboutiront-ils pas à la délivrance ? « Dieu nous garde, dit Wesley, d’entretenir une telle pensée ! Les soupirs des créatures ne se perdent pas dans l’air : Dieu les entend. Et le jour viendra où, « délivrées de la servitude de la corruption », non par l’annihilation qui ne serait pas une délivrance, elles participeront à la « liberté glorieuse des enfants de Dieu ».
Wesley croit que cette délivrance comprendra pour les animaux, non seulement, la restauration de la force, de l’intelligence et de la beauté qu’ils avaient à l’origine, mais un agrandissement de leurs facultés primitives. Leurs dispositions à la cruauté ou à l’égoïsme disparaîtront, et, selon les paroles du prophète, « le loup habitera avec l’agneau, et la panthère se couchera avec le chevreau ; le veau, le lionceau et le bétail seront ensemble, et un petit enfant les conduira. » (Ésaïe 11.6). « En compensation de ce qu’ils ont souffert, pendant qu’ils étaient dans la servitude de la corruption, lorsque Dieu aura renouvelé la face de la terre, ils jouiront d’une félicité appropriée à leur état, sans interruption et sans fin. »
Wesley va plus loin encore, et se demande si la bonté du Créateur ne voudra pas élever les animaux dans l’échelle des êtres et faire d’eux des créatures capables de le connaître et de l’aimer. « Cette hypothèse, dit-il, réfuterait l’objection contre la justice de Dieu, qui permet qu’un nombre incalculable de ses créatures soient sévèrement punies, quoique n’ayant pas péché. Cette objection tombe, si nous considérons que, pour ces pauvres créatures aussi, quelque chose de meilleur demeure après la mort, qu’elles seront délivrées de la servitude et qu’elles recevront une ample compensation pour tout ce qu’elles auront souffert dans la dispensation présente. »
Cette idée que les animaux participeront à la vie future n’est pas spéciale à Wesley et a eu des partisans assez nombreux à diverses époques. Elle ne nous paraît pas toutefois avoir un point d’appui solide dans l’Écriture, et pas davantage dans une saine psychologie. Les textes invoqués d’Esaïe et de saint Paul font allusion à une délivrance de l’espèce et non de l’individu. Sur la terre transformée et purifiée, les espèces animales vivront et se développeront dans des conditions normales, et participeront au relèvement humain, comme elles ont participé aux conséquences de la chute de l’homme. Mais l’hypothèse de la résurrection de tous les animaux, grands et petits, se heurte à des impossibilités. Elle fait honneur à l’âme généreuse et compatissante de Wesley ; mais elle demeure chez lui une opinion purement individuelle.
Sa conception de la vie animale avant la chute n’est pas soutenable, depuis que la science moderne nous a décrit ce qu’était la vie avant l’homme. Ce fut une lutte pour la vie intense et acharnée, et nullement un état de choses paradisiaque. Wesley n’a pas pu tenir compte de sciences qui n’existaient pas de son temps.
Ce qui est curieux, c’est qu’il a pressenti la doctrine de l’évolution, en supposant que l’animal pourra s’élever par degrés jusqu’à la vie morale et religieuse, qui est maintenant sur la terre le privilège de l’homme.
Jean de la Fléchère, le pieux ami de Wesley, partagea ses vues relativement à la permanence de la vie chez les animaux. Dans son poème français, la Grâce et la Nature, il dit, en s’adressant aux animaux domestiques :
Le fidèle ici-bas a déjà la victoire,
Et sur vous, tôt ou tard, rejaillira sa gloire
Peut-être comme nous, soudain ressuscités,
Par le sang de Jésus, avec nous rachetés,
Eprouvant de sa mort l’ineffable énergie,
Un jour vous connaîtrez le Prince de la vie.
La Fléchère déclare toutefois, dans une note, qu’il « n’offre cette idée que comme une conjecture, mais qu’elle n’est contraire ni à la raison, ni à l’Écriture Sainte. Car, dit-il, la raison regrette la perte de tant de corps organisés, dans la création desquels la sagesse et la puissance de Dieu brillent d’une manière si éclatante… Aussi longtemps que le démon, qui, a l’empire de la mort, retiendra dans ses chaînes une partie des êtres à qui l’Éternel avait donné la vie, on ne pourra chanter qu’en espérance le cantique triomphal de saint Paul : Ô sépulcre, où est ta victoire ? »
Il renvoie le lecteur à la Palingénésie du savant naturaliste genevois, Charles Bonnet, qui, en effet pense qu’« aucun des êtres qui souffrent dans ce monde, pas même les animaux, dont l’âme offre plus d’une affinité avec celle des hommes, ne sera exclu par le juste rémunérateur ; chaque être montera l’échelle de l’intelligenceb ». Bonnet croyait que les plantes mêmes sentiront un jour leur âme se dégager de l’engourdissement où elles sont plongéesc.
b – France Protestante, t. II, col. 855.
c – Encyclopédie Lichtenberger, t. II, p. 358.
Dans ce sermon, qui est le 64e du Recueil, Wesley traite ce texte : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Apocalypse 21.5), parole qu’il rapproche de celle par laquelle débute ce chapitre : « Puis je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle. » Cette prophétie annonce, d’après Wesley, un renouvellement intégral du monde physique. Il reconnaît qu’il est difficile de se rendre compte des transformations que pourra subir le ciel étoilé ; il se borne à affirmer qu’il n’y aura plus de comètes, astres néfastes pour lesquels il paraît éprouver l’aversion qui fut longtemps universelle. Mais peut-être s’agit-il simplement du ciel atmosphérique, et Wesley pense qu’il n’y aura plus d’orages, ni de vents impétueux, plus de tonnerres et plus d’éclairs, et que les pluies elles-mêmes cesseront, et, par conséquent, les nuées et les brouillards.
Pour ce qui est de la terre elle-même, Wesley, d’accord avec le Voyant de Patmos, croit qu’il n’y aura plus de mer, sur la terre renouvelée (Apocalypse 21.1) ; mais il suppose qu’il y aura toujours des fleuves et des rivières. Il oublie que leur existence est difficile à concilier avec la suppression des nuées et des océans.
Il suppose que l’axe de la terre sera redressé, et qu’en conséquence, il n’y aura plus des régions exposées à un froid intense et d’autres à une chaleur torride. Le feu central ayant disparu, il n’y aura plus ni secousses de tremblements de terre ni éruptions volcaniques. Y aura-t-il encore des montagnes aux flancs abrupts et aux précipices dangereux ? Wesley, qui ne paraît pas avoir eu des goûts d’alpiniste, n’admet que des collines aux pentes douces, qui ajouteront un élément de beauté à la nouvelle terre, sans nuire à la sécurité de ses habitants. Ceux-ci, d’ailleurs, devenus semblables aux anges, auront des moyens de locomotion analogues aux leurs, et « se transporteront, rapides comme la pensée, d’un bout du monde à l’autre ».
La végétation subira, elle aussi, une complète transformation : plus d’épines, de ronces, de chardons ; plus de plantes vénéneuses ou désagréables ; mais, au contraire, tout ce qui peut charmer le regard. « Tout ce que la plus brillante imagination peut concevoir sera dépassé. Nous ne regretterons plus la perte du Paradis terrestre, car nous en aurons un plus beau que celui qu’Adam posséda. »
Mais ce sera surtout la nature animée qui subira un changement radical. C’est dans ce domaine-là que se montrent surtout les déplorables effets de l’apostasie d’Adam. La douleur et la mort y sont souveraines. Les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des créatures sont dans l’obligation, pour se nourrir, de détruire les autres. « Cet horrible état de choses prendra fin. Sur la nouvelle terre, nulle créature ne tuera et ne fera souffrir d’autres êtres. Le scorpion n’aura plus d’aiguillon empoisonné, et la vipère de dent venimeuse. Le lion n’aura plus de griffes ni de dents pour déchirer l’agneau et broyer ses os. Aucune créature ne sera disposée à nuire à d’autres, car la cruauté et la sauvagerie auront disparu, et il ne sera plus question de violence et de destruction. »
« Mais, le plus glorieux de tous les changements sera celui qui se produira chez les hommes pécheurs et misérables. Ils sont tombés, à plusieurs égards, d’une plus grande hauteur dans une plus grande misère, qu’aucune autre partie de la création. Mais ils entendront la grande Voix venue du ciel, qui dira : Voici le tabernacle de Dieu au milieu des hommes ! Il habitera avec eux, et ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera avec eux (Apocalypse 21.3-4). Il en résultera, pour l’homme, un état de sainteté et de bonheur, très supérieur à celui dont jouissait Adam dans le paradis terrestre. Avec quelle beauté cet état est décrit par l’apôtre : Dieu essuiera toute larme de leurs yeux ; et la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni peine ; car les premières choses ont disparu. Il y aura une plus grande délivrance encore ; il y aura une union avec Dieu, profonde, intime, ininterrompue ; une communion constante avec le Père et son Fils Jésus-Christ, par le Saint-Esprit ; une jouissance continuelle du Dieu trois fois saint, et de toutes les créatures en lui. »
Wesley est très sobre de théories relatives à la fin du monde ; sa sagesse et son bon sens l’ont empêché de se jeter dans les rêveries chiliastes ou millénaires et dans les pronostics sur les temps et les moments, dont tant d’autres chrétiens abusaient de son temps, et qui, aujourd’hui encore, font divaguer tant de gens. Le Méthodisme a hérité de la modération et de la prudence de son fondateur sur ces questions obscures, qu’il laisse à l’appréciation de chacun.
Sur la question de la Parousie, ou seconde venue de Jésus-Christ sur la terre, j’ai cherché en vain, dans les œuvres de Wesley, des vues claires et précises. Cette venue, affirmée dans le Nouveau Testament, mentionnée dans les plus anciens symboles de l’Église, fait assurément partie de la foi de Wesley, mais il n’a pas senti le besoin de mettre au premier rang un enseignement sur lequel plane une obscurité mystérieuse. Saint Paul semble annoncer qu’avant l’avènement de Christ se produira la conversion générale des Juifs, amenant la conversion générale des Gentils (Romains 11.15, 25). Voici le commentaire que Wesley donne de ce texte dans ses Notes sur le Nouveau Testament : « Tant de prophéties annoncent ce grand événement qu’il est surprenant que certains chrétiens le contestent ; ces prophéties sont confirmées par la merveilleuse préservation des Juifs jusqu’à ce jour, comme peuple distinct. Quand elles s’accompliront, ce sera une démonstration si forte de la vérité de la révélation de l’Ancien et du Nouveau Testament, que cela convaincra sans doute des milliers de déistes, dans les contrées nominalement chrétiennes. Et ce sera un moyen de propager rapidement l’Évangile parmi les Mahométans et les païens, qui l’auraient reçu probablement depuis longtemps, s’ils n’avaient eu affaire qu’à de véritables chrétiens. »
Dans son sermon 63e, sur l’Effusion générale de l’Évangile, Wesley commente avec enthousiasme les prophéties qui annoncent que tout Israël sera sauvé et que « la plénitude des Gentils » se convertira. Il jette un regard, qu’on pourrait appeler prophétique, sur les progrès des missions chrétiennes, parmi les peuples, que les Églises, enfin réveillées, ont pour devoir d’amener à Jésus-Christ. Il croit que « de la même manière que Dieu a pu convertir à lui tant d’hommes dans le passé, sans détruire leur liberté, il pourra sans aucun doute convertir des nations entières, et même le monde entier ; car il lui est aussi facile de convertir un monde qu’un individu ». Le réveil dont lui et ses amis ont été les instruments en Angleterre, semble à Wesley le commencement de l’évangélisation universelle.
« Les prophètes de malheur, dit-il, prédisent que tout ce beau mouvement prendra fin, quand ses premiers instruments auront disparu. Qu’il y ait alors un grand ébranlement, c’est très probable ; mais je ne puis supposer que Dieu ait suscité une œuvre aussi glorieuse pour la laisser tomber et mourir au bout de quelques années. Non, j’ai la confiance que ce n’est ici que le commencement d’une œuvre beaucoup plus grande et l’aurore de la gloire des derniers jours. »
Il décrit les étapes probables de la marche graduelle de l’évangélisation du monde. D’Angleterre, elle se répandra d’abord au milieu des populations protestantes de Hollande, de France, de Suisse, d’Allemagne et de Scandinavie ; puis viendra le tour des populations purement catholiques : France, Italie, Espagne, Portugal. La conversion des peuples soi-disant chrétiens fera disparaître le grand obstacle qui empêche la conversion des Mahométans et des païens. « Le pauvre sauvage américain ne demandera plus : En quoi les chrétiens valent-ils mieux que nous ? quand ils les verront observer fidèlement les règles de la tempérance, de la justice, de la miséricorde et de la piété. Le païen du Malabar n’aura plus lieu de dire : Le chrétien me vole ma femme, s’enivre et tue. Le chrétien est un diable. Moi, pas chrétien ! Mais plutôt la vie sainte des chrétiens sera pour eux la preuve irrésistible ; leurs préjugés tomberont et ils recevront avec joie la vérité telle qu’elle est en Jésus. »
« Alors, conclut Wesley, tout Israël sera aussi sauvé. Car, comme dit le grand apôtre, une partie d’Israël est tombée dans l’endurcissement, jusqu’à ce que toute la multitude des Gentils soit entrée. Alors, le Libérateur viendra de Sion, et il éloignera de Jacob les iniquités (Romains 11.25-26). Oui, Dieu aura compassion d’Israël, et lui donnera toutes les bénédictions temporelles, aussi bien que spirituelles. » Et Wesley cite les belles promesses faites à l’ancien peuple de Dieu, de « le ramener dans le pays que possédaient ses pères » (Deutéronome 30.5), de « les rassembler de tous les pays où il les a chassés et de les y faire habiter en sûreté » (Jérémie 32.37), et encore, par la voix d’Ezéchiel (Ezé.36.24), la promesse de « les retirer d’entre les nations et de les rassembler dans leur pays. »
L’Écriture, en divers endroits, semble bien promettre la conversion de l’humanité tout entière, comme le prélude de la fin de la dispensation actuelle. Toutefois, le même apôtre saint Paul parle d’une grande apostasie qui précédera l’avènement de Christ. Il désigne le chef de cette apostasie, comme « l’homme de péché » (2 Thessaloniciens 2.3-4), qui est évidemment le même que saint Jean appelle « l’Antéchrist » (1 Jean 2.18, 22 ; 4.3). Wesley n’hésite pas à y voir la Papauté, tout en reconnaissant que « le mystère d’iniquité n’est pas confiné dans l’Église de Rome, mais s’étend aussi à d’autres », et que saint Jean, par exemple, « sous le terme d’antéchrist, ou d’esprit de l’antéchrist, inclut tous les faux docteurs, les ennemis de la vérité, et, en général, toutes les doctrines des hommes opposées à Christ » (Notes sur le Nouveau Testament).
La question du Millenium ne paraît pas avoir beaucoup préoccupé Wesley. On sait que le seul passage où il en soit question est dans Apocalypse 20.1-10. A l’avènement de Christ, les justes seuls ressuscitent ; ils règnent avec Christ sur la terre pendant mille ans, pendant lesquels Satan est lié. Au terme des mille ans, les méchants ressuscitent, Satan est délié, et le jugement dernier a lieu. Wesley, d’après ses Notes sur l’Apocalypse, autant que nous pouvons les comprendre (car elles ne sont pas très claires), acceptait, au sens littéral, cette période millénaire ; il croyait même qu’il y en aurait deux, mais il ne semble pas très sûr que le règne de Christ doive avoir lieu sur la terre. Nous avouons que nous avons de la peine, quant à nous, à prendre à la lettre cette description, où abondent les symboles et les images peintes de couleurs voyantes. Ce qui est frappant, c’est que cette mention des mille ans ne figure nulle part ailleurs, ni dans les Évangiles, ni dans les Épîtres. Les chiffres de l’Apocalypse ont toujours un sens symbolique ; il est probable que celui-là ne fait pas exception.
Nous devons constater toutefois que Wesley croyait au Millenium. Il écrivait, en 1764, à l’auteur d’un livre sur ce sujet : « Je dois vous remercier pour la solide et utile confirmation que vous donnez de cette doctrine consolante, de laquelle je ne saurais douter, aussi longtemps que je croirai à la Biblea. »
a – Vol. XII, p. 244, Lettre au Rév. H. (27 mars 1764).
D’autre part, Wesley avait trop de bon sens pour suivre les Chiliastes ou Millénaires de son temps dans les calculs auxquels ils se livraient sur la date du retour de Christ et du commencement du Millenium. Le pieux et savant Bengel, pour lequel il éprouvait une très grande estime, l’avait annoncé pour l’année 1836. Wesley écrivait à ce sujet à un ami, en 1788 : « Je n’ai pas d’opinion sur ce sujet, et j’estime que de tels calculs dépassent de fort haut mon entendement. Je n’ai qu’une chose à faire ici-bas : sauver mon âme et l’âme de ceux qui m’écoutent. » Le bruit ayant couru qu’il avait adhéré aux vues de Bengel, il écrivait à un autre ami : « Je n’ai jamais affirmé cela, et je ne me mêle pas de prédire quoi que ce soit en de telles matières : elles sont trop hautes pour moi. Je me borne à ramper dans la vallée de l’amour humble. »
Voilà Wesley ! Il se garde d’échafauder, sur quelques textes, des théories prophétiques, que l’événement se charge de démolir. Il a légué à ses disciples une attitude pleine de réserve au sujet de ces questions obscures, dont l’Écriture n’a pas voulu nous fournir des solutions, et qui restent livrées aux disputes des théologiens et de ceux qui croient l’être.
L’Église romaine, toujours prête à placer ses inventions dans les espaces laissés vides par la Révélation, a mis son Purgatoire à l’issue de la vie présente et en a fait un lieu d’expiation du péché et de régénération du pécheur par la souffrance. Wesley qui, cela va sans dire, a le Purgatoire en horreur et combat cette doctrine papiste, fait remarquer qu’elle vient en ligne directe du paganisme gréco-romain, et cite un passage de l’Énéide, de Virgile, où la purification des âmes est décrite comme s’accomplissant par l’air, par l’eau et par le feu, selon leur degré de souillure :
Supplicia expendunt : Aliæ panduntur inanes
Suspensæ ad ventos. Aliis sub gurgite vasto
Infectum eluitur scelus, aut exuritur ignib.
b – … alors s’expient dans les souffrances les fautes du passé. Ici les âmes suspendues dans le vide, sont le jouet des vents ; là, plongées au fond d’un lac immense, elles s’y lavent des taches qui les flétrissent ; ailleurs, elles se retrempent à l’ardeur des brasiers. (Traduction de de Guerle, ThéoTEX)
Et il ajoute : « Voyez la ressemblance étroite entre l’ancien et le moderne purgatoire ! Seulement, dans le purgatoire païen, le feu, l’eau et l’air étaient mis en réquisition pour purifier l’âme, tandis que, dans le purgatoire mystique, le feu est, à lui seul, jugé suffisant pour purifier et pour expier. Vain espoir ! Il n’est pas d’autres souffrances pour expier le péché que celles de Christ, et aucun feu, si ce n’est celui de l’amour, ne peut purifier l’âme, soit dans le temps, soit dans l’éternitéc. »
Sur l’Hadès, nous trouvons des déclarations intéressantes de Wesley, dans son sermon sur la Foi : le dernier qu’il ait composé, quelques semaines avant sa mort :
c – Sermon 112, « Le Riche et Lazare », Works, vol. VII, page 247.
« Nos traducteurs anglais, dit-il, se sont trouvés fort embarrassés pour traduire le mot grec Hadès. Il y a deux cents ans, il était suffisamment rendu par le mot enfer (en anglais, hell), qui avait alors à peu près le même sens et qui signifiait le monde invisible. Quand ils parlaient de la descente de Christ aux enfers, ils voulaient dire que, tandis que son corps était dans le sépulcre, son âme demeura dans l’Hadès — qui est le réceptacle des esprits séparés de leurs corps — depuis sa mort jusqu’à sa résurrection. Là, n’en doutons pas, les esprits des justes sont heureux au-delà de toute expression. Ils sont, comme dit saint Paul, avec le Seigneur, favorisés d’une telle communion avec lui que cela leur est beaucoup meilleur que tout ce que l’Apôtre avait pu expérimenter dans ce monde. D’un autre côté, nous apprenons par l’histoire du Riche et de Lazare, que le riche, dès le moment où il quitta ce monde, entra dans un état de tourments, et qu’il y a un grand abîme entre la place occupée par les esprits des saints et celle occupée par les esprits des injustes dans l’Hadès, en sorte qu’il est impossible pour les uns d’aller chez les autres.
Je ne puis donc arriver à une autre conclusion que celle-ci : que ceux qui sont avec le mauvais riche dans la partie malheureuse de l’Hadès, y resteront, gémissant, blasphémant et regardant en haut, jusqu’à ce qu’ils soient jetés dans le feu éternel, préparé pour le diable et pour ses anges. Et, d’un autre côté, pouvons-nous raisonnablement douter que ceux qui sont maintenant en paradis, dans le sein d’Abraham, toutes ces saintes âmes qui ont été séparées de leur corps depuis le commencement du monde, ne mûrissent continuellement pour le ciel, devenant toujours plus saintes et plus heureuses, jusqu’à ce qu’elles soient admises dans le royaume qui leur a été préparé dès la fondation du monde ?
… Ne pouvons-nous pas supposer, avec la plus grande probabilité, que les esprits des justes, quoique habitant le paradis ordinairement, peuvent quelquefois, dans la société des saints anges, servir les héritiers du salut ? Ne peuvent-ils pas, porteurs de messages d’amour, visiter de nouveau leurs frères d’ici-bas ? »
Wesley considère que, dans l’Hadès, se continue l’éducation des âmes, et qu’elles y progressent rapidement en connaissance, en sainteté et en bonheur, « conversant avec les âmes sages et saints, qui ont vécu depuis le commencement du monde, dans tous les siècles et dans toutes les nations ; avec les anges et les archanges, auprès desquels les fils des hommes ne sont que comme des enfants à la mamelle, et, par-dessus tout, avec le Fils éternel de Dieu, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance. Et ce qu’ils apprennent, ils le retiendront pour toujours, car l’oubli est une infirmité de l’esprit emprisonné dans un corps. »
Avec la riche imagination qu’il porta toujours dans sa théologie, et peut-être aussi avec cette sorte de divination qu’ont certains chrétiens aux approches de leur fin, Wesley essaye de se représenter comment l’univers matériel peut paraître, aux regards d’un pur esprit, pénétrant jusqu’à l’essence des choses, en embrassant l’ensemble et découvrant, avec ses sens nouveaux, des myriades de créatures que ne voient pas les organes de chair et de sang.
« Au moment, dit-il, où nous pénétrerons dans l’éternité, ne nous sentirons-nous pas comme engloutis en Celui qui remplit les cieux et la terre ? C’est le voile de la chair et du sang qui nous empêche d’apercevoir que le grand Créateur ne peut que remplir toute l’immensité de l’espace. Dans ce monde d’ombres, dans cette région de péché et de mort, il est caché à nos yeux par une nuée épaisse. Mais le voile disparaîtra, et il apparaîtra dans sa glorieuse majesté, Dieu au-dessus de toutes choses béni éternellement. »
Wesley n’hésite pas à penser que les esprits bienheureux, en mission sur la terre, au service de Dieu et des hommes, conservent une affection particulière pour leurs parents et leurs amis, encore dans la chair. Les liens sacrés établis ici-bas par la communauté du sang et par les affections ne se dissolvent pas dans la mort. C’est dire qu’on se reconnaîtra dans la vie future.
« Les sceptiques peuvent objecter : Comment des esprits dépouillés de corps se reconnaîtront-ils ? — Je n’en sais rien, répond Wesley, mais je suis sûr qu’ils se reconnaîtront. Est-ce que le riche et Lazare, dans l’Hadès, ne se sont pas reconnus, quoique séparés par un abîme ? A plus forte raison, les âmes réunies dans le paradis. »
Wesley trouve dans le vingtième chapitre de l’Apocalypse une preuve indiscutable, croit-il, à l’appui de la supposition que les esprits des bienheureux reçoivent de Dieu des missions spéciales auprès des habitants de la terre.
« Quand l’Apôtre Jean se prosterna pour adorer le glorieux esprit qui lui parlait, le prenant sans doute pour le Christ lui-même, il lui fut dit : Garde-toi de le faire ! Je suis ton compagnon de service, et celui de tes frères les prophètes. Ce n’était donc pas Dieu, ni un ange, mais un esprit humain. »
J’ai dit que ce sermon, qui porte pour titre La Foi (Hébreux 11.1), et qui devrait plutôt être intitulé L’Hadès, fut le dernier composé par Wesley. Il porte en effet la date : « Londres, 17 janvier 1791 », c’est-à-dire six semaines et deux jours avant sa mort, puisqu’il mourut le 2 mars de la même année, âgé de 88 ans. Au point de vue de l’ordre et de l’enchaînement des idées, ce discours laisse à désirer ; il y a des répétitions, et l’on sent que nous n’avons là qu’un premier jet, que l’auteur n’a pas eu le temps de revoir. Mais quels éclairs jette encore la pensée de cet admirable vieillard, au moment où la plume va lui tomber des mains ! On dirait que l’aurore naissante de la vie éternelle éclaire déjà son âme sanctifiée. Et la préoccupation qui le domine est bien celle qui convenait à ce puissant travailleur, à cet esprit avide de connaître toujours plus, afin de travailler toujours davantage. La vie d’outre-tombe, il ne peut pas se la représenter comme un sommeil, mais comme une activité plus haute et plus complète, avec des facultés renouvelées, au service de Dieu et de ses frères.
Ecoutons encore ces pages, qui sont comme son chant du cygne :
« Essayons de concevoir l’activité des âmes des justes. Certains philosophes prétendent que des esprits ne sauraient occuper un lieu défini. Ils oublient que, dans ce cas, ils seraient omniprésents, attribut qui n’appartient qu’à Dieu, l’Esprit tout-puissant. Les anciens Juifs appelaient Paradis la demeure des esprits bienheureux, et notre Seigneur a adopté ce terme, lors qu’il a dit au malfaiteur repentant : Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis. Mais qui pourrait dire ou suggérer dans quelle partie de l’univers est le Paradis, puisqu’il n’a pas plu à Dieu de nous rien révéler sur ce sujet ? Nous n’avons d’ailleurs aucun motif de penser que les justes soient confinés dans ce lieu ou dans tout autre. Ne pouvons-nous pas affirmer que, serviteurs de Dieu, comme les saints anges, ils obéissent à ses ordres et font sa volonté, soit parmi les habitants de la terre, soit dans toute autre partie de son empire ? Nous pouvons nous les représenter comme plus prompts, dans leurs mouvements, que la lumière, aussi rapides que la pensée et pouvant traverser l’univers entier en un clin d’œil, soit pour exécuter les commandements divins, soit pour contempler les œuvres de Dieu. Quel vaste champ est ouvert devant eux ! Et à quelle hauteur de connaissance ils peuvent s’élever en contemplant les œuvres de Dieu dans la création et la Providence, et sa sagesse dans l’Église ! Quelle profondeur de sagesse, de puissance et de bonté ils découvrent dans les méthodes par lesquelles il conduit à la gloire ses enfants ! Surtout lorsqu’ils conversent sur ces sujets avec les morts illustres des anciens jours : avec Adam, le premier homme ; avec Noé, qui fut le témoin du monde primitif et du monde en ruines ; avec Abraham, l’ami de Dieu ; avec Moïse, qui eut le privilège de parler avec Dieu, face à face ; avec Job, rendu parfait par ses souffrances ; avec Samuel, David, Salomon, Esaïe, Daniel, et tous les prophètes ; avec les apôtres ; avec la noble armée des martyrs et avec tous les saints qui ont vécu ou qui sont morts jusqu’à aujourd’hui ; avec nos frères aînés, les saints anges, les chérubins, les séraphins et toutes les cohortes des cieux ; et par-dessus tout, avec Jésus, le Médiateur de la Nouvelle Alliance ! Et en même temps, ils grandissent en sainteté, à l’image complète de Dieu, pour laquelle ils furent créés, dans l’amour de Dieu et de l’homme, dans la gratitude envers leur Créateur et dans la bienveillance envers les créatures ! … Et quel accroissement à leur bonheur de pouvoir servir ceux qu’ils ont laissés derrière eux, en quittant la terre ! »
Une telle théorie de la vie d’outre-tombe ne ressemble guère à ce sommeil des âmes qui a trouvé parmi nous un savant et habile défenseur. Il est curieux que, sur cette question, Wesley se rencontre avec Calvin, dont il diffère, comme on sait, sur d’autres questions importantesd.
d – Voyez E. Doumergue, Jean Calvin, t. IV, p. 244.
La doctrine de la résurrection est particulière au christianisme. Elle reconnaît dans le corps une partie essentielle et permanente de la nature humaine. Instrument du bien et du mal moral, le corps participera à ses destinées. Cette doctrine est en harmonie avec la teneur générale de l’enseignement chrétien, qui tient le corps en haute estime. L’Écriture Sainte parle de la résurrection des morts, et l’on n’y trouve pas l’expression : résurrection des corps, et encore moins celle de résurrection de la chair, qui figure dans le Symbole dit des apôtres. De nombreux textes prouvent toutefois qu’il s’agit bien d’une résurrection corporelle. Voyez Daniel 12.2 ; Luc 20.37 ; Jean 5.28-29 ; 6.39 ; Romains 8.11 ; 1 Corinthiens 6.14 ; et ch. 15.
La résurrection implique-t-elle une identité complète entre le corps actuel et le corps ressuscité, et le retour à la vie de toutes les particules, de tous les atomes qui entrent dans la composition du corps humain ? Les théologiens orthodoxes ne sont pas d’accord sur la réponse à faire à cette question ; les uns (Jérôme, Augustin, Tertullien) croient à l’identité absolue ; les autres, comme Origène, interprètent la résurrection dans un sens plus spiritualiste et y voient plutôt la création d’un corps nouveau et spirituel, qui emprunterait toutefois certains éléments au corps actuel. Tel semble bien être le point de vue de saint Paul, dans 1 Corinthiens chapitre 15. Wesley paraît se rattacher à ce point de vue dans ses Notes sur ce passage. On est un peu surpris de trouver dans le recueil de ses sermons (n° 137) un sermon sur la Résurrection des morts, qui défend l’idée que le corps ressuscité sera formé de tous les éléments physiques qui entraient dans le corps humain dans la vie actuelle. Mais ce sermon, écrit en 1732, à un moment où Wesley n’était pas encore arrivé à des vues claires sur les doctrines évangéliques, n’était pas destiné par lui à figurer dans ses œuvres et est d’ailleurs emprunté à un théologien anglais du 17e siècle, le docteur Galamy. Nous avons donc le droit de le considérer comme ne représentant pas les vues définitives de Wesley sur ce sujet.
Nous les trouvons plutôt dans le sermon sur les Grandes Assises, où il dit : « Tous les tombeaux s’ouvriront, et les corps morts ressusciteront, et la mer elle-même rendra les morts qui sont en elle, et chacun ressuscitera avec son propre corps, en substance du moins, mais doué de propriétés nouvelles qu’il nous est impossible de concevoir actuellement. »
C’est dans ce même sermon que nous trouvons exposées les vues de Wesley sur le Jugement dernier. Elles n’ont rien de particulièrement original, mais elles sont intéressantes.
Celui par qui Dieu jugera le monde, c’est son Fils unique, à qui il a donné l’autorité pour exercer le jugement, parce qu’il est le Fils de l’homme. C’est donc en sa qualité d’homme qu’il aura à juger les enfants des hommes. Le jour du jugement est désigné dans l’Écriture comme le Jour du Seigneur. Qui dira sa durée ? Pour le Seigneur, un jour est comme mille ans. Quelques pères de l’Église, s’appuyant sur cette déclaration, en ont conclu que le jour du jugement s’étendra sur une période de mille années. Mais il ne semble pas à Wesley que mille ans puissent suffire pour achever la tâche de ce jour, et il ne lui paraît pas improbable qu’il s’étende sur plusieurs milliers d’années.
Quant au lieu où nous serons jugés, Wesley suppose que ce sera, non sur la terre, mais dans les espaces planétaires. Voici ce qu’en écrit Mr Matter (Etude de la Doctrine chrétienne, t. II, p. 428.) :
Chaque être humain aura à rendre compte, non seulement de ses œuvres et de ses paroles, mais de ses pensées et de ses intentions. Wesley se demande si les mauvaises actions des justes, celles qui ont été pardonnées, reparaîtront aussi à la lumière. Ne serait-ce pas contraire à tant de déclarations où l’Éternel affirme qu’il ne se souviendra plus de nos iniquités ? Wesley répond : « Il semble absolument nécessaire, pour la pleine manifestation de la gloire de Dieu, et afin de montrer clairement et parfaitement sa sagesse, sa puissance et sa miséricorde en faveur des héritiers du salut, que toutes les circonstances de leur vie soient mises en pleine lumière, ainsi que toutes leurs dispositions, tous leurs désirs, toutes leurs pensées et tous les mouvements de leurs cœurs. Cette révélation remplira les justes d’une joie ineffable, bien loin de leur faire éprouver de la douleur et de la honte, pour leurs transgressions passées, dès longtemps effacées et lavées dans le sang de l’Agneau. Il leur suffira que, de toutes les transgressions qu’ils auront commises, aucune ne leur soit reprochée et que leurs péchés, leurs transgressions et leurs iniquités ne puissent plus les condamner. »
Jusqu’à quel point pouvons-nous suivre Wesley dans les vues qu’il exprime sur le jugement dernier ? Cette question se ramène à une autre : Faut-il prendre au pied de la lettre la description du jugement universel (Matthieu ch. 25), qui se présente encadrée dans des paraboles ? N’y a-t-il pas, dans cette assimilation à nos juridictions terrestres, une part à faire à l’anthropomorphisme ? L’esprit recule effrayé devant cette interminable succession de comparutions individuelles, où le passé de chacun serait exactement remémoré et le verdict prononcé.
Wesley suppose une durée de plusieurs milliers d’années pour ces grandes assises du genre humain ; et ce calcul serait inférieur à la réalité si les lents procédés de la justice humaine étaient applicables à la justice divine. Ne faut-il pas plutôt se représenter « une justice immanente », inhérente aux êtres, qui les portera à la rencontre de l’arrêt qu’ils auront mérité ?
« De même, dit A. Matter, qu’un aimant, approché d’un amas de poussière minérale, attire simultanément toutes les parcelles de fer et laisse inertes les autres, il en sera ainsi au jour de la Parousie ; par le seul éclat de sa présence, par l’affinité, la sympathie ou l’absence de cette sympathie entre Christ et les âmes qu’il est venu sauver, la distinction des enfants de Dieu et des rebelles apparaîtra instantanément, et la condition de chacun se trouvera fixée, avec la même précision que si tout son passé avait été minutieusement examiné. »
Sur l’Éternité des peines des réprouvés, Wesley n’a pas eu à se prononcer ex-professo. La question ne passionnait pas, on pourrait dire qu’elle ne troublait pas les chrétiens de son temps. Ses affirmations sur ce point sont orthodoxes. Il fait remarquer, dans sa note sur Matthieu 25.46, que c’est le même mot éternel, qui désigne la durée du châtiment des méchants et celle de la récompense des justes. Voici sur cette question les réflexions d’un théologien méthodiste français, le pasteur William Cornforth, longtemps directeur de l’école de théologie méthodiste de Lausanne. Il convient de dire qu’au début de son ministère, il avait penché vers le conditionnalisme.
« Dans nos jours, où tant de personnes ont cessé de croire à l’immortalité de l’âme et aux peines éternelles, il n’est que raisonnable que ceux qui n’ont pas eu des raisons suffisantes pour cesser d’y croire, indiquent les arguments qui appuient leurs convictions. Je me bornerai à l’examen d’un seul aspect de cette doctrine redoutable.
La doctrine de l’éternité des peines semble à beaucoup d’âmes droites et bienveillantes inconciliables avec le caractère de Dieu. Au lieu d’être un juge juste, Dieu semble plutôt un être d’une cruauté implacable, horrible et sans fin. Est-ce que la doctrine bien comprise justifie une telle appréciation ? Je ne le pense pas. Je repousse, pour ma part, tous les tableaux affreux des tourments de l’enfer, fruits d’une imagination égarée et de l’esprit crédule et cruel des moines du Moyen Age. Les Saintes Écritures sont très sobres de détails quant à la nature des peines éternelles. Plusieurs passages qu’on cite souvent comme description de l’enfer sont ou mal appliqués ou mal interprétés. L’enfer réel que Dieu a préparé pour les méchants sera aussi digne de sa justice, que le ciel qu’il a préparé pour son peuple le sera de son amour. Le mot de tourments, si souvent employé, éveille l’idée des tortures infligées aux martyrs d’autrefois, par leurs persécuteurs païens ou par les démons de l’Inquisition. Dans ce sens-là. Dieu n’inflige des tourments à personne. Il punit avec justice. Je ne connais pas non plus un seul texte des Écritures qui nous autorise à croire que le diable ou ses anges seront les bourreaux d’office pour infliger aux hommes perdus les châtiments auxquels la justice divine les condamne. Au contraire, Satan et ses anges seront battus de plus de coups à cause de leur rôle horrible de séducteurs de la race humaine.
Il y a une différence patente entre l’exercice de la justice de Dieu et de sa bonté. Tandis que la bonté de Dieu prodigue ses bienfaits avec une largesse qui ne se mesure nullement à nos mérites, la justice de Dieu pèse ses châtiments avec une exactitude scrupuleuse, qui ne lui permet pas d’infliger à un seul coupable un châtiment qui dépasse même dans le plus petit degré, ce que le coupable a mérité.
Je crois aussi que Dieu ne retire de la vie présente aucun homme qui n’ait fait le choix définitif entre le bien et le mal. Dieu voit, dès le commencement de la vie de chacun, quelle sera son histoire morale. La probation est un essai suffisant pour que le Souverain Juge constate à quoi l’âme aboutira définitivement.
Le mystérieux problème de l’existence du mal moral dépasse ma faible intelligence. Donc, je n’ose affirmer que celui qui a permis l’entrée et la durée permanente du mal dans l’économie actuelle ne puisse pas voir une raison pour que le mal subsiste encore dans le monde à venir, non plus mélangé avec le bien, se propageant et se développant, mais tenu à l’écart, une seconde Mer Morte recouvrant l’épouvantable Sodome du passé. »