Ἀναγέννησις, mot assez fréquent chez les Pères grecs (v. Suicer, Thes. s. v.), n’existe nulle part dans le N. T., quoique le verbe ἀναγεννάω s’y rencontre deux fois (1 Pierre 1.3, 23). Si nous y trouvions ἀναγέννησις, nous aurions un synonyme qui se rapprocherait davantage de παλιγγενεσία que ne le fait ἀνακαίνωσις ; cependant la parenté entre ces deux vocables est encore assez étroite pour nous autoriser à les comparer entre eux et à en distinguer les traits : du reste, le gain ne sera pas petit, pour le théologien pratique ou le ministre de la Parole, de pouvoir distinguer clairement la relation qui existe entre ces deux termes.
Παλιγγενεσία est un de ces mots nombreux que l’Évangile a trouvés et que, pour ainsi dire, il a glorifiés. En élargissant leur horizon, et en les transportant dans une sphère plus élevée, il en a fait l’expression de pensées plus profondes, de vérités infiniment plus grandes, qu’aucune de celles dont ils avaient été autrefois les représentants. Παλιγγενεσία était déjà, sans doute, en usage avant l’ère chrétienne, mais, comme la renaissance du chrétien ne vient qu’après celle du Christ ; comme la régénération de l’homme ne précède point, mais qu’elle suit sa génération, le mot n’a pu être employé dans son sens le plus élevé, le plus profond avant que ce grand mystère de la naissance du Fils de Dieu se fût accompli. Quoi qu’il en soit, il est très intéressant de retracer l’usage subordonné et (comme l’a prouvé l’expérience) préparatoire du mot. Dans la doctrine pythagoricienne de la transmigration des âmes, la réapparition de ces âmes dans de nouveaux corps s’appelait leur παλιγγενεσία (Plut. De Esu Car. 1.7 ; 2.6 : De Is. et Os. 35 : Ὀσίριδος αἱ ἀναβιώσεις καὶ παλιγγενεσίαι : De Ei ap. Delp. 9 : ἀποβιώσεις καὶ παλιγγενεσίαι). Pour les Stoïciens, le mot exprimait le renouvellement périodique de la terre, quand, produisant ses boutons et ses fleurs au printemps, elle s’éveille de son sommeil, et revit après sa mort d’hiver : ce réveil Marc-Antonin l’appelle (2.1) τὴν περιοδικὴν παλιγγενεσίαν τῶν ὅλων. Philon, à son tour, se sert constamment de παλιγγενεσία pour désigner la résurrection du monde matériel, résurrection qu’il compare à celle du phénix sortant du feu et qu’enseignaient les Stoïciens (De Incorr. Mun. 17, 21 ; De Mun. 15). Cicéron (Ad Attic. 6.6) appelle sa réintégration aux dignités et aux honneurs, après son retour de l’exil, par « hanc παλιγγενεσίαν nostram ». (Comparez Philon, Leg. ad Cai. 41). Josèphe (Ant. 11.39) caractérise la restauration de la nation juive, comme τὴν ἀνάκτησιν καὶ παλιγγενεσίαν τῆς πατρίδος. Et, pour citer encore un passage, le platonicien Olympiodore, de date plus récente, qualifie une de nos facultés, le souvenir ou la réminiscencec (qu’il faut avoir soin de ne pas confondre avec la mémoire), de nouvelle naissance, ou de παλιγγενεσία de la connaissance (Journ. des Savants, 1834, p. 488) : παλιγγενεσία τῆς γνώσεώς ἐστιν ἡ ἀνάμνησις.
c – Le but du passage d’Olympiodore est précisément de faire ressortir la vieille distinction aristotélicienne et platonicienne entre la mémoire (μνήμη) et le souvenir ou la réminiscence (ἀνάμνησις) ; la première est différente et commune aux hommes et aux bêtes ; la seconde est la revivification, par un acte distinct de la volonté, d’impressions effacées, le flux (au commandement de l’esprit) de notions que le reflux avait emportées (Plato, Leg. 5.732 b : ἀνάμνησις δ᾽ἐστὶν ἐπιῤῥοὴ φρονήσεως ἀπολιπούσης ; cf. Phil., Cong. Erud. Grat. 8) et c’est pourquoi l’ἀνάμνησις n’appartient qu’à l’homme (Arist., De Hist. Anim. i, 1,15). On verra aussitôt que ce n’est que de l’ἀνάμνησις qu’on peut dire et qu’Olympiodore a dit, en effet, qu’elle est la παλιγγενεσία τῆς γνώσεως.
Ainsi παλιγγενεσία, qui signifie dans le grec païen et dans le grec juif un recouvrement, un amendement, un réveil, n’y atteint cependant jamais à la profondeur de signification que ce mot acquiert dans le langage chrétien, il n’en approche pas même. Nous ne le rencontrons pas une seule fois dans l’A. T. (dans Job 14.14, c’est πάλιν γίνεσθαι), et deux fois seulement dans le Nouveau (Matthieu 19.28 ; Tite 3.5) ; mais dans ces deux cas, chose très remarquable, c’est avec des significations apparemment différentes. Dans les paroles de noire Seigneur, il y a évidemment une allusion à la nouvelle naissance de toute la création, à l’ἀποκατάστασις (Actes 3.21), — renouvellement qui aura lieu quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, tandis que le « baptême de la régénération » se rapporte à la nouvelle naissance, au réenfantement non pas de toute la création, mais de l’âme seule, fait incessant dans la nouvelle Alliance. Est-ce que πάντων παλιγγενεσία s’emploie donc dans deux sens différents, sans lien commun entre eux ? Nullement ; une telle supposition serait contraire à toutes les lois du langage. Le fait est plutôt que le Seigneur se sert du mot dans un sens plus large, et l’Apôtre, dans un sens plus étroit. Ce sont deux cercles d’idée, dont l’un est plus étendu que l’autre, mais dont le centre est le même. La παλιγγενεσία que proclame l’Écriture, commence par le μικρόκοσμος de l’âme individuelle ; mais elle ne s’arrête pas là ; elle ne cesse son salutaire travail qu’alors qu’elle a embrassé tout le μακρόκοσμος de l’univers. Le premier siège de la παλιγγενεσία, c’est l’âme de l’homme, et c’est d’elle que parle l’apôtre ; mais après y avoir établi son centre, la palingénésie s’étend en cercles toujours plus grands, et d’abord elle atteint le corps de l’homme dont le jour de la résurrection est le jour de sa παλιγγενεσία. Les Pères avaient donc jusqu’à un certain point raison, en faisant de παλιγγενεσία, dans Matthieu 19.28, l’équivalent d’ἀνάστασις, et en employant eux mêmes continuellement ces mots comme synonymes (Euseb. Hist. eccl. v, 1, 58 ; Suicer, Thes. s. v). Sans doute que notre Seigneur, dans le passage cité plus haut, présuppose la résurrection, mais il y inclut bien plus qu’elle. Par delà le jour de la résurrection, ou, peut-être, à la même époque, un jour viendra, que toute la nature se dépouillera de ses vêtements souillés, et se revêtira de sa robe de fête ; c’est le jour de la « restauration de toutes choses » (Actes 3.21), le jour des « nouveaux cieux et de la nouvelle terre » (Apocalypse 21.1) ; le jour après lequel, nous dit St. Paul, toute la création « soupire et est en travail jusqu’à présent » (Romains 8.21-23). Dès maintenant l’homme est l’objet de la παλιγγενεσία et de la merveilleuse transformation qu’elle implique, mais, en ce jour-là, cette transformation embrassera le monde entier, dont l’homme est la figure centrale. — On voit ici la conciliation des deux passages ; dans l’un le renouvellement est considéré comme appartenant à l’âme seule et dans l’autre, à toute la création des rachetés. Les deux se rapportent au même événement, mais à des époques et à des degrés différents de son développement.
Considérons maintenant ἀνακαίνωσις ; voyons sa relation avec παλιγγενεσία et les limites exactes de la signification de l’un et de l’autre mot. Ce vocable, qui est particulier au grec du N. T., ne s’y rencontre que deux fois, une fois associé à ἀνακαινόω (Tite 3.5), une autre fois dans Romains 12.2 ; mais nous trouvons ἀνακαινίζω, (forme verbale qui appartient aussi exclusivement au N. T.) dans 2 Corinthiens 4.6 et dans Colossiens 3.10 ; de même le terme plus classique d’ἀνακαινισμός, dans Hébreux 6.6, d’où sont tirés immédiatement les noms, fréquents dans les Pères grecs, d’ἀνακαίνισις et d’ἀνανεόω. Enfin, nous avons encore παλιγγενεσία dans Éphésiens 4.23 ; ces termes s’emploient tous de la même manière. La Collecte de Noël, dans la Liturgie anglaise, exprime admirablement bien la relation des deux termes. Nous y demandons, « qu’étant régénérés », c’est-à-dire qu’ayant déjà été faits participants de la παλιγγενεσία, nous puissions chaque jour « être renouvelés par le St. Esprit », c’est-à-dire, éprouver continuellement l’ἀνακαίνωσις Πνεύματος Ἁγίου. Dans cette collecte, qui rend comme tant d’autres les vérités théologiques sous leurs formes les plus rigoureuses, la « régénération » est considérée comme passée, comme ayant eu lieu une fois pour toutes, tandis que le « renouvellement » ou la « rénovation » est un acte qui, chaque jour, doit progresser en nous, puisque cette ἀνακαίνωσις est la restauration graduelle de l’image divine qui se développe toujours en celui qui, par la nouvelle naissance, a subi la puissance transformatrice du monde à venird. Cette restauration est appelée « le renouvellement du Saint Esprit », en tant que cet Esprit est la « causa efficiens », par laquelle seule s’effectue le revêtement du nouvel homme et le dépouillement de l’ancien.
d – Μεταμορφοῦσθε τῇ ἀνακαινώσει τοῦ νοός (Romains 12.2). Les paroles remarquables de Sénèque (Éphésiens 6) : « Intelligo me emendari non tantum, sed transfigurari », sont bien trop élevées pour exprimer des connaissances puisées dans les livres ou dans les écoles de philosophie ; elles s’appliquent à des bénédictions qu’on n’obtient point chez les hommes, mais seulement dans l’Église du Dieu vivant.
Les deux faits sont donc unis par les liens les plus étroits ; le second suit le premier dont il est la conséquence et le complément. La παλιγγενεσία est cet acte libre de la miséricorde et de la puissance divines, par lequel Dieu fait passer le pécheur du royaume des ténèbres à celui de la lumière, de la mort à la vie : c’est l’ἄνωθεν γεννηθῆναι de Jean 3.3 ; le γεννηθῆναι ἐκ Θεοῦ de 1 Jean 5.4 (que les théologiens grecs appellent, par conséquent, quelquefois θεογενεσία) ; le γεννηθῆναι ἐκ σπορᾶς ἀφθάρτου de 1 Pierre 1.23. Dans la παλιγγεσία — non dans ce qui la prépare, mais dans l’acte même — le sujet est passif, comme l’enfant qui n’a rien à faire avec sa naissance. Pour l’ἀνακαίνωσις c’est différent. Celle-ci est la conformité graduelle de l’homme avec le nouveau monde spirituel dans lequel il a été introduit et dans lequel il vit et se meut ; la restauration de l’image divine ; or, dans tout ceci, bien loin d’être passif, l’homme doit être co-ouvrier avec Dieu. La παλιγγεσία est la « regeneratio », ἀνακαίνωσις est la « renovatio ». Ces actes ne peuvent pas être séparés, mais ils ne peuvent pas non plus être confondus, comme Gerhard (Loc. Theol. xxi, 8, 113) l’a bien déclaré : « Renovatio, licet a regeneratione proprie et specialiter accepta distinguatur, individuo tamen et perpetuo nexu cum ea est conjuncta ». Quelles perplexités, quels conflits, quels scandales, quelles ténèbres répandues sur la vérité divine pour avoir tantôt confondu, tantôt séparé ces deux mots !