L’état de la Religion dans le bas Languedoc et les Ceuennes semble meriter une attention particuliere de la cour. A ne considerer que le bien de l’Etat et du service du Roy, on conçoit aisement qu’il est d’une grande importance de trauailler efficacement à ramener à la Religion catholique ceux que les prejugez de la naissance et de l’éducation en tiennent encore eloignez. Le nombre en est plus grand qu’on ne le croit peut être à la Cour, et l’opiniatreté dans l’erreur semble se fortifier de plus en plus.
Depuis la revocation de l’Edlt de Nantes, c’est à dire depuis plus de cinquante ans que le calvinisme est proscrit dans le royaume, la religion catholique a plus perdu qu’elle n’a gagné du moins dans les campagnes, et les precautions qu’on a prises jusques-icy pour n’avoir point été assez mesurées, n’ont seruy qu’a aigrir le mal et a commettre l’authorité du Roy.
En effet les reglemens sur cet article ont été extremement multipliez et il n’y en a presque aucun que s’executte. Les uns qui portaient la seuerité trop loin et dont l’exécution ne pouvoit guerre se concilier avec les loix de l’Église, ont été abandonnés et il paroit par les dernieres déclarations que la Cour en a senty les inconveniens, les autres quoique moins rigoureux pouvoient encor avoir des consequences dangereuses et prejudiciables au bien de l’Etat, et c’est peut-etre la raison pour laqu’elle on n’en a pas pressé l’exécution : telle est la disposition de plusieurs articles de la declaration de l’année 1724.
Cette condescendance de la Cour n’a seruy qu’à rendre les religionnaires plus obstinés et plus entreprenans, ils ont crû qu’on les craignoit : plusieurs même se sont imaginé et ont fait croire aux autres que les menagemens avec lesqu’els ils etoient traittés etoient un effet d’une pretendue conuention entre la Cour et les puissances protestanttes alliées de l’Etat, et c’est ce qui a fait que ces diuers reglemens ne les ont point allarmé. Il y en a même un grand nombre parmy eux qui osent encor esperer le rétablissement de la religion protestantte dans le royaume et qui entretiennent les autres dans ces idées.
Quelques differentes qu’aient été les vues de la Cour dans les reglemens qui ont successivement parû sur ce sujet, il semble qu’on ait toujours suppozé, comme le point fondamental de ces reglemens, qu’il n’y avoit point de religionnaires en France, que depuis la revocation de l’Edit de Nantes tous etoient censez catholiques, et c’est pour cela qu’on les appelle encore aujourd’huy nouveaux convertis. Or, il n’y a point de nom qui leur convienne moins.
Il est vrai que la pluspart ont été baptizés dans nos Églises, et que ceux qui l’ont été dans les Temples sont censez avoir fait abjuration ; mais il suffît d’avoir qu’elque connoissance du païs pour être persuadé qu’ils n’en sont pas pour cela meilleurs catholiques, et que leur eloignement pour l’Église n’a jamais été n’y plus vif n’y plus opiniâtre ; on scait assés de qu’elle maniere cette pretendue conversion s’opera sur la fin du siecle passé, et ce qu’un zele trop amer fit entreprendre contre les loix de l’Église pour flatter la pieté du feu Roy !
Il n’y a plus à la verité n’y ministres n’y temples ou l’on fasse un exercice public de la religion pretendue reformée. A cette publicité près, les choses sont presque les mêmes. Dans les lieux où les amandes sont exigées rigoureusement, les enfans viennent qu’elquefois à l’eglise, mais l’on connoit assés par leur dissipation et leur immodestie l’eloignement qu’ils puisent dans une education domestique contre la religion. Souvent même ceux a qui l’ingenuité de l’enfance ne permet point encore l’usage de la dissimulation, nous repondent dans nos visites, sur les élemens de la foy, comme, s’ils etaient éleués à Geneve. Dès qu’ils croyent pouvoir secouer le joug des amandes, alors ils ne se gênent plus, et nous ne les reuoyons à l’eglise que lorsqu’il est question de mariage ; et apres que le contract de mariage est signé, ils recommencent alors la même comédie qu’ils avoient joué dans leur enfance : cela dure qu’elques mois apres lesqu’els ils vont se jouer du sacrement de la pénitence, reçoivent la bénediction du mariage, et disent un éternel adieu à l’eglise. Il est inoüy qu’aucun d’eux se soit conuerty à l’occasion de ces épreuves. Si on les fait durer un peu trop longtemps, la cohabitation précede la benediction du mariage, et quand on veut les faire séparer, suiuant les regles, auant que de les marier, ils se degoutent, viuent dans le concubinage, et ne paroissent plus à l’eglise. Ils ont une si grande repugnance a y venir, que bien des peres ne veulent pas même y accompagneur leurs enfans quand on les baptize, et que souvent nous avons besoin de l’authorité des commandans pour les forcer a les y faire porter. Quand ils viennent à tomber malades, les pasteurs sont les derniers a en être informez, les parens cachent la maladie le plus qu’ils peuvent, et à les entendre ils meurent presque tous de mort subitte. Si le curé est informé de la maladie et qu’il insiste a vouloir voir le malade, il est toujours mieux, ou bien il est dans le sommeil ou dans l’effet de quelque remede ; les notaires, medecins, chirugiens et apotiquaires que l’on souffre contre toutes les regles exercer les professions, sans etre catholiques, n’ont garde d’auertir du danger. Alors quelques uns des freres, plus souvent quelques femmelettes ignorantes se mettent a exhorter la malade, ou a lui lire quelque liure protestant. Le malade meurt toûjours plein de confiance, et est enterré furtivement, sans que sa mort soit constatée par aucun monument public, ce qui n’empêche pas que sa succession ne soit partagée, son testament executé, n’y que sa veuve se remarie.
On les suppose catholiques, parce qu’ils n’ont point d’exercice public de la religion protestantte ; mais j’ôse auancer que dans bien des endroits il ne manque a cet exercice que la tolérance qu’ils auoient avant la révocation de l’edit de Nantes. Il se tient tres souvent des assemblées, et elles ont été plus frequente que jamais pendant les trois années de la guerre ; quand le païs a été degarny de troupes réglées, les religionnaires en s’attroupant ne prenoient pas même la precaution de se cacher, ils n’alloient plus s’enfoncer dans les bois n’y dans les défilés de leurs montagnes, c’étoit aux portes des villes et a la vue des églises qu’ils s’assembloient. On connoit par nom et surnom plusieurs predicans qui roulent dans les Ceuennes et la Vaunage, sans que malgré l’attention des commandans on ait pû les attraper, par les precautions que prennent les religionnaires pour les cacher ou les sauuer. Je scay par des voyes sures ce qui se passe dans ces sortes d’assemblées : elles commencent par le chant de quelques pseaumes de Marot suiuis de qu’elques prieres a la mode des eglises protestanttes ; la predicant fait ensuitte une espéce de sermon ; ces sortes de gens n’ont pour l’ordinaire n’y science n’y talent : ils prennent ce qu’ils disent dans les discours imprimé des ministres ; quelquefois, comme ils recitent un sermon de quelque predicateur catholique qu’ils accommodent a leur religion, ils y mêlent presque touiours qu’elques invectives seditieuses contre la religion catholique, quelquefois contre le gouuernement auqu’el il reproche la pretendue tyrannie qu’on exerce a leur egard, apres quoy ils flattent le peuple d’une prochaine delivrance. On fait ensuitte courir un chapeau, ou chacun met pour le predicant ce qu’il juge a propos. Ces sortes de questes vallent souuent plus de cent écus, et voilà le vrai motif qui engage ces sortes de gens à hazarder ce métier au risque de se faire pendre. Il est rare d’en trouuer parmi eux qui aient recû l’imposition des mains et la mission de quelque eglise protestantte : ce sont des libertins ou des feneans a qui la misere fait embrasser un metier si dangereux. La pluspart, sont des François refugiez en Hollande ou en Suisse ; les plus sages parmi eux, apres avoir amassé qu’elque chose, s’en retournent dans les païs étrangers.
Apres le sermon, il y a comme autrefois des anciens du consistoire qui font leur rapport du besoin des freres pour lesquels on fait une seconde quête ; outre ces quêtes ou la contribution est volontaire, il y a une taxe sur tous les chefs de famille pour subuenir aux depenses communes. Cette taxe est proportionnelle et augmente ou diminue chaque année ; quoique les préposez a la recette n’aient point d’action pour l’exiger, on assure que cette taxe est bien touiours payée, et que les fonds qui reuiennent au Roy pour la taille et la capitation resteraient plutôt en arriere.
On ne fait la Cene que dans les assemblées extraordinaires et dans le temps de Paques : c’est pour cela que les troupes sont bien plus alertes alors pour courir sur les assemblées qui sont plus frequentes et plus nombreuses. A la fin, on baptize les enfans s’ils s’en trouue qui ne l’aient pas été, et on marie les parties qui se presentent, c’est ce qu’on appelle les mariages faits au camp de l’Éternel. Il n’y a guerre que la canaille qui s’en tienne à ces sortes de mariage, quoiqu’ils soient regardés comme bons par tous les religionnaires, mais les personnes d’une certaine façon s’adressent à l’eglise pour éuiter les peines portées contre les concubinaires et pour assurer l’etat de leurs enfans.
Au reste ces sortes d’assemblées sont une source de dissolution et de libertinage ; comme elles se tiennent ordinairement pendant la nuit, la jeunesse de l’un et de l’autre sexe se sert de l’occasion qu’elles fournissent pour satisfaire de criminelles passions. On trouve dans ces assemblées des liures protestants qu’on fait venir des païs étrangers, et qu’on débittent a ceux qui en veulent achepter. Les anciens du consistoire, a qui les predicans s’adressent, indiquent les assemblées en faisant avertir de maison en maison.
Tels sont les pretendus nouveaux conuertis dans le bas Languedoc et les Ceuennes. Le nombre est à peû près le même qu’il etoit auant la revocation de l’edit de Nantes. Il y a peu de famille qui se soient veritablement conuerties, et nous en comptons plusieurs d’anciens catholiques qui se sont peruerties ; et en cela la religion catholique souffre un desauentage réel depuis l’interdiction de la pretendue reforme : car, auparauant, la peruersion étoit seuerement punie ; on en auoit même ôté la principalle cause en deffendant et en declarant nuls les mariages des catholiques avec les pretendus reformés ; au lieu qu’aujourd’huy, sur le principe qu’il n’y a qu’une seule religion en France, la peruersion ne peut être constatée, et les mariages se font librement entre des personnes qui, malgré la supposition qu’on veut bien faire, ont des sentimens tout opposez sur la religion. Or l’experience nous apprend que de ces mariages mi parties les enfans qui en naissent prennent ordinairement la mauuaise religion. Elle est plus commode puisqu’elle ne gene en rien, et puis le penchant naturel au desordre et a l’independance y trouve mieux son compte. D’ailleurs, on a remarqué dans tous les temps, que ceux qui font profession d’une religion proscritte, ont toûiours plus de zele que les autres pour l’inspirer a ceux sur qui ils ont quelque authorité ; il arriue que dans les lieux ou le gros de la bourgeoisie est composé de religionnaires, les catholiques qui se trouuent en petit nombre, et des plus pauvres, s’eloignent insensiblement de l’eglise par interest ou par complaisance. Le commerce et les manufactures sont entièrement aux gens de la religion : cela fait que les ouvriers et les artisans pour se procurer du crédit, de la protection, et de l’ouurage se conforment a l’exemple de ceux de qui ils dependent ; de même les domestiques, surtout dans les campagnes, oublient bientôt la religion catholique qu’ils avoient pratiqué dans leur païs : on leur fait manquer les offices de l’eglise, ils ne peuuent pratiquer l’abstinence les jour marqués, on les fait travailler les fêtes ; les catholiques eux-même qui trauaillent pour leur compte s’accoutument à ne plus observer de fêtes. L’exemple, le libertinage et l’enuie de gagner leur fait mepriser les loix de l’eglise quoiqu’ils fassent encore profession de catholicité.
Le nombre des religionnaires est plus considérable qu’on ne se l’imagine, aussi bien que l’etendue du païs qu’ils habitent. Il suffit pour en juger d’examiner l’etat des trois dioceses ou ils sont en plus grand nombre, à sçavoir d’Uzès, de Nîmes et d’Alais. Je ne parle point de ceux du diocèse de Montpellier, de Viuarais, du Géuaudan et du Rouergue, cela n’est pas un objet si considérable dans ces differens endroits, et d’ailleurs je n’en ay pas une connoissance si certaine. Les trois diocezes dont je viens de parler sont composés de près de quatre cens paroisses, sur lesquelles il y a environ vingt cinq villes ou gros bourgs. L’étendue de l’orient a l’occident, c’est à dire depuis le Rhosne jusqu’au Rouergue, est de près de vingt cinq lieues du païs, qui en feroient quarante des enuirons de Paris ; il y en a presque autant du midy au septentrion, c’est à dire depuis Aiguemorte et la mer jusqu’au Géuaudan. De ces quatre cens paroisses il y en a plus de deux cens entierrement composées de religionnaires, cent cinquante enuiron qui sont mi parties, mais ou les religionnaires sont le plus riche et le plus grand nombre, et peut être cinquante qui sont censez entierement catholique. On peut supposer quatre cens personnes par paroisses l’une portant l’autre, ce qui fait cent soixante mille ames dans les trois dioceses, desqu elles il y en a bien par consequent cent vingt mille de religionnaires. Si on y joignoit ceux des enuirons, cela iroit a pres de deux cent mille ; que seroit-ce si on y comprenoit ceux du haut Languedoc, du Dauphiné, de la Xaintonge et du Poitou ?
Cette multitude de gens dispersés dans tout le royaume, qui se croient injustement persecutés, a qui on ne cesse d’inspirer des sentimens de haine et de fureur contre l’église catholique et ceux qui la gouuernent, qui entretiennent des liaisons au dehors du roiaume par les liures qu’ils reçoivent et les predicans qui en viennent, qui y enuoient leurs enfans, et qui y ont presque tous des parens et alliés méritte sans doute une attention particuliere de la Cour. On ne peut pas dire il est vrai que leurs assemblées se fassent a main armée n’y qu’ils s’i rendent pour autre chose que pour l’exercice de leur religion ; mais quand bien même on n’auroit rien à craindre pour le present, pourroit-on répondre de l’auenir ? Il ne faudrait peut-être qu’une guerre, surtout une, les puissances protestanttes, pour voir se renouueller dans le cœur du Royaume les desordres dont on fut témoin au commencement de ce siècle. C’est un feu qui couue et qui ne sera jamais bien éteint que par la reunion sincere de ces religionnaires a la foy catholique.
On en doit être bien conuaincu par les precautions qu’il faut prendre pour contenir le païs qu’ils habitent dans la tranquilité et la soumission, et il en coûte assez cher au Roy pour faire sentir l’importance de trauailler efficacement a les ramener a la foy de l’église. Il faut cinq ou six mille hommes de troupes reglées pour garder le bas Languedoc et les Ceuennes. Or quand la paix sera bien établie ces troupes seraient inutiles au Roy puisqu’il n’en aura besoin que pour garder les frontieres du Royaume. Cette surcharge paraît encor mieux dans les temps de guerre, puisque outre les trouppes qu’on envoye contre les ennemis de l’Etat, il faut encor que le Roy en entretienne dans le Royaume pour contenir ses propres sujets. Nous en auons un exemple tout recent, puisque l’on a été obligé de créer plusieurs bataillons d’arquebusier qui ont beaucoup coûté à l’Etat pour remplacer les troupes reglées qu’on a enuoyé pendant cette guerre en Allemagne et en Italie.
En effet malgré cette tranquilité apparente qui régne parmi les religionnaires, on s’apperçoit aisément, quand on les a pratiqué quelque temps, combien peu ils sont affectionnés au bien de l’Etat. L’amour de la patrie si naturel aux François semble entierrement éteint dans leurs cœurs ; on diroit que nos succès les attristent, et nous remarquions aisément quand on receuoit qu’elques nouvelles de la prosperité des armes du Roy pendant cette guerre, que leurs sentimens sur ce point etoient fort différent de ceux des anciens catholiques.
Une autre raison plus particuliere aux ecclesiastiques qui leur fait souhaitter quelques reglemens de la Cour, c’est l’embarras où ils se trouvent au sujet des mariages de ces religionnaires. Les Euesques ont bien de la peine a concilier sur ce point les loix de l’Église avec le bien de l’Etat qui semble demander que les mariages soient facilités autant qu’il est possible. Or comment donner un sacrement de l’Église, et un sacrement qui suppose la grace et une conscience pure, à des gens qui font profession de ne pas croire à l’Église, et qui ne donnent aucune marque de catholicité. La pratique sur ce point h’est pas uniforme dans tous les dioceses ou il se trouve des Religionnaires. Partout on exige quelque temps d’epreuue, pendant lequ’el on instruit les fiancez, on exige ensuitte une profession de foy, par laquelle ils disent qu’ils croyent tout ce que l’Église catholique, apostolique et romaine croit et enseigne, et qu’ils condamnent tout ce qu’elle condamne, et promettent de vivre et mourir dans cette foy. Cette épreuve est plus longue dans certains dioceses et plus courte dans d’autres. Icy la profession de foy se fait de viue voix, là on l’exige par écrit. Partout on oblige les fiancés de se presenter à confesse : bien entendu qu’ils se jouent de ce sacrement et qu’on ne leur donne jamais d’absolution.
Mais a parler ingénuement tout cela semble un jeu, les epreuues longues ou courtes ne servent qu’a les aigrir plus ou moins, et ils ne font pas de difficulté de dire que c’est une vexation qu’on exerce a leur egard. Ils aprennent et repettent par routine quelques reponses aux principalles demandes de la doctrine chretienne ; leur presence a l’eglise et aux mystères qui s’y celebrent ne font que les profaner par leur immodestie et leur manque de foy ; la parole de Dieu deuient pour eux une source de blasphèmes et de plaisanteries. En multipliant les sermens et les abjurations, on fait multiplier les parjures ; et tout cela finit par quatre sacrilèges a sçavoir la double profanation des sacremens de penitence et de mariage pour l’une et l’autre partie.
On sent assez combien il est difficile de prendre un bon parti au sujet de ces mariages. Après avoir consulté la dessus les personnes les plus eclairées, nous nous trouvons encor exposez a de grands embarras et a bien des inquiétudes ; l’unique moyen de remedier à tous ces inconueniens seroit de prendre des moyens plus surs et plus efficaces que par le passé, pour ramener ces religionnaires au sein de l’Église, et peut-être ne trouuera-t-on pas mauvais que je dise icy mon sentiment sur ce point. Un peu d’experience, de frequentes conversations avec les personnes les plus eclairées et les mieux au fait, une connoissance assez exacte des dispositions de ces religionnaires par la confiance que plusieurs d’entre eux m’ont témoigné, mais principalement les lumières. que j’ai tiré de ceux que Dieu a ramené au sein de l’Église par mon ministère dans le cours de mes missions, principalement dans le diocese de Nîmes, tout cela peut faire excuser la liberté que je prens d’hazarder icy quelques conjectures.
Mais auparavant il est à propos de faire connoitre qu’elles sont les dispositions des Religionnaires par rapport a leur religion. Il y en a peu qui y soient attachéz par un veritable zele : la pluspart ne la connoissent seulement pas. Il semble qu’ils n’aient herité de leurs ancestres que cette haine envenimée contre l’Église et ses pasteurs, qui a toûiours fait le caractère des protestants ; les ministres étrangers et les predicans qui courent le païs s’attachent plus à leur inspirer de l’horreur de notre religion qu’à leur enseigner la leur, ils nous depeignent avec les couleurs les plus affreuses : c’est pour cela qu’ils nous regardent comme leurs plus cruels ennemis et comme les auteurs de tous leurs maux ; ils croient que si les ecclésiastiques en etoient crû, ils seroient bientôt exterminez. J’ai été témoin de ces préventions quand j’ai eû occasion de leur parler en public ou en particulier. Je le faisois toujours avec toute la douceur possible, je les plaignois de n’être pas dans le bon chemin, j’ajoûtois que je ne pouuois cependant les blâmer de ne pas embrasser une religion qu’ils ne croyoient pas la veritable, qu’il n’etoit question que d’examiner qui d’eux ou de nous étoient dans l’erreur, que je m’offrois d’eclaircir leurs doutes, avec toutte la charité dont j’étois capable, mais qu’en attendant ils demeurassent tranquîls, qu’ils se contentassent de prier Dieu dans leurs maisons sans s’attrouper, et que s’ils n’etoient pas encor enfans soumis de l’Église, ils fussent au moins bons seruiteurs du Roy ; ces discours me faisoient regarder avec étonnement, quelque fois même ayant employé mes prieres et mon credit pour detourner des punitions dont ils etoient menacez, on ne sauroit croire le bon effet que cela produisoit.
La pluspart ne tiennent a leur religion que parce qu’ils ont succé ces sentimens avec le lait, ou bien parce qu’ils auraient honte d’en sortir ; l’education la leur a fait prendre, l’habitude et le libertinage les y entretiennent, ou bien s’ils sont ébranlez pour en sortir, la crainte et le respect humain les en empêche. Plusieurs m’ont souuent dit qu’ils voudroient avoir un pretexte assez fort pour pouvoir se mettre au-dessus des reproches et du respect humain, et qu’alors ils ne balanceroient pas ; d’autres y tiennent par interest ou par complaisance, peu enfin par des motifs de conscience.
Il n’est donc question que de rompre ces liens qui les attachent pour les voir revenir dans le sein de l’Église. Or la violence n’y est nullement propre, il est inutile de le prouuer. La Cour semble l’avoir reconnu en se departant des voyes de rigueur qu’on auoit voulu d’abord employer. Apres tout il n’y a rien sur quoi la force ait moins d’empire que sur la façon de penser ; la religion se persuade, elle ne se commande point ; on peut bien employer la force pour arrêter les predicans et empêcher les assemblées, parce que cela interesse le seruice du Roy et la tranquilité publique, mais obliger des gens de professer une Religion qu’ils ne croient pas bonne, cela est contraire aux loix de l’Église, et ne seruiroit qu’a les aigrir davantage. En effet, l’entrée de l’Église doit être interditte aux excommuniez. Les loix de l’Église deffendent d’admettre à la celebration des saints misteres les cathecumenes et les pêcheurs publics, et l’on regarderait comme un acte de religion d’y trainer malgré eux des chretiens qui sont censez excommuniez, soit pour croire des erreurs condamnées, soit pour n’avoir jamais satisfait au devoir pascal ! Il est bien plus convenable de laisser aux ministres de l’Église la liberté d’en exclure ceux qui ne mérittent pas d’y assister, et de faire naitre en même temps a ceux-cy le desir d’y être admis.
Et voila, je crois, le moyen le plus doux, le plus conforme a l’esprit de l’Église et en même temps le plus efficace pour les ramener, qui est de leur faire souhaitter d’être mis au nombre des catholiques, et de leurs faire regarder comme une récompense de leurs bonnes dispositions de pouuoir l’obtenir. Pour cela il n’est question que d’attacher à leur religion un caractere d’opprobre et d’infamie qui leur fasse souhaiter à eux mêmes d’en sortir. On s’est déjà apperçû que ce moyen a eu un plein succez par rapport à la haute noblesse du Royaume qui, regardant la religion protestante comme un obstacle a sa fortune et aux graces du Prince, n’a pas tardé a la quitter, et l’on ne doit pas être en peine sur ce qui reste de gentils-hommes religionnaires, le nombre en est beaucoup plus petit qu’il n’etoit, et on doit attendre qu’il n’y en aura bientôt plus ; la noblesse se depaïse par le service ou par les charges, elle a honte de faire profession d’une religion proscritte, et qui semble n’être plus suiuie que par qu’elque canaille, et dans deux ou trois generations elle sera surement de la religion du Prince. On ne doit pas non plus s’embarrasser beaucoup de la vile populace ; quand elle ne sera plus soutenue par l’exemple de la bourgeoisie, le besoin, là dependance, le penchant qu’elle a de se conformer à l’exemple des autres la fera pareillement rentrer en foule dans l’Église.
Il ne s’agit donc que de cet etat mitoyen qui est entre la nôblesse et le bas peuple et qui compose la bourgeoisie. Or, sans rien statuer de nouueau, il semble qu’il suffiroit, conformément aux Edits et Declarations, de priuer de tous grades, charges, emplois, offices publics, ceux qui ne feroient profession ouvertement de la religion catholique, apostolique et romaine ; il conuiendroit encor d’y comprendre les bouchers et cabaretiers et autres qui debitent de la viande affin que les loix de l’Église ne fussent pas violées par rapport a l’abstinence, aussi, bien que les chirugiens apotiquaires et sages femmes attendu la qualité de leur profession, et pour cela qu’on deffendit aux universités d’accorder aucun grade, soit en droit, soit en médecine, qu’on ne leur eut fait apparoir d’un certificat de catholicité ; qu’on fit pareille deffense aux seigneurs justiciers d’instituer des juges, lieutenans, procureurs fiscaux, greffiers, notaires, etc., qu’il ne leur eut été exhibé un pareil certificat, duqu’el il seroit fait mention dans les lettres ou prouisions qu’il seroient expédiées a peine de confiscation de la justice ; mêmes defienses aux maires et consuls pour les officiers des hôtels de ville, et aux lieutenans de police et syndics des communautez, pour les bouchers, cabaretiers, chirugiens et apotiquaires, etc. Si ce règlement étoit executé, il opereroit infailliblement un grand changement ; car les parens qui voudroient pourvoir leurs enfans de quelques charges auroient un pretexte suffisant pour secouer le joug du respect humain qui les retient presque tous ; il pouroit bien arriuer que ces enfans n’en seroient pas meilleurs catholiques dans le cœur, mais à la seconde ou troisième generations leurs descendans seroient tous comme les autres. Les religionnaires ne pourroient pas se plaindre de cette loy. Car outre qu’elle n’est pas nouuelle, elle ne force personne, elle n’exclue pas même nommement les religionnaires, parce qu’on doit toujours supposer qu’il n’y a qu’une religion en France, elle fait seulement connoitre que la volonté du Roy est qu’on donne des marques publiques de catholicité pour pouvoir exercer une charge ou un emploi public. Par là, ceux qui ne voudroient pas donner ces preuues exterieures de religion seroient réduits au seul commerce, ou a ne rien faire ; et ainsy on s’accoutumeroit peu à peu à les confondre avec les juifs.
Or, la preuue de la catholicité seroit de frequenter l’eglise, et d’avoir satisfait au devoir pascal. Mais comme on peut être bon catholique et mauvais chretien, et qu’on peut auoir de bonnes raisons pour manquer à la communion pascalle il suffiroit que le certificat portât qu’on y eut satisfait depuis trois ans. Ces certificats seroient délivrés par les curez des parties : mais pour éuiter l’abus et la connivence, il seroit a propos que les curez fissent un catalogue de tous ceux qui se seroient présentés à la communion, que ce registre fut signé de lui et du juge, et qu’un double conforme en fut envoyé au secretariat de l’euesché trois mois après Pâques, que ces certificats ne fissent foy qu’autant qu’ils seroient affirmés veritables par deux temoins dignes de foy et anciens catholiques qui attesteraient l’assiduité à l’eglise, et qu’autant qu’ils seroient légalisés par l’evêque diocesain ou son grand vicaire afin qu’on fut a portée de verifier sur le double qu’on auroit si ces certificats contiennent vérité.
Ceux qui sont issus de familles religionnaires, et qui exercent porter dans six mois de pareils certificats a peine d’interdiction, avec ordre aux seigneurs, juges royaux et autres, aux maires, consuls, etc., de tenir la main à ce reglement, a peine d’en répondre en leur propre et priué nom.
Quoiqu’on ait dit cy dessus qu’il ne paroissoit pas conuenable de forcer personne à venir à l’eglise, il semble que cela ne doit regarder que les personnes qui, par leur age, sont censez en état de se décider par elles-mêmes sur la religion qu’elles veulent professer ; ainsy il paroit a propos de continuera exiger que les enfans viennent aux instructions, a peine d’amende contre les peres et meres, comme il se pratique.
On peut encore suiure la disposition de l’article sixieme de la declaration de 1724 au sujet des mariages, et ordonner en consequence que les enfans, qui n’auront point fréquentés l’eglise jusques à l’âge de quatorze ans, ne seront point admis par les curez à la benediction du mariage, que pour cela ils tiendront un registre de tous les enfans de leurs paroisses qui se trouueront dans le cas, et qu’ils marqueront année par année si lesdits enfans sont exacts ou non : mais comme il y a trop de rigueur à priuer pour toujours de la benediction du mariage les enfans qui n’auroient point assisté à l’eglise, on pourroit remettre à la prudence des evêques de regler le temps de leurs épreuues et instruction quand ils se présenteroient pour le mariage, lequel temps ne pouroit être plus court que d’un an, comme il se pratique dans le diocèse d’Alais. Il y a apparence que si on exécutoit exactement le reglement proposé au sujet des charges et offices publics on ne seroit pas a la peine de regler ces épreuues, parce que selon les apparences on enuoiroit exactement les enfans à l’Église.
Comme une des principalles sources de l’obstination des religionnaires est l’éducation protestantte que les enfans vont puiser dans les païs étrangers sous pretextes d’affaires, d’y aller voir leurs parens, ou d’y apprendre le commerce, il faudrait que cela fut severement deffendu, qu’on n’en accordat que tres difficilement la permission, que les parens fussent tenus de les representer quand ils en seraient requis et qu’il fussent rendus responsables de leur éuasion en leur propre et privé nom.
Il arriue encor frequemment que des étrangers de la religion protestantte viennent s’établir dans les païs religionnaires du roïaume en qualités d’ouuriers, artisans, négotians, commerçans, ou d’agens des marchans étrangers, et comme ils sont au fait de l’exercice de la religion pretendue reformée, leur commerce ne peut être que tres prejudiciable à la conuersion de nos religionnaires ; c’est pourquoi il est d’une extrême consequence de ne laisser établir dans le païs que des personnes qui puissent prouver leur catholicité.
Les concubinages occasionnés par le delay de la benediction du mariage, ce qui est tres frequent, aussi bien que la persecution des anciens catholiques doivent être seuerement punis. Pour y remedier, il contiendrait d’ordonner aux procureurs du Roy, ou des seigneurs, que sur la denonciation qui leur seroit faitte par les curez ou les promoteurs que tel et tel cohabittent ensemble sans être mariez, ou qu’un tel de famille ancienne catholique a cessé de frequenter l’eglise et n’a point satisfait depuis trois ans au devoir pascal, ils eussent a remedier a ces desordres à peine d’interdiction.
Pour couper court à l’obstination des religionnaires, l’essentiel seroit d’empêcher les assemblées, et pour cela de capturer les predicans. Il n’est pas de mon ministere d’en indiquer les moyens, mais ceux qui ont l’authôrité en main dans la province, scâuent assez qu’il ne faudroit pour cela qu’un peu de depense pour être auerty a propos ; ces frais ne seraient point à charge à l’Etat, parce qu’ils pourraient être pris sur les fonds des amandes qu’on tire des enfans qui manquent aux instructions.
L’expedient des arrondissemens qu’on a imaginé depuis quelques années, par lequ’el on a joint plusieurs paroisses ensemble en les rendant solidairement responsables des assemblées qui se tiendraient dans l’etendue de l’arrondissement, paroit encor tres bon ; mais pour en tirer plus d’avantage, il faudroit que l’interet engageat quelqu’un de ceux qui sçavent ces assemblées à en venir donner advis assez à temps pour qu’on les put surprendre. Ces moyens mis en pratique et ponctuellement executés opéreroient selon les apparences un grand changement dans quelque temps, mais il faudroit qu’on tint la main à leur execution, autrement l’authôrité du Roy se trouve commise, et l’opiniatreté se fortifie. Il n’y a dans tout cecy aucun reglement nouveau, et ce sont les plus moderez de ceux qui ont été déjà faits qu’il est question de remettre en vigueur ; onauroit lieu d’en esperer encor un succez plus abondant, s’ils étoient partout également soutenus par le zele et les trauaux des ecclesiastiques. Il y a des cantons ou l’on remarque des dispositions plus favorables pour rentrer dans le sein de l’Église, tels sont plusieurs endroits du diocese de Nîmes. Nous en avons plus ramené à Saint-Gille et à Sommières que dans touttes les autres missions que nous avons faittes ailleurs. Les religionnaires y sont plus dociles, ils écoutent avec attention ce qu’on leur dit, ils n’ont pas un si grand éloignement de l’eglise, ils aiment la parole de Dieu, même annoncée par les ecclésiastiques ; ainsi, en les traittant avec douceur et charité, on peut tout attendre de ses trauaux ; si Dieu donne à ce diocèse un éuêque qui ait du zele, de la capacité, de la douceur, qui aime le trauail et qui soit en état de payer de sa personne, je repondrois bien que dans peu la religion y feroit de grands progrez.
Nos religionnaires des Ceuennes ne sont pas à beaucoup près si dociles. Il semble que le païs sauvage qu’ils habittent influe sur leur caractère ; d’ailleurs, comme les villages ne sont pas ramassez comme dans la Vaunage, et que les paroisses tiennent une étendue immense de païs impraticable, on ne peut pas les assembler pour leur parler et les instruire, ainsy on ne peut pas y trauailler avec autant de succez que dans le plat païs.