Suite de la même preuve.
Ce qu’il y a de plus considérable, c’est qu’à examiner toutes ces expressions dans le détail, on trouvera qu’il n’y en a aucune qui puisse avoir le sens que nos adversaires lui attachent.
Cette expression : le commencement, ou au commencement quand elle est ainsi générale, signifie toujours le commencement du monde ; ainsi il est dit, Jean ch. 8, que le diable a été meurtrier dès le commencement. Jésus-Christ dit, en saint Matthieu ch. 19, que celui qui fit l’homme au commencement, les fit mâle et femelle ; et l’on ne doute point qu’il ne s’agisse du commencement des siècles. Enfin, toutes ces expressions : Au commencement il n’en était pas ainsi. Toi, Seigneur, as fondé ta terre au commencement. Vous connaissez celui qui est dès le commencement. Le diable pèche dès le commencement, et toutes les autres semblables, ne s’entendent que du commencement de toutes choses ; elles deviendraient inintelligibles si elles avaient un autre sens, parce que l’impression naturelle des termes le fait connaître.
La Parole, prise simplement pour celui qui manifeste le conseil de Dieu, est encore une expression sans exemple dans l’Écriture on ne la trouvera ni dans le Vieux, ni dans le Nouveau Testament. Les prophètes manifestaient le conseil de Dieu ; Moïse l’a manifesté encore mieux que les prophètes ; les apôtres l’ont fait connaître mieux que Moïse. Cependant nous ne trouvons nulle part que les apôtres soient nommés la parole, non plus que Moïse et les prophètes.
La seule expression que nos adversaires aient pu trouver qui ait quelque rapport à celle-ci, est celle qui se lit dans les révélations du prophète Esaïe, où Jean-Baptiste est appelé la voix de celui qui crie au désert : Dressez les voies de Dieu ; aplanissez ses sentiers. Mais premièrement il est faux que Jean-Baptiste soit appelé la voix de Jésus-Christ. L’oracle sacré ne le dit point : le voici tel que le prophète nous le donne, Ésaïe 40.1-4 : Consolez, consolez mon peuple, dira votre Dieu ; réjouissez le cœur de Jérusalem, et lui criez que son temps est accompli, que son iniquité est pardonnée. La voix de celui qui crie au désert est : Préparez le chemin au Seigneur ; aplanissez au désert les sentiers à notre Dieu. Toute vallée sera élevée, et toute montagne et colline sera abaissée, et les lieux raboteux seront aplanis. La gloire du Seigneur sera révélée, et toute chair verra ensemble que la bouche du Seigneur a parlé. La voix a dit : Crie. Et j’ai dit : Que crierai-je ? Toute chair est comme l’herbe, etc.
Il est bien évident que, dans ces paroles : la voix de celui qui crie au désert : Préparez, etc., il faut sous-entendre le verbe est ou le verbe on entend, pour trouver du sens dans le discours du prophète. Et en effet, c’est ainsi que l’expliquent les évangélistes saint Matthieu, saint Marc et saint Luc. Le premier applique ainsi l’oracle d’Esaïe : Car c’est celui duquel il a été parlé par Esaïe le prophète, disant : La voix de celui qui crie au désert est : Préparez le chemin du Seigneur, dressez ses sentiers. Le second, de cette manière, qui revient à la même chose : Ainsi qu’il est écrit dans les prophètes : Voici, j’envoie mon messager devant ta face, qui préparera ta voie au-devant de toi. La voix de celui qui crie au désert est : Préparez le chemin du Seigneur ; dressez ses sentiers. Enfin, saint Luc en parle ainsi : Et il vint dans le pays qui est aux environs du Jourdain, prêchant le baptême de repentance en rémission des péchés. Comme il est écrit au livre des paroles d’Esaïe le prophète, disant : La voix de celui qui crie au désert est : Préparez le chemin du Seigneur ; dressez ses sentiers, etc.
Celui qui est dans le désert est Jean-Baptiste. Celui qui prêche au désert est Jean-Baptiste. Celui qui prépare les voies de Dieu en exhortant à la repentance, est Jean-Baptiste. Cette voix dont il est parlé dans cet oracle, est la voix de celui qui crie ou qui prêche au désert, et qui dit :Aplanissez les chemins du Seigneur. Cette voix est donc celle de Jean-Baptiste. En effet, ou la voix dont il est parlé dans l’oracle du prophète, se prend pour la voix proprement dite de Jean-Baptiste, ou pour sa personne. Si elle se prend pour la voix ou pour la prédication de Jean-Baptiste, l’exemple que nos adversaires citent à cet égard est mal allégué ; si elle se prend pour la personne de Jean-Baptiste, comment subsiste le sens de l’oracle, et quel sera ce galimatias qu’on attribuera au Saint-Esprit : La personne de Jean-Baptiste exprimée par le terme de voix est : Préparez les chemins du Seigneur ; dressez ses sentiers.
Mais, dira-t-on, c’est saint Jean qui fait lui-même cette réponse aux docteurs juifs, lorsque ceux-ci lui viennent demander : Toi, qui es-tu ? Je suis la voix de celui qui crie au désert, etc. La réponse est aisée. Cela veut dire assurément : Je suis celui-là même dont le prophète a voulu parler lorsqu’il a dit : La voix de celui qui crie au désert est : Aplanissez les chemins du Seigneur ; dressez ses sentiers : et sans cela, on ne peut ni concilier les évangélistes ni les sauver d’une manifeste contradiction.
On peut dire que cette troisième expression : Il était avec Dieu, prise dans le sens de nos adversaires, est aussi tout à fait sans exemple ; car si elle signifie : Il était connu de Dieu seulement, où trouvera-t-on l’exemple d’une pareille expression ? On cite un passage de saint Jean où il est dit : La vie était par-devers le Père, pour dire qu’elle était comme du Père. Mais premièrement il est faux que cette expression : la vie était par-devers le Père, signifie qu’elle était connue du Père, ou même qu’elle était seulement connue du Père ; car est-il croyable que saint Jean ne dise en cet endroit de la vie éternelle, que ce qu’on peut dire du crime, de la mort éternelle, des démons, etc., qui étaient dans ce sens par-devers Dieu de toute éternité, puisque de toute éternité ils étaient connus de Dieu ? D’ailleurs, il y a de la différence entre parler ainsi d’une qualité et tenir ce langage d’une personne. Si nous disions : La loi était par-devers Dieu, et Moïse était par-devers Dieu, ces deux expressions ont un sens bien différent.
Cette quatrième expression : la parole était Dieu, est encore une expression figurée si l’on veut en croire nos adversaires ; mais vous ne trouverez point d’exemple d’une telle figure. Ils prétendent que Jésus-Christ est appelé Dieu parce qu’il représente Dieu. Mais, bien qu’il y ait eu plusieurs personnes depuis la naissance du monde qui ont représenté Dieu, on ne trouve point qu’aucune ait été appelée Dieu, prenant ce nom au singulier. Il a été dit : Vous êtes dieux, au pluriel ; mais il n’a point été dit d’aucun qu’il fût Dieu. On veut qu’il ait été appelé Dieu parce que son ministère a été tout à fait divin ; on peut dire des apôtres que leur ministère a été tout divin, et surtout comparé à celui des prophètes. Ils ont révélé, aussi bien que Jésus-Christ, la vie et l’immortalité bienheureuse ; ils ont fait les mêmes miracles que lui : de sorte que si Jésus-Christ a pu être nommé Dieu par cette raison, les apôtres auront pu prétendre, aussi bien que lui, à la gloire de ce titre. Cependant nous ne lisons point qu’aucun apôtre soit nommé Dieu dans l’Écriture du Nouveau Testament, et nous trouvons au contraire qu’ils rejettent avec horreur ceux qui leur donnent ce, nom. On répondra peut-être qu’il y a cette différence entre Jésus-Christ et les apôtres, que le premier est leur maître, au lieu que les autres ne sont que ses serviteurs. Mais si les apôtres sont serviteurs à l’égard de Jésus-Christ, nos adversaires doivent reconnaître que Jésus-Christ est un serviteur à l’égard de Dieu. Si donc aucun des apôtres n’a dû se dire le Seigneur par respect pour Jésus-Christ, parce que le nom du Seigneur lui était consacré, il s’ensuit que Jésus-Christ n’a pas dû prendre le nom de Dieu parce que le nom de Dieu était consacré à l’Être souverain.
On ne saurait aussi nous montrer une exemple de la restriction avec laquelle ils entendent ces paroles : Toutes choses ont été faites par lui, et sans lui rien de ce qui a été fait n’a été fait. Car il paraît que l’auteur sacré a eu le dessein de s’exprimer le plus généralement qu’il lui a été possible, puisqu’il ne se contente pas de dire : Toutes choses ont été faites par lui, mais qu’il y revient encore, et exprime plus fortement la même chose, en disant que sans lui rien de ce qui a été fait n’a été fait. On dit que le sujet dont il s’agit limite cette expression ; mais on le dit faussement : ce qui précède et ce qui suit donne une pensée toute opposée à celle-là, à moins qu’on ne renonce à l’impression naturelle des termes ; car l’évangéliste s’exprime généralement avant et après ces paroles ; il dit auparavant : Au commencement était la Parole. Voilà une expression générale qui fait croire qu’il parle généralement lorsqu’il dit : Toutes choses ont été faites. Il dit ensuite : Le monde a été fait par elle. Voici une autre expression générale qui nous apprend que, par toutes choses, il faut véritablement entendre toutes choses sans exception.
Il ne leur sera pas plus facile de justifier par des exemples de l’Écriture la nouvelle explication qu’ils donnent à ces paroles : le monde a été fait par lui ; car, soit qu’ils prétendent se sauver en expliquant comme il leur plaît le terme de monde, et entendant par cette expression le siècle à venir, soit qu’ils raffinent dans la manière dont ils conçoivent que le monde a été fait par Jésus-Christ, feignant que c’est parce que ce monde a été fait nôtre par Jésus-Christ, soit enfin qu’ils cherchent un nouveau sens dans cette expression : il a été fait, ils seront obligés de reconnaître qu’ils avancent tout cela sans preuve, et sans en apporter aucun exemple tiré de l’Écriture sainte. On cite des exemples pour montrer que le monde signifie quelquefois le siècle à venir ; mais ces exemples sont mal cités. On prétend, par exemple, que lorsque l’auteur de l’épître aux Hébreux dit : Lorsqu’il introduit son Fils premier-né au monde, il dit : Que tous les anges de Dieu l’adorent, il faut entendre par le monde la vie éternelle. Premièrement, l’expression de l’original ne doit pas être rendue par celle de monde, mais par celle de terre ; car il y a τὴν οἰκουμένην, et non pas τὸν κόσμον, et ainsi cet exemple n’est point à propos. D’ailleurs, comment prouvera-t-on que par cette terre ou cette terre habitable dont parle l’auteur de l’épître aux Hébreux, il faut entendre le ciel, ou la vie éternelle, ou le siècle à venir ?
Le second exemple qu’ils apportent est pris de ce passage Hébreux 2.5, de l’épître aux Hébreux : Car il n’a point assujetti aux anges le monde à venir duquel nous parlons. Je laisse à nos adversaires à disputer pour savoir si par ce monde à venir il faut entendre le ciel, ou l’état des bienheureux, ou l’Église, ou le monde renouvelé par l’Évangile ; car il y a bien de la différence entre cette expression générale, le monde, et celle-ci, le monde à venir. Il s’agit de la première, et non pas de la seconde : Si, parce que l’Écriture nous parle quelquefois d’un monde à venir, on entendait le monde à venir, toutes les fois que nous trouvons le terme de monde, on ferait dire de grandes extravagances au Saint-Esprit.
Il ne leur servira de rien, pour nous satisfaire à cet égard, de citer les paroles du dixième chapitre de l’épître aux Hébreux : C’est pourquoi entrant au monde il dit : Tu n’as point voulu des sacrifices et des oblations, mais tu m’as approprié un corps. Alors j’ai dit : Me voici. Que je fasse, ô Dieu ! ta volonté. On prétend vainement montrer par ces paroles que le terme de monde se prend quelquefois pour le ciel. Qu’on le prenne de la première ou de la seconde entrée de Jésus-Christ au monde, il est toujours vrai que c’est du monde que nous habitons, non du ciel, qu’il faut l’entendre ; car non seulement le monde ne se prend point ordinairement pour le ciel dans l’Écriture, mais encore on peut dire que ces deux expressions sont souvent opposées, comme lorsque Jésus-Christ dit : Je suis issu de mon Père, et suis venu au monde, et derechef je quitte le monde, et je m ’en retourne au Père.
Mais encore, de quelle manière ce monde a-t-il été fait par Jésus-Christ ? L’explication que nos adversaires en donnent est tout à fait rare. Le monde, c’est-à-dire le siècle à venir, a été fait par Jésus-Christ, parce qu’il a été fait nôtre par lui, ou, comme ils l’expliquent plus particulièrement encore, parce que par Jésus-Christ nous avons l’espérance de l’obtenir, et que nous l’obtiendrons en effet par lui. Mais qu’on nous montre un exemple, je ne dirai pas de quelque apôtre ou de quelque prophète, mais de quelque homme qui se soit expliqué de cette manière.
Mais, dit-on, le terme de faire se prend là pour renouveler, de sorte que le sens de ces paroles est celui-ci : Le monde a été renouvelé par Jésus-Christ. On cite bien des exemples là-dessus ; mais le seul qui nous paraît considérable est celui du chap. 2 de l’épître de saint Paul aux Ephésiens, conçu en ces termes : Car nous sommes son ouvrage, étant créés en Jésus-Christ à bonnes œuvres. Mais cet exemple ne fait rien contre nous, parce que dans ce dernier passage le terme de créés est limité à un sens particulier, et à signifier un renouvellement, par cette expression, à bonnes œuvres. Nous avouons aussi que si saint Jean avait dit : Le monde a été fait ou créé par lui en justice à bonnes œuvres, ou pour être une nouvelle créature, il faudrait entendre ce passage dans le sens de nos adversaires ; mais puisque cela n’est pas, il est naturel de prendre cette expression dans le sens que l’impression des termes fait d’abord venir dans l’esprit. Car, comme si saint Paul avait dit, nous sommes créés par Jésus-Christ, dans le passage ci-dessus marqué, il se serait expliqué avec une obscurité et une ambiguïté qui ferait qu’on ne pénétrerait point sa pensée, ou même qu’on lui attribuerait une pensée qu’il n’avait pas ; aussi saint Jean dit que le monde a été fait par Jésus-Christ, après avoir dit et répété, que toutes choses ont été faites par lui ; et s’il le dit seulement pour marquer que Jésus-Christ a apporté du changement au monde par son Évangile, non seulement il est obscur et impénétrable dans ses expressions, mais il faut demeurer d’accord que son discours n’est point véritable, ou qu’il faut renoncer à juger des paroles par leur naturelle impression.
Enfin, on n’a jamais ouï dire d’un homme qui est venu au monde : Cet homme a été fait chair. Cette expression n’est pas supportable ; cependant c’est ainsi qu’il faudra entendre l’expression de saint Jean, s’il en faut croire nos adversaires la Parole a été faite chair ; cela signifiera : Jésus-Christ simplement homme est venu au monde.
Mais où sont les exemples d’une façon de parler si prodigieuse ? Dit-on : Le roi a été fait chair, l’empereur a été fait chair ? Et avez-vous trouvé dans les livres sacrés qu’aucun prophète ni apôtre ait été fait chair ? Il ne sert de rien de rendre ces paroles par celles-ci : Il a été chair, car cette dernière expression est encore plus hors de l’usage dans le langage humain et divin.
Il est donc vrai que toutes ces expressions qui composent le commencement de l’Évangile selon saint Jean, seraient sans exemple si elles devaient être prises dans le sens de la glose socinienne. Mais supposons qu’il ne fût pas impossible de justifier que chacune de ces expressions aurait été prise dans l’Écriture une fois ou deux dans le sens de nos adversaires, il faut du moins demeurer d’accord que l’union de tant de façons de parler singulières serait sans exemple, et choquerait le bon sens ; et c’est ce que les sociniens ne considèrent pas assez. Ils ne voient pas qu’une expression singulière peut passer au milieu de plusieurs autres expressions claires et faciles, qui peuvent la faire entendre, et ôter l’obscurité du discours ; mais qu’un homme qui rassemblerait dix ou douze de ces expressions singulières pour en former un discours, ne ferait qu’un tissu de galimatias et d’extravagances. Il serait violent de supposer que le terme général de commencement se prit ici, contre l’usage, pour le commencement de l’Évangile ; mais quand vous aurez trouvé un exemple de l’explication que vous lui donnez entre mille exemples contraires, il ne s’ensuit pas que, dans l’endroit où ce terme est placé, vous deviez lui ôter sa signification générale, que toutes les circonstances du discours justifient être la plus naturelle ; mais quand vous ferez cette violence à cette première expression, vous ne pouvez la faire à neuf ou dix expressions qui suivent, sans penser que le Saint-Esprit n’a uni pour la première fois tant d’expressions, qui toutes doivent être prises dans, un sens singulier et hors de l’usage naturel, qu’il ne les a, dis-je, unies que pour nous engager dans l’erreur. Nos adversaires trouvent leur compte à considérer chaque expression l’une après l’autre, parce qu’ayant beaucoup de subtilité, il ne leur est pas impossible, par une méditation pleine de contention, d’imaginer quelques sens approchant de ceux qu’ils attachent aux paroles de l’Écriture. Mais quand on les obligera à réunir toutes leurs vues et leurs explications, on en fera un assemblage inouï, absurde, plein d’extravagance.
Il ne leur sert de rien non plus d’imaginer avec effort des voies de faire douter de l’Évangile selon saint Jean, ou d’en rendre le commencement suspect de supposition ; car pour arrêter l’essor d’une imagination qui ne cherche que matière de doute à cet égard, je n’ai qu’à dire que le commencement de l’Évangile selon saint Jean, étant synonyme à tous ces passages de l’Écriture qui marquent la préexistence et la divinité de Jésus-Christ, tels que sont ceux qui disent que Christ étant en forme de Dieu, et ne réputant point à rapine d’être égal à Dieu, s’est anéanti, etc., que les siècles ont été faits par lui ; qu’il a créé les choses visibles et les choses invisibles ; qu’il a fondé la terre, et que les cieux sont l’ouvrage de ses mains ; que toutes choses sont par lui et pour lui, etc. Que dis-je ? le commencement de l’Évangile selon saint Jean étant parfaitement synonyme à toutes ces expressions qui sont répandues dans toute l’Écriture du Nouveau Testament, ces fictions et ces doutes sur la supposition du texte, qui n’étaient d’ailleurs fondés que sur le bon plaisir de ceux qui les trouvent commodes pour leur opinion, deviennent tout à fait inutiles, et de là même très déraisonnables.
On ne trouvera pas non plus un fort grand avantage à philosopher sur la manière en laquelle les écrits des évangélistes et des apôtres sont la Parole de Dieu ; car, soit que ce soit par inspiration, soit que ce soit par voie de direction que Dieu ait conduit la langue ou la plume de ces docteurs, il est incroyable qu’ils aient été baptisés du Saint-Esprit et du feu, et aient reçu des langues miraculeuses le jour de la Pentecôte, pour parler comme ils parlent, si Jésus-Christ n’est qu’une simple créature ; et quand les apôtres ne seraient en aucune sorte inspirés ni conduits par le Saint-Esprit, il suffit qu’ils soient gens de bien pour se donner bien de garde d’engager les hommes dans l’idolâtrie et dans l’impiété, en prononçant des blasphèmes si manifestes.
Si l’on dit que ce sont ici des rhétorications et des jeux d’esprit, on est d’abord convaincu du contraire par la réflexion générale qu’on peut faire sur le caractère de ces livres admirables, qui est tel que, depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse, on ne trouvera pas qu’il soit jamais échappé une seule expression à ces écrivains qui diminue la gloire de Dieu. Vous n’y trouvez ni métaphore impie, ni hyperbole qui aille au blasphème, ni aucun indigne parallèle avec Dieu : leurs expressions sont humbles, modestes et religieuses ; et dans le temps que les autres auteurs ne sauraient presque écrire quatre lignes sans faire tort à la gloire de Dieu, il est surprenant et admirable que cette longue suite de docteurs sacrés fasse paraître dans toutes ses paroles et dans toutes ses idées le respect qui est dû à l’Être souverain ; ce qui fait, comme chacun sait, un des caractères de la divinité de l’Écriture.
On n’objectera pas avec plus de raison que l’idée de la Parole prise pour le Fils de Dieu, qui est Dieu lui-même, étant nouvelle et extraordinaire, on est obligé de chercher des sens singuliers et nouveaux dans ce passage. Car, premièrement, quand, on supposera que cette idée est nouvelle et extraordinaire, il n’importe, puisque toutes les autres idées qui composent ce passage n’ont rien d’extraordinaire ni de singulier. D’ailleurs, ceux qui ont étudié les hypothèses des anciens Hébreux, savent qu’ils prenaient la face de Dieu, la majesté de Dieu, la gloire de Dieu, et la parole de Dieu pour une même chose, et que la paraphrase chaldaïque prend ces termes pour des expressions synonymes. On sait que la paraphrase de Rabbi Jonathan rend ces paroles : Le Seigneur a dit à mon Seigneur, par celles-ci : Le Seigneur a dit à sa Parole. Enfin, on voit bien que ces paroles qui font l’entrée de l’Évangile selon saint Jean : Au commencement était la Parole, enferment une manifeste allusion au commencement de la Genèse, y ayant cette différence entre cet évangéliste et les autres, que les autres faisant l’histoire de Jésus-Christ, la commencent par sa manifestation en chair, et par les premiers moments de sa nature humaine ; au lieu que celui-ci la commence par les premiers ouvrages du Fils de Dieu, nous faisant entendre que Jésus-Christ est le principe par lequel toutes choses furent faites en la création du monde, et qu’il était par-devers Dieu avant cette création. Il nous fait entendre deux choses : la première est que cette parole par laquelle Dieu créa le monde, n’était pas un simple son comme la parole de l’homme, mais qu’elle fut une personne divine, ou, si vous voulez, une personne qui existait par-devers Dieu, et qui était Dieu ; et il nous dit nettement que Jésus-Christ est cette personne-là. Or, il est certain que la première de ces deux idées dont il s’agit ici n’était en aucune sorte étrangère parmi les Hébreux ; car les Hébreux qui vivaient du temps des apôtres reconnaissaient que cette Parole dont parle Moïse était l’image du Dieu souverain, et l’homme l’image de la Parole ; ils appelaient cette Parole le Fils de Dieu, son Fils premier-né ; ils disaient que celui qui ne peut s’élever jusqu’à la méditation de Dieu, doit monter du moins jusqu’à celle de son image qui est le très sacré Verbe ; ils appelaient cette Parole l’origine des créatures, le Verbe de Dieu, et l’image ou le modèle sur lequel l’homme avait été forméa. Et Platon, que chacun sait avoir été instruit dans l’école de Moïse, soit qu’il eût puisé immédiatement sa doctrine dans les livres des Hébreux, soit qu’il l’eût apprise de Pythagore qui l’avait prise dans cette source ; Platon, dis-je, n’exhorte-t-il pas ses amis de jurer par l’auteur et le Père du Seigneur, l’appelant expressément le Dieu du Prince, le Père du Seigneur, et entendant la Parole par celui-ci ?
a – Vide lib. XI Euseb. de Præp. Evangel.
Par cette considération, on se satisfait sur le doute que font naître ceux qui, voulant rendre suspect le commencement de l’Évangile selon saint Jean, prétendent que ces idées ont quelque chose de nouveau et d’extraordinaire, et qu’elles ont plus de rapport avec les spéculations des gnostiques, qu’avec les autres dogmes de la foi ; car on a déjà gagné ce point sur eux, que ces idées ne sont pas si nouvelles et si étrangères qu’ils se l’étaient imaginé. Mais d’ailleurs, combien peu de raison y a-t-il dans ce doute ? On veut que ce soit Cerinthus qui ait composé l’Évangile selon saint Jean, l’Apocalypse, ou du moins ce commencement de l’Évangile dont nous disputons. Pour ce commencement, on a tort de le séparer du reste, et même des épîtres de saint Jean et de l’Apocalypse, où les idées de la Parole, la Parole de Dieu, Jésus-Christ vrai Dieu, règnent tout comme dans le commencement de l’Évangile : et à l’égard du soupçon qu’on a eu que l’Évangile et l’Apocalypse soient de Cerinthus, rien n’est plus absurde. Ni Cerinthus ne se serait avisé de supposer des livres sous le nom de son ennemi, ni les Églises de l’Asie n’auraient pris les visions de Cerinthus pour l’Évangile de saint Jean. Et puis quel rapport y a-t-il entre celui-ci et la doctrine de cet hérétique, qui croyait que les anges avaient créé le monde, qu’un mauvais ange avait donné la loi, que Jésus-Christ était fils véritable de Joseph ; qui disait que Jésus-Christ était un homme, et Christ la vertu de Dieu, ou son Esprit qui était venu sur Jésus à son baptême, et s’en était allé dans le ciel à sa mort ; que Jésus-Christ avait souffert les incommodités de la vie et les effets de la persécution, mais que Christ avait fait ces grands miracles qui nous sont marqués dans l’Évangile, etc. ; que le Christ avait été impassible, bien que Jésus eût souffert ; et que le Christ était tombé sur les apôtres, etc. ; que c’est un des anges qui avait créé le monde, qui donna la loi aux Israélites ; sans parler des crimes qu’il autorisait, ni de cette extravagante subordination d’Eones qui lui était commune avec les autres gnostiques ; doctrine pourtant dont on ne trouve aucun vestige dans l’Évangile selon saint Jean ? A quoi servent ces doutes si peu naturels, et ces recherches inquiètes d’un esprit agité ? Si l’Évangile selon saint Jean a été composé par un gnostique, parce qu’il établit la préexistence et la divinité de Jésus-Christ, on doit prendre toute l’Écriture pour l’ouvrage des gnostiques, car elle s’accorde à nous faire comprendre ce grand principe.
Ce serait ici le lieu de combattre les ariens, en montrant que les paroles de saint Jean ne détruisent pas moins leur hypothèse que celle des Sociniens ; mais cette matière mérite bien un chapitre particulier.