En conclusion, et pour parler en historien et non en homme d’Église ou de parti (ce qui souvent est la même chose), John Wesley fut un théologien orthodoxe, mais d’une orthodoxie sui generis, fort indépendante d’allures et fort conservatrice quant au fond de l’enseignement évangélique ; ne se souciant pas des anathèmes, qu’ils fussent lancés par la main gantée de Lady Huntingdon ou par les rudes mains des frères Hill, d’Auguste Toplady, ou de l’évêque Lavington ; préférant être appelé Arminien avec la minorité de Dordrecht, que Calviniste avec la majorité ; ne damnant personne pour cause d’hérésie, pas plus Michel Servet et Castellion, que Socrate et Marc-Aurèle. Il n’acceptait que Jésus-Christ comme arbitre des controverses théologiques, et eût volontiers répété le mot de Pascal : Ad tuum, Domine Jesu, tribunal appello, « Seigneur Jésus, j’en appelle à ton tribunal », en y ajoutant, à l’égard de ses écrits, ce que Pascal disait de ses Provinciales : « Si mes lettres sont condamnées à Rome (ou à Genève), ce que j’y condamne est condamné dans le ciel. »
♱
Ceux qui ont contesté à Wesley la qualité de protestant ne connaissaient ni son histoire, ni ses doctrines. Wesley fut protestant jusqu’au fond de l’âme, et le protestantisme n’a pas eu, depuis les réformateurs, de représentant plus convaincu que lui. Bien loin que le Méthodisme ait été une déviation du protestantisme, il l’a ramené à son principe essentiel, en lui communiquant une nouvelle vie.
Le réveil méthodiste ne s’est pas borné à remettre en lumière la doctrine du salut par la foi, il en a tiré toutes les conséquences qu’elle renferme, et il a ainsi marqué un pas en avant sur la Réforme du xvie siècle ! Au particularisme des réformateurs, qui interprétaient mal quelques textes de saint Paul et croyaient que l’œuvre de la rédemption ne s’applique qu’aux élus, Wesley opposa la doctrine de la rédemption universelle. A une notion incomplète de la sanctification, qui la réduisait souvent à n’être que la pratique des bonnes œuvres, Wesley opposa la sanctification par la foi, avec la possibilité de la victoire complète dès ici-bas sur le péché. Il affirma, l’Écriture à la main, l’amour de Dieu pour tous les hommes et la possibilité pour tout chrétien d’aimer Dieu de tout son cœur.
♱
Pour le dire en passant, si l’on ne peut sans doute reconnaître à Wesley le génie intellectuel et philosophique de l’auteur des Pensées, ni la verve de polémiste de l’auteur des Provinciales ; s’il n’est pas le géant que fut Pascal, dans le monde religieux, il ressembla pourtant à cet homme éminent par l’indépendance du caractère, la force de la volonté et l’aspiration à la sainteté. Ce janséniste à l’âme ardente et consacrée a écrit, sur son expérience au sujet du « pouvoir illimité de la grâce pour opérer dans le croyant la délivrance du péché », une page qui a mérité d’être mise, par Ami Bost, à côté de celles de la wesleyenne Esther-Anne Rogers, une des saintes du Méthodisme. C’est Pascal qui a écrit cette déclaration, que Wesley n’eût pas désavouée, quoi qu’il n’en ait pas écrit une aussi forte sur lui-même : « Je bénis tous les jours de ma vie notre Rédempteur qui, d’un homme plein de faiblesse, de misère, de convoitise, d’orgueil et d’ambition, a fait un homme exempt de tous ces maux, par la force de sa grâce à laquelle toute la gloire en est due, n’ayant de moi que la misère et l’erreur. » (Voyez cette Profession de foi de Pascal, dans la Vie de Pascal, écrite par Mme Périer, sa sœur.)
♱
Arrêtons-nous devant la scène finale de la vie de Wesley, l’un des plus grands serviteurs de Dieu qui aient vécu depuis saint Paul. On montre toujours, dans le presbytère qu’il fit construire près de la chapelle de City Road, à Londres, la modeste chambre où il mourut entouré de quelques amis. Voici quelques-unes de ses dernières paroles :
Le meilleur de tout, c’est que Dieu est avec nous.
L’Éternel est avec nous, le Dieu de Jacob est notre refuge.
Les dernières paroles de Wesley mourant nous disent le secret de la puissance et des succès de ce serviteur de Dieu. Si le Méthodisme a été, selon la parole de Schérer, « un mouvement religieux qui a changé la face de l’Angleterre » ; si, selon une parole de Gladstone, « la vie et les actes de Wesley ont exercé une grande influence sur l’histoire religieuse de la chrétienté » ; si cet homme a contribué plus qu’aucun autre à sauver le protestantisme de la décadence où il était tombé ; si le réveil qu’il a inauguré a créé une Église de trente millions d’âmes et vivifié les vieilles Églises protestantes, — j’en trouve la raison dans ces deux dernières paroles de Wesley : l’une proclamant le salut par Christ seul : « Je suis le plus grand des pécheurs ; mais Jésus est mort pour moi, » et l’autre affirmant la présence perpétuelle de l’Esprit de Dieu au milieu des siens : « Le meilleur de tout, c’est que Dieu est avec nous ».