Commentaire sur l’Épître aux Galates

§ 6. Entrevue de Paul et de Pierre à Antioche (2.11-21)

Paul s’est montré l’égal des apôtres, missionnaire indépendant ; il y a plus, un instant il est supérieur. Pierre, étant digne de blâme, il le redresse (2.11-14). Il le convainc d’erreur dans sa conduite (2.14). Il lui montre que la justification découle non de la loi, mais de la foi, par son propre aveu de conscience ; par son passage du judaïsme au christianisme (2.15-16) ; parce qu’en revenant à la loi, on se reconstitue pécheur (2.17-18) ; par le but et l’effet de la loi (2.19) ; par la mort de Christ et la vie du chrétien en lui, vie de grâce et de foi (2.20-21). La gradation de ces paragraphes est remarquable. Paul est ennemi des chrétiens ; il est converti forcément ; il vit isolé des apôtres ; il est avec eux dans des rapports indifférents ; il est applaudi des églises de Judée ; il triomphe des judaïsants ; il est l’égal des apôtres ; un instant même il agit en supérieur. Donc, indépendance et vérité de sa dignité apostolique.

2.11

11 Bien plus, quand Pierre vint à Antioche je lui résistai en face, parce qu’il avait encouru blâme.

Cette progression de valeur positive dans les faits est toute naturelle puisqu’elle n’est que l’effet de celle de sa foi, de ses travaux, de son influence, de sa majestueuse grandeur. Remarquons encore que Paul passe insensiblement dans le morceau que nous allons commenter, des accusations contre sa personne, à l’examen de la question elle-même. Il en avait dit un mot au sujet de Tite, et si l’idée jusqu’ici principale, savoir, la défense de son caractère apostolique, s’aperçoit encore dans l’affaire d’Antioche, elle disparaît peu à peu et rentre dans l’ombre, pour faire place au fond et à la cause même du débat. — ἦλθε, etc., après que Pierre fut venu, eut séjourné quelque temps ; ce qui ressort des v. 12, 13, 14. — δὲ non seulement ils ne me communiquèrent rien, mais ce fut plutôt moi qui, etc. — Antioche, capitale de la Syrie, vaste, florissante, et très peuplée (1 Maccabées 11.47) ; résidence des rois syriens (Séleucides) (1 Maccabées 3.37 ; 7.2 ; 11.13, 44 ; 2 Maccabées 5.21 ; 6.1, 4) et des proconsuls romains de Syrie. Elle était située au bord du fleuve Oronte, dans une plaine grande et fertile. Les arts et les sciences y florissaient (Josephe, Guerr. juiv. iii, 2,4). Ses habitants étaient avides de jouissances et de plaisirs. Parmi eux se trouvaient beaucoup de Juifs qui avaient leurs propres ethnarques. Il s’y forma de bonne heure une église chrétienne composée de Juifs et de Gentils (Actes 11.19), à laquelle Barnabas présida pendant quelque temps (Actes 11.22,26 ; 13.1 ; 15.35) ; elle était étroitement unie à la mère-église de Jérusalem (Actes 11.22, 27 ; 15.27), et se distingua par les secours qu’elle donnait aux églises pauvres (Actes 11.29). Paul se forma dans son sein à l’apostolat, et en fit le point de départ et le centre de ses voyages (Actes 14.26, 35 ; 18.22). Ce fut la mère-église des pagano-chrétiens. Là fut pris ou donné le nom de chrétien (Actes 11.26). On ne trouve plus que des ruines appelées Antakia, à l’emplacement de cette ville célèbre (Extrait du Dict. de Winer). — A quelle époque faut-il placer ces événements ? Evidemment après l’assemblée de Jérusalem. Mais est-ce peu ou longtemps après ? On a dit en faveur du premier cas : 1. Paul et Barnabas après la conférence retournèrent à Antioche (Actes 15.33, ss.) ; les reproches adressés à Pierre rejaillirent aussi sur Barnabas (Galates 2.13-14) ; par là s’expliquerait le dissentiment de Paul avec ce dernier (Actes 15.39) ; ce qui placerait cet événement immédiatement après la réunion jérusalémite ; 2. Paul raconte ce fait à la suite de son troisième voyage à la capitale juive ; on peut donc admettre qu’il a eu lieu, sans long intervalle, après la conférence ; 3. plusieurs judéo-chrétiens apprenant ce qui s’était passé parmi les pagano-chrétiens purent être poussés à se rendre à l’assemblée d’Antioche, soit par jalousie, soit pour épier, soit pour expliquer les conclusions de Jérusalem d’une manière à eux favorable, et pour contester à Paul son triomphe. A cela nous répondons : il est inutile de supposer une cause au dissentiment de Paul et de Barnabas lorsque la véritable nous est clairement indiquée et racontée (Actes 15.36-40). D’ailleurs ne devons-nous pas penser que comme Pierre, Barnabas sut donner un exemple d’humilité chrétienne, en se laissant ramener à la vérité par la voix de son ami ? Il n’est pas évident, dit Néander, que Paul veuille ici raconter chronologiquement et sans lacune ; il semble au contraire qu’il expose une chose toute fraîche dans sa mémoire, et arrivée depuis peu. Tout gagne en vraisemblance si l’on place cette admonestation à Actes 18.22, ajoute le même écrivain. Et d’abord il est naturel d’admettre que le décret apostolique, revêtu de l’autorité des chrétiens sages et pacifiques des deux partis, maintint pendant quelque temps dans le sein de l’Église, la paix qui avait été conclue. Les judaïstes exaltés durent garder le silence ; mais comme il n’était pas au pouvoir d’une décision de changer leurs conceptions étroites et passionnées, leur zèle comprimé ne devait éclater qu’avec plus d’énergie, lorsque de nouveaux triomphes de Paul viendraient leur annoncer de nouvelles défaites. L’occasion se présenta. Paul allait à Jérusalem pour accomplir un vœu propre à lui réconcilier les modérés et à maintenir la paix (Actes 18.18), mais propre aussi à exaspérer les fanatiques judaïsants qui voyaient avec horreur celui qu’ils regardaient comme l’ennemi de leur loi, se donner pour Juif, pour enfant du peuple fidèle. La connaissance de ses travaux parmi la gentilité, dut se répandre dans la ville sainte et enflammer les zélotes. De là il se rendit à Antioche où il s’arrêta avec Barnabas et d’autres vieux amis et compagnons évangélistes. Pierre se trouva à ce rendez-vous général des apôtres, des prédicateurs chrétiennement réunis pour se communiquer leurs succès et s’électriser de leurs sympathies, de leur foi, de leurs espérances. C’est alors que des judaïstes venus de Jérusalem, jaloux de cette unité, irrités par la marche héroïque de Paul, scandalisés de son vœu qu’ils tournèrent contre lui en accusation d’hypocrisie, de flatterie complaisante, et de tergiversation, rompirent leur silence forcé et rallumèrent dans la métropole pagano-chrétienne la lutte qui autrefois y avait pris naissance. La guerre de nouveau déclarée, poursuivit dans toutes ses courses notre apôtre qui jusque là n’avait eu à résister qu’à des Juifs et non à des judaïsants ; elle s’attacha à ses pas, et le suivit de près dans la Galatie qu’il avait traversée en allant à Ephèse, et où régnait la paix, car à peine était-il à son poste qu’il apprit qu’elle était troublée ! aussi s’empressa-t-il de lui écrire, en s’écriant : Je m’étonne que vous abandonniez si promptement, etc. Les événements ainsi disposés gagnent tant en naturel et en clarté que nous embrassons cette opinion. — κατά πρόσωπον ; employé dans les Septante avec l’idée de résistance (Deutéronome 7.24 ; 9.2 ; Juges 2.14 ; 2 Chroniques 13.7-8) ; en face (1 Rois 1.2-3 ; Luc 2.31 ; Actes 1.1-13 ; 25.16 ; 2 Corinthiens 10.7) ; locution hébraïque (Job 16.8 ; Deutéronome 31.21), qui énonce confiance, liberté ferme pour s’exprimer : Je lui résistai face à face, en présence de tous, sans crainte et fermement. — κατεγνωσμένος. Ce verbe signifie condamner, et par adoucissement, reprendre (1 Jean 3.20-21). La Vulgate, Calvin, Bèze, Walther, Koppe, Flatt, Borger, Stolz, de Wette changent ce participe parfait passif en participe futur passif ou en adjectif, et traduisent : Parce qu’il était répréhensible, digne de blâme, reprehendendus erat. Chrysost., Théoph., Luther, Cramer, Morus, Winer, Schott, ne voyant pas de raison à ce changement, conservent le sens grammatical du participe parfait pass. et disent : Parce qu’il avait encouru blâme. La version syriaque : Parce qu’on avait été scandalisé par lui. Luther : On avait fait des plaintes sur lui : « Denn es war Klage über ihn kommen ». Au sujet de cette répréhension il y eut entre Jérome et Augustin une vive discussion. Le premier prétendait que cette affaire n’avait été qu’une feinte de la part des deux apôtres pour donner aux Juifs et aux Gentils une leçon importante sur l’usage des viandes que la loi déclarait impures, et sur l’union des deux peuples, sans scandaliser les Juifs qui étaient remplis d’éloignement pour les Gentils. Le second soutenait qu’il vaut mieux dire que Pierre est tombé dans une faute que d’avouer que Paul n’a pas écrit la vérité. (Voyez Calmet, Épît. aux Gal.). Des docteurs catholiques ont voulu soutenir que ce Céphas était un autre que Pierre ; ce sentiment est abandonné (Voyez la Bible de Vence, ép. aux Gal.).

2.12

12 En effet, avant l’arrivée de quelques personnes qui étaient d’avec Jacques, il mangeait avec les Gentils, mais à leur arrivée il se retira secrètement et se sépara craignant les circoncis ;

C’est ici l’exposé de la cause qui le força à reprendre Pierre. « Avant que quelques-uns vinssent, envoyés par Jacques, disent les uns ; du lieu où était Jacques, disent les autres », soit qu’ils se servissent à tort ou à raison de l’autorité de Jacques, soit qu’ils se donnassent pour envoyés de Jacques. Néander dit que ces paroles peuvent aussi signifier que ces hommes « appartenaient à l’église de Jérusalem à la tête de laquelle se trouvait Jacques ». On ne pourrait pas avancer à bon droit que ce dernier eût pris quelque part à l’arrivée de ces judaïstes, car sa pensée si nettement émise au colloque de Jérusalem n’était ni favorable à la séparation, ni hostile aux progrès de Paul qui d’ailleurs se serait élevé contre lui avec autant de force que contre Pierre, si ces hommes se fussent donnés pour ses envoyés officiels ou officieux. — συνήσθιεν ; (Apocalypse 3.20 ; Luc 15.2 ; 1 Cor. 5.11 ; Psaumes 101.5), signifie au sens figuré : être familier avec, etc., et au propre, que tout ici recommande : manger ensemble, avec. Les judaïstes abhorraient cette communion de table avec les Gentils, et les judéo-chrétiens craignaient de se souiller par le contact des nourritures que la loi proscrivait (Actes 10.10 ; 11.2-3 ; 15.19). Quant à Pierre, sachant par une vision qu’il ne devait plus exister de différence dans les mets (Actes ch. 10), il avait défendu la cause de la liberté (Actes ch. 15) ; c’était donc sans peine qu’il mangeait à Antioche avec des pagano-chrétiens. — ἐθνῆ a un sens particulier aux écrits de Paul, et veut dire ici : chrétiens convertis d’entre les païens ; ce que démontre le v. 14 (Romains 16.4 ; Éphésiens 3.1). — ὑπέστελλεν, etc., s’évader en secret, et l’autre verbe, se séparer ; gradation d’action (Matthieu 13.49 ; 2 Corinthiens 6.17). — Craignant ceux de la circoncision (l’abstrait pour le concret), ceux qui étaient d’entre les circoncis (Actes 10.45) ; il craignait de les offenser, de les scandaliser, ou que, condamnant fortement la liberté dont il usait relativement aux viandes et aux repas, ils ne causassent de nouveaux troubles par leur zèle pour la loi.

2.13

13 et les autres Juifs tombaient avec lui dans la même hypocrisie au point que Barnabas fut co-entraîné dans leur dissimulation.

συνυπεκρίθησαν ; une seule fois. — Dissimuler ensemble avec quelqu’un ; manifester une persuasion qu’on n’a pas. — Juifs, les autres chrétiens d’entre les Juifs. — De telle sorte que ; καὶ, même ; la séduction avait fait tant de progrès, que même Barnabas, mon collègue, était entraîné par l’exemple des judéo-chrétiens et de Pierre, à cette même dissimulation. — συναπαγεσθαι être entraîné par la dissimulation des autres ; se laisser séduire par leur flatterie ; ou bien avec le datif simple : se laisser entraîner à leur condescendance, imiter leur dissimulation. Schott avance que l’usage de la langue favorise le premier sens ; et Winer, que le second a pour lui des preuves grammaticales (Gram. 174). C’est indifférent au fond.

2.14

14 Alors, quand je vis qu’ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Évangile, je dis à Pierre en présence de tous : Si toi qui es Juif, vis comme les Gentils et non comme les Juifs, pourquoi obliges-tu les Gentils à judaïser ?

ὀρθοποδοῦσιν ; une seule fois. — Marcher de droit pied ; vivre conformément à une règle juste de conduite (Synon. Éphésiens 5.15 ; Galates 6.16). — πρὸς, avec des verbes de mouvement ou de simple direction signifie, à, vers, selon, et indique la règle d’après laquelle on se dirige (2 Corinthiens 5.10 ; Luc 12.47 et chez les profanes ; Lucien ; Platon, etc.). — « En face de tous » (1 Timothée 5.20) soit afin que Pierre par son exemple ne corrompît pas toute l’église d’Antioche, et que tous fussent plus solennellement avertis d’éviter une pareille dissimulation ; soit parce que cette conduite pouvant nuire à beaucoup, il fallait que la correction fût publique. Saint Augustin : Laus libertatis in Paulo, laus sanctæ humilitatis in Petro.ἐθνικῶς, païennement ; si tu vis à la façon des païens, négligeant la discipline juive relative à la distinction des viandes, te dispensant sans scrupule des observances légales à l’exemple des Gentils. — Judaïser (Josephe, Antiq. ii, 17, 2), vivre judaïquement selon les mœurs et les lois juives. Pierre contraignait par son exemple plein d’autorité. Sa faute était moins dans l’acte que dans les circonstances, car si la loi était morte, elle n’était pas mortelle, dit Calmet ; si elle n’obligeait plus sous peine de péché, ce n’était pas un péché de l’observer. Paul lui-même nous déclare qu’il se faisait juif pour les Juifs, etc. (1 Cor. ch. 9). Mais ici c’était sacrifier par peur, la pureté évangélique ; c’était persuader contre conscience, la nécessité des cérémonies légales et faire broncher les Gentils-chrétiens ; il fallait flétrir ce mal, sans égard aux personnes ; ce que fit Paul courageusement. Cette action de Pierre est une recrudescence de sa vieille nature qui quoique vaincue par l’esprit de l’Évangile s’agitait encore et pouvait devenir dominante par intervalles et par moments isolés. L’argument, dit Jérome, était sans réplique.

2.15

15 Nous, quoique Juifs de naissance et non pécheurs d’entre les Gentils,

Le discours de Paul s’arrête-t-il au v. 14 ou bien seulement à la fin du chapitre ? Il est peu probable que le v. 14 ait suffi à une réprimande publique. L’apôtre met trois v. 11-13 pour exposer l’opportunité et l’occasion de son apostrophe ; son discours ne saurait donc être raisonnablement renfermé dans un verset ; s’il y était tout entier, le récit de ce petit nombre de paroles sous forme d’allocution directe ne paraîtrait pas motivé ; de plus si ce qui suit avait dû être séparé du v. 14, Paul aurait probablement ajouté quelque mot, comme ἡμεις οὖν, ἀδελφοί etc., pour indiquer que depuis le v. 15 il allait s’adresser aux Galates. Du reste ces paroles s’appliquent à merveille à Pierre, à la chose en question, et sont bien liées jusqu’au v. 21. Enfin le v. 15 n’est pas le commencement d’une nouvelle proposition ; Paul paraît s’envelopper avec les Juifs présents dans le mot nous et ce n’est que Galates 3.1, qu’il revient aux Galates par cette apostrophe, O Galates insensés ! Voilà beaucoup de raisons ; pour nous, en partie convaincus, nous ne voyons dans 14-21 qu’une relation substantielle du discours tenu par Paul à Pierre, et que le sommaire de ses raisonnements. Entraîné par le développement théorique des principes qui débordaient de âme, Paul, dans sa vivacité, laisse son point de départ, et passe sur le terrain dogmatique. Le car du v. 19, et le passage du pluriel au singulier signalent les v. 19-21 comme étant son commentaire sur les paroles un peu obscures qui précèdent parce qu’il les avait prononcées dans la vive émotion de son cœur. — φύσει ; de naissance ; par descendance ; primitivement (Romains 2.14,27 ; 11.21 ; Galates 4.8). Même sens dans Polybe iii, 9, 6. — ἁμαρτωλοί, pécheurs ; appellation habituelle des païens. Les Juifs, dit Augustin, se regardaient par un certain orgueil antique, comme seuls justes, probes, saints (1 Samuel 15.18 ; Nombres 23.10 ; Tobie 13.6 ; Matthieu 9.10 ; 26.45 ; 1 Maccabées 14.41), et donnaient aux Gentils l’épithète de pécheur, de vicieux, à cause de leur adoration de dieux imaginés (Éphésiens 2.12), de la privation dans laquelle ils étaient du vrai culte et de la loi positive de Dieu (Actes 2.23 ; 1 Corinthiens 9.21). Du reste ils méritaient bien ce titre (Romains ch. 1). Ainsi : Nous, par naissance, nous appartenions à un peuple qui possesseur de la loi divine pouvait en l’observant fidèlement, être juste devant Dieu ; nous ne sommes pas des pécheurs comme les Gentils, et si la justification pouvait être par la loi, comme le veut le parti judaïsant, nous serions, en tant que citoyens nés du peuple théocratique, des hommes purs, justes.

2.16

16 ayant compris que l’homme obtient justification non par les œuvres de la loi mais seulement par la foi en Jésus-Christ, nous dis-je, nous nous sommes liés à Christ par la foi afin d’être justifiés par la foi en Christ et non par les œuvres de la loi ; « car par les œuvres de la loi nulle chair ne sera justifiée.

Et cependant, nous, sortis de la race sainte, et justes par vocation, voyant que, etc. Nous voici à une sentence capitale dans l’économie du christianisme en général, et de l’ensemble systématique des idées de Paul en particulier ; expliquons tous les mots avec soin. La racine des mots grecs juste, justice, justifier, etc., est δίκη : rapport exact ; droit ; rectitude correspondante à une règle ; partage égal entre deux termes, de telle sorte qu’ils se maintiennent respectivement dans des rapports normaux, justes, tels qu’ils doivent être ; équité. — Sous ce nom ou sous celui de Thémis et de Némésis les païens adoraient la déesse Justice, occupée à récompenser toute marche droite, et à punir les déviations, la destruction des rapports exacts ; aussi ce mot signifie-t-il encore, peine, punition. Ils appelaient δικαιοσύνη l’ensemble des devoirs envers Dieu et les hommes, et une façon d’être et de paraître, une tenue pratique, une vie qui était la réalisation humaine de ces devoirs, la persistance vivante de ces rapports, de cette normalité dans tout l’homme. δίκαιος qui au physique se disait des choses qui avaient l’égalité la proportion, la rectitude voulues et dues, signifiait au moral, l’homme qui est tel qu’il doit être (Dict. de Henry Etienne. Platon, in Eutyphron., p. 52. Xénoph., Memorab. iv, 6,6. Matthieu 23.28 ; Luc 1.6 ; Romains 3.10). Ainsi en résumé nous trouvons ici : un rapport exact, normal, et une sanction à ce rapport, ou une justice distributive vengeresse et bénissante, c’est-à-dire, justice ; punition (colère) ; récompense(bonté). Venons aux Juifs. Le caractère distinctif de l’hébraïsme et du judaïsme, repose dans l’idée de la théocratie. Jéhovah, maître unique du monde, concentre ses prédilections sur les Hébreux, sa propriété (Exode 19.5 ; Deutéronome 14.2 ; 26.18 ; Psaumes 135.4 ; Deutéronome 9.29 ; 1 Samuel 10.1 ; Psaumes 33.12 ; 94.5).

Ce peuple lui est voué (Lévitique 20.26). Il le sépare des autres nations (Deutéronome 7.6 ; 14.2) et se l’unit par une sainte alliance d’après laquelle il est roi d’Israël, et les Hébreux sont son peuple (Deutéronome 33.5 ; 1 Samuel 8.7 ; Ésaïe 33.22 ; Michée 4.7). Sa volonté divine est l’unique loi ; les prêtres et les prophètes en sont les hérauts. Il est législateur et juge. Dans cette alliance contractée et acceptée, Jéhovah, roi, impose ses commandements, dicte à son peuple ses lois, manifestation de sa volonté sainte droite ou juste, afin que ce royaume soit le royaume de Dieu et réalise sa sainteté ; il pose et propose les rapports normaux qui doivent exister entre lui et ses serviteurs ; il promet récompense ou affirme punition au maintien ou à la violation de ces rapports ; voilà la base légale, l’idée de droit qui constitue la théocratie mosaïque, et caractérise l’Ancien Testament.

On peut considérer ces rapports dans les facteurs de l’alliance, je veux dire en Dieu et dans l’homme.

En Dieu, l’Être absolu, toutes ses perfections le sont également ; aussi la justice de Jéhovah reste toujours égale à elle-même, c’est-à-dire, que Dieu de son côté respecte souverainement sa volonté et maintient les rapports normaux qu’elle a établis (Deutéronome 22.4 ; Ésaïe 40.8 ; Psaumes 89.2 ; 19.9 ; 145.17). Cette justice de Dieu n’est pas seulement immanente en lui ; elle se manifeste comme bonté, en récompensant (Exode 20.5 ; 34.6-7 ; Job 34.10-12 ; Psaumes 7.9-17 ; 9.8-9 ; 11.5-7 ; 18.21-27 ; 31.20 ; 33.18-22 ; 36.6,11 ; 24.5 ; 36.10 ; 48.11 ; 1 Samuel 12.7 ; Proverbes 10.2 ; 21.1 ; Ésaïe 45.24-25 ; 46.13 ; 48.18 ; Malachie 3.18 ; Matthieu 6.1 ; 2 Corinthiens 9.10) ; comme colère en punissant (Ésaïe 10.25 ; Jérémie 15.17 ; Ézéchiel 22.24 ; Daniel 11.36). Cette bonté et cette colère ou la fidélité et la véracité de Dieu dans ses promesses comme dans ses menaces sont intimement dépendantes de la justice, puisque toutes les idées juives s’appuyant sur celle du droit, en raison du contrat, Dieu récompense ou punit irrésistiblement selon que ses commandements sont observés ou violés.

Et l’homme juste, quel sera-t-il ? Celui qui vivra conformément à la volonté divine qui est loi ; qui marchera droit ou devant Dieu, qui alors manifestera son obéissance à la loi, en étant probe, intègre, adonné à la vertu et à la piété ; qui respectera, maintiendra les rapports normaux, exacts que Dieu a établis entre sa personne et lui (Genèse 6.9 ; 18.25 ; Ecclésiaste 7.20 ; Proverbes 11.31 ; Psaumes 118.20 ; Ésaïe 49.24 ; Ézéchiel 3.20). La justice de l’homme sera sa tenue dans le droit ; son observance parfaite de la loi, son intégrité (Psaumes 11.7 ; 36.7 ; Ésaïe 5.16 ; 9.6 ; 10.22 ; 37.17 ; Daniel 9.7 ; Jérémie 9.23 ; Proverbes 12.28 ; 15.9 ; Ézéchiel 18.26 ; 3.20 ; Psaumes 112.8-9 ; 58.21 ; Job 27.6 ; Genèse 30.33 ; Deutéronome 6.25). — Le verbe hébreu hitsedik signifie : déclarer juste, reconnaître la justice de quelqu’un (Exode 23.7 ; Deutéronome 25.1 ; Ésaie 5.23 ; Proverbes 17.15 ; Romains 8.32) ; rétribuer et punir (1 Rois 8.32 ; 2 Chroniques 6.23 ; Ésaïe 45.25) ; déclarer absous (Ésaïe 45.8, 24). Ainsi la δικαιοσύνη juive consistait dans la possession permanente des sentiments et de la conduite théocratiques parfaits ; c’est là la perfection légale. Par cette possession, le tzadik, le δίκαιος ; le juste était, d’un côté pur de culpabilité et de punition, et de l’autre avait forcément droit à tous les privilèges et à tous les biens destinés aux membres sains de la théocratie, ou du royaume de Jéhovah.

Arrivons à Paul. Il rattache le christianisme à cette filiation d’idées ; Dieu est absolument juste ainsi que sa loi et ses jugements (1 Thessaloniciens 1.5-6 ; 2 Timothée 4.8 ; Romains 7.12, 14, 16) ; sa sainteté, sa justice, son impartialité se manifestent comme colère contre les violateurs de la loi (Romains 1.8 ; Colossiens 3.6 ; Romains 3.23) mais aussi comme bonté dans les récompenses, comme fidélité à ses promesses. Le juste est celui qui observe la loi, qui accorde à chacun selon le sien, et vit dans la piété, c’est-à-dire, qui conserve le rapport exact établi entre lui d’un côté, et Dieu et les hommes de l’autre (1 Timothée 1.9 ; Tite 1.8 ; Romains 3.10 ; 2.13 ; 5.19 ; 1.17 ; Galates 3.11 ; Hébreux 10.38 ; 11.4 ; 12.23) ; sa Justice consiste à accorder à chacun selon son droit ; à être pieux ; ce qui le met dans un état d’inculpabilité, d’innocence (Éphésiens 5.9 ; 1 Timothée 6.11 ; Éphésiens 6.14 ; Romains 6.16-22 ; 8.10 ; 14.7 ; 2 Corinthiens 6.7 ; Philippiens 1.11 ; 3.6, 9). Le verbe δικαιόω correspondant de hitsedik, indique l’activité divine qui déclare, reconnaît juste et traite comme tel ; et δικαιοῦοθαι, l’état d’être juste, et la reconnaissance ou la proclamation de cet état ; être rendu, être fait approuvé de Dieu (Romains 4.2 ; 2.13 ; 3.20,24,26,28 ; 5.1 ; Colossiens 4.25 ; 5.9 ; 5.10 ; 8.30 ; Tite 3.6 ; 1 Corinthiens 6.11 ; Galates 3.11 ; Romains 6.7 ; Actes 13.39).

Paul déclare que par la loi on ne peut arriver à cet état de justice. Les Juifs au contraire croyaient que c’était possible par la loi, et qu’il n’y avait pas d’autre moyen ; ils comptaient sur eux-mêmes, sur leurs mérites propres pour entrer en compte avec Dieu (Psaumes 7.9 ; 18.21-25 ; 26.1-14 ; 41.13 ; 44.18-21 ; 66.18 ; Job ch 31 ; Philippiens 3.4 ; Galates 1.13-14 ; Actes 22.3) ; de la les expressions « justice propre ; justice par les œuvres de la loi ; par, suivant la loi » (Philippiens 3.6, 9 ; Romains 10.3, 5 ; 3.21 ; Galates 2.16, 21 ; 3.11). Qu’était-ce donc que cette loi ? C’est d’abord pour les Juifs comme pour les païens, les ordres de la conscience ; la loi de l’esprit ; l’homme intérieur ; la loi écrite dans les cœurs (Romains 2.15 ; 7.1 ; 7.22-23) ; ensuite pour les Juifs en particulier, c’est l’ensemble des lois divines, ou la révélation de la volonté céleste en dispositions morales, politiques, rituelles, contenues dans l’Ancien Testament, et dont l’âme était cette pensée : Aimez Dieu de toutes vos puissances et votre prochain comme vous-mêmes (2 Rois 17.13 ; 2 Chroniques 19.10 ; Michée 4.2 ; Malachie 2.7 ; 2 Chroniques 15.3 ; Lamentations 2.9). Cette loi comprenait donc aussi le sentiment moral (Exode 20.12, 17) ; la piété intérieure (Lévitique 19.14, 17, 18 ; Deutéronome 22.1-4 ; 27.18 ; 6.5 ; comp. 5.26) ; la vie de la conscience, une haute sévérité envers soi-même (Psaumes 7.5, 10 ; ch. 15 ; 17.3 ; 19.13 ; 26.2 ; ch. 32 ; 44.22 ; 50.16-20 ; 51.3-14 ; 143.2 ; Ecclésiaste 7.20 ; Proverbes 20.9,27 ; 21.2 ; Job 34.21 ; Ésaïe 6.5). Nulle part l’apôtre ne distingue expressément entre la loi morale et la loi rituelle. Ainsi l’idée complète de loi est celle d’une manifestation, sous forme impérative, de toutes les exigences que Dieu adresse à l’homme ; c’est une règle imposée du dehors à sa volonté pour diriger et normaliser sa conduite. Les œuvres de la loi seront donc l’ensemble des actes qui constituent l’accomplissement intérieur et extérieur, la face morale et rituelle de la loi. Paul, dans ses combats épistolaires met en relief tantôt le premier, tantôt le second côté, selon la nature de la discussion. En général dans cette épître, c’est l’élément rituel qui domine (Comp. Galates 3.10, 17, 19 ; Romains 3.20, 27-30 ; 9.31-32).

L’apôtre déclare que l’homme ne peut être justifié par les œuvres de la loi ; d’où provient cette impuissance ? La loi, celle de la conscience comme celle de Moïse, est selon lui, spirituelle, sainte, pure, belle, bonne, juste (Romains 7.12, 14, 16) ; on ne peut la remplir que par une obéissance parfaite ; on n’est juste que par une vie de pleine unité avec elle, que par une corrélation souverainement harmonique entre elle et notre volonté ; or d’après l’anthropologie chrétienne, l’homme est charnel, égoïste, dès lors en lutte, soit directement soit en l’évitant(2 Corinthiens 5.15), contre la loi qu’il viole parce qu’elle irrite ses penchants, et qui devient ainsi puissance de péché. Développons cette pensée. L’homme peut se trouver dans trois états psychologiques différents ; ou bien il a conscience de sa personne à son degré le plus infime, de son moi chair et sang, de son être animal avec ses besoins grossiers ; ou bien il joint à cette conscience, celle de l’homme intérieur, de la personnalité spirituelle, de telle sorte qu’il sente pleinement l’antagonisme de ces deux éléments matériel et spirituel, le combat entre la loi morale que l’entendement révèle, et la volonté plus ou moins asservie au principe charnel ; ou bien enfin le sentiment religieux domine en lui les deux autres, les régularise, les transfigure en les subordonnant à sa puissance ; alors la vie religieuse donne le ton à l’âme et sanctifie, en les purifiant, la conscience du moi et du monde. Ainsi dans le premier état, il y a unité, paix, mais unité de la chair, paix de la brute, vie de l’animalité pure dont les œuvres sont appelées mauvaises, ténébreuses, charnelles (Romains 13.3, 12 ; Galates 5.19) ; dans le second il y a guerre entre le Seigneur et Bélial, Dieu et le monde, la loi et le moi, l’entendement et la volonté ; il y a conscience du déchirement intérieur, du dualisme hostile qui enfante des œuvres mortes (Hébreux 6.1 ; 9.14) plus régulières par la forme que par le fond ; et dans le troisième, nous voyons le retour à l’unité et à la paix, mais à celles de l’âme et de la conscience ; la dissolution de la guerre intestine, et la création de l’ordre et de l’harmonie entre les deux éléments, par l’introduction de la vertu religieuse, du sentiment de Dieu, qui produisent des œuvres de foi, bonnes, belles, divines (Tite 2.7, 14 ; Colossiens 1.10 ; Jean 6.28). Alors l’homme voyant en Dieu et lui-même et la création, les voit dans la vérité, dans l’ordre, et leur assigne leur véritable valeur de subordination. Eh bien, les hommes en général se trouvent dans la seconde catégorie, lorsqu’ils ne sont pas nés de nouveau. Les Juifs en particulier, pour rentrer dans notre sujet, en étaient là de leur développement moral. La loi mosaïque extérieure, formelle, posée devant eux, toujours dressée devant leur cœur, ne leur permettait pas d’oublier ses sévères exigences, et d’autre part, leur nature grossière, sensuelle, égoïste violentait leur volonté ; cependant ils ne voulaient pas abandonner Dieu, et ne pouvant observer ses commandements par amour, par libre assentiment, ils les accomplissaient corporellement, des lèvres et des mains, et substituaient la légalité à la moralité ; ils étaient, comme dit très spirituellement Augustin, sub lege et non cum lege (Romains 6.14 ; Galates 5.18). C’est là la cause de la polémique des prophètes (Ésaïe 58.6-8 ; 1.11-18 ; 66.3 ; 1 Sam. 15.21 ; Psaumes 50.8-15 ; 40.7-9 ; Jérémie 6.20 ; 7.4-6, 21 ; Osée 6.6 ; Amos 5.21 ; Michée 6.6 ; Proverbes 21.4), de Christ, des apôtres et de Paul surtout, contre la légalité, la justice propre par la loi (Matthieu 5.20 ; 19.16-24 ; 22.34-40). Première raison de l’impuissance de la loi. — La loi en général est quelque chose d’abstrait, d’intellectuel, et la loi juive en particulier est un ordre de faire le bien, ordre extérieur, impératif, catégorique, froid, impassible, inanimé ; pour qu’elle pût justifier, amener une obéissance parfaite, il faudrait démontrer qu’il y a un rapport absolu d’action et de génération entre une chose abstraite et une volonté concrète, entre l’entendement et la volonté ; que l’extérieur produit nécessairement l’intérieur, le commandement l’obéissance, la lettre l’esprit, la mort la vie. Quelle vertu y a-t-il dans un texte placé devant mes yeux pour aller dans mon âme et dans ma volonté régénérer leurs tendances ? D’ailleurs la loi dans sa forme une, finie, écrite, morte, ne renferme ni ne communique son esprit, et cependant le premier accomplissement de la loi est de vivre de son esprit, car une exécution ponctuelle, dans le temps et dans l’espace, machinale, successive physiquement, visible, accomplie par une somme d’actions isolées, de mouvements séparés, limités chacun à une certaine durée, n’a rien de commun avec cette réalisation intérieure, toujours en œuvre, toujours présente, spirituelle, instantanée et spontanée, invisible, complète, qui a pour mesure les battements de la pensée, du cœur, de la vie, qui est la vie elle-même de l’âme, l’efflorescence volontaire, aimée et immortelle de la sainteté et de l’amour. Seconde cause d’impuissance. — Quand bien même, dit Néander, l’homme serait en conformité intérieure avec les exigences pures de la loi, ou ne pourrait pas encore dire qu’il se justifie par les œuvres de la loi, car l’extérieur suppose l’intérieur, et la vraie justice ou la droiture devant Dieu ne peut découler de l’œuvre du dehors qui n’est que son reflet et sa prolongation sensible. Or il n’y a pas même dans le Juif cette correspondance intime de son âme avec les tendances spirituelles de la loi, ce parallélisme d’esprit et de vie, et la loi dans sa crue nudité ne peut communiquer la force nécessaire pour l’accomplir ainsi que nous l’avons établi ; donc, etc. ; ce qui constitue une troisième raison. — La loi pousse l’homme par des motifs sensibles, intéressés, par la crainte et l’espérance, de sorte que les actions morales ou rituelles nées de ces mobiles sont privées du sentiment d’amour et d’obéissance volontaire indispensables à la vraie justice. L’accomplissement encore ici, ne consiste que dans le faire externe et charnel ; le faire interne, le feu de l’âme, la flamme du cœur manquent ; c’est de la légalité et non de la moralité. En outre la nature politique de la religion mosaïque, dit de Wette, avait en elle-même pour résultat de faire regarder beaucoup plus aux conséquences qu’au mérite intime des actions, et de signaler le bonheur comme but de la conduite vertueuse. Ainsi l’anthropologie chrétienne de Paul, le caractère de la loi, l’essence de la moralité, la nature politique de la religion mosaïque, et celle de ses motifs déterminants nous expliquent pourquoi ni la loi ni ses œuvres ne pouvaient produire la véritable droiture de l’âme devant Dieu. Quel est donc le véritable moyen pour y parvenir ? l’apôtre répond en continuant : mais par la foi en J. C. (Romains 3.21-30 ; 4.24 ; 5.1, 2, 9 ; 10.4-12 ; Galates 3.1-1-18 ; Philippiens 3.9). Synonymes : Justice de Dieu, par la foi de J. C. (Romains 3.22) ; par la foi (Romains 9.30) ; justification de la foi (Romains 4.11, 13), moyennant la foi (Philippiens 3.9 selon la foi (Hébreux 11.7 ; Éphésiens 3.12). Il résulte de ces passages, dit Ustéri, que la foi est quelque chose d’entièrement opposé aux œuvres de la loi sous trois rapports :

  1. par les œuvres de la loi on attend une récompense ; la foi est l’aveu de notre insuffisance, et un acte de confiance en un autre, en Dieu ;
  2. les œuvres de la loi sont extérieures ; la foi est une disposition de l’âme purement intérieure ;
  3. la loi n’était que pour les Juifs, la foi est générale, et procure justification tant aux païens qu’aux Juifs, indistinctement.

C’est une confiance en la grâce divine qui accepte l’injuste comme juste, un renoncement à ses propres mérites, à sa propre justice, et une confiance en Christ, fondée sur la connaissance que Jésus a été établi Christ par Dieu pour porter dans le sein de l’humanité une nouvelle et divine puissance de vie, et la ramener à Dieu par ce moyen ; le πνεῦμα, l’esprit, est cette puissance (Romains 1.16 ; 15.13 ; 1 Corinthiens 1.18, 24 ; 2.4, 5). — Néander : « C’est l’admission en soi et l’assimilation vivante de la révélation divine, au moyen de la réceptivité pour l’élément divin, qui est inhérente à l’âme humaine. Il faut un objet donné, fourni à cet acte de compréhension subjective, d’embrassement intérieur ; et l’objet que nous fournit le christianisme est de telle sorte qu’il agit d’une façon particulière sur l’âme, et actionne la détermination de la volonté humaine pour les choses divines. C’est une détermination intérieure qui unissant le sujet à un objet, crée et fonde une direction nouvelle dans l’âme. La foi suppose la conscience du péché, l’abandon de nos propres mérites devant Dieu, le désir d’être libéré du joug du péché ou le besoin de rédemption ; il ne faut pas cependant que cette conscience du péché aboutisse au désespoir ; elle doit être mêlée de confiance en la grâce de Dieu, ou la rédemption. L’idée fondamentale et générale de la foi est celle de l’âme tout entière saisissant l’invisible, se vouant à lui, se reliant aux choses divines, s’élevant au-dessus de l’ensemble de la création et de la nature qui est devant elle, entrant positivement par cette direction spirituelle de la vie intérieure, dans un ordre supérieur, dans un empire divin et éternel qui se manifeste à ses yeux, et vivant au milieu du monde, mais au-dessus de ses rapports, en Dieu, avec Dieu, par Dieu et pour Dieu ». C’est donc dans le sens le plus étendu, le renoncement à l’orgueil et l’aveu volontaire et bien-aimé de notre dépendance absolue de Dieu ; or la religion vivante n’est pas autre chose que la conscience de cette dépendance ; la foi est donc la base de la piété, sa première condition ; sans elle on ne peut aller ni au Père, ni au Fils. — Olshausen : « La foi n’a qu’une signification fondamentale qui se modifie suivant ses rapports, la voici : c’est une vive représentation des choses qu’on espère, et une démonstration de celles qu’on ne voit pas (Hébreux 11.1). C’est l’opposé du savoir des choses visibles, et de l’intuition des choses invisibles (1 Corinthiens 13.12 ; 2 Corinthiens 5.7). — Le rapport de l’homme à l’Invisible, à l’Éternel est triple ; ou bien il est basé sur l’activité pensante, ou sur la volonté et les inclinations du cœur, ou enfin sur toutes les forces de l’homme. Dans le premier cas, c’est une foi de tête, de lettre, sans vie correspondante (Jacques 2.17, 19, 20 ; 1 Corinthiens 13.2). Dans le second, c’est une foi de cœur, une réceptivité vivante pour les forces d’un monde supérieur, celle des malades de l’Évangile qu’on portait à Jésus pour être guéris ; c’est l’amour réceptif, tandis que la grâce est l’amour communicatif. Dans le troisième, elle est parfaite, en ce qu’elle s’empare de tout l’homme, et que cette réceptivité vivante est unie à un savoir clair et compréhensif. — La foi est aussi la base générale de tous les degrés du développement religieux. Comment se distinguent et se classent ces degrés ? Dans la partie noble du paganisme l’objet de la foi est le divin à l’état d’indécise et de flottante généralité. Dans le vrai judaïsme, c’est la personnalité divine et la conscience de cette personnalité ; mais cette foi ne saisit cette apparition personnelle de Dieu que comme future, réalisable par le Messie, et comme extérieure. Dans le christianisme seul cette foi s’élève à la conception de la personnalité divine, apparue en Christ, comme présente et intérieure. Ce n’est qu’au dernier degré que l’âme s’unit à son époux, et devient une avec Lui ; que toute l’œuvre et la personne de Christ deviennent sa propriété ; alors la foi est une renaissance, qui de l’homme de la terre fait un homme du ciel ou de Dieu (2 Timothée 3.17). C’est là la foi subjective, par laquelle nous croyons ; on appelle foi objective, le contenu de la foi qui est crue. » —L’objet particulier de la foi chrétienne, est J. C., ou la réalité du type de la justice ; la conscience absolument pure, sainte, droite, absolument vivante devenue personne humaine. Cette réalité incarnée est la garantie infaillible que sa sainteté deviendra le partage de tous ceux qui s’unifieront à elle par la foi, par l’adhérence libre et amoureuse de leur âme à la conscience de J. C. ; qui se feront organes de son esprit, sarments de son cep. Ce passage de la vie pure de Christ dans la vie mélangée du fidèle, cette rédemption croissante, ce salut progressif existent en germe et en principe dans la foi, seulement ce germe inné de vie en Dieu, de filialité divine se développe lorsqu’il est fécondé, échauffé, divinisé par le contact rayonnant du Sauveur, par Celui qui a été parmi nous, la vie en Dieu personnifiée. Schleiermacher a fait à ce sujet un discours que je ne puis m’empêcher d’analyser. L’illustre orateur berlinois veut montrer Christ, comme libérateur de la loi et du péché. Puisque du moment qu’il y a loi, il y a aussi péché, il s’en suit que pour faire disparaître le péché, il faut d’abord enlever la loi. Christ nous rachète de l’un et de l’autre. D’abord notre rédemption ne pouvait être accomplie que par un être placé au-dessus du conflit de l’entendement ou de la loi et de la volonté, ce qui est le péché. D’où il résulte que la rédemption ne peut pas consister dans une influence séparée qu’on exercerait sur notre entendement ou sur notre volonté, c’est-à-dire, dans des enseignements, des doctrines ou des idées pures. La vérité, si elle n’était présentée que comme philosophique, comme système d’idées, n’agissant que sur l’une des deux parties hostiles, l’entendement, et se présentant à lui, ainsi qu’à la volonté comme loi, laisserait subsister le conflit et par conséquent le péché. Quelle n’est donc pas l’erreur de ceux qui ont simplement vu, ou n’ont voulu voir dans le christianisme qu’une masse d’idées vraies ! ils ont passé à côté de lui. En Christ il n’y avait pas de déchirement intérieur, la loi et la volonté étaient un ; donc si nous devenons un avec Lui par la foi, comme il s’est donné à nous et s’est fait notre, de même nous regarderons tout ce qui est sien comme notre et non seulement ce qui lui appartient d’une manière immédiate, mais encore tout ce qu’il produit dans ceux qui le reçoivent. Ainsi tandis qu’il est en nous, nous devenons tous un avec Lui, sa justice devient notre et nous sommes justifiés par la foi en Lui, de sorte que celui qui est justifié vit de sa foi. En second lieu, pour que nous puissions dire, Christ vit en nous, il faut qu’il soit le centre, l’unité, le foyer de notre vie individuelle et sociale. Or Christ allume cet amour divin dans notre cœur comme le général enflamme ses soldats, l’homme de génie ses disciples, comme la mère qui n’a qu’à poser son regard lumineux devant son enfant pour faire naître le sourire, la sérénité, la joie. Ces influences sont des faits psychologiques, ce n’est pas de l’illuminisme, mais du réel, de l’humain, du quotidien. Une fois l’amour excité et implanté, l’œuvre rédemptrice marche, car toute la volonté de Dieu est amour, et là où l’amour règne, il n’y a plus de loi — de la loi sort la connaissance du péché, mais l’amour couvre une foule de péchés — la loi produit la crainte, crainte des punitions, l’espoir des récompenses, mais l’amour chasse la crainte. — La loi quoique spirituelle subsiste par la lettre, selon sa nature, l’amour surpasse toute langue et toute connaissance — vivre de cet amour, c’est être gouverné par son esprit, et si l’esprit nous gouverne, nous ne sommes plus sous la loi (Galates 5.18 ; 1 Corinthiens 13.8 ; Romains 5.5). Ainsi Christ nous délivre du péché par notre communion avec sa justice ; de la loi, parce que l’amour de Christ est tellement l’accomplissement de la loi, qu’il n’est plus nécessaire de penser encore à la loi. — Καὶ ἡμεῖς : Nous aussi, persuadés, quoique Juifs de naissance et soumis à la loi juive, que la loi est insuffisante pour nous rendre justes, nous avons — πιστ. εἰς etc., croire en quelqu’un (Romains 10.14) ; ce verbe suivi de εἰς ou de ἐπὶ, renferme plus que croire à quelqu’un ; c’est une expression prégnante qui veut dire s’attacher, plein de foi, à quelqu’un : Nous aussi par la foi nous nous sommes entés et implantés dans sa conscience et dans sa vie afin d’être justifiés par la foi de Christ et non par la loi. Pierre Lombard avait déjà distingué très nettement entre croire à Dieu ou croire que Dieu est, ce que font aussi les méchants, et croire en Dieu, ou en croyant, aimer Dieu, adhérer à lui. La foi en Dieu, en Christ est l’action de se vouer à, etc. — C’est pourquoi, etc., allusion à Psaumes 143.2, dans les Septante. — Toute chair, synonyme de tout vivant dans les Septante, de homme du même verset. Tous les hommes, tous les mortels (Genèse 6.12 ; Psaumes 145.22 ; Ésaïe 40.5, 7 ; Luc 3.6 ; Jean 17.2 ; Romains 3.20 ; 1 Corinthiens 1.29) : ce qui est conforme à l’Écriture qui dit qu’aucun vivant ne sera justifié par les œuvres de la loi.

2.17

17 et pourtant si avides d’être justifiés en Christ, nous sommes, nous aussi, trouvés pécheurs, est-ce donc que Christ est ministre de péché ? Loin de là !

Si donc cherchant à être justifiés ἐν Χριστῷ, en Christ ; non pas : à cause de Christ, mais : dans la communion de vie avec Lui ; synonyme de : par la foi de J. C., du v. 16. — εὑρέθ être connu soit de Dieu, soit des hommes, tel qu’on est (Luc 17.18 ; Matthieu 1.18 ; Romains 7.10 ; 1 Corinthiens 15.5). — Nous mêmes aussi, qui croyons en Christ, si nous sommes trouvés pécheurs comme les païens ; si réellement nous sommes pécheurs quoique nous ayons cherché justification en Christ ; si nonobstant notre foi justifiante nous sommes encore pécheurs, lorsque nous n’observons pas par exemple la distinction des viandes, ce que toi, Pierre, sembles enseigner puisque tu te hâtes d’observer ces ordonnances quoique tu aies foi en Christ, comme si tu craignais de pécher en ne les observant pas, il faut conclure que Christ est un ministre de péché, puisque nous enseignant la justification par la foi en Lui seulement, il nous amène à délaisser les règles judaïques, ou la justification par les œuvres, et nous fait par là tomber dans le péché inévitablement, si, je le répète, comme tu sembles le proclamer par ta conduite, il faut faire les œuvres de la loi pour être juste devant Dieu. Telle est la conclusion rigoureuse qui découle de ta conduite, et l’absurdité de cette conséquence met dans tout leur jour ton erreur, tes torts, ta contradiction. Ainsi en deux mots : la foi en Christ annule la loi et ses œuvres, et seule elle justifie ; or si nous revenons à la loi comme nécessaire au salut, celui qui dit qu’elle ne sert de rien et qui l’annule, Christ, nous donne une liberté fausse, nous trompe, nous fait errer, pécher, et est lui-même un instigateur et un instrument de péché. — ἆρα (Luc 18.8 ; Actes 8.30), nonne, est ce que… ne : Christ ne serait-il pas ? — διάκονος, qui sert les désirs de qui administre à d’autres en inférieur ; serviteur, propagateur, dispensateur, etc. Cette tournure interrogative ; J. C. est-il donc ministre du péché ? est plus respectueuse que s’il concluait directement : J. C. est ministre de péché. Chrysost., Théodor., Œcum. Théophyl., Semler, Cramer, Koppe, Rosenm., Borger, Winer, Schott, Néander, Ustéri pensent ainsi.

2.18

18 car au contraire, si je rebâtis ce que j’ai détruit, je me constitue moi-même prévaricateur ;

Paul termine au v. 17 la première partie de son raisonnement ; il prouve par la contradiction dans laquelle il fait tomber le principe chrétien de Pierre avec sa conduite, et par l’absurdité de la conséquence rigoureuse qu’il en tire relativement à Christ, et que Pierre était le premier à nier, que la foi seule justifie, et qu’elle ne rend pas pécheur. Dans la seconde partie (18-21), il retourne l’argument contre l’opinion judaïste et fait voir que ceux-là sont pécheurs qui enjoigne de pratiquer la foi, tandis que ceux-là seuls obéissent à la volonté divine, qui ne veulent chercher leur justification qu’en Christ. — γὰρ ; ce mot se rattache à « loin de là », et annonce que la supposition et la conséquence que Paul vient de faire et de tirer sont fausses : Loin de moi de dire que Christ est le ministre du péché, car au contraire. — κατέλυσα, οἰκοδομῶ termes d’architecture, fréquents dans Paul (Éphésiens 2.20 ; Romains 14.20 ; 15.20 ; 1 Corinthiens 8.1 ; 10.23 ; 2 Corinthiens 5.1) ; le premier signifie dissoudre, détruire ; rendre vain, déclarer privé d’autorité ; abroger ; le second, construire ; accorder force et autorité, ici à la loi mosaïque ; l’enjoindre aux chrétiens. — Je me déclare, je me pose, moi-même et non pas un autre (non pas Christ) ; il semble appuyer sur ce mot avec une force et une intention particulières. L’idée que Paul veut faire ressortir est que le péché n’est ni dans l’abrogation de la loi, ni dans l’abrogateur, mais dans la réédification, et par conséquent dans celui qui la réimpose. Loin de moi de penser que par l’abrogation de la loi Christ se soit rendu un instrument de péché, car au contraire si nous maintenons de nouveau l’obligation de la loi pour avoir la justice, obligation justement anéantie par Christ, c’est nous et non le Christ que nous trouvons réellement pécheurs, puisque nous nous mettons en contradiction ouverte avec la volonté divine, et que nous la déclarons par notre désobéissance fausse, trompeuse et impuissante. Ainsi expliquent Chrysost., Théodor., Œcum., Théoph., Koppe, Flatt., Winer, Matthies, Schott. Don Calmet ajoute : « Si vous et moi nous rétablissons de nouveau l’autorité de la loi, après avoir enseigné qu’elle n’est plus nécessaire, ne nous faisons-nous pas passer pour prévaricateurs, pour menteurs ? »

2.19

19 car par la loi je suis mort à la loi afin de vivre, à Dieu ;

νόμῷ ἀπέθανον (Romains 6.2, 8 ; 7.4 ; Colossiens 2.20), être comme mort pour la loi mosaïque et ce qui la concerne ; c’est d’un côté la cessation complète des droits de la loi, et de l’autre l’expiration de tout devoir envers elle. — διὰ νόμου, par la loi. Jérôme, Ambros., Luther, Michaëlis, Bengel, Koppe, Morus, Borger, etc., s’appuyant sur Romains 3.27 ; 8.2 ; 9.31 ; 1 Corinthiens 9.21, où le christianisme est appelé loi de la foi, de la justice, de l’esprit, prennent ici ce mot dans ce sens et traduisent : par l’Évangile ou la loi évangélique je suis mort à la loi de Moïse. Ustéri dit : la loi n’a d’empire sur l’homme qu’aussi longtemps que l’homme vit ; or le chrétien est mort avec Christ, donc la loi a perdu tout droit sur lui. L’idée, dit-il, est celle-ci : Dans celui qui se donne à Christ et qui devient un avec lui, la personnalité égoïste meurt et une vie élevée au-dessus des choses terrestres, extérieures, passagères, une vie éternelle de l’esprit commence en lui, et alors la loi comme forme impérative, enchaînante, théocratiquement extérieure devient superflue parce que la volonté divine n’est plus pour lui quelque chose de vis-à-vis, d’étranger, de posé devant sa face, mais est une avec sa vie intime et la force spirituelle qui le gouverne et le vivifie. Calvin, Semler, Baumgarten, Flatt, Winer, Matthies, Schott, donnent au contraire aux deux mots loi le même sens, parce que les passages cités ne prouvent pas que νόμος seul, sans complément, soit usité dans cette signification, et que la sentence expliquée comme suit est plus dans l’esprit de Paul ; voici : la loi quoique bonne en elle-même tuait (Actes 13.39 ; Romains 6.20 ; 7.9 ; 8.3 ; Galates 2.16), et depuis la venue de Christ surtout, on avait compris par son caractère et son inefficacité réelle, qu’elle était impuissante à justifier ; en second lieu, la loi elle-même prophétisait une nouvelle économie, le règne messianique qui la remplacerait, et dont elle n’était que la préparation ; ainsi la loi considérée dans ses rapports réels avec les hommes, et dans ses tendances générales qui étaient préparatoires, prophétiques, messianiques, se frappait de nullité, brisait elle-même son joug et forçait les hommes par son impuissance comme par ses promesses à renoncer à elle, à mourir par elle à elle-même. — La liaison entre les v. 18 et 19 semble être celle-ci : Oui, les pécheurs sont ceux, non qui abrogent, mais qui ramènent la loi, car l’abrogation était juste puisque le but de la loi était de me faire mourir à elle-même afin que je cherchasse la vie ailleurs, ἵνα dans le dessein, le but de vivre à Dieu, opposé à être mort dans ses péchés (Romains 6.11). Les Juifs ne regardaient pas à Dieu mais à la loi ou à eux-mêmes (2 Corinthiens 5.15), et la loi était cause des péchés (Galates 2.18) ; le contraire devait donc être de s’appliquer à la piété par amour de Dieu, non par crainte servile ou par respect de la loi mais par les nouvelles forces que donne la foi en Christ.

2.20

20 je suis crucifié avec Christ, et je vis, non plus moi, mais Christ vit en moi ; et ce que je vis présentement de vie terrestre, je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré lui-même pour moi.

Χριστῷ συνεσταύρωμαι. (Romains 6.4 ; Colossiens 2.12), être cloué à la croix conjointement avec Christ (Galates 3.13 ; Hébreux 7.26 ; 9.7). Je suis co-crucifié avec Christ dont la crucifixion est celle de la loi, et par la loi celle du péché ; dont la mort est le déchirement de la loi, la mort du péché, la mort de la mort elle-même ; donc je participe aux effets de cette mort ; il n’y a plus de loi pour moi ; mon ancien époux n’est plus et j’en prends un nouveau ; j’étais juif, je suis chrétien — ζῶ δὲ, et je vis ; après cette participation à la crucifixion de Christ, je prends part aussi à sa résurrection ; je vis mais ce n’est plus moi ; la direction égoïste, rebelle à la conscience religieuse divine, la volonté liée par la nature sensible ne me gouvernent plus ; les membres et leur loi, la chair et ses convoitises étant comme crucifiés avec le corps de Christ, sont morts, et comme cette mort de la chair et du péché est un don, une libération qui relèvent non de ma force et de ma volonté, mais de la volonté et de la force du Sauveur, la vie qui succède au clouement est encore un don, un effet qui découle non de ma puissance personnelle mais de celle du Prince de la vie ; elle est une réorganisation vivante qui n’a pas moi pour auteur, mais Christ ; de sorte que ma vie, rayon de celle de Jésus n’est plus la vie personnelle, indépendante, autocratique de mon moi, mais celle du Sauveur donnée, versée et reçue dans ma capacité humaine, multipliée sous forme de conscience, incarnée dans mon individu qui meurt par la foi en Lui pour revivre de Lui et par Lui, pour être son image individualisée et personnifiée. En effet, dit l’apôtre, c’est Christ qui vit en moi (Romains 8.10 ; 2.13 ; Colossiens 2.11-13) ; Christ est le principe et la fin de ma nouvelle vie ; ma volonté égoïste est morte et la sienne gouverne mon être et ses œuvres ; une nouvelle force triomphante pénètre toute ma nature ; une unité neuve s’est fixée en moi ; ma vie ne gravite plus autour du centre moi, mais mon moi s’est décentralisé pour graviter autour de Dieu et de Christ son Verbe dont l’esprit m’anime, car le Sauveur est dans ceux qui ont son esprit (Romains 8.9-0 ; Jean 15.4 ; 17.23). — Il y a ici progression dans le raisonnement. Paul veut montrer que le pécheur est celui qui ramène la loi ; car dit-il, le but de la loi elle-même était de s’annuler pour que nous pussions vivre ; ramener la loi c’est donc ramener le péché, par le péché la mort et empêcher la vie divine ; première raison. Mais il y a plus, continue Paul, je prends le chrétien puisque c’est de lui qu’il s’agit, et je dis que de fait il est mort à la loi par sa crucifixion avec Christ et que sa vie est toute en dehors de la loi et des affections du moi, et toute en dedans de Jésus et de la foi ; il n’est plus pécheur mort puisqu’il vit en Christ ou que Christ vit en lui, et il ne l’est plus, que parce que la loi est morte pour lui et qu’il est mort à la loi ; si donc vous ramenez la loi, vous coupez court à sa vie, vous le faites retomber dans le péché, et vous êtes vous-mêmes ministres de péché. Ainsi Christ n’est pas serviteur de péché parce qu’il a aboli la loi, mais c’est nous qui le sommes, si nous la réintégrons dans son autorité passée, dans ses droits éteints. — ὅ δὲ νῦν ζῶ. Paul explique comment il peut dire ce qui précède : que ce n’est pas lui qui vit, quoique sa personne soit la même ; δὲ renferme en effet l’idée d’explication d’une chose : mais ce que je vis maintenant, la vie telle que je l’ai présentement ; les Grecs disaient vivre la vieἐν σαρκὶ (Philippiens 1.22) la vie naturelle, sur la terre ; ce que je vis présentement de vie terrestre, dans cette tente de chair, je le vis dans la foi, dans la communion avec J. C., Fils de Dieu ; toute ma vie est consacrée à Jésus ; vivre et vivre dans sa foi sont une seule et même chose pour moi ; ma vie dont Christ est le principe, l’élément, la force, la loi et le but, est un reflet, un fait de ma foi en Lui, Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est livré pour moi.

2.21

21 Ainsi je ne rends pas vaine la grâce de Dieu, car s’il y a justification par la loi, Christ est dès lors inutilement mort.

Je ne rejette pas, je ne rends pas vaine la grâce de Dieu qui brille dans l’amour et le dévouement de Christ pour les hommes ; ce qui arriverait si je disais que la justification s’obtient par la loi, car alors Christ serait mort δωρεάν, en vain, sans cause propre, sans nécessité et sans résultat. Si la loi sauve, la mort de Christ est superflue (Septante. Job 1.9 ; Psaumes 34.8). Ainsi, conclut Paul : Je n’anéantis pas la grâce de Dieu, chose dont vous vous rendez coupables en proclamant le salut par la loi.

Ce paragraphe 11-21 nous présente d’importantes vérités ; quelques mots encore à ce sujet. C’est d’abord l’inconséquence et l’erreur dogmatique et pratique d’un apôtre, son redressement par un autre, ou en d’autres termes, à côté du relief divin des apôtres, leur humanité, leur faillibilité. — Le chrétien n’est arrêté par aucune considération d’autorité, de nombre, de personne, pour défendre la cause de la vérité en péril. Bel exemple d’indépendance et de courage chrétiens, de dévouement absolu aux intérêts de l’Évangile, dans la conduite de Paul, dans son énergique et individuelle protestation. — Impuissance des lois seules pour faire vivre. La légalité réprime mais n’inspire pas. La véritable vie part de l’intérieur, de l’âme. Les sentiments sont supérieurs aux lois, car par les lois vous ne produisez pas les sentiments, mais avec ceux-ci, l’on se passe de celles-là. Les mœurs dans leur origine, leur nature, leur étendue, leurs effets, leur but sont préférables aux lois ; la vie intime morale à la vie extérieure civile, la moralité à la légalité, l’Eglise chrétienne à l’État. L’un des effets du christianisme qui est venu détrôner la loi, est de diminuer parallèlement à ses progrès l’empire extérieur, impassible, tuant, de la lettre et du texte, ou encore d’élever sans cesse la légalité au niveau de la moralité, la législation extérieure, politique-civile ou humaine-sociale à la hauteur de la législation intérieure, religieuse morale ou divine-sociale, de les rapprocher au point de faire de l’une l’image parfaite de l’autre, de les unifier dans une parallèle réalité, dans une complète harmonie. Quand bien même l’histoire ne nous révélerait pas ces vérités aussi clairement qu’elle le fait, nous serions en droit logique de dire que la foi chrétienne est éminemment sociale, et que l’avenir politique, civil, pratique de l’humanité lui appartiendra aussi longtemps que la société ne sera, pas dans son existence organisée, le reflet pur de la conscience religieuse et morale parfaite, ou de la vie chrétienne. Que dis-je ! si l’humanité, dans son développement terrestre devait arriver à cette glorieuse constitution d’elle-même, le christianisme, loin de toucher à sa fin, entrerait alors au contraire dans son empire, et ses victoires sur le mal terminées, il lui resterait la partie la plus positive de son règne, je veux dire à trôner à toujours, à consommer ses efforts triomphants par l’établissement organique et pacifique, vivant et universel de la vérité et de l’amour, par le mouvement indéfini de la vie créée dans le sein de l’Être incréé, afin que Dieu fût tout en tous. — Le grand cachet de la vie chrétienne c’est d’être anti-personnelle, anti-stoïque. Elle n’a pas comme celle-ci, son principe, sa loi, sa récompense et sa fin en elle-même ; impassibilité, imperturbabilité, fixité en elle-même ne constituent pas sa perfection ; autocratie, pleine et entière volonté n’est pas son bien suprême, sa félicité. Mais au contraire, se sentir absolument dépendant de Dieu ; ne se voir, ne penser, n’aimer, n’agir qu’en Dieu ; expérimenter que tous les moments de la conscience que nous avons de nous-mêmes et du monde sont remplis par le sentiment de la présence de Christ, et par la possession de notre être par Lui, voilà la vie chrétienne. Ainsi vie en Dieu par Jésus, ou Dieu vivant en nous, tels sont le principe, la loi, la récompense et la fin du chrétien ; fixité hors de lui, en Dieu par son Sauveur, telle est sa perfection ; théocratie dans son âme, telle est sa félicité. Cette glorification justificatrice, cette divinisation du fidèle commence et marche avec sa foi ; elle s’inaugure dans ce monde, et l’immortalité jette ses racines dès ici-bas. Les richesses spirituelles de l’Église terrestre, les dons de Dieu croissant et grossissant en elle avec sa marche progressivement intense en nombre, en profondeur, en bienfaits, avec son ascension triomphante jusqu’à la fin des siècles, on peut dire, ce semble, qu’en s’appuyant toujours sur le fondement unique, Christ, il est possible d’arriver à une foi au Rédempteur, à une assimilation de son œuvre et de son esprit, à une conscience de sa vie en nous, ou ce qui est la même chose en d’autres termes, à un degré d’inspiration chrétienne égal à la foi, à la sanctification, à l’inspiration, en un mot à la vie de foi, d’intelligence et d’action des premiers disciples. Il est bon de se rappeler ici, en effet, que la vue de Christ fait homme, de Christ dans sa chair ne donnait aucun avantage aux apôtres sur Paul qui ne le connaissait que par vision spirituelle. — Nous ferons encore observer que la cause productrice et excitatrice de la foi, v. 20, est d’abord l’amour préexistant et sollicitant de Christ pour l’homme, et ensuite l’acte suprême de cet amour, ou le don et le sacrifice personnel, propre et volontaire de Lui-même pour l’humanité. Il n’y a pas de plus grand amour que celui de donner sa vie pour ses amis. — Disons enfin en passant que l’apôtre fait ressortir (18-21) ce que j’appellerai le côté profondément individuel de la religion chrétienne. Avant d’être une force sociale, elle est surtout une affaire propre, personnelle, une affaire d’âme, de conscience individuelle. Ce serait s’abuser étrangement que de la prendre pour un code de métaphysique, pour un système exprès de lois morales, d’abstractions, de généralités pour une philosophie de la philosophie. Elle ne se propose pas de nous lancer sur ces hauteurs d’idées des idées générales, dans ces champs vagues de l’abstrait, de l’absolu ou s’égarent les intelligences de notre époque, vu qu’on se donne le change en se croyait meilleur parce qu’on prétend avoir plus de largeur dans la pensée ; loin de là, elle nous, ramène à nous-mêmes, à notre conscience, à notre concrète individualité, elle nous fait rentrer en nous pour y sonder moins notre portée philosophique et notre valeur intellectuelle que notre portée vertueuse et notre valeur morale, pour reconnaître notre état, nos lois, nos penchants, nos besoins, nos affections, nos travers, nos entorses spirituelles, notre misère, et la nécessité d’un Sauveur. Un professeur de Paris le disait naguère à juste titre : « A force de généraliser nous oublions ce que nous sommes, nous travaillons sur des mots qui ne répondent à rien de réel ; nous vivons dans un monde fantastique. Nous voulons savoir les grandes lois de l’humanité, et nous ignorons les plus simples lois de ce monde qui vit en nous, de notre cœur. Nous sommes tous ravis à l’idée de la perfectibilité humaine, mais de nous perfectionner nous-mêmes, nul souci. Nous connaissons le mécanisme des sociétés et des gouvernements, ou nous croyons du moins le connaître ; mais les ressorts de nos passions, mais le gouvernement de notre cœur, c’est pour nous lettre close. Jamais un regard sur nous-mêmes ; toujours idées des idées générales. C’est là l’une des fausses tendances de notre époque, comme de celle du siècle d’Auguste ; le remède aujourd’hui, comme il le fut alors, c’est de nous étudier, d’apprendre à nous connaître (d’aller au christianisme), de sonder notre cœur, car c’est là que l’humanité vit d’une vie réelle. La religion est dans le cœur, ou elle n’est nulle part. En étudiant toute autre chose que lui-même, l’homme n’apprend qu’à douter ; il doute de sa liberté, il doute de sa spiritualité, il doute de Dieu, il doute du monde ; c’est dans sa conscience qu’il retrouve Dieu, le monde, la vie. En labourant le champ de notre cœur, on le féconde ».

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