L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français

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De la componction du cœur

Si tu veux avancer au chemin de la grâce,
Dans la crainte de Dieu soutiens tes volontés ;
Ne sois jamais trop libre, et rends-toi tout de glace
Pour tout ce que les sens t’offrent de voluptés :
Dompte sous une exacte et forte discipline
        Ces inséparables flatteurs
Que l’amour de toi-même à te séduire obstine,
            Et dans eux n’examine
Que la grandeur des maux dont ils sont les auteurs.
Ainsi fermant la porte à la joie indiscrète
Sous qui leur faux appât sème un poison caché,
Tu la tiendras ouverte à la douleur secrète
Qu’un profond repentir fait naître du péché :
Cette sainte douleur dans l’âme recueillie
        Produit mille sortes de biens,
Que son relâchement vers l’aveugle folie
            Des plaisirs de la vie
A bientôt dissipés en de vains entretiens.
Chose étrange que l’homme accessible à la joie,
Au milieu des malheurs dont il est enfermé,
Quelque exilé qu’il soit, quelques périls qu’il voie,
Par de fausses douceurs aime à se voir charmé !
Ah ! s’il peut consentir qu’une telle allégresse
        Tienne ses sens épanouis,
Il n’en voit pas la suite, et sa propre faiblesse
            Qu’il reçoit pour maîtresse,
Dérobe sa misère à ses yeux éblouis.
Oui, sa légèreté que tout désir enflamme,
Et le peu de souci qu’il prend de ses défauts,
L’ayant rendu stupide aux intérêts de l’âme,
Ne lui permettent pas d’en ressentir les maux ;
Ainsi, pour grands qu’ils soient, jamais il n’en soupire,
        Faute de les considérer ;
Plus il en est blessé, plus lui-même il s’admire,
            Et souvent ose rire
Lorsque de tous côtés il a de quoi pleurer.
Homme, apprends qu’il n’est point ni de liberté vraie,
Ni de plaisir parfait qu’en la crainte de Dieu,
Et que la conscience et sans tache et sans plaie
A de pareils trésors seule peut donner lieu.
Toute autre liberté n’est qu’un long esclavage
        Qui cache ou qui dore ses fers ;
Et tout autre plaisir ne laisse en ton courage
            Qu’un prompt dégoût pour gage
Du tourment immortel qui l’attend aux enfers.
Heureux qui peut bannir de toutes ses pensées
Les vains amusements de la distraction !
Heureux qui peut tenir ses forces ramassées
Dans le recueillement de la componction !
Mais plus heureux encor celui qui se dépouille
        De tout indigne et lâche emploi,
Qui, pour ne rien souffrir qui lui pèse ou le souille,
            Fuit ce qui le chatouille,
Et pour mieux servir Dieu se rend maître de soi !
Combats donc fortement contre l’inquiétude
Où te jette du monde et l’amour et le bruit :
L’habitude se vainc par une autre habitude,
Et les hommes jamais ne cherchent qui les fuit.
Néglige leur commerce, et romps l’intelligence
        Qui te lie encore avec eux,
Et bientôt à leur tour, te rendant par vengeance
            La même négligence,
Ils t’abandonneront à tout ce que tu veux.
N’attire point sur toi les affaires des autres,
Ne t’embarrasse point des intérêts des grands :
Notre propre besoin nous charge assez des nôtres ;
Tu te dois le premier les soins que tu leur rends.
Tiens sur toi l’œil ouvert, et toi-même t’éclaire
        Avant qu’éclairer tes amis ;
Et quand tu peux donner un conseil salutaire
            Qui les porte à bien faire,
Donne-t’en le plus ample et le plus prompt avis.
Pour te voir éloigne de la faveur des hommes
Ne crois point avoir lieu de justes déplaisirs ;
Elle ne produit rien, en l’exil où nous sommes,
Qu’un espoir décevant et de vagues désirs.
Ce qui doit t’attrister, ce dont tu dois te plaindre,
        C’est de ne te régler pas mieux,
C’est de sentir ton feu s’amortir et s’éteindre
            Avant qu’il puisse atteindre
Où doit aller celui d’un vrai religieux.
Souvent il est plus sûr, tant que l’homme respire,
Qu’il sente peu de joie en son cœur s’épancher,
Surtout de ces douceurs que le dehors inspire,
Et qui naissent en lui du sang et de la chair.
Que si Dieu rarement sur notre longue peine
        Répand sa consolation,
La faute en est à nous, dont la prudence vaine
            Cherche un peu trop l’humaine,
Et ne s’attache point à la componction.
Reconnais-toi, mortel, indigne des tendresses
Que départ aux élus la divine bonté ;
Et des afflictions regarde les rudesses
Comme des traitements dus à ta lâcheté.
L’homme vraiment atteint de la douleur profonde
        Qu’enfante un plein recueillement
Ne trouve qu’amertume aux voluptés du monde,
            Et voit qu’il ne les fonde
Que sur de longs périls que déguise un moment.
Le moyen donc qu’il puisse y trouver quelques charmes,
Soit qu’il se considère, ou qu’il regarde autrui,
S’il n’y peut voir partout que des sujets de larmes,
N’y voyant que des croix pour tout autre et pour lui ?
Plus il le sait connaître, et plus la vie entière
        Lui semble un amas de malheurs ;
Et plus du haut du ciel il reçoit de lumière,
            Plus il voit de matière
Dessus toute la terre à de justes douleurs.
Sacrés ressentiments, réflexions perçantes,
Qui dans un cœur navré versez d’heureux regrets,
Que vous trouvez souvent d’occasions pressantes
Parmi tant de péchés et publics et secrets !
Mais, hélas ! ces tyrans de l’âme criminelle
        L’enchaînent si bien en ces lieux,
Qu’il est bien malaisé que vous arrachiez d’elle
            Quelque soupir fidèle
Qui la puisse élever un moment vers les cieux.
Pense plus à la mort que tu vois assurée,
Qu’à la vaine longueur de tes jours incertains,
Et tu ressentiras dans ton âme épurée
Une ferveur plus forte et des désirs plus saints.
Si ton cœur chaque jour mettait dans la balance
        Ou le purgatoire ou l’enfer,
Il n’est point de travail, il n’est point de souffrance
            Où soudain ta constance
Ne portât sans effroi l’ardeur d’en triompher.
Mais nous n’en concevons qu’une légère image
Dont les traits impuissants ne vont point jusqu’au cœur ;
Nous aimons ce qui flatte, et consumons notre âge
Dans l’assoupissement d’une froide langueur ;
Aussi le corps se plaint, le corps gémit sans cesse
        Accablé sous les moindres croix,
Parce que de l’esprit la honteuse mollesse
            N’agit qu’avec faiblesse,
Et refuse son aide à soutenir leur poids.
Demande donc à Dieu pour faveur singulière
L’esprit fortifiant de la componction ;
Avec le roi prophète élève ta prière,
Et dis à son exemple avec soumission :
« Nourrissez-moi de pleurs, Seigneur, pour témoignage
        Que vous me voulez consoler.
Détrempez-en mon pain, mêlez-en mon breuvage,
            Et de tout mon visage
Jour et nuit à grands flots faites-les distiller. »

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