Tirées de sa vie par Burk.
Brochure publiée par M. Vinet en 1842.
Les Pensées de Bengel sur l’exercice du ministère, traduites par M. Vinet, ont paru dans la Vie de Bengel, par Burk, sous le titre de Pastoral-Grundsætze. (Partie II, chap. Il, art. 2.) M. Vinet a omis dans sa traduction les § 3, 4, 12, 19, 24, 37, 38, 41, 42 et 44 de l’ouvrage allemand, quoiqu’il renvoie aux trois derniers dans des notes de la Théologie Pastorale. Les renvois aux paragraphes conservés correspondant aux divisions de Burk, on croit devoir indiquer ici que par suite des suppressions effectuées, le § 27 de l’ouvrage original correspond au § 22 de la traduction, le § 30 au § 25, le § 33 au § 28 et le § 36 au § 31. Les morceaux retranchés se rapportent pour la plupart à des usages locaux ou à des questions qui ne se posent plus aujourd’hui comme au temps de Bengel, né en 1687 et mort en 1752. (Editeurs.)
1. Un pasteur doit être divinement sûr de son affaire, c’est-à-dire de sa vocation au ministère de réconciliation, aussi bien que des vérités qu’il prêche ; il doit pouvoir produire son acte de naissance spirituelle ; il doit être fermement résolu à avancer la gloire de Dieu, à vivre pour Christ et à le servir, à gagner le ciel pour lui-même et pour beaucoup d’autres avec lui.
2. Un pasteur doit se mettre tout entier à son affaire, se jeter bravement au milieu de la mêlée, et, quoi qu’il arrive, ne pas se laisser abattre. Pour cela, il faut qu’il considère :
- Que le troisième dimanche après la Trinité ne s’est jamais passé sans qu’il y ait eu de la joie dans le ciel pour un pécheur gagné par la prédication de l’Evangile ; et que ce seul grain de blé, même après une longue attente, est, pour celui qui le recueille, un rafraîchissement extraordinaire.
- Que les contrariétés nous aident à nous mieux connaître, nous humilient devant Dieu et nous font demander avec plus d’ardeur le témoignage de l’Esprit, devant qui le doute se tait et s’apaise.
- Que Dieu n’a pas besoin de moins de patience avec ceux mêmes qui ont reçu, qui croient et qui annoncent le message de grâce. Combien de temps ne faut-il pas qu’il attende avant qu’il sorte d’eux quelque chose de conforme à ses desseins ! Avec quelle sagesse il les conduit, afin de tirer quelque chose de bon de tant de faiblesse et de tant d’impureté ! Et eux-mêmes n’auraient pas patience ?
- Que ce n’est pas la faute du pasteur s’il est né dans un temps fâcheux où le bien est si difficile à faire ; où, l’injustice ayant mis le faible sous ses pieds et dévorant la substance du pauvre, ce n’est pas merveille si la prédication reste sans fruit ; où l’autorité même, lorsqu’elle reconnaît le mal, se met peu en peine d’y porter remède, et regarde, sans se troubler, les grands engloutir les petits.
- Que Dieu (Ezéchiel 9.4) avait mis un signe sur tous ceux qui gémissaient sur le débordement des péchés publics, afin qu’ils ne fussent pas atteints par le châtiment qui allait venir.
- Qu’un pasteur se fortifie de ce que d’autres opèrent pour le règne de Dieu, quand il se réjouit avec humilité du bien qui se fait sans lui. Il s’approprie par là les œuvres d’autrui, tout en évitant le danger de se complaire en soi-même.
- Que là même où les âmes ne sont pas positivement recueillies par une prédication vraiment évangélique, elles sont pourtant quelque peu amollies et préparées par la connaissance claire des choses spirituelles. H. Franke témoignait, après de longues expériences, que les paroissiens d’un brave pasteur finissent toujours par être plus traitables et plus doux. Quand Dieu accorde une plus riche moisson à un pasteur, il ne s’ensuit pas que ce pasteur lui soit plus agréable que d’autres. Les chirurgiens ont divers instruments ; les uns leur servent tous les jours, d’autres très rarement et pour des cas particuliers ; ils n’ont pas de préférence pour l’un de ces instruments. C’est le dernier coup de hache seul qui fait tomber l’arbre ; mais si quelqu’un en a donné cinquante, l’autre trente, un dernier deux seulement, qui saura lequel des bûcherons a été le plus utile, et lequel des coups a le plus contribué à abattre l’arbre ? Il en est de même du travail qu’on fait auprès des âmes.
3. Un pasteur doit être comme la poule qui prend ses poussins sous ses ailes, et qui, quelquefois même, les laisse monter sur son dos. On ne peut forcer la confiance et la familiarité ; la charité seule peut les amener : un commerce amical fait souvent plus de bien que tous les raisonnements et que bien des sermons. Lorsque le soleil l’a réchauffé, le voyageur se déboutonne de son propre mouvement. Un seul pigeon qui se rend volontairement au colombier vaut mieux qu’un grand nombre qu’on y aurait fait entrer de force. Il serait heureux pour tous qu’on prît l’habitude des questions et des conversations familières. Je crois même qu’on pourrait y parvenir avec des gens non convertis.
4. Le pasteur ne doit pas éviter entièrement le commerce des gens du monde ; mais il doit se garder de prendre part à leurs péchés. Rendre témoignage dans la familiarité des entretiens aux mêmes vérités qu’on enseigne solennellement dans la chaire, fait plus d’impression sur les esprits qu’ils ne nous en laissent apercevoir. Il se perd beaucoup de la semence que nous répandons, mais pourtant quelque chose demeure. Quand il neige et que la terre est mouillée, la neige, à mesure qu’elle tombe, semble être absorbée par la terre, mais à force de tomber elle finit par former une couche blanche : sparge, sparge, quam potes.
5. Il y a lieu de s’inquiéter pour un pasteur lorsqu’il ne cherche pas à vivre en communion avec les vrais chrétiens. Ses travaux dégénèrent peu à peu en un métier vulgaire, et il en est beaucoup qui l’exercent aussi commodément que tout autre métier, ou qui se laissent aller à la recherche des biens de ce monde ; quoique, à vrai dire, on ne puisse pas citer un grand nombre de pasteurs qui se soient enrichis. Les bonnes âmes sont la main du pasteur ; lui-même est l’œil ; la main peut porter, pousser, soulever, et devenir fort utile à l’œil.
6 L’expérience apprend que bien des âmes peuvent être salutairement atteintes par la prédication ; mais le surplus de l’œuvre de la grâce ne s’opère en elles qu’au moyen d’un traitement individuel ; aussi faut-il faire grand cas des travaux privés. Le pasteur retire souvent plus de fruits de ses visites que de sa prédication publique. Il doit se montrer toujours également bien disposé à aller partout où on l’appelle, et ceux que des besoins spirituels poussent vers lui, doivent se sentir encouragés par son bon accueil à se communiquer à lui avec une entière liberté ; il doit aussi montrer du plaisir à rencontrer les voisins dans la maison qu’il visite.
7. La principale règle à observer dans la direction des âmes est de ne rien faire de sa propre volonté, et de faire tout ce qu’on sait être celle de Dieu. Il faut s’approcher des âmes desquelles on a quelque espoir dans les moments où elles ne sont pas troublées. A celles qui se révoltent et se roidissent il faut toujours présenter la Parole de Dieu. Il faut chercher à amener d’une manière agréable le sujet qu’on veut traiter ; commençant par des choses indifférentes et conduisant graduellement les interlocuteurs à répondre sans avoir été formellement interrogés. Lorsqu’on a l’occasion de voir les gens tous les jours, il est bon d’attendre le moment favorable. Mais si les occasions sont rares ou qu’on n’en ait qu’une, il faut se garder de la laisser échapper sans avoir rendu témoignage. Si de telles gens venaient à mourir subitement, ce serait un grand sujet d’anxiété pour le pasteur qui aurait négligé de rendre témoignage à l’Evangile auprès d’eux, et combien, dans le cas contraire, ne se réjouit-on pas d’avoir été fidèle ! Qu’on ne se laisse pas d’ailleurs aller à l’anxiété ; elle fait beaucoup de mal. Qu’on prenne toutes ses mesures avec Dieu, non avec soi-même, afin de pouvoir dire ensuite : « J’ai fait, ô Dieu, selon ce que tu avais ordonné. » Alors certainement on recevra une réponse divine au moment du besoin. Un seul mot, un regard, un rayon de lumière peut opérer de grandes choses dans une âme quand on a rencontré le vrai point et le bon moment. On dit un jour à un homme dont la femme était malade : « Vous avez maintenant un sanctuaire dans voire maison. » Cette parole lui resta et lui fit grand bien. C’est un grand don que celui des mots heureux qui portent coup.
8. Lorsqu’il s’agit de gagner des âmes à Dieu, on ne doit rien mépriser ; quelque peu nombreuses qu’elles soient, il faut leur faire connaître qu’on met une grande importance à les conduire au Seigneur.
9. Ne désespérez absolument de personne. Si quelqu’un a un défaut, faites-le-lui connaître et tâchez de l’amener à se corriger. Et soit que vous y parveniez ou non, tâchez de découvrir ou de développer ce qu’il y a de bon en lui.
10. Je crois qu’il importe beaucoup de ne pas entasser les arguments et les motifs, mêlant les faibles avec les forts pour faire nombre. Ils ne font que se nuire les uns aux autres. Il vaut mieux produire un argument décisif et s’y tenir.
11. Il est des âmes qui, à mesure qu’on les presse et qu’on cherche à les pénétrer, semblent offrir moins de prise et nous échappent comme une vapeur subtile. Il faut attendre, se tenir tranquille, et savoir se passer quelque temps de voir les fruits du ministère. L’état de passivité dont parlent Tauler et d’autres est trop peu connu de ceux qui veulent tant précipiter leur propre marche et celle d’autrui. Dans un tel état il se passe quelquefois dans une âme plus de choses en un seul instant que chez d’autres en plusieurs mois, et ce bien-là est beaucoup plus durable et plus sûr qu’un succès forcé et factice. Il est des âmes auxquelles il est bon, à cause des tentations du monde méchant, de rester jusqu’à leur mort à l’état de bouton (gemma), et qui ne sont manifestées et n’entrent dans le royaume de la lumière qu’au moment du départ. C’est un avis bon à donner, pour leur consolation, à ceux qui sont chargés d’une cure d’âmes. On fait ce qu’on peut faire suaviter, avec liberté et joie de cœur, et on remet le reste au grand Pasteur, en disant avec Moïse : Est-ce donc moi qui ai engendré ce peuple ?
12. Il est bien nécessaire que le pasteur ait le don de discernement. Là où il y a une véritable vie, elle se soutient d’elle-même. Mais quand le pasteur veut toujours arranger et rajuster les âmes, elles se laissent faire et tombent dans la paresse. Le patriarche Abraham (qui vivait au quatrième siècle de l’ère chrétienne) quittait les gens aussitôt qu’il les avait amenés à dire : « Je crois en Dieu le Père et en son Fils Jésus-Christ. » Christ lui-même disait à ses disciples : Il vous est bon que je m’en aille ; et l’eunuque de la reine Candace fut laissé seul aussitôt qu’il eut été baptisé. Si j’avais un arbre et que je fusse toujours à le tailler, à le déchausser, je ne crois pas qu’il en prospérât davantage. Comme un enfant qui commence à marcher, ne tombe jamais plus sûrement que lorsqu’on lui crie : « Ne tombe pas », ainsi en arrive-t-il quand on veut à toute force obtenir des âmes des actus reflexos (grands efforts pour avoir le sentiment distinct de son état de grâce et de ses progrès dans la sanctification.) Il y a des âmes dont toute l’affaire consiste en actibus directis (action libre provenant de la foi et de l’amour.) Ce sont celles-là qui avancent le mieux, et si l’on allait maladroitement les pousser, on ne ferait que les intimider et les dérouter. Il en est d’autres, sans doute, qui ont besoin qu’on les presse ; voilà pourquoi il faut demander et chercher l’esprit de discernement.
13. Quelle est la chose essentielle dans le pastorat ? C’est ce qui est si souvent nommé dans les psaumes jaschar : la droiture ; on peut la comparer à une ligne droite, où il n’y a rien d’oblique, rien de double, qui évite les hauteurs et les profondeurs, et qui est le chemin le plus direct pour conduire au but.
14. Chers pasteurs ! remplissons nos cœurs d’amour pour Christ. C’est cet amour qui nous rend sereins, courageux, actifs ; c’est lui qui nous fait pénétrer le véritable état d’une âme et nous découvre le chemin par où il faut la faire passer. Il faudrait établir avec nos paroissiens des relations beaucoup plus étroites, nous rappeler sans cesse que nous avons devant nous des hommes comme nous. Que fait-on dans les temps de peste ou d’autres calamités publiques ? On se mêle et on se confond pour le salut commun sans se rappeler de vaines distinctions de rang ou de talent. Si nous agissons ainsi avec un homme, nous pouvons espérer d’en faire en quelque sorte notre prisonnier et d’en disposer à notre volonté.
15. Je laisse volontiers à chaque âme le fondement particulier de sa foi ; que les prémisses soient faibles, pourvu que la conclusion soit juste, cela me suffit. Il en est comme d’un enfant qui essaye ses premiers pas à travers la chambre, et qui se tient à sa propre robe ; s’il avance, on peut bien lui laisser ce secours imaginaire. Avec quelle délicatesse l’homme doit être traité ! Si l’on tend les cordes trop fort, elles se détendront d’autant plus vite, et l’âme se jettera du côté qu’on voulait lui faire éviter.
16. Pour ce qui concerne les réunions particulières, il serait à désirer que, sous prétexte de l’ordre public, on ne gênât pas de bonnes âmes dans des exercices dont elles ont besoin, et qu’aux heures où d’autres se réunissent pour s’amuser, il leur fût loisible de se réunir pour s’édifier. Moi aussi je vois là un essaim qui sort de la mère ruche, mais un bon essaim qu’il faut recueillir avec soin, au lieu de le laisser égarer.
17. Je ne comprends pas qu’on veuille interdire les assemblées. Faut-il donc que chacun soit forcé d’être pieux pour lui tout seul ? C’est comme si, voyant des gens partir ensemble pour une course, je leur recommandais de ne point marcher ensemble, mais de se tenir à une portée de fusil l’un de l’autre.
18. Les maladies supposent la vie. Où se trouve une maladie spirituelle il doit y avoir de la vie spirituelle. Les impies sont tout à fait morts. Pourquoi le pasteur rejetterait-il ou traiterait-il sévèrement des enfants de Dieu parce qu’il y a en eux quelque chose à reprendre ? Ne faut-il pas plutôt se mettre en mesure de les joindre, et de leur offrir le remède dont ils ont besoin ?
19. Il y a des gens qui mettent les assemblées à trop haut prix et qui paraissent croire qu’ils sont meilleurs parce qu’ils prennent part à ces exercices. Mais ils ne sont ni les seuls pieux, ni tous pieux. Il y a d’excellentes âmes qui ne vont pas aux réunions, et dans les réunions comme ailleurs il y a des hypocrites. Le même homme ne pense pas de même comme spectateur et comme juge. Ne détruisez pas l’œuvre de Dieu. Ne laisse-t-on pas chacun suivre son chemin particulier dans la vie ordinaire ? On peut et l’on doit être plus coulant pour les petites choses, afin d’avoir le droit d’insister sur les grandes. Il ne faut pas trop se hâter de consoler ceux qui souffrent quelque désagrément de la part du monde à cause de la fréquentation des assemblées : cela leur est bon et salutaire. Quand mes servantes étaient grossières et dures envers mes filles, je ne disais rien d’abord : car les servantes m’avaient épargné quelque chose de la discipline paternelle.
20. Il y a aujourd’hui tant de tiédeur qu’il n’est pas possible qu’il s’établisse entre le pasteur et son troupeau cette connaissance mutuelle et cette intimité qui peuvent exister dans une église dont tous les membres sont convertis. Le moment favorable n’est pas encore venu. Il faut bien des choses pour créer une vraie communauté. Il faut qu’il y ait beaucoup de lumières et d’expérience. Une communauté doit avoir l’esprit de discernement et posséder des membres capables de conduire les autres ; sans cela on semble n’être réunis que pour se troubler mutuellement. Il faut prendre garde que l’amour fraternel ne devienne pas une comédie. Hélas ! cela est très commun ; on est hypocrite l’un envers l’autre, on cherche à se complaire, on néglige la répréhension, l’avertissement, l’encouragement de la charité. Il y a des gens qui n’ont ni humilité, ni charité, rien de l’esprit de Christ, et qui ne se distinguent que par leur zèle à former des associations et des réunions. N’est-ce pas là jouer des comédies ? Dans une communauté de frères il faut qu’il y ait communion de prières, et des lois auxquelles tous soient assujettis, toutefois sans enchaîner l’individu au temps et à la forme. Car plus le nœud est serré, plus il est près de rompre. Il y en a qui continuent parce qu’ils ont commencé et pour ne pas s’attirer le reproche d’inconstance. Plus les exercices et les intimités spirituelles augmentent, plus on doit se tenir en garde contre l’esprit d’imitation. Que penserait-on de deux voyageurs, dont chacun a son sentier, et même dont chacun est appelé à se faire son chemin, si l’un mettait sans cesse le pied dans les traces des pas de l’autre ? Ne peuvent-ils, pas marcher assez près l’un de l’autre et suivre chacun son chemin ? Il ne faut pas se pousser les uns les autres, mais que tous ensemble soient poussés par le souffle du Seigneur. Mais il en est sans doute qui s’éloignent toujours plus de la face de Dieu et s’enfoncent dans leurs propres voies. Ces gens-là deviennent toujours plus froids et plus paresseux dans le christianisme ; ils ont besoin qu’on soit sans cesse après eux et qu’on ne leur laisse point de repos. Celui qui est vraiment de mauvaise foi n’y pourra pas tenir et se retirera.
21. Que celui qui ne peut empêcher les péchés dominants en gémisse beaucoup devant Dieu, et rende contre eux de temps en temps un témoignage sérieux et calme, sans s’inquiéter s’il est écouté ou non. Le pasteur doit prendre exemple de certaines gens qui protestent contre la violation de leurs droits, quoiqu’ils sachent très bien que leur protestation sera inutile ; il doit continuer de rendre témoignage à la vérité alors même qu’on ne semble pas y prendre garde ; il lui en reviendra toujours quelque chose avec le temps, et en attendant il aura satisfait sa conscience. Un fleuve continue de couler, soit qu’on puise de son eau, soit qu’on y jette une pierre.
22. Pour tout ce qui est évidemment contraire à la loi de Dieu, le prédicateur doit en montrer le péché avec tout le sérieux et la clarté nécessaires pour être compris de chacun ; qu’il ne se laisse pas arrêter par la crainte des hommes. D’ailleurs le monde se laisse dire d’amères vérités. Il est vrai que la douleur et l’humiliation causées par les reproches deviennent souvent de la colère, mais ensuite on a honte de sa colère, on rentre en soi-même et l’on reconnaît la vérité. Sans doute que toute répréhension doit être faite avec prudence, et pour cela :
- Qu’on se garde d’entreprises évidemment inutiles ; notre crédit en dépend ; après de grands coups frappés en l’air, les plus beaux triomphes ne nous ramènent pas l’opinion.
- Qu’on ne s’applique pas comme une offense personnelle l’irritation que la vérité a causée : tout ce qui n’atteint que nous doit glisser sur nous.
- Qu’on tâche de saisir le bon moment ; rien n’irrite plus qu’un coup qui n’a pas porté ; on n’en sent pas l’effet, mais on en reconnaît l’intention ; et l’on nous en veut comme d’une violence.
- Lorsqu’on a connaissance d’anciens péchés de quelqu’un, il ne faut pas lui en parler ; il faut attendre et voir s’il y retombera ; alors on le prendra comme en flagrant délit ; mais il ne faut pas en rester à un fait isolé, il faut embrasser l’état général de l’individu.
- Qu’on montre de l’impartialité, de la charité et de la compassion. Être parvenu à faire sentir à un pécheur qu’on ne se met point, comme homme, au-dessus de lui, c’est avoir beaucoup fait pour gagner son cœur.
- Qu’on mette le plus d’aménité qu’on pourra dans ses exhortations. Un non doré est souvent mieux pris qu’un oui brutal.
- Il ne faut pas traiter tous les hommes indistinctement comme des pécheurs grossiers ; ce serait le moyen d’inculquer aux gens un secret pharisaïsme, chacun alors pouvant se dire : Je n’en suis pas encore là, j’ai pourtant des vues meilleures, ma conduite n’est pas si mauvaise, etc.
23. Dans les choses qui peuvent être rangées parmi les Adiaphora, comme le jeu, la danse, etc., il arrive souvent d’exagérer et de tendre la corde trop fort. Il ne faut pas juger les autres d’après soi ; on ne peut pas leur donner ses yeux et sa manière de voir. Les gens ont souvent été élevés de telle manière que leur cœur est comme du cuir, voire même comme du bois. Si j’avais à choisir entre la gaieté naturelle et la tristesse d’un cœur sans repentance, je donnerais la préférence à la première ; celle-là du moins est une image, fausse il est vrai, mais une image du bonheur de Dieu, celle-ci en est l’opposé. On donne le nom de péché à des choses qui ne sont qu’une simple forme de la vie, et qui parfois ont l’avantage de prévenir les explosions du péché proprement dit. Sans doute ces choses-là ne s’emportent pas dans le ciel, mais quand vient la repentance ce n’est pas leur souvenir qui cause le plus de douleur. Il se perd dans le regret général d’une vie de vanité. Le goût des plaisirs mondains est le résultat naturel d’un état d’inconversion, et s’éteint de lui-même avec la conversion. Il ne faut donc pas être trop exigeant ; il ne faut pas condamner le goût de la danse et les divertissements de ce genre avec trop d’amertume et un esprit trop légal ; il ne faut pas établir des règles absolues, mais renvoyer les gens à leur propre conscience, leur apprendre à l’écouter, et les engager à éviter les choses dont ils ne jouissent qu’avec un malaise intérieur. Job avait ses enfants en sa puissance, cependant il ne leur défendit pas de festoyer ensemble, mais il priait pour eux. C’est ce que nous devrions faire très assidûment pour nos paroisses, et surtout dans les temps de fêtes publiques ; voilà ce qui ne reste jamais sans fruit, tandis que la loi engendre la colère.
Il ne suit pas de ce qui précède que nous ne devions pas profiter des occasions pour dire à nos paroissiens notre manière de penser sur ces sujets ; nous devons leur représenter qu’en portant jusqu’à l’extrême l’usage de leur liberté, sans vouloir convenir qu’ils puissent y rencontrer le péché, ils font comme ceux qui marcheraient le long d’un fleuve en posant constamment le pied aussi près de l’eau qu’il est possible et qui prétendraient le mettre toujours au bord et jamais dedans. Ils doivent prendre garde que ces vanités, ces voluptés et ces folies ne leur fassent perdre leur part du ciel et, déjà ici-bas, la part de bonheur que cette vie peut offrir ; ils doivent considérer que le plaisir qu’ils y trouvent est une marque certaine de l’irrégénération de leur cœur ; et qu’ils verront les choses d’un tout autre œil quand Dieu travaillera dans leur âme par son Esprit, etc.
Le pasteur doit se garder aussi de juger toute sa paroisse sur le bruit et le désordre qu’y font quelques mauvais sujets. Parce que, au bord d’un étang, nous n’entendons que le coassement des grenouilles, il ne faut pas nous imaginer qu’il n’y ait point de poissons dans cet étang.
24. Ce n’est pas seulement en chaire, mais dans les entretiens particuliers, et toutes les fois que l’occasion s’en présente naturellement, que le pasteur doit insister sur le devoir de renoncer au monde ; mais il ne doit pas se croire obligé de reprendre, tout d’un coup, tout le mal que ses yeux peuvent rencontrer. Qu’il se règle, en ce point, sur les inspirations de l’Esprit de Dieu. Une fois l’on garde le silence et l’on gémit devant Dieu, une autre fois on éprouve une impulsion intérieure qui donne la force et la liberté d’en imprimer une pareille aux gens à qui l’on a affaire. Vous sentez-vous pressé d’exhorter et de reprendre, vous auriez grand tort de ne pas le faire sur-le-champ et directement, et d’en ajourner l’accomplissement à quelque jour de fête, à quelque visite de compliment ou de condoléance ; vous auriez tort aussi de vous traîner à votre but par une voie détournée. Voulez-vous exhorter, que ce soit directement, sans ruse, avec une franchise cordiale ; ne soyez pas habiles : l’expérience a prouvé que cette méthode ferme les cœurs au lieu de les ouvrir.
25. On doit du respect à une paroisse, et ce serait lui manquer de respect que de ne pas lui donner l’exemple de l’exacte observation des lois, qui d’ailleurs est la manière la plus persuasive de prêcher l’ordre et la règle. Il faut mettre aux choses, même extérieures, qui concernent l’Eglise, une certaine accuratesse (régularité et précision). Nos auditeurs concluraient trop aisément de l’inexactitude de notre conduite à l’inexactitude de notre doctrine. Comment croire que nous avons des principes fixes dans notre enseignement quand nous en manquons dans nos fonctions ? Cela ne veut pas dire que dans la prédication le respect des formes doive empêcher d’ajouter telle ou telle bonne chose qui nous serait venue à l’esprit après qu’on aurait dit amen. On voit dans Macarius que souvent une homélie était interrompue par quelque question d’un auditeur, et qu’il y répondait, alors même qu’elle avait peu de rapport avec le sujet, je voudrais voir cette simplicité régner encore dans notre culte.
26. La nature de mes fonctions ne m’a pas souvent appelé près des malades et des mourants ; mais le peu d’expérience que j’ai de cette partie du ministère me met en état d’affirmer ce qui suit :
C’est par la prière que le pasteur obtiendra le plus sûrement la sagesse spirituelle, une tendre compassion pour le malade et une vue précise de ce qu’il doit faire. Qu’il prenne pour lecture ou pour thème ce qui est le mieux goûté du malade, et qu’il en fasse une application à la circonstance particulière, sans lui demander d’abord s’il s’est toujours appuyé sur ces vérités ; il vaut mieux l’amener peu à peu à les confesser librement. On a beaucoup gagné quand le malade vient de lui-même à comparer son expérience présente avec ses voies antérieures. Là où l’hypocrisie n’est pas manifeste, il n’est pas prudent de tout renverser et de faire croire à une âme qu’on ne tient compte d’aucun des mouvements que la grâce prévenante a autrefois produits en elle et dont elle a le souvenir. Qu’on saisisse plutôt la plus faible prise qu’elle nous offre pour la relever ; la lumière croissante amène à reconnaître toujours plus complètement les lacunes et les ténèbres du passé. On se ménage de cette manière plus de facilité pour amener le malade à ces applications individuelles qui ont tant d’importance. Chez les pécheurs bien caractérisés, ainsi chez les ravisseurs ou les voluptueux, il y a souvent du désespoir, et l’on est obligé de commencer par leur montrer qu’il y a encore de la ressource, mais que l’affaire est sérieuse. Ce désespoir leur fait dire parfois : « Je suis perdu, j’appartiens au diable, » ce qui donne occasion de leur faire considérer leur état de péché, en général et en détail, mais aussi de les conduire vers la libre grâce de Dieu. Suivant qu’on le juge convenable, on appuie plus sur un point que sur l’autre, sur la repentance, ou sur la foi, ou sur l’abandon à la volonté de Dieu. Il faut craindre d’en trop dire. Auprès des personnes très malades, on peut faire deux expériences opposées ; il en est qui trouvent que la visite du pasteur leur a fait du bien et leur a été agréable, d’autres en sont fatiguées ; il faut étudier avec soin les différents cas et se conformer aux besoins du malade ; savoir quand il convient de se taire, quand il convient de parler. Si un malade se montre inabordable quand on veut le faire convenir de son état de péché, il faut prendre les devants dans la prière et lui mettre dans la bouche ce qu’on voudrait qu’il eût dit lui-même. Un homme se laisse assez volontiers accuser quand on le place vis-à-vis de Dieu par la prière : il n’est pas si facile de l’engager à réciter ses péchés devant les hommes, surtout quand toute sorte de personnes sont là pour l’entendre.
Il y a des malades, surtout parmi les vieillards, qui considèrent les suffragants et les jeunes pasteurs comme des gens de très bonne volonté, sans doute, mais qui ont trop peu d’expérience de la vie pour savoir que la loi évangélique ne peut être prise au pied de la lettre. Il faut s’efforcer de leur ôter ce préjugé en détournant leurs regards de dessus l’instrument pour le porter sur l’immuable et éternelle vérité. Il est bon de leur faire comprendre qu’on n’a d’autre intérêt auprès d’eux que le salut de leur âme, puisqu’on n’a rien à gagner à leur prêcher dans un sens plutôt que dans un autre.
C’est surtout dans les communions particulières qu’on a bonne occasion de développer tout le trésor de l’amour de Christ. Mais il faut combattre fortement l’erreur de l’opus operatum, celle qui attribue un mérite aux œuvres extérieures, et en particulier à la participation extérieure au sacrement ; il faut la combattre dans ses applications au passé, au présent et à l’avenir, et insister auprès du malade, avant, pendant et après la communion, pour qu’il ne cherche sa paix que dans la grâce de Dieu par Jésus-Christ.
Le pasteur doit être attentif à ne manquer, s’il se peut, aucune occasion de faire du bien. Il s’adressera donc aux assistants avant ou après la mort, et leur fera bien entendre que ce n’est pas son exhortation, quelque forte qu’elle soit, qui peut sauver le malade, mais les dispositions de son cœur ; qu’il ne lui suffit pas d’acquiescer généralement à ce qui lui a été dit, s’il ne s’y unit par les sentiments et les vœux intimes de son cœur ; bien des âmes n’éprouvent point cette faim spirituelle, il est probable qu’il en est beaucoup qui meurent dans l’impénitence : ce qu’on ne doit sans doute appliquer à aucun de ceux qu’on voit prier et prêter l’oreille à la Parole de Dieu. Le baptême pour les morts ou sur les morts dont parle saint Paul, doit s’entendre, si je ne me trompe, de l’accession au christianisme peu de temps avant la mort. Sauver du feu est l’action de recueillir une âme qui est dans le plus imminent danger, et auprès de laquelle on est obligé d’employer les moyens violents parce qu’on perdrait son temps avec des représentations douces et tranquilles. La parole de Jésus : Il y en a peu d’élus, au lieu de décourager le pasteur doit le faire redoubler de zèle et d’instance. Je crois, au reste, que les conversions au lit de mort sont rares. Ou le malade avait plus de grâces en lui qu’il n’en laissait voir, et le moment suprême manifeste cette grâce cachée ; ou bien il quitte ce monde dans les dispositions où il a toujours été. Il faut pourtant observer qu’il y a des gens du peuple qui, faute de culture, ne peuvent pas exprimer ce qui est en eux. Dieu aime à manifester de pareilles âmes au lit de mort ; il ne laisse pas ses enfants partir tout à fait incognito.
Les impénitents qui veulent renvoyer leur conversion au dernier moment, doivent être avertis qu’à la mort on n’est point sûr de rendre un témoignage libre et par conséquent sincère ; car si, à ce moment suprême, ils interrogent leur conscience, il est bien probable qu’elle leur dira : « Tu n’en ferais pas tant, si tu te portais bien. »
On trouve parfois des gens qui pleurent toujours sans pouvoir dire de quoi ; qu’on n’aille pas se scandaliser de ce qu’ils ne peuvent dire ce qu’ils sentent ; qu’on les laisse pleurer et qu’on les exhorte à répandre leur cœur devant Dieu en Jésus-Christ ; il les entendra et les comprendra. il faut se rappeler aussi au chevet des mourants, qu’il en est qui sont retenus par le besoin du pardon d’une personne offensée, et leur procurer cette parole de réconciliation après laquelle ils pourront mourir tranquilles.
27. Nous joignons à ces règles de Bengel sur les visites de malades, quelques-unes de ses propres paroles à des malades.
- Il dit à un homme dont l’état était désespéré : Cher ami, pénétrez dans l’amour et dans la lumière de Dieu, sachez user du droit que Jésus-Christ le bien-aimé a acquis aux enfants rebelles de son Père ; que l’Esprit de grâce soit puissant dans votre faiblesse, et qu’il produise en nous des soupirs qui portent nos cœurs jusque dans l’éternité, où nous sommes appelés à être avec ce grand Précurseur qui est entré pour nous et pour tous ceux qui ont fait le chemin que nous devons faire. Je vous recommande au Dieu fidèle ? prions l’un pour l’autre.
- Mademoiselle de St., malade de consomption, lui montrait ses bras décharnés et se plaignait de ce que Dieu ne la retirait pas encore. Bengel lui répondit : Vous êtes comme un de mes élèves qui voulait s’en aller en vacances avant le temps ; il fut obligé de rester jusqu’à la dernière leçon. Vous croyez n’avoir plus rien à faire ici-bas, mais vous pouvez être sûre que c’est, pour un chrétien, une bonne préparation à l’éternité, lorsque, ayant fait ses paquets et se croyant prêt à partir, il est obligé d’attendre encore un peu le signal du maître. En vous soumettant patiemment, vous rendez à Dieu un culte qui lui est agréable.
- Bengel se trouvait avec d’autres amis chrétiens auprès du lit du pasteur Grammich auquel, à sa prière, on chantait ce cantique :
Bengel répéta au malade chacune des plus touchantes expressions de ce cantique. Puis il lui parla de la gloire de la cité de Dieu, qui doit être bien belle, dit-il, puisqu’il est écrit : Dieu lui-même ne dédaigne pas de s’appeler leur Dieu, car il leur a préparé une cité. Alors le malade, frappé de la majesté de Dieu, se sentit profondément humilié de sa propre misère. Il gémissait, s’agitait dans son lit et confessait ses péchés. Bengel lui dit : « Il faut bien que le serviteur demande pardon. » C’est ce que fit le malade en versant beaucoup de larmes ; alors Bengel continua : « Si nous confessons nos fautes et notre misère, Dieu ne marchandera pas avec nous ; il agit royalement, il nous remet dix mille talents à la fois. » Enfin le malade reprit de la sérénité, et la conserva jusqu’à la fin. Lorsqu’ils prirent congé l’un de l’autre, chacun posa la main sur la tête de l’autre et ils se bénirent abondamment.Cendre froide et muette,
Dans ta sombre retraite
Dors en paix, jusqu’au jour
Où le Seigneur qui t’aime
T’emportera lui-même,
Vivante et rajeunie, au bienheureux séjour.- Au sujet d’une personne atteinte d’une maladie mentale : J’aime assez, disait-il, à écouter ces personnes-là ; il leur reste bien quelque chose de ce qu’on leur dit, et puis c’est une grande étude de la nature humaine. Mais quand la mélancolie est si grande que le malade n’ouvre ni sa bouche ni son cœur, je prie et je les engage à répéter mes paroles à haute voix. Il y a une grande puissance dans la voix.
28. Quant aux disputes entre des époux, il faut leur montrer combien ils donnent beau jeu au diable, lorsqu’ils cessent de le combattre pour se combattre l’un l’autre…. En général, le pasteur fera bien quelquefois d’entreprendre le traitement particulier d’un ménage désuni et de s’en occuper d’une manière suivie, comme d’une cure à accomplir. On ne fait pas disparaître une grande tache en la frottant légèrement une seule fois. Autrefois, on écrivait beaucoup plus sur les péchés particuliers ; aujourd’hui l’on se contente de poser le fondement, croyant que le reste viendra de soi-même. On oublie que bien souvent on peut enlever tout l’arbre en ne le tirant que par une seule branche. Il est des âmes chez qui tout serait en ordre si un péché était ôté. Ne vous lassez donc point, pasteurs, de distribuer la Parole avec abondance ; cet athéisme qui se répand toujours plus avant dans la société, et qui se constate moins encore par l’impiété plus ou moins ténébreuse de certains individus, que par la négligence générale de toute pensée sérieuse sur le Dieu vivant, ne peut être combattu avec succès que par une exposition assidue, détaillée et complète de la vérité divine.
29. Lorsqu’on dit aux riches leur fait pour les exciter à la bienfaisance, il serait à désirer qu’on trouvât occasion de rappeler aux pauvres le devoir de la justice et la fidélité ; autrement les pauvres et les riches compléteront nos paroles à leur grand dommage, en se reprochant amèrement leurs torts mutuels. Ne vaudrait-il pas mieux les amener les uns et les autres à chercher de concert le Seigneur ; et ceux qui ont trop, à donner à ceux qui n’ont pas assez ? C’est peut-être parce qu’on se contente de prêcher les riches, qu’ils cherchent dans la conduite des pauvres des prétextes pour ne les pas secourir.
30. Le pasteur doit donner les plus grands soins aux premiers de sa paroisse, je veux dire, aux enfants, et aux derniers, j’entends aux mourants. Aux premiers, parce que c’est d’eux qu’il a le plus de fruits à espérer, et aux derniers, parce qu’il n’a que bien peu de temps pour s’acquitter de son ministère envers eux.
31. La cène, administrée à des gens si diversement, disposés, doit nécessairement donner beaucoup d’inquiétude à un pasteur consciencieux. On me demande s’il ne vaudrait pas mieux se laisser destituer que de donner le corps de notre Seigneur à tous sans distinction ; je répondrai qu’il y a une différence à faire entre la défense de la vérité en théorie et la défense de la vérité en pratique. La première est plus ou moins indépendante des variations de la scène du monde, et s’accomplit plus ou moins à travers toutes les circonstances. La seconde est plus difficile de sa nature et a, de tous temps, été sujette à l’abus. Quand un pasteur doute sérieusement qu’une personne qui se présentera à la table sacrée soit digne de communier, il doit, avant le jour de communion, parler à cette personne en particulier, lui expliquer la gravité de l’action et la responsabilité qu’elle assume, et puis la laisser agir selon sa volonté. Que la palissade se dresse devant la porte du temple, non autour de l’autel. Il faut que le pasteur puisse distribuer la cène avec plénitude de joie, comme s’il allait communiquer à toutes ses ouailles toute la puissance du sang de Christ, comme s’il se sentait assez fort avec ces gages sacrés de miséricorde pour enlever au ciel toutes ces âmes à la fois.
La sainte cène est un moyen de conversion pour plusieurs ; les officiants doivent donc, selon la connaissance qu’ils ont de la situation du communiant, lui adresser les paroles de l’institution avec toute la gravité et l’accent qui peuvent faire de l’impression sur lui. Mais je ne puis approuver qu’on fasse de l’utilité de la communion comme moyen de conversion, un dogme proprement dit : car ce n’est pas là précisément son but.
32. La doctrine des effets de la prière et celle de la parole intérieure sont très importantes ; mais sans une grande prudence dans la manière de les enseigner et de les appliquer, on risque beaucoup de tomber dans l’illusion du cœur et de tenter Dieu. Le mot de saint Jean : Ils seront tous enseignés de Dieu, (6.45 ; Hébreux 8) ne doit pas être pris dans ce sens, que nul n’aura besoin de l’enseignement d’un autre. S’il en était ainsi, pourquoi les apôtres auraient-ils enseigné ? Ces paroles indiquent la prééminence du Nouveau Testament sur l’Ancien. Dans celui-ci, Dieu était obligé de contraindre les Israélites ; le Nouveau est caractérisé par un esprit de liberté qui ouvre l’intelligence. Lorsqu’un homme reçoit cet esprit promis dans le Nouveau Testament, tout lui devient plus facile à comprendre, et il acquiert une habileté dans les choses spirituelles que d’autres n’acquièrent que par de longues études. Le passage de 1Jean 2.27, s’applique à la fausse doctrine dans laquelle le chrétien n’a pas besoin d’être enseigné. Ce sont deux questions différentes de savoir si certaines âmes peuvent être éveillées sans l’intervention du ministère évangélique, ou si l’Eglise entière peut se soutenir et se perpétuer sans lui.
33. Les mystiques datent du quatrième ou cinquième siècle. La philosophie aristotélicienne, ensuite la scolastique qui en dérive, étant cultivées avec ardeur, des gens sincères, pour échapper aux disputes de l’école, se retirèrent en eux-mêmes. Chaque mystique avait un certain rayon de lumière, mais il en restait là ; il ne comprenait rien à l’économie de Dieu, ni à ses voies en général. Ces hommes rentraient en eux-mêmes et n’étaient plus rien pour la société. Ils vivaient dans des temps d’obscurité ; ils étaient heureux eux-mêmes, mais ne contribuaient pas au bonheur des autres. Tandis que les scolastiques ne mettaient de prix qu’à la spéculation et aux raisonnements, eux n’en mettaient, aussi bien que les platoniciens, que dans le sentiment et dans une disposition aveugle et muette du cœur. Il faut pourtant que les mystiques avouent que tout ce qu’ils ont de bon, ils ne l’auraient trouvé nulle part que sur le terrain de l’Eglise.
34. Il est convenable pour un pasteur de campagne de poursuivre, à côté de ses travaux pastoraux, quelques études particulières et en rapport avec son état, afin de ne pas retomber toujours sur lui-même ; qu’il sache ce qui se passe ailleurs dans le royaume de Dieu, afin d’être, dans le besoin, encouragé, réveillé, humilié et instruit.