Moïse était chaldéen de nation ; mais il naquit en Égypte, parce que ses aïeux, voulant fuir une famine qui depuis longtemps désolait Babylone, avaient quitté cette ville pour se rendre en Égypte. Né à la septième génération depuis Jacob, il fut élevé à la cour ; voici comment. Les Hébreux s’étant multipliés en Égypte et formant une population considérable, le roi du pays craignit que cette multitude ne formât des complots, et, se défiant d’une jeunesse robuste, il ordonna de n’élever que les filles qui naitraient d’eux (car la femme n’est pas propre à la guerre) et de tuer les enfants mâles. Comme Moïse ne paraissait pas un enfant ordinaire, ses parents le nourrirent en secret pendant trois mois, l’amour paternel l’emportant sur la crainte du tyran. Craignant ensuite de périr avec leur fils, ils construisirent une corbeille de papyrus, arbrisseau du pays, l’y placèrent, et l’exposèrent parmi les roseaux de la rive du fleuve ; et la sœur de l’enfant se tenait au loin, considérant ce qui allait arriver. Or, la fille du roi, qui depuis longtemps était stérile, et qui désirait un fils, vint ce jour-là au fleuve, pour s’y baigner. Ayant entendu les vagissements de l’enfant, elle ordonna qu’on le lui apportât, et touchée de compassion en le voyant, elle demanda une nourrice. Accourant alors, la sœur de l’enfant dit qu’elle connaissait une femme des Hébreux, récemment accouchée, et proposa de l’aller chercher pour nourrice, si la fille du roi le voulait. Sur l’assentiment et à la demande de celle-ci, la sœur amena la mère même de l’enfant, pour qu’elle en fût la nourrice, moyennant un salaire convenu, comme si elle eût été une femme étrangère à cet enfant. Puis la fille du roi donna à l’enfant le nom de Moïse, pour rappeler qu’il avait été sauvé des eaux ; car en égyptien moy signifie eau. Or, Moïse avait été exposé sur l’eau pour y mourir. Et dans la même langue, on appelle Moïse quiconque a été sauvé des eaux. Il est évident que lors de la circoncision de l’enfant, circoncision qui eut lieu avant son exposition, ses parents lui imposèrent un nom ; ce nom fut Joacim. Il reçut aussi dans le ciel un troisième nom après son ascension, comme disent les Mystes, et ce nom est Melchi. Arrivé à un âge plus avancé, on lui donna les maîtres les plus savants de l’Égypte, et il apprit d’eux l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie, la science du rhythme et de l’harmonie, la médecine et la musique, et de plus, la philosophie symbolique renfermée dans les hiéroglyphes. Des maîtres grecs, qui se trouvaient en Égypte, l’instruisirent comme un fils de roi dans le reste des études encyclopédiques, ainsi que le rapporte Philon dans la Vie de Moïse. Ajoutez que des maîtres égyptiens lui enseignèrent la littérature égyptienne ; et des maîtres chaldéens la science des astres. C’est de là qu’il est dit de lui dans les Actes des apôtres :
« Il fut instruit en toute la science des Égyptiens. »
Eupolème, dans son ouvrage sur les rois Juifs, dit que Moïse fut le premier sage, et que le premier il enseigna aux Juifs la science de la grammaire; que les Juifs transmirent cet art aux Phéniciens, et les Phéniciens aux Grecs. Moïse, s’étant ainsi appliqué à l’étude de la philosophie égyptienne, fortifia et développa en lui les doctrines qu’il tenait de ses ancêtres et de la tradition hébraïque ; il était si zélé pour ces doctrines et pour cette tradition, qu’il frappa et tua l’Égyptien qui sévissait injustement contre l’Hébreu. Selon les Mystes, ce fut avec la parole seule qu’il tua l’Égyptien ; comme en d’autres temps, ainsi qu’on le voit dans les Actes des apôtres, Pierre fit mourir avec la parole ceux qui avaient
« retenu injustement une partie du prix du champ, et qui avaient menti. »
Dans son ouvrage sur les Juifs, Artaban rapporte que Moïse ayant été mis en prison par ordre de Néchéphré, roi d’Égypte, parce qu’il demandait instamment pour le peuple hébreu la liberté de quitter le pays, les portes de sa prison s’ouvrirent pendant la nuit par la volonté de Dieu ; et que Moïse, après en être sorti, entra dans le palais, pénétra jusqu’au lit du rot qui dormait, et le réveilla ; et que le roi, frappé de stupeur par ce qui venait d’arriver, avait ordonné à Moïse de lui dire le nom du Dieu qui l’avait envoyé ; que Moïse s’étant incliné vers le roi, lui avait dit ce nom à l’oreille ; et que le roi, après l’avoir entendu, était tombé mort ; mais que, relevé par Moïse, il était revenu à la vie. Ézéchiel aussi, l’auteur des tragédies hébraïques, est d’accord avec nous sur l’éducation de Moïse ; car dans le drame intitulé La sortie d’Égypte, il parle en ces termes de la personne de Moïse :
« Voyant notre nation s’accroître de jour en jour, le roi Pharaon s’efforça de nous détruire par mille moyens. D’abord, il nous accabla de travaux pénibles et de mauvais traitements ; tantôt des briques à faire, tantôt des édifices à élever, tantôt des villes à ceindre de tours. Infortunés ! telle était notre tâche. Puis il nous ordonna, par un édit, de jeter dans les eaux profondes du fleuve, les enfants mâles qui naitraient de nous. Ma mère, comme elle me l’a souvent dit, me nourrit en secret pendant trois mois ; mais le fait s’étant divulgué, elle me revêtit de mes plus beaux langes et alla me déposer sur le haut de la rive du fleuve, dans un endroit couvert de joncs et de roseaux. Ma sœur Marie observait tout en se tenant près de là. Cependant, la fille du roi descendit avec ses femmes vers le fleuve pour s’y baigner ; m’ayant vu soudain, elle me prit et m’emporta. Et à peine eut-elle reconnu que j’étais un enfant hébreu, que ma sœur Marie accourant vers elle, lui dit : Voulez-vous que j’aille à l’instant vous chercher une nourrice juive pour cet enfant ? La fille du roi fit signe de la tête qu’elle le désirait, et ma sœur d’aller vers ma mère et de lui raconter le fait, et ma mère d’arriver aussitôt et de me prendre dans ses bras. Alors la fille du roi lui dit : Femme, tu nourriras cet enfant, et je te donnerai une récompense. Et elle m’appela Moïse, en souvenir de ce qu’elle m’avait trouvé sur le bord du fleuve. »
« Lorsque les jours de l’enfance furent passés pour moi, ma mère me conduisit au palais de la reine, après m’avoir instruit de tout ce qui avait rapport à ma famille, à ma patrie, et aux dons que Dieu nous avait faits. Tant que je fus encore dans l’âge de la jeunesse, on me donna la nourriture et l’éducation d’un roi, tout aussi bien que si j’eusse été du sang royal ; mais quand je fus plein de jours, je sortis du palais. »
Puis, après avoir dit le combat de l’Hébreu et de l’Égyptien, Ézéchiel parle ainsi d’un autre combat :
« Pourquoi frappes-tu plus faible que toi ? Mais il me répondit : Qui t’a envoyé vers nous en qualité de juge ou de prince ? Veux-tu me tuer comme l’homme d’hier ? Et moi craignant, je dis : Comment cela est-il connu ? »
C’est pourquoi Moïse s’enfuit d’Égypte et garda les troupeaux, se préparant de la sorte à l’exercice de l’autorité souveraine. Car, pour celui qui doit un jour gouverner le troupeau le moins sauvage, celui des hommes, la conduite des troupeaux est une sorte d’exercice préparatoire aux fonctions de la royauté, comme l’art de la chasse est un art préparatoire à l’art de la guerre, pour ceux que la nature a faits guerriers. Mais Dieu alla prendre Moïse au milieu de ses occupations pastorales, pour le placer à la tête des Hébreux. Les Égyptiens, plusieurs fois avertis, tirent chaque fois preuve d’une stupide incrédulité. Et les Hébreux, spectateurs des maux subis par d’autres, connurent ainsi tout entière la puissance de Dieu. Et parce que les Égyptiens, dans leur démence, avaient refusé d’ajouter foi aux paroles de Moïse, et aux effets de la puissance de Dieu, alors, comme dit le proverbe, ils la connurent à leurs dépens. Les Hébreux sortirent enfin d’Égypte, emportant avec eux de nombreux objets qu’ils avaient enlevés aux Égyptiens, non par cupidité, comme le disent leurs détracteurs, (car Dieu ne leur a pas conseillé de désirer le bien d’autrui) ; mais d’abord, à titre de rémunération forcée des travaux continuels et des fonctions serviles auxquels dès le commencement les Égyptiens les avaient assujétis ; puis, en quelque sorte, à titre de compensation ; car, en dépouillant les Égyptiens, ils condamnaient leur avarice à payer le prix de la servitude que ce peuple leur avait imposée. Soit donc que les Hébreux aient agi comme en temps de guerre, ils ont jugé à propos d’user du droit du vainqueur, pour s’emparer des dépouilles de leurs ennemis : c’est le droit du plus fort sur le plus faible, et la cause de la guerre était juste. Fuyant la famine, les Hébreux étaient venus en Égypte en suppliants ; mais les Égyptiens, réduisant en servitude leurs hôtes, les avaient contraints de remplir auprès d’eux les fonctions d’esclaves, sans même leur donner aucun salaire. Soit donc que les Hébreux aient agi comme en temps de paix, ils ont dépouillé les Égyptiens, pour se payer eux-mêmes le salaire que pendant longtemps ces maîtres iniques n’avaient point acquitté, mais dont ils avaient frustré les Hébreux.