Histoire des Protestants de France – Tome 1

2.7.
Siège de Rouen. – Cruautés. – Le pasteur Marlorat. – Mort d’Antoine de Bourbon. – Bataille de Dreux. – Siège d’Orléans. – Assassinat du duc de Guise. – Inconstance du prince de Condé. – Paix d’Amboise. – Mécontentement de Coligny.

Le duc de Guise et ses confédérés se hâtèrent de mettre le siège devant la ville de Rouen. Le comte de Montgommery, le même qui avait blessé mortellement Henri II dans un tournoi, y commandait ; il avait avec lui une population dévouée et une forte garnison.

Entre les assiégeants et les assiégés on put remarquer un contraste qui devait se reproduire, quatre-vingts ans après, entre les puritains de Cromwell et les cavaliers royalistes. Dans l’armée catholique régnait une grande licence. Catherine de Médicis, qui s’était tournée du côté du plus fort, avait amené avec elle ses filles d’honneur. Les tranchées s’ouvraient au son des aubades, et les demoiselles de la cour, se faisant juges du camp, décernaient des prix aux chevaliers. Dans l’intérieur de la ville tout était sérieux et sévère. Point de jeux ni de spectacles : des sermons, des prières, le chant des psaumes ; et après les offices religieux, les femmes mêmes allaient combattre sur les remparts à côté de leurs maris.

Au bout de cinq semaines de siège, Rouen fut pris d’assaut et livré pendant huit jours aux fureurs de la soldatesque. Le parlement, qui s’était retiré à Louviers, vînt achever l’œuvre par des meurtres juridiques. Plusieurs des principaux habitants furent condamnés à mort, entre autres Jean de Mandreville, président de la cour des aides, et le pasteur Augustin Marlorat.

Ce dernier avait figuré au colloque de Poissy. Il avait de la science, de la piété, de la modération dans le caractère, et jouissait d’une grande estime parmi les fidèles. Le connétable voulut voir Marlorat, et l’accusa d’avoir séduit le peuple. « Si je l’ai séduit, répondit le ministre de Christ, Dieu m’a séduit le premier ; car je ne leur ai prêché que la pure parole de Dieu. Pendant qu’on le traînait sur une claie à la potence, il exhorta ses compagnons de supplice à glorifier le Seigneur jusqu’à leur dernier soupir.

Antoine de Bourbon fut blessé à mort pendant le siège, et des passions licencieuses qu’il ne pouvait réprimer précipitèrent sa fin. Après avoir reçu le viatique sur les instances d’un évêque de cour, il parut, à ses moments suprêmes, revenir à la foi réformée ; car il invita son médecin à lui lire la Bible, et, les yeux pleins de larmes, il demanda pardon à Dieu, attestant que s’il pouvait guérir, il ferait prêcher le pur Évangile dans tout le royaume. Mais il était trop tard. Antoine de Bourbon mourut à l’âge de quarante-quatre ans, et la seule oraison funèbre qu’on puisse faire de lui est celle d’Etienne Pasquier : « Le roi de Navarre est mort d’un coup de balle ; il n’est regretté ni des uns ni des autres. »

Le 19 décembre, bataille de Dreux. L’armée calviniste comptait quatre mille chevaux et cinq mille hommes de pied ; l’armée catholique, seize mille hommes de pied et deux mille chevaux. Ces forces étaient petites pour une rencontre qui pouvait avoir de si grandes conséquences ; et encore les étrangers entraient-ils pour les deux tiers dans les troupes du triumvirat, et pour moitié dans celles des huguenots. Mais la guerre se faisait alors d’un bout de la France à l’autre ; chaque province, chaque ville, et en quelque manière chaque bourgade avait ses soldats, de sorte que les troupes campées près de Dreux ne formaient que la moindre partie des combattants.

Pendant plus de deux heures, les armées se regardèrent dans une morne immobilité. Chacun pensait en soi-même, comme le raconte le brave La Noue, qu’il avait devant lui des parents, des amis et des compagnons. Enfin la bataille s’engagea, et fut continuée sept heures avec acharnement. Huit mille morts jonchaient la plaine à la fin de la journée.

Les calvinistes eurent d’abord l’avantage, et quelques fuyards en ayant porté la nouvelle jusqu’à Paris : « Eh bien ! dit tranquillement Catherine de Médicis, il faudra donc prier Dieu en français. »

Mais le duc de Guise, ayant donné avec sa réserve, changea la face du combat. Coligny essaya inutilement de ramener les siens à la charge ; il ne put que se retirer en bon ordre. Les chefs des deux armées, le prince de Condé et le connétable de Montmorency, furent faits prisonniers. Le maréchal de Saint-André, l’un des triumvirs, resta sur le champ de bataille. « Meurs, traître, dit un officier calviniste en lui cassant la tête d’un coup de pistolet, meurs de la main d’un homme dont tu as pris les dépouilles. »

L’hiver ne suspendit point les hostilités. Coligny se remit en campagne dans la haute et basse Normandie. Le duc de Guise alla assiéger Orléans, la principale place de guerre et le centre des opérations du parti calviniste. « Une fois le terrier pris, où les renards se retirent, disait-il, on les courra à force par toute la France. »

Déjà, malgré l’héroïque défense de d’Andelot et des bourgeois, deux faubourgs avaient été pris et la tour du pont emportée, lorsque le duc de Guise fut blessé dans la soirée du 18 février 1563, par Jean Poltrot de Méré, qui lui tira un coup de pistolet à bout portant. Il mourut six jours après, amèrement regretté du parti catholique. On lui fit à Paris les funérailles d’un roi, et Catherine de Médicis afficha une grande douleur qu’elle n’éprouvait point.

Plusieurs historiens, Mézeray entre autres, assurent que, dans ses derniers moments, il conseilla à la reine mère de faire la paix le plus tôt possible, en ajoutant que quiconque l’empêcherait serait un ennemi du roi et de l’Etat. C’était conseiller la tolérance, puisque la paix ne pouvait être solidement établie qu’à cette condition. François de Guise avait-il mieux compris ses devoirs à l’heure de la mort qu’il n’avait fait dans tout le cours de sa vie ? Peut-être. L’ambition ne l’égarait plus, et la pensée du jugement de Dieu lui inspirait des paroles de vérité.

Le meurtrier était un gentilhomme de l’Angoumois, alors âgé de vingt-cinq à vingt-six ans. Ardent catholique dans sa jeunesse, Poltrot avait servi en Espagne, et tellement adopté le langage et les manières de ce pays, qu’on lui avait donné le surnom d’Espagnolet. Ayant embrassé la foi réformée, il dut se réfugier à Genève, et, à l’exemple de beaucoup d’autres gentilshommes, faire un métier d’artisan pour vivre. Son caractère s’en était aigri, son imagination exaltée. Revenu en France, il entendit partout retentir des plaintes contre le duc de Guise que les huguenots appelaient le boucher de Vassy, et le meurtre du meurtrier de ses frères lui parut être un acte de légitimes représailles. Déplorable effet de ces guerres de religion qui faussaient toutes les idées de justice et dépravaient les âmes ! L’abîme appelait l’abîme.

La mort du duc de Guise changea la face des affaires. Anne de Montmorency étant prisonnier, il n’y avait dans l’armée catholique aucun chef de quelque renom, et Catherine de Médicis reprit des négociations qu’elle n’avait jamais complètement abandonnées. Elle tâcha de séduire Condé par la promesse de la lieutenance générale du royaume. Ce prince, qui était tombé entre les mains des catholiques à la bataille de Dreux, vivait depuis trois mois loin des hommes austères du parti calviniste ; il respirait déjà, dit Mézeray, le doux air de la cour et des plaisirs des dames. Gagné par les artifices de la reine, il demanda la permission d’aller conférer de la paix à Orléans.

A peine arrivé, il adressa ces deux questions aux pasteurs : « Est-il raisonnable d’exiger que l’édit de Janvier soit entièrement rétabli dans tous ses articles ? Ou bien, si on ne peut l’obtenir, ne serait-il pas convenable d’entrer en arrangement avec la reine pour pacifier les troubles du royaume ? » Les pasteurs, le voyant chanceler, lui adressèrent, au nombre de soixante et douze, une remontrance par écrit, demandant un libre et sûr exercice de la religion, soit dans les lieux où il existait déjà, soit dans ceux où il serait réclamé par les habitants.

Le prince n’en tint nul compte, et désespérant de surmonter la résistance des ministres, il se tourna vers les gentilshommes qu’il savait être fatigués de la guerre, et leur communiqua certaines clauses qui accordaient à la noblesse des privilèges de religion. Le corps pastoral ne fut ni entendu ni reçu dans cette conférence, et la majorité des gentilshommes accepta les articles proposés.

La reine mère pressait ardemment la conclusion ; elle craignait de perdre un seul jour, parce qu’elle prévoyait que si l’amiral Coligny avait le temps d’arriver, tout l’édifice de ses intrigues tomberait d’un seul coup. Aussi, dès que le prince de Condé fut de retour, elle signa les articles, et ce traité, rédigé sous forme d’édit de pacification, fut publié à Amboise le 19 mars 1563.

Il contenait les points suivants : Libre exercice de la religion dans les villes qui étaient au pouvoir des calvinistes, à la date du 7 mars 1563 ; permission aux seigneurs haut-justiciers de tenir des assemblées dans toute l’étendue de leurs domaines ; permission aux nobles de second rang de célébrer leurs offices dans leurs maisons, et seulement pour les gens de leurs familles ; enfin, dans chaque bailliage ressortissant immédiatement aux parlements, concession d’un seul lieu de culte. A tous les autres réformés on n’accordait que le culte domestique. « Chacun pourra, disait le traité, vivre et demeurer partout en sa maison librement, et sans être recherché ni molesté, forcé ni contraint pour le fait de sa conscience. »

Certes, il y avait loin des articles d’Amboise à l’édit de Janvier. Au lieu d’un droit général, on n’accordait plus à la masse des réformés que la tolérance du for intérieur et du foyer domestique. Les nobles seuls, et les fidèles qui habitaient aux environs d’une ville de bailliage, pouvaient encore tenir des assemblées. C’était parquer les disciples de la Réforme comme des pestiférés dans un lazaret.

Quand l’amiral connut le traité, il en éprouva une vive indignation. « Ce trait de plume, dit-il, ruine plus d’Églises que les ennemis n’en auraient pu abattre en dix ans. »

Il revint à Orléans à marches forcées, et y arriva le 23 mars, espérant encore trouver quelque moyen d’obtenir de meilleures conditions. Il se présenta devant le conseil, et exprima au prince tout son déplaisir. Il dit que les affaires de la religion étaient dans un bon état ; que deux des principaux de la guerre étaient morts, et le troisième prisonnier ; qu’en restreignant les assemblées à une ville par bailliage et aux seigneurs hauts justiciers, on sacrifiait les pauvres, qui pourtant avaient donné l’exemple aux riches : enfin que les gentilshommes eux-mêmes qui voudraient faire leur devoir sentiraient bientôt quelles lourdes chaînes ils avaient acceptées.

Ce discours fit une si vive impression, que beaucoup de ceux qui s’étaient rangés à l’avis de Condé auraient voulu que ce fût à refaire. Mais le prince répondait toujours qu’il avait reçu des promesses particulières, et que lorsqu’il serait lieutenant général du royaume, tout irait bien. Coligny dut se résigner. On rendit Orléans aux troupes du roi et les huguenots les aidèrent à reprendre Le Havre sur les Anglais.

Telle fut la fin de la première guerre de religion, si l’on peut employer ce mot pour une simple suspension d’armes, adoptée de part et d’autre avec d’arrière-pensées. Nul n’était satisfait, ni ne pouvait l’être. Les catholiques ardents ne se plaignaient pas moins que les calvinistes. Les politiques ne comprenaient rien à ces catégories où l’on avait donné à quelques-uns ce qu’on refusait à la masse. Aucun principe n’avait dicté l’édit de pacification, et la France, toute saignante, n’eut pas même le temps de poser le premier appareil sur ses larges blessures.

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