L’hérétique qui voit tout de travers, est bien incapable de reconnaître et de confesser un seul vrai Dieu : croire et comprendre cette vérité est hors des prises d’une croyance impie. Il faut d’abord admettre l’existence du Père et du Fils pour avoir l’intelligence du seul vrai Dieu. Nous prenons alors conscience du plan divin concernant le salut de l’homme, de ces réalités cachées qui sont accomplies en nous, pour nous rendre la vie par la puissance de la régénération dans le Père et le Fils, et nous comprenons mieux aussi les mystères de la Loi et des Prophètes[44]. L’hérésie méconnaît la prédication évangélique et apostolique : aussi ne saisit-elle pas le Dieu un et vrai.
[44] Il faut recourir ici au traité d’Hilaire, Des mystères.
Lorsque nous en serons venus à parler de l’enseignement des Evangélistes et des Apôtres, nous offrirons à l’intelligence la démonstration la plus complète de la vraie doctrine. Le Fils Unique qui procède du Père, sera alors discerné comme indivis et inséparable du Père par sa nature, mais non en tant que personne : voilà pourquoi Dieu est Un : Dieu le Fils provient de la nature de Dieu. Toutefois pour édifier la foi en cette unité parfaite, il nous faut partir des paroles des prophètes ; nous poserons ainsi les fondements de l’édifice qui est l’Evangile ; du fait que l’unique divinité possède une même nature, il sera facile de déduire qu’il n’y a qu’un seul Dieu et que Dieu, l’Unique Engendré, n’est pas à considérer comme un autre Dieu.
Nous avons suivi jusqu’ici, en ce livre de notre traité, la même démarche que dans le livre précédent : nous avions alors enseigné que le Fils est Dieu ; ici, nous prouvons qu’il est vrai Dieu. Et, je l’espère, notre explication de ces textes aura eu pour résultat de nous faire comprendre qu’il est vrai Dieu, celui que nous avions déjà reconnu comme Dieu. La fin de ce livre sera consacrée entièrement à établir que celui que nous regardons maintenant comme vrai Dieu, ne doit pas être considéré comme un autre Dieu ; et puisqu’il n’a pas à être classé comme un autre Dieu, c’est qu’il doit être compris comme étant le Dieu Un. Or cela seul ne détruit pas la nature subsistant dans le Fils, mais sauvegarde en Dieu le Père et en Dieu le Fils, l’essence d’un seul Dieu.
Rendre compte de la vérité exige que nous puisions les éléments de cette reconnaissance du Fils comme vrai Dieu, chez celui par qui Dieu s’est manifesté en premier lieu au monde, c’est-à-dire chez Moïse. Dieu, le Fils Unique, déclare lui-même par la bouche de ce prophète : « Voyez, voyez, moi, je suis Dieu, et il n’y a pas de Dieu autre que moi » (Deutéronome 32.39).
L’impiété de l’hérétique risque d’appliquer cette parole de grand poids à Dieu, le Père Innascible ; mais le sens même de cette phrase et l’Apôtre qui l’a reprise, lui répondent. Nous l’avons vu plus haut : l’Apôtre applique ce passage à la personne de Dieu, le Fils Unique, et ce verset : « Nations, réjouissez-vous avec son peuple » (Deutéronome 32.43), nous laisse entendre qu’il s’agit de son propre peuple qu’il soumet à la foi, selon cette parole : « Il paraîtra le rejeton de Jessé, celui qui se lève pour régner. En lui, les nations mettront leur espérance » (Romains 15.12).
Moïse nous montre donc que celui qui a dit : « Il n’y a pas de Dieu autre que moi » est celui qui annonce : « Réjouissez-vous nations, toutes ensemble, avec lui »[45]. Et l’Apôtre nous le fait comprendre : ces deux textes sont à mettre dans la bouche de notre Seigneur Jésus-Christ, Fils Unique de Dieu ; en sa chair, il se lève de la racine de Jessé pour régner ; en lui réside l’espérance des nations ; en conséquence, il nous reste encore à exposer la raison de ces paroles pour que nous puissions comprendre en quel sens elles ont été prononcées, maintenant que nous n’avons plus à douter de celui qu’elles visent.
[45] Cette seconde citation du verset Deutéronome 32.43 n’est plus celle des Septante. Hilaire se laisse emporter par son sujet.
Ce qui caractérise au plus profond notre foi, sa caractéristique vraie, achevée et parfaite, c’est d’affirmer Dieu, né de Dieu, et Dieu en Dieu, non pas d’une manière corporelle, mais par la force divine, non pas par un transfert d’une nature en une autre, mais d’une façon mystérieuse, par la puissance de la nature divine. Car Dieu ne vient pas de Dieu par séparation, extension ou émanation, mais sa naissance le fait exister dans la même nature, par la puissance de la nature divine. Ces points seront étudiés plus à fond dans le livre suivant où nous expliquerons les textes des Evangélistes et des Apôtres ; pour le moment, nous enseignons les vérités que nous professons et croyons, à partir de la Loi et des Prophètes.
Ainsi donc, la naissance du Fils de Dieu suppose forcément qu’il ait cette nature de laquelle il procède. Il n’existe pas d’une autre façon comme Dieu, parce qu’il ne tire pas son existence d’ailleurs que de Dieu. La nature est la même ; mais ce n’est pas à entendre comme si celui qui naissait était aussi celui qui engendrait – comment en effet, celui-ci serait-il Père, s’il était engendré ? Non, celui qui est engendré existe dans cette même nature qui est, en son intégralité, celle de celui qui l’engendre, puisque lui qui est engendré, ne vient pas d’ailleurs. De ce fait, le Fils n’est pas à rapporter à une autre nature, puisqu’il existe dans la seule nature d’où il procède. En lui, rien de nouveau, puisqu’il vit du Vivant ; Il est toujours présent à Dieu, puisque le Vivant est engendré dans le Vivant. Ainsi, dans la génération du Fils, le Dieu incorporel et immuable est conséquent avec sa nature : il engendre le Dieu incorporel et immuable. La naissance parfaite du Dieu incorporel et immuable, à partir du Dieu incorporel et immuable, ne saurait porter atteinte à sa nature.
Par suite, Dieu, le Fils Unique, a bien en vue cette réalité mystérieuse du Dieu qui existe à partir de Dieu, lorsqu’il certifie à Moïse, le saint : « Voyez, voyez, je suis le Seigneur, et il n’y a pas de Dieu hors de moi ! » (Deutéronome 32.39). Car il n’y a pas une autre nature propre à la divinité, pour qu’il y ait quelqu’autre Dieu en dehors de lui. Il est lui-même Dieu, et cependant, de par la puissance de la nature divine, Dieu est encore en lui. Et par là, puisqu’il est Dieu et que Dieu est en lui, il n’y a pas de Dieu en dehors de lui. Comme le fait d’être Dieu et que Dieu soit en lui, n’existe pas ailleurs, il possède en lui à la fois ce qu’il est en lui-même et celui de qui il reçoit l’existence.
Le même et unique Esprit de prophétie précise en plusieurs endroits quelle doit être une profession de foi conforme à la vérité et capable de nous assurer le salut ; l’annonce de la sainte doctrine reste toujours la même à travers la succession des temps et des siècles. Ainsi, pour nous permettre d’avancer plus à fond dans l’intelligence de ce mystère, Moïse nous a donné ces textes énoncés par la personne du Fils de Dieu. Par ailleurs, en Isaïe, le même Esprit de prophétie nous fait entendre cette fois, la parole de Dieu le Père qui s’exprime par l’intermédiaire des hommes à la haute stature : « Dieu est en toi, et il n’y a pas d’autre Dieu que toi. Car tu es Dieu et nous l’ignorions, Dieu d’Israël Sauveur » (Ésaïe 45.14-15).
Que la fureur de l’hérésie impie, que ce délire dont il y a lieu de désespérer, vienne donc s’insérer dans cette affirmation inséparable du nom et de la nature ! Que sa rage, par sa bouche en folie, mette en pièces, si elle le peut, ces textes qui résonnent d’un même accord, tant au niveau des mots que de ce qu’ils signifient ! Dieu est en Dieu, et hors de lui, il n’y a pas d’autre Dieu ! Allons, qu’elle sépare celui qui est en Dieu de celui en qui est Dieu, et qu’elle brouille l’intelligence de ce mystère ! Car ce texte : « Dieu est en toi », nous enseigne la vérité de la nature de Dieu le Père, qui est dans le Fils de Dieu, puisqu’on entend : Dieu est en celui qui est Dieu. Puis, en ajoutant : « Il n’y a pas de Dieu hors de toi », on nous montre qu’il n’y a pas de Dieu hors de lui, puisqu’en lui, Dieu est en Dieu. Quant au troisième membre de phrase : « Tu es Dieu et nous l’ignorions », il affirme la déclaration fidèle et aimante de l’intelligence humaine concernant le mystère de la naissance du Christ qui lui est maintenant connue, ainsi que le nom révélé par l’Ange à Joseph ; aussi reconnaît-elle : « Tu es Dieu, et nous l’ignorions, Dieu d’Israël, Sauveur ! » Nous comprenons qu’existe en lui la nature de Dieu, puisque Dieu est en Dieu et qu’en dehors de lui qui est Dieu, il ne saurait y avoir un autre Dieu. Il est Dieu, et Dieu est en Dieu, aussi n’avons-nous pas à nous tromper en supposant l’existence de quelqu’autre Dieu.
Voilà donc comment Isaïe a prophétisé en rendant témoignage à la divinité indivisible et inséparable du Père et du Fils.
Jérémie[46] dont les prophéties n’ont pas une moindre valeur, nous enseigne que Dieu, le Fils Unique, possède une nature indivisible de celle de Dieu le Père. Il nous dit : « C’est lui qui est notre Dieu et nul autre ne lui est comparable. Il a scruté toute la voie de la connaissance et il l’a donnée à Jacob, son serviteur, et à Israël, son Bien-aimé. Après cela, il est apparu sur la terre et il a conversé avec les hommes » (Baruch 3.36-38).
[46] Les Pères confondent souvent Jérémie et Baruch.
O toi, l’hérétique, pourquoi supposes-tu un autre Dieu en Dieu, le Fils de Dieu ? Apprends à reconnaître et à proclamer un seul vrai Dieu. Aucun autre Dieu n’est comparable au Christ, puisqu’il est Dieu ! Il est Dieu de par sa nature, il est Dieu de naissance, il est né de Dieu ! Car celui qui est né de Dieu est Dieu, sans être un autre Dieu. Aucun autre, en effet, ne lui est comparable, puisqu’en lui il n’y a pas une autre nature que la vraie nature de Dieu. Pourquoi donc, sous prétexte de rendre un culte mensonger au Dieu Unique, imaginer un Dieu vrai et un faux Dieu, un Dieu qui ne mérite pas ce nom, et un Dieu dans toute la force du terme, un Dieu d’une manière et un Dieu d’une autre manière ? Le Père est Dieu, le Fils aussi est Dieu. Dieu est en Dieu, il n’y a pas de Dieu hors de lui ; aucun autre ne lui est comparable, puisqu’il est Dieu.
Si tu reconnais en eux un Dieu Un plutôt qu’un Dieu solitaire, tu professeras la foi de l’Eglise qui affirme : le Père est dans le Fils. Mais si, dans l’ignorance du mystère céleste, tu prends prétexte de l’unicité de Dieu pour laisser entendre que Dieu est solitaire, tu sors de la connaissance de Dieu en n’affirmant pas : Dieu est en Dieu.