Les anciens dogmaticiens distinguaient dans la Dei cognitio naturalis, la cognitio Dei insita, comprenant le témoignage inné à l’homme de la conscience morale, et la cognitio acquisita, celle tirée rationnellement de la considération des œuvres et des activités divines dans la nature et dans l’histoire soit universelle, soit individuelle. La preuve de la présence de cette connaissance naturelle de Dieu se tirait de Romains 1.19-20.
L’objet de la cognitio Dei naturalis était désigné comme : « aliqua de Dei ὑπάρξει, potentia, sapientia, bonitate et providentia notitia » (Gerhardt) ; insuffisante, dès lors : « ad salutem procurandam aut saltem damnationem arcendam » (Quenstedt). Son utilité toutefois était appelée : pædagogica, en ce qu’elle sollicitait l’homme à rechercher la vraie connaissance de Dieu ; pædeutica, dans l’intérêt de la discipline morale ; enfin : didactica, comme interprétative de la révélation biblique.
On y opposait la notitia Dei supernaturalis, qui est une « cognitio Dei unitrini rerumque divinarurn salvifica e verbo Dei scripto hausta, ad salutem hominum ordinata » (Quenstedt).
Pour nous, nous distinguons trois facteurs, dont l’un interne et deux externes, de la révélation naturelle : la conscience, qui est le témoignage inné du bien dans l’homme même, auquel répondent les deux facteurs externes : le témoignage de Dieu dans la nature (Romains 1.19-20), et son témoignage dans l’histoire (Actes 14.15-17 ; 17.26-28).
Deux exagérations contraires, dont la réfutation complète incombe à l’apologétique, se présentent à nous dans l’appréciation de la révélation naturelle et de la religion naturelle qui s’y rattache. L’une, qui fut représentée avec éclat par Rousseau, consiste à déclarer la connaissance résultant de cette source primitive et universelle, suffisante à l’homme pour fournir sa carrière et accomplir sa destination morale.
La seconde exagération s’est produite récemment dans l’école de Ritschl, qui, à l’inverse de l’ancien déisme, dénie au contraire toute valeur à toute connaissance de Dieu étrangère et antérieure à la révélation de Dieu en Jésus-Christ, en la renvoyant à la « métaphysique ». S’appuyant de l’autorité de Luther et de Mélanchton dans sa première manière, Ritschl pose en principe que toute connaissance vivante de Dieu est liée à Christ, et que toute autre non seulement ne serait pas neutre, comme les scolastiques l’admettaient, mais « aboutit au mépris et à la haine de Dieu ». Mais, ajoute-t-il, si Dieu ne peut être connu véritablement que par Jésus-Christ, cette connaissance elle-même ne peut être renfermée que dans l’Eglise des croyants.
Nous sommes convaincu que l’auteur que nous citons a confondu dans son appréciation l’ignorance avec la méconnaissance de la révélation de Dieu en Jésus-Christ, lorsqu’il a attribué à la connaissance naturelle de Dieu comme telle, des caractères et des effets qui ne lui appartiennent que dès que sciemment et volontairement elle s’oppose à une révélation supérieure. Saint Jean n’a pas dit : « Quiconque ignore », mais : « Quiconque nie le Fils, n’a point le Père ! » (1 Jean 2.23).
L’erreur de Ritschl consiste à confondre, sous l’appellation de métaphysique, les résultats de la dialectique spéculative et les connaissances que procurent à l’homme, en dehors même des révélations historiques, les témoignages divins perçus par une foi vivante déjà, quoique incomplète. Mais par cette répudiation inconsidérée de toute connaissance religieuse préparatoire, la théologie et la nature humaine avec elle se privent de tout critère naturel et universel de la révélation particulière et historique de Dieu en Jésus-Christ, qui ne saura plus revendiquer devant l’âme et la conscience humaine que l’autorité du fait accompli.
Nous sommes convaincu que cette proscription passionnée de la connaissance naturelle de Dieu passera aux yeux de la postérité pour une des idiosyncrasies les plus singulières de l’école de Ritschl.
Les révélations bibliques, en maints endroits de l’Ancien et du Nouveau Testament, se réfèrent aux témoignages de Dieu dans la nature et l’histoire, toujours d’ailleurs distingués de la nature divine elle-même, comme cela résulte de nos citations précédentes (comp. encore Psaumes 19.1-7, Psaumes 29 et 104, Job ch. 38), et Jésus-Christ, qui a prononcé tant de paraboles empruntées à la nature, n’a pas dédaigné de tirer du spectacle qu’elle nous donne, une preuve de la paternité de Dieu, Matthieu 5.45.
Nous disons que la révélation naturelle, par les principaux facteurs qui y sont renfermés, suffit à nous donner la connaissance du Dieu personnel et unique, et de ses principaux attributs. La nature atteste au νοῦς ; de l’homme la toute puissance, la sagesse et la bonté de Dieu ; l’histoire, interprétée par la conscience, y ajoute le témoignage intermittent, reconnaissable cependant, de sa sainteté et de sa justice ; mais c’est ici aussi que se marquent les limites particulières dont ce moyen primitif et élémentaire de connaissance religieuse est resté affecté.
Le témoignage de la révélation naturelle, considéré même indépendamment de la chute et de ses conséquences physiques, était défectueux quant à ses modes et quant à son contenu.
Ses modes d’abord : car les témoignages de Dieu dans la nature ne sont pas énoncés verbalement, par des organes conscients et personnels, accrédités à cet effet auprès des hommes, ni historiquement par des faits se succédant avec ordre et progression ; mais ils se présentent aux facultés humaines dans des choses et sous des formes matérielles et engagées dans les périodes relativement immuables de leurs révolutions.
L’histoire générale elle-même, qui atteste elle aussi quelques-uns des attributs divins, et qui, résultant du concours d’agents conscients, libres et responsables, rend par cela même un témoignage supérieur à celui de la nature, ne nous présente pas non plus d’organes accrédités de la pensée ou de la volonté divines ; et pour autant qu’elle est considérée en elle-même, et isolée du fait du salut, elle ne nous apparaît dans la succession de ses événements, ni ordonnée, ni progressive.
Il est enfin à peine besoin de remarquer à quel point le témoignage de la conscience morale est défectueux dans son mode, en ce que, rendu dans le for de l’individu, et quoique supérieur à la nature de l’homme, il court sans cesse le risque d’être confondu avec les voix diverses et contradictoires de cette nature elle-même (Romains 2.15).
Le témoignage rendu à Dieu et à ses attributs par les différents facteurs de la révélation naturelle est défectueux, disons-nous en second lieu, quant à son contenu.
En effet, la révélation naturelle nous fait connaître la pensée divine telle qu’elle s’est manifestée et réalisée dans l’acte initial de la création, dans les lois générales du gouvernement de l’humanité, et dans le fonds de la conscience morale, dont l’axiome le plus élémentaire et le plus général, encore étranger au fait religieux : l’existence de Dieu et de ses attributs, se formule dans l’opposition absolue du bien et du mal. Ce témoignage primitif et universel que Dieu s’est rendu à lui-même dans la nature, l’histoire et la conscience ne nous révèle pas la pensée et la volonté divines telles qu’elles se réalisent dans les phases successives et progressives de l’éducation morale et religieuse de l’homme, et dans l’accomplissement de la destinée finale des êtres libres. Il ne nous révèle que Elohim, le Dieu Créateur et Providence, mais non Jéhova, le souverain Pédagogue, le Dieu de l’avenir, et moins encore le Dieu du miracle, le Dieu du salut. Et nous n’hésitons pas à dire que même dans l’état normal, dans le cas où l’homme fût resté innocent et pur, ces ressources élémentaires n’eussent suffi ni à la satisfaction de ses besoins permanents, ni aux exigences croissantes d’une destinée qui ne devait s’accomplir que dans la perfection morale absolue.
Mais si le témoignage de Dieu dans les différentes parties de la révélation naturelle ne suffisait pas à l’homme dans l’état normal, où d’une part, la nature était le produit immaculé de l’acte créateur, et où de l’autre, les facultés intellectuelles et morales étaient intactes, qu’en sera-t-il depuis la chute et dans l’état de chute ? Tout fait craindre que dès lors les fausses apparences d’une nature et d’une humanité déchues, se joignant à l’insuffisance primitive du témoignage, et se rencontrant avec les organes pervertis de l’homme, n’engendrent des jugements erronés ou du moins équivoques et incertains.
La prétention du déisme de limiter aux différents témoignages de la révélation naturelle nos connaissances sur les rapports de l’homme avec Dieu, se trouve donc démentie par deux faits principaux, tous deux objets d’expérience : l’un, la perfectibilité morale de l’homme ; l’autre, l’état de déchéance où il se trouve actuellement. La révélation naturelle refuse toute réponse à ces deux questions capitales :
Comment l’homme devait-il passer de l’état d’innocence primitive à la perfection absolue qui est à la fois son obligation et sa destinée ?
Qu’est-ce que l’homme déchu doit faire pour être sauvé ?