Lucile ou la lecture de la Bible

Au lecteur

Le sujet de l’ouvrage que vous venez de lire est une fiction, mais une fiction qui n’est formée que de détails réels. Les mots, les faits cités çà et là dans cet écrit sont presque tous véritables. Lucile, M. Mercier, l’Abbé lui-même, ce sont aux noms et à quelques circonstances près, des personnages historiques et encore vivants. Quoi qu’il en soit du moyen que j’ai employé pour attirer votre attention, le but que je me suis proposé est fort grave : c’est de vous porter à lire la Bible.

Vous vous rappelez peut-être le trait suivant de la vie de saint Augustin. Dieu avait commencé de parler à son cœur par la conversion d’Alipe, son ami et son ancien compagnon de plaisirs ; mais il flottait encore entre le service de Jésus-Christ et l’esclavage du péché, lorsqu’il entendit un jour ou crut entendre une voix qui lui disait : « Tolle et lege, prends et lis. » Il obéit, il prit la Bible, il lut et il crut. Eh bien, cher lecteur, je voudrais faire pour vous l’office de cette voix amie ; et mes désirs seraient comblés, si vous preniez congé de mon petit livre en emportant cet avertissement dans votre cœur : « Prenez et lisez. »

Rien n’est plus facile aujourd’hui ; c’est le siècle de la Bible. En même temps que, traduite en plus de cent cinquante langues, elle se répand d’un bout du monde à l’autre, la Bible pénètre partout dans nos villes et dans nos campagnes, où d’humbles colporteurs la vendent à vil prix. Est-ce donc une loi dans ce pauvre monde que le bien ne s’y puisse jamais faire sans opposition ? Ne semblait-il pas qu’on devait espérer quelque faveur pour une entreprise si pure, si charitable, si évidemment désintéressée ? Mais non ; il s’est rencontré des hommes assez malheureux pour avoir besoin que la Parole de Dieu demeure inconnue, et qui, recourant à des moyens dignes d’eux, n’ont pas craint de jeter au hasard des imputations mensongères contre les Sociétés religieuses, contre les colporteurs, contre leurs livres mêmes qu’ils ont accusé de falsification. Cette accusation, nous le disons en face à qui veut l’entendre, est une odieuse calomnie, qu’on n’a jamais essayé de prouver sérieusement, et qu’on ne prouvera jamais. Des prêtres respectables en ont eux-mêmes fait justice, témoin cet évêque de Montauban dont les paroles sont citées textuellement dans la Correspondance. La seule plainte qu’il ait faite contre les Bibles vendues par les colporteurs porte sur l’Ancien Testament, où il regretté l’absence de quelques livres que l’Église romaine a ajoutés au canon de l’Église primitive. Eh bien ! faites ce que ce pieux évêque autorisait ses ouailles à faire : prenez le Nouveau Testament de Saci ; que risquez-vous ? Commencez par là ; le Nouveau Testament lu, vous verrez ce que vous devez faire pour l’Ancien : « Prenez et lisez. »

Avez-vous des doutes sur la divine inspiration des Écritures ? Hélas ! il n’y aurait rien d’étonnant à cela, dans un pays où l’impiété a régné si longtemps sous le nom usurpé de la philosophie, et quand Voltaire et Rousseau ont été peut-être parmi les premiers auteurs que vous avez eus entre les mains. Eh bien ! si vous avez des doutes, ne faut-il pas les éclaircir ? êtes-vous tellement arrêté, tellement éclairé dans votre incrédulité, qu’il soit inutile d’écouter les raisons du christianisme ? ou la chose n’en vaut-elle pas la peine ? S’il était vrai, vous dirons-nous avec l’abbé Favien, que la Bible soit la Parole de Dieu, comme l’ont pensé tant d’hommes excellents, tant de beaux génies, les Pascal, les Fénelon, les Bossuet, les Massillon ; si cela était vrai et que vous l’eussiez ignoré jusqu’à ce jour, et qu’il ne fallût qu’un peu d’attention pour vous en convaincre ? que si vous voulez enfin examiner la religion et ses preuves, comment le pourrez-vous mieux faire qu’en la prenant à sa source, et qu’en lisant ce livre qui, de l’aveu de tout le monde, est le fondement de la foi chrétienne : « Prenez et lisez. »

Mais si vous avez le bonheur de croire, si la Bible est à vos yeux un livre inspiré, qu’est-ce qui pourrait vous empêcher de le lire pour savoir par vous-même dans quelle voie vous pouvez trouver le salut ? Si vous n’avez pas interrogé le seul livre au monde qui soit venu de Dieu, comment connaîtriez-vous la doctrine de Dieu et la volonté de Dieu avec cette ferme assurance qui est bien nécessaire pour bien vivre et plus nécessaire pour bien mourir ? D’autres le chercheront pour vous, dites-vous peut-être ? Mais pourriez-vous bien vous décharger sur d’autres du soin de votre salut ? Ce serait oublier vos privilèges comme chrétien et votre dignité comme homme ; ce serait aliéner un droit sacré, qui est en même temps un devoir. La foi qui sauve ne se substitue pas, et l’on ne va pas au ciel par procuration. Et si ceux à qui vous livrez votre âme vous égaraient ! s’ils se trompaient eux-mêmes ! Quoi ! il faudrait rejeter un apôtre, un ange, s’il vous annonçait un nouvel évangile, et vous recevriez un évangile tout fait sur la foi d’un directeur sans consulter la Parole de Dieu ? Oh ! mes amis, je ne voudrais pas vous blesser, Dieu le sait, mais vous connaissez l’empire de l’habitude et de la prévention. Prenez garde aux préjugés de l’enfance : l’erreur la plus étrange, quand elle est sucée avec le lait, peut devenir pour nous comme une seconde nature. Sachez donc par quel chemin on vous conduit, et ne permettez pas qu’on dispose sans vous de votre condition éternelle : « Prenez et lisez. »

Vous taxerez peut-être celui qui. vous écrit d’un esprit de prosélytisme ? il veut que vous quittiez l’Église romaine pour devenir protestants ? Ce que je veux avant tout, c’est le salut de votre âme. Je tiens moins au nom que vous portez qu’à l’état de votre cœur : « car Dieu regarde au cœur. » Quand nous paraîtrons, vous et moi, devant le tribunal de Jésus-Christ, il ne nous demandera pas si nous avons été catholiques ou protestants ; mais il nous demandera si nous avons cru en lui, si nous l’avons aimé, si nous l’avons servi sur la terre. Pourvu que vous deveniez un fidèle disciple du Seigneur, je suis content. Dût votre changement demeurer toute votre vie un secret entre Dieu et vous, je suis content. Ce n’est pas, gardez-vous de le croire, que le choix de l’Église à laquelle vous vous rattachez soit de peu d’importance. Dire qu’un homme qui a reconnu que l’Église où il est né n’est pas la vraie Église de Jésus-Christ, doive y demeurer pourtant parce qu’il y est né, c’est soutenir un préjugé funeste, que l’indifférentisme seul a pu enfanter, et qui eût retenu les Juifs dans la Synagogue et les Gentils dans le paganisme. C’est un grand piège que de s’unir en apparence à une Église ou à un culte, où la foi du cœur est blessée. Mais commencez par devenir de bons chrétiens et la vérité fera le reste : « Prenez et lisez. »

Peuple français ! la religion de la Bible est la seule dont tu n’aies point essayé. Non, la doctrine de Jésus-Christ toute simple et telle qu’on la trouve dans sa Parole, tu ne l’as point encore connue. Elle n’a parmi nous qu’un petit nombre de disciples, qui souhaiteraient d’être pour toi comme « ce peu de levain qui fait lever toute la pâte. » Les secrets après lesquels tu te consumes vainement depuis tant d’années, le secret de l’ordre avec la liberté, le secret d’une prospérité solide, le secret de la vertu sociale et celui de la vertu domestique, tu les trouveras tous dans la Bible, parce que tu y trouveras le premier, secret dont ils dépendent, celui du salut. Oh ! si la Bible pouvait servir de guide, et à l’individu, à la famille, et à la nation tout entière, quel heureux changement ! quelle pureté dans les mœurs ! quelle douceur dans les esprits ! quelle paix dans les familles ! quelle sagesse dans l’éducation ! quelle justice chez les gouvernants ! quelle soumission chez les gouvernés ! L’Église primitive de Jérusalem, où régnait une charité sans exemple, n’avait pas d’autre règle que la Parole de Dieu. Heureux le jour où cette règle divine deviendrait celle de toute la France ! Une gloire nouvelle lui serait alors réservée entre les nations : une gloire plus belle encore que celle des armes, que celle de la liberté, que celle de l’industrie, la gloire de la piété. Mais, parce que « la piété est utile à toutes choses, ayant les promesses de la vie présente et de celle qui est à venir, » cette gloire selon Dieu ferait triompher dans le monde, plus sûrement que toutes les précautions de la prudence humaine, et la fortune de la France, et sa politique, et son industrie, et son crédit, et ses armes mêmes : « Prenez et lisez. »

Prêtres de l’Église romaine, j’ai un mot à vous dire en finissant. Vous ne vous plaindrez pas que je vous aie fait tort dans cet écrit ; le prêtre qui vous y représente est un homme religieux, modéré, parfaitement honorable ; et les raisons que je lui ai mises dans la bouche sont, sinon les meilleures que vous auriez à donner, je sens ici la difficulté de ma tâche, du moins les meilleures que j’aie su trouver. Quoi qu’il en soit, je vous en conjure au nom de Dieu, par le salut des âmes qui vous sont confiées, par votre propre salut, n’empêchez pas le peuple de lire la Bible. Je sais qu’il est parmi vous des prêtres pieux qui recommandent cette lecture à leurs paroissiens ; mais c’est, il y a lieu de le craindre, le petit nombre, le très petit nombre. Quoi ! la Parole de Dieu est dans le monde, et vous la raviriez au peuple ! Et vous vous mettriez entre eux et les avertissements du Saint-Esprit ! Et vous ne craindriez pas le terrible anathème que le Seigneur a prononcé contre ces docteurs qui ne gardent les clefs de la science que pour en tenir la porte fermée aux hommes ! Plusieurs de vous sont sincères, je veux le croire, il serait trop affreux de penser le contraire, et, en vérité, la puissance des préjugés est si grande qu’elle peut expliquer jusqu’à cette inexplicable erreur. Mais par quel raisonnement, par quel sophisme, pouvez-vous donc vous persuader que vous travaillez au salut des âmes en éloignant d’elles la Parole de Dieu ? Vous qui lisez sans doute cette Parole, vous n’ignorez pas les bénédictions qu’elle promet à ceux qui la lisent, l’éloge qu’en fait saint Paul dans sa seconde épître à Timothée, l’approbation donnée aux juifs de Bérée, pour avoir fait…quoi ? ce que vous empêchez vos ouailles de faire à leur tour ! Comment osez-vous marcher de front contre des déclarations si formelles ? Répondez-moi : quand vous montez dans la chaire de Jésus-Christ pour exhorter vos troupeaux à ne pas acquérir la Parole de Jésus-Christ, ou quand vous pénétrez dans une maison pour lui enlever ce trésor, le cœur ne vous défaille-t-il pas ? la voix ne vous manque-t-elle pas ? votre main ne tremble-t-elle pas ? Et quand vous vous endormez le soir, ce souvenir, j’ai empêché quelqu’un de lire les saintes Écritures, ne dit-il rien à votre conscience ? Ah ! si vous n’avez pas pitié de vos troupeaux, ayez pitié de vous-mêmes ! Soyez fidèles. Si vous ne vous sentez pas assez de courage, assez de piété pour recommander la lecture de la Bible, du moins, du moins ne vous y opposez pas. Laissez faire le Seigneur, et, en attendant que vous puissiez être « ouvriers avec lui, » gardez-vous de faire l’œuvre du grand adversaire !

Au reste, le Seigneur règne, et il saura bien donner gloire à sa Parole. Consentez ou résistez, la vérité aura son cours, à la confusion de ses impuissants ennemis, mais à la gloire et à la joie éternelle de tous ceux qui auront donné les mains à son triomphe !

FIN

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