(Chrysostomus, De sacerdotio, lib. III, c. IV)
Le sacerdoce, il est vrai, s’accomplit sur la terre, mais il n’en est pas moins, et avec raison, mis au rang des choses célestes. Ce n’est point, en effet, un homme, ni un ange, ni un archange, ni aucun pouvoir créé, c’est le Paraclet lui-même qui a institué cet office et a choisi des êtres encore vivant dans la chair pour représenter le ministère des anges. C’est pourquoi le prêtre, se considérant comme établi dans le ciel même parmi ces puissances supérieures, doit être pur comme elles. Sans doute elle fut vénérable, et pleine d’une sainte terreur, l’économie qui précéda celle de la grâce ; rappelons-nous ces pierres précieuses sur la poitrine du prêtre et sur ses épaules, cette mitre, cette tunique, ces lames d’or, ce saint des saints, ce silence profond dans l’intérieur du temple. Et toutefois, comparez toutes ces choses avec celles de l’Evangile, leur majesté s’efface et elles paraissent chétives. Lorsque vous contemplez le Seigneur lui-même immolé et gisant devant vous, le prêtre incliné sur la victime et priant pour tous, et tous arrosés du sang le plus précieux, croyez-vous être encore avec des hommes ? croyez-vous être sur la terre ? n’êtes-vous pas soudainement transportés dans le ciel ? et alors, dégagés de toute pensée charnelle, ne contemplez-vous pas immédiatement et dans leur pureté les choses du ciel ?…
Qui est-ce qui pourrait, à moins d’être profondément insensé, dédaigner un si redoutable mystère ? et ignorez-vous que jamais âme d’homme n’eût soutenu le feu de ce sacrifice, mais qu’il eût dévoré tous ceux qu’il aurait approchés, si Dieu ne fût intervenu lui-même avec le secours puissant de sa grâce ? Représentez-vous cet homme qui, encore engagé dans les liens de la chair et du sang, approche personnellement de cette immortelle et bienheureuse nature ; alors vous comprendrez parfaitement quel honneur l’Esprit-Saint a daigné faire au prêtre par qui s’accomplissent de telles choses, et d’autres encore qui ne le cèdent en rien aux premières.
(Saint-Cyran. Lettre XXXI à M. Le Rebours.)
La prédication n’est pas moins un mystère terrible et épouvantable que celui de l’Eucharistie. Il me semble que la prédication est beaucoup plus terrible ; car c’est par elle qu’on engendre et qu’on ressuscite les âmes à Dieu : au lieu qu’on ne fait que les nourrir par l’Eucharistie, ou, pour mieux dire, guérir. Pour se rendre digne de cette fonction, il faut travailler à faire de grands retranchements en soi-même, et après avoir réduit le cœur à ne désirer rien de ce monde, réduire la langue à un parfait silence, qui est, comme je l’entends, la dernière perfection qu’acquiert un homme qui travaille à la vertu, pour le rendre digne de porter la parole de Dieu en public, et de publier ses vérités, sans la moindre réflexion d’esprit, ni sur soi, ni sur les autres, comme l’on est obligé de faire dans l’oraison, de laquelle toute exhortation ou prédication est inséparable, si elle est faite selon Dieu…. Et pour moi, j’aimerais mieux dire cent messes que faire une prédication. C’est une solitude que l’autel, et la chaire où l’on prêche est une assemblée publique, où l’on doit plus appréhender d’offenser Dieu qu’en d’autres lieux,… si l’on n’y va pas après avoir travaillé longtemps à la mortification de son esprit et de cette démangeaison que tout le monde a de savoir beaucoup et de belles choses, qui est la plus grande tentation qui nous reste du péché d’Adam.
(Schwarz, Katechetik, pages 11-12.)
Pendant que quelques hommes inspirés annonçaient ainsi le Christ en toute simplicité, et ajoutaient à cette prédication des avertissements et des encouragements, les chrétiens se fortifiaient entre eux, dans leurs assemblées, par des chants sacrés, de pieux entretiens, et en écoutant ceux d’entre eux qui se sentaient pressés de prêcher. Ceux qui éprouvaient ce besoin étaient, le plus souvent, les anciens choisis par les assemblées, précisément parce qu’ils avaient été choisis pour cela. D’autres fidèles, qui ne restaient pas toujours dans la communauté, travaillaient ainsi à la manière des apôtres ; de sorte qu’il y avait bien, dès le commencement, une classe enseignante, quoique la séparation ne s’opérât que peu à peu. Elle eut déjà lieu à la seconde et troisième génération de fidèles, c’est-à-dire dès le second siècle ; de telle sorte que la différence entre les fidèles et les ministres de la communauté, ou pour employer le terme grec, entre les clercs et les laïcs était établie.
En note. — Sous le nom de κληρος, l’apôtre Pierre comprend encore, d’après l’esprit du judaïsme, le peuple de Dieu ou les chrétiens ; (1 Pierre 5.3) cependant les anciens furent désignés bientôt par ce nom ; soit parce qu’ils étaient élus par le sort, dans lequel on croyait reconnaître une direction de Dieu ; (Actes 1.24-26.) soit parce que Dieu lui-même, comme Jérôme (Ep. II, ad Nepot.) l’explique avec profondeur, avait voulu être lui-même le sort, c’est-à-dire l’héritage des lévites, et que, dans l’Eglise chrétienne, les ecclésiastiques ont pris la place des lévites ; soit enfin, parce qu’ils sont d’une manière particulière eux-mêmes la propriété de Dieu. Immédiatement après l’âge apostolique, tous ceux qui étaient voués au service de l’Eglise pour l’enseignement, ou de toute autre façon, étaient désignés par le nom de κληρικοι ; les autres chrétiens, par celui de λαικοι (appartenant au peuple) ou βιωτικοι (seculares, appartenant à la vie commune), et ἰδιωται (privati) ou κανονικοι (ce mot, pris dans un sens différent de celui qui a prévalu plus tard, vient de κανων, liste des membres de la communauté). La plus ancienne preuve que nous en ayons, est le passage suivant de la première lettre de Clément Romain, n. 40 (sous réserve de l’authenticité de cette lettre) : και λευιταις ἰδιαι διακονιαι επιξεινται, ὁ λαικος ἁνθροπος τοις λαικοις προσταγμασιν δετεται. Il y exhorte à l’ordre dans les rites ecclésiastiques et subordonne les ἱερεις à l’ἀρχιερευς ; — La différence est encore plus tranchée dans les épîtres attribuées à son contemporain Ignace, qui, on le sait, professait déjà des principes hiérarchiques. Clément d’Alexandrie assure que cette différence était déjà évidente aux temps de l’apôtre Jean ; et les écrits de Tertullien, d’Origène, de Cyprien, etc., confirment ce fait pour le second siècle. — Dans le Concil. illib., fidelis est employé comme synonyme de clericus.
(Neander, Denkwürdigkeiten, etc. — Mémoires pour servir à l’Histoire du Christianisme et de la vie chrétienne, etc. ; traduit de l’allemand par A. Diacon. Neuchâtel, 1829. Tome I, pages 65-74.)
Les chrétiens aimaient encore à se représenter leur vocation sous un autre point de vue également tiré de l’Ecriture et du fond même du christianisme, et comme le précédent, fécond en applications particulières ; c’était celui d’un sacerdoce chrétien et universel, d’une race de sacrificateurs, dont tous les chrétiens sont membres. Le christianisme a détruit la séparation entre le prêtre et le laïque, entre l’ecclésiastique et le citoyen ; tous ceux qui croient en Jésus-Christ, le seul véritable pontife, sont par lui consacrés au Père céleste. Comme ses frères, ils sont devenus avec lui sacrificateurs ; unis à lui par la foi, animés par lui de l’esprit d’adoption, ils entrent sans obstacle dans le sanctuaire céleste où Jésus les a précédés, et dont il leur a ouvert l’accès, ils n’ont plus besoin d’un pontificat humain pour leur dépeindre le nouveau sanctuaire, le sanctuaire spirituel et véritable, ou pour les y conduire, comme des enfants, à la lisière de ses préceptes et leur dispenser par mesure, selon sa sagesse, les trésors célestes que l’éternel amour a mis également à la portée d’eux tous. Ils n’ont besoin de personne pour leur enseigner ce qu’ils doivent maintenant apprendre de la bouche de Dieu même ; car tous doivent être instruits de Dieu, éclairés par le même esprit, l’esprit de vérité, et oints par lui d’une onction intérieure et divine. Il n’y a pour tous qu’un même esprit, une même vie céleste, une foi, une espérance, un Sauveur, qui veut seul être appelé maître, devant qui tous ceux qui veulent être ses disciples doivent se reconnaître pécheurs, pour obtenir tous de lui seul immédiatement, et non pas d’un homme, ni par la médiation d’aucun homme, le salut et la sanctification.
Aux yeux du chrétien d’alors, les temps où les hommes servaient des idoles muettes sous la direction de leurs prêtres, étaient passés ; le temps était arrivé où tous les hommes devaient être majeurs en religion. Le grand pontife de l’humanité, que suivaient les chrétiens, les adressait, non à d’impuissantes idoles, mais au Dieu vivant ; et, loin de les conduire en aveugles, il répandait au dedans d’eux une lumière qui ne les quittait pas, un esprit qui se manifestait par des dons de toute espèce. Chaque chrétien devait recevoir un don particulier de la grâce, approprié à son caractère individuel, et par ce moyen contribuer, comme un membre fidèle, à la prospérité de la société entière… Ainsi, c’était chez les chrétiens un principe bien arrêté, et qui se reproduisait dans leur vie, que, par la foi en Christ leur souverain pontife et la communion avec lui, ils devenaient une race de vrais sacrificateurs, consacrés ministres de Dieu par l’onction intérieure et sanctifiante du Saint-Esprit, que le Sauveur lui-même répandait sur eux.
(Citation de faits et de passages à l’appui, empruntés à Justin martyr, Tertullien, Irénée et Origène.)
Lorsque, vers la fin du deuxième siècle, on commença à vouloir introduire dans l’Eglise chrétienne une institution correspondante au pontificat juif, comme si le christianisme devait aussi posséder un pontificat visible et une caste de prêtres spécialement consacrés à Dieu, les chrétiens, qui étaient encore animés de l’esprit de l’Eglise primitive, s’opposèrent à cette mesure anti-évangélique, et les laïques se fondèrent sur le principe, qu’eux aussi, comme chrétiens, étaient un peuple de sacrificateurs. — Et comme des théosophes orientaux, qui avaient passé au christianisme sans cependant vouloir réformer entièrement leurs idées d’après ses préceptes, cherchaient à y introduire, à l’imitation des systèmes orientaux, la distinction d’une doctrine particulière aux prêtres et d’une religion extérieure propre au peuple ; comme les Gnostiques se vantaient de posséder une connaissance supérieure à la foi de la multitude, qui n’a qu’une foi d’autorité, et qu’ils s’appelaient les spirituels par opposition à ceux qui se tenaient trop attachés à la lettre, l’Eglise chrétienne posa en principe, que tous les chrétiens devaient se réunir dans une même simplicité de foi, et par elle avoir part à une même vie spirituelle ; que tous les vrais chrétiens sont nécessairement éclairés par l’Esprit de Dieu, et animés d’une vraie spiritualité.
Nous vivons déjà, dit Clément d’Alexandrie (Pædagogus, L. I, ch. VI.) nous, qui sommes dégagés des liens de la mort. Suivre Jésus-Christ, c’est avoir déjà obtenu le salut. Celui qui entend ma parole et qui croit à celui qui m’a envoyé, dit le Seigneur, a la vie éternelle et ne vient point en jugement, mais il est passé de la mort à la vie. Ainsi la foi et la régénération sont déjà la vraie vie, car Dieu qui les produit n’agit pas à demi. — Vous êtes vous-mêmes, dit l’Apôtre, (1 Thessaloniciens 4.9) enseignés de Dieu ; or, nous ne pouvons pas penser qu’il laisse son enseignement incomplet. Par conséquent, celui qui a été régénéré et illuminé par l’Esprit, est dès lors délivré des ténèbres ; il a par là même reçu la lumière, comme au sortir du sommeil l’homme sent se réveiller aussitôt l’activité de sa pensée ; ou plutôt, comme, l’opération de la cataracte ne communique pas une nouvelle lumière à l’œil malade, mais ne fait qu’enlever l’obstacle qui l’empêche de voir et rendre à la prunelle la liberté, de même le baptême nous délivre du péché, qui, comme un nuage, nous intercepte les rayons de l’Esprit céleste ; il nous rend cet œil spirituel, par lequel seul nous pouvons contempler les choses divines, quand l’Esprit Saint daigne se communiquer à nous.
La foi, continue-t-il plus loin, est le seul moyen de salut qui reste à l’homme ; c’est ce que l’apôtre Paul nous déclare de la manière la plus claire, quand il nous dit : Avant que la foi fût venue, nous étions sous la garde de la loi, qui nous tenait renfermés pour nous disposer à cette foi qui devait être révélée un jour. Ainsi la loi a été notre pédagogue pour nous amener à Christ, afin que nous soyons justifiés par la foi ; mais maintenant que la foi est venue, nous ne sommes plus sous le pédagogue. (Galates 3.23-25) Ne comprenez-vous donc pas que nous ne sommes plus sous cette loi qui inspirait la crainte, mais sous l’instituteur de la liberté, sous la direction du Fils de Dieu ? — Ensuite l’apôtre ajoute, pour faire voir que toute distinction des personnes est anéantie : Vous êtes tous enfants de Dieu par la foi en Jésus-Christ. Car vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ, en qui il n’y a ni Juif, ni Grec, ni esclave, ni libre, ni homme, ni femme, vu que vous n’êtes tous qu’un en Jésus-Christ, (versets 26-28.) Il n’y a donc pas de distinctions dans le christianisme ; il n’y est pas question de classes destinées à recevoir des vérités cachées à d’autres, de spirituels et de charnels (οἱ δε ψυχικοι, οἱ δε γνωστικοι ) ; au contraire, les vrais chrétiens sont délivrés du joug des passions charnelles : ils sont égaux aux yeux du Seigneur et sont tous devenus des hommes spirituels.
Mais par un singulier contraste, pendant que les chrétiens fidèles à l’Evangile étaient ainsi occupés à défendre les droits des simples fidèles contre les entreprises orgueilleuses d’une secte, il leur fallait en même temps soutenir l’égalité de la vocation chrétienne et de ses engagements contre d’autres individus qui ne demandaient pas mieux que de profiter de ces distinctions anti évangéliques pour se dispenser de mener une vie sainte et chrétienne. Sous prétexte qu’ils n’étaient pas des philosophes, qu’ils n’avaient point appris à lire, ils se croyaient dispensés de s’occuper des Ecritures. C’est ce qui fait dire à Clément : (Pædagogus., L. III, fol. 255.) : « Quand même ils ne pourraient pas lire la Bible, ils n’en seraient pas moins inexcusables, parce que rien ne les empêche d’entendre la Parole de Dieu. — La foi n’est pas la propriété des sages selon le monde, mais des sages selon Dieu. La parole de la foi, qui est divine, et qui n’en est pas moins à la portée des ignorants, n’est autre chose que la parole de la charité. » — Clément veut dire que là foi doit également se manifester d’une manière vivante et active dans le cœur de tous les chrétiens par la charité.
(Neander, Denkwürdigkeiten, etc. Tome I, page 179.)
Tertullien s’exprime avec force sur ce sacerdoce universel de tous les chrétiens. (De Monog. c. VII.) Il part de l’idée que les chrétiens sont aujourd’hui ce qu’étaient les prêtres sous l’Ancien Testament. Le sacerdoce particulariste des Juifs était l’image prophétique du sacerdoce général des chrétiens. (Pristina Dei lex nos in suis sacerdotibus prophetavit.) Christ nous a appelés à la prêtrise. Le souverain sacrificateur, le grand prêtre du Père éternel nous a unis à lui car vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez été revêtus de Christ ; (Galates 3.27) et c’est ainsi qu’il nous a faits rois et sacrificateurs à Dieu son Père. (Apocalypse 1.6)
(Neander, Geschichte der Apostel ; — Histoire du rétablissement et de la direction de l’Eglise chrétienne par les apôtres, etc. ; traduit de l’allemand par F. Fontanès, pasteur. Nîmes, 1836. Tome I, page 108-109.)
…… Christ ayant satisfait le besoin religieux qui avait produit le sacerdoce en général, et ayant répondu par la rédemption au besoin de médiation entre Dieu et les hommes, auxquels le péché faisait profondément sentir qu’ils étaient séparés de Dieu, il n’y avait plus lieu à une autre intervention. Lorsque les apôtres, dans leurs épîtres, appliquent à la nouvelle constitution religieuse les idées mosaïques de sacerdoce, de culte sacerdotal, de sacrifices, ils veulent montrer que Christ ayant réalisé pour toujours ce qui était le but du sacerdoce et des sacrifices de l’Ancien Testament, la réconciliation de l’homme avec Dieu, tous ceux qui se l’approprient par la foi entrent dans le même rapport avec Dieu, sans avoir besoin d’une autre médiation. Consacrés à Dieu sanctifiés par la communion avec Christ, ils sont tous appelés à offrir leur vie entière, comme un sacrifice spirituel agréable à Dieu ; toute leur activité est un vrai culte sacerdotal en esprit : les chrétiens sont une nation sainte, un peuple de sacrificateurs. (Romains 12.1 ; 1 Pierre 2.9) Cette idée d’une sacrificature propre à tous les chrétiens, et fondée sur la conscience de la rédemption, est tantôt exprimée et développée, tantôt supposée par les attributs, les images et les comparaisons appliquées à la vie chrétienne.
(Neander, Allgemeine Geschichte der christlichen Religion und Kirche. Tome I, page 277.)
Il ne peut exister dans le christianisme une tribu de prêtres, destinée à diriger les autres hommes comme des mineurs quant à la religion, chargée exclusivement de pourvoir au besoin qu’ils ont de Dieu et des choses de Dieu. En même temps que l’Evangile détruisait tout ce qui séparait les hommes de Dieu, en même temps qu’il les appelait tous à une même communion avec Dieu par Christ, il enlevait aussi toute barrière qui séparait les hommes les uns des autres par rapport aux intérêts les plus élevés. Pour tous, le même souverain sacrificateur et médiateur, par lequel tous, réconciliés et unis avec Dieu, sont devenus eux-mêmes une race sacerdotale et spirituelle ; — un même roi, conducteur et docteur céleste, par lequel tous sont devenus sages en Dieu ; — une même foi, une même espérance, un même esprit, pour les animer tous ; — un même oracle dans le cœur de tous, la voix de l’Esprit qui provient du Père ; — tous citoyens du même royaume céleste… Il n’y avait là ni laïques ni ecclésiastiques, mais tous devaient, en tant que chrétiens, quant à leur vie intérieure et à leurs sentiments, y être morts à ce qu’il y a de contraire à Dieu dans le monde, et animés de l’esprit de Dieu. Qui aurait pu s’arroger ce que n’osait l’apôtre inspiré : dominer sur la foi des chrétiens ?… L’office de l’enseignement n’était pas exclusivement attribué à un homme ou à plusieurs ; mais tout fidèle qui s’y sentait appelé pouvait dire, dans l’assemblée de l’Eglise, un mot pour l’édification commune.
(Erasmus, Ecclesiastes, lib. 1. Traduction de Roques, dans le Pasteur Evangélique, pages 190-191.)
Au reste, si nous pesons toutes choses dans de justes balances, nous verrons qu’il n’y a aucun roi, quelle que soit la pompe qui l’environne, qui ne soit, en qualité de roi, au-dessous de la dignité, je ne dirai pas d’un évêque, mais même d’un curé de village (vicani pastoris), considéré comme pasteur. Si ce que je dis paraît un paradoxe, je ne laisse pas d’avoir en main de quoi en établir la vérité. L’on n’a, pour cet effet, qu’à porter les yeux sur les fonctions et le but du pasteur et du roi. A quoi aboutit le soin des princes ? N’est-ce pas à faire en sorte que les scélérats soient réprimés par la vigueur des lois, et que les gens de bien ne soient point inquiétés ? c’est-à-dire à faire en sorte que les biens et les corps des citoyens de l’Etat soient en sûreté ? Mais combien est plus excellent le but du pasteur évangélique, qui se propose d’établir dans l’âme des particuliers la tranquillité la plus douce, en assoupissant et en domptant les cupidités du siècle ! Le roi travaille à faire en sorte que l’Etat vive en paix avec ses voisins ; le prêtre tâche que chacun soit en paix avec Dieu, que chacun possède la paix intérieure, et que personne ne médite de nuire à autrui.
Le prince a pour but de mettre à couvert de l’insulte des voleurs la maison, les champs, le bétail des particuliers. Remarquez combien est vil l’objet des fonctions royales. Et le prêtre, de quoi s’occupe-t-il ? De défendre les biens des âmes qui lui sont confiées, leur foi, leur charité, leur tempérance, leur chasteté, contre la violence du démon : biens qui rendent heureux ceux qui les possèdent, et dont la perte plonge dans le malheur. Que peut-on recevoir de la libéralité du prince ? Des revenus, des appointements, des titres d’honneur : biens passagers, jouets de la fortune. Mais que ne reçoit-on point par les mains du prêtre ? Il administre la grâce céleste par l’efficace des sacrements de l’Eglise : par le baptême, d’enfants de la géhenne, il rend les héritiers du royaume céleste ; par l’onction sainte, il donne à l’âme la force de résister aux assauts des démons ; par la sainte eucharistie, il unit les hommes entre eux, et les hommes avec Dieu, pour ne former plus qu’un même tout ; par le sacrement de pénitence, de morts il rend les hommes vivants, et d’esclaves il les fait libres ; enfin, du sein des Ecritures il puise, tous, les jours, les aliments, de la doctrine du salut, qui nourrissent les âmes et qui les fortifient ! Le prêtre offre le breuvage spirituel, qui réjouit véritablement le cœur ; il présente le remède qui peut guérir les maladies mortelles de l’âme, et l’antidote efficace contre le venin redoutable du serpent ancien. En un mot, tout ce qui tombe sous la direction du prince est terrestre et passager ; mais ce qui occupe le pasteur est divin, céleste, éternel. Par conséquent, autant qu’il y a de distance entre le ciel et la terre, entre le corps et l’âme, entre les biens temporels et les éternels, autant y a-t-il de différence entre les fonctions du roi et la charge du prêtre.
(De Vauzelles, Histoire de Bacon. Tome I, page 107.)
Prière de Bacon. — Cette invocation, par une naïveté chrétienne bien touchante dans un si grand homme, dit M. de Chateaubriand, devint depuis sa prière habituelle quand il se mettait à l’étude (students prayer) :
Nous adressons à Dieu le Père, à Dieu le Fils, à Dieu le Saint-Esprit, les plus humbles et les plus ferventes prières, pour que, prenant en considération les misères du genre humain et le triste pèlerinage de cette vie mortelle, où nous traînons un petit nombre de jours et de mauvais jours, il fasse sourdre sous nos mains des sources de sa bonté, pour le soulagement de ces misères, de nouvelles eaux, des eaux inconnues jusqu’à ce jour. Nous le supplions encore de ne pas permettre que la science humaine nuise en nous à la connaissance des choses divines, et que, pour avoir aplani la route des sens et agrandi le foyer de la lumière naturelle, notre esprit se couvre d’un nuage d’incrédulité qui lui voile les saints mystères, mais de faire plutôt que notre entendement, pur de toute illusion et de toute vanité, soumis et tout entier dévoué aux divins oracles, accorde à la foi ce qui est du domaine de la foi.
La prière de Bacon, que nous donnons ici, offre une variante assez remarquable dans la préface de son Novum organum, elle y est terminée par ces mots :
Nous lui demandons enfin la force de rejeter hors de notre âme le venin de la science, dont le serpent l’a infectée dès l’origine du monde, afin que, toujours modeste dans nos sentiments et sobre dans notre sagesse, nous n’ayons jamais dans la recherche et l’étude de la vérité d’autre mobile que l’amour des hommes.
Prière de Kepler.
(Buckland, La Géologie et la Minéralogie dans leurs rapports, avec la théologie naturelle ; traduit de l’anglais par Doyen. Tome I, page 9, note.)
Avant de quitter cette table, sur laquelle j’ai fait toutes mes recherches, il ne me reste plus qu’à élever mes yeux et mes mains vers le ciel, et à adresser avec dévotion mon humble prière à l’auteur de toute lumière :
O toi, qui, par les lumières sublimes que tu as répandues sur toute la nature, élèves nos désirs jusqu’à la divine lumière de ta grâce, afin que nous soyons un jour transportés dans la lumière éternelle de ta gloire, je te rends grâces, Seigneur et Créateur, de toutes les joies que j’ai éprouvées dans les extases où m’a jeté la contemplation de l’œuvre de tes mains. Voilà que j’ai terminé ce livre qui contient le fruit de mes travaux, et j’ai mis à le composer toute la somme d’intelligence que tu m’as donnée. J’ai proclamé devant les hommes toute la grandeur de tes œuvres, je leur en ai expliqué les témoignages autant que mon esprit fini m’a permis d’en embrasser l’étendue infinie. J’ai fait tous mes efforts pour m’élever jusqu’à la vérité par les voies de la philosophie ; et s’il m’était arrivé de dire quelque chose d’indigne de toi, à moi méprisable vermisseau, conçu et nourri dans le péché, fais-le-moi connaître, afin que je puisse l’effacer. Ne me suis-je point laissé aller aux séductions de la présomption en présence de la beauté admirable de tes ouvrages ? Ne me suis-je pas proposé ma propre renommée parmi tes hommes, en élevant ce monument qui devait être tout entier consacré à ta gloire ? Oh ! s’il en était ainsi, reçois-moi dans ta clémence et dans ta miséricorde, et accorde-moi cette grâce, que l’œuvre que je viens d’achever soit à jamais impuissante à produire le mal, mais qu’elle contribue à ta gloire et au salut des âmes.
Prière de De Thou.
(De Vauzelles. Histoire de Bacon. Tome I, page 107, note.)
L’historien De Thou raconte, dans ses mémoires, que tous les matins, outre la prière que chaque fidèle est obligé de faire au Seigneur, il lui adressait ses vœux en particulier pour le prier de purifier son cœur, d’en bannir la haine et la flatterie, d’éclairer son esprit et de lui faire connaître, à travers tant de passions, la vérité que des intérêts opposés avaient presque ensevelie. On aime à trouver de semblables rapports entre des auteurs contemporains.
Prière sacerdotale.
La prière est le devoir le plus intime et le plus inséparable du ministère : c’est l’âme, pour ainsi dire, du sacerdoce ; c’est l’unique sûreté du pasteur ; elle seule adoucit les dégoûts et prévient les dangers de vos fonctions ; elle seule en assure le succès…. Mais, mes frères, quand la prière ne nous serait pas aussi indispensable qu’elle l’est pour assurer le succès de nos fonctions, ne la devons-nous pas à nos peuples ? ne sommes-nous pas chargés, par notre caractère de pasteur et de ministre, de prier sans cesse pour eux ? n’est-ce pas le devoir le plus essentiel du sacerdoce même qui nous établit médiateurs entre Dieu et les peuples ? C’est aux prières d’un pasteur que Dieu attache d’ordinaire les grâces destinées à son troupeau : c’est à nous, mes frères, à lui exposer sans cesse les besoins de nos peuples, à solliciter pour eux les richesses de la miséricorde, à désarmer sa colère sur les fléaux et les châtiments dont leurs prévarications sont souvent punies : c’est à nous à gémir devant lui sur les vices dont nous voyons nos peuples infectés, et dont nos soins et notre zèle ne peuvent les corriger ; c’est à nous à lui demander la force pour les faibles, la componction pour les pécheurs endurcis, la persévérance pour les justes. Plus les besoins de nos peuples sont infinis, plus nos prières doivent être vives et fréquentes : nous ne devons jamais paraître devant lui, comme le pontife de la loi, sans y porter écrits sur notre cœur les noms des tribus, c’est-à-dire, les noms du peuple qui nous est confié ; ce doit être là toujours le principal sujet de noire prière.
Même sujet.
(Massillon, Discours sur le zèle des pasteurs pour le salut des âmes.)
Accompagnez vos soins de vos prières ; parlez encore plus souvent à Dieu des désordres de vos peuples qu’à eux-mêmes ; plaignez-vous plus souvent à lui des obstacles que vos infidélités mettent à leur conversion que de ceux que leur obstination peut y mettre ; prenez-vous-en à vous seul, à ses pieds, du peu de fruit de votre ministère ; comme un père tendre, excusez en sa présence les fautes de vos enfants, et n’en accusez que vous-même ; etc.
Qu’il soit permis aux éditeurs, à la suite de cette note, où M. Vinet a réuni les prières de Bacon, de Keppler et de De Thou, de renvoyer les lecteurs à la prière par laquelle se termine son Essai sur la manifestation des convictions religieuses, pages 442-444 :
O soleil de justice, Orient d’en haut, Dieu de vérité et de bonheur ! j’ai besoin, au moment où j’arrive au terme de ce long travail, de me prosterner devant vous et de vous adorer…
On trouvera aussi de beaux exemples de prières sacerdotales, à la fin de quelques-uns des Discours de l’auteur.
(A. Vinet, Article sur l’Histoire sainte, extraite de la Bible, par M. Morel. — Semeur, 1840. Tome IX, page 213.)
Le déclin des croyances chrétiennes n’a pas eu de cause plus directe ni de symptôme plus évident que la substitution absolue du catéchisme à la Bible, dans l’instruction religieuse de l’enfance ; et le réveil du christianisme dans les pays protestants a dû tout ensemble être amené et caractérisé par la préférence donnée à la Bible sur le catéchisme, non pas exclu dès lors, mais réduit à son seul usage raisonnable, qui est de résumer la vérité biblique au lecteur de la Bible. Quand la Bible aura été remise à sa place dans l’éducation religieuse de l’enfance, il faudra s’occuper de la rédaction d’un catéchisme ; et ceux-là seulement le feront bien qui auront d’abord enseigné le christianisme d’après la Bible ; nous croyons pouvoir garantir que cette espèce de manuel sera dès lors conçu et rédigé autrement que les meilleurs, de ceux qu’on a employés jusqu’à ce jour. Mais ce qui presse le plus, c’est d’amener à la source et de laisser boire à même ces pauvres enfants à qui, jusqu’à présent, on a administré goutte à goutte, comme une potion médicinale, cette eau vive affadie et même corrompue par son passage dans ces longs et vieux tuyaux de fabrique humaine. Quand il ne serait pas prouvé que plusieurs des catéchismes autorisés et consacrés par un long usage sont faits en dépit de la logique et du sens commun, et présentent les doctrines chrétiennes dans un état d’incohérence qui leur ôte leur vrai sens, et de contradiction qui les annule les unes par les autres ; bref, quand les catéchismes seraient dès à présent aussi bons qu’ils peuvent l’être, il n’en faudrait pas moins les ôter de la place qu’ils ont usurpée, et la rendre au premier des catéchismes, l’Ecriture sainte. Mais tout ne se réduit pas à mettre la Bible entre les mains des enfants ; cela n’est ni commode ni convenable. On a donc été conduit à l’idée d’en extraire textuellement tout ce qu’il est indispensable de connaître pour être chrétien ; c’était en extraire tout ce qui est à la portée de l’enfance : tel est, en effet, le système dans lequel a été conçu ce divin livre : c’est un fleuve, a-t-on dit, où l’éléphant peut nager, et un gué qu’un enfant peut traverser sans perdre pied. La question n’est pas de nager plutôt que de marcher ; la question est de traverser, et l’enfant traverse aussi bien que l’adulte. Celui-ci même, pour devenir chrétien, ou, selon l’expression de l’Evangile, pour entrer dans le royaume de Dieu, doit remonter vers l’enfance, doit se faire enfant. Je conviens que c’est une enfance volontaire, et que c’est par là qu’elle a du prix et qu’elle est utile ; l’enfant lui-même n’est solidement chrétien que lorsque, ayant cessé d’être enfant dans le sens propre du mot, il le devient par choix et par raison ; mais il n’en reste pas moins vrai qu’il faut, pour devenir chrétien, accepter les vérités de la Bible dans le sens et dans la simplicité où les prendrait un enfant.