Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force… C'est là le premier et grand commandement.
Le Sauveur a dit en parlant de mon texte : « C’est là le premier et grand commandement. » Et en effet, il est « le premier, » — le premier tout d’abord par rang d’ancienneté, car il est antérieur aux dix commandements de la loi écrite. Avant que l’Éternel eût dit : « Tu ne commettras point adultère, tu ne déroberas point, » les paroles de mon texte étaient une des lois qui régissaient l’univers. Les intelligences célestes s’inclinaient déjà devant elle, alors que l’homme n’avait pas encore été créé. Il n’était pas nécessaire que Dieu dît aux anges : « Vous ne tuerez point, vous ne déroberez point, » car le meurtre et le larcin étaient probablement impossibles pour eux ; mais assurément il dut leur dire : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu » ; et dès que Gabriel, enfanté à l’existence par le souffle du très Haut, se fut élancé hors du néant, le grand principe de l’amour de Dieu lui fut sans nul doute inculqué. Ce commandement est donc « le premier par son ancienneté. Dans le jardin d’Éden, Adam y était soumis ; même avant la création d’Ève sa femme, il lui avait été donné ; et lorsque encore tout autre précepte eût été superflu, celui-ci était gravé sur la table de son cœur : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. »
Mais le commandement qui nous occupe n’est pas seulement le premier par son antiquité : il l’est aussi par son importance. Un précepte qui regarde directement le Dieu tout-puissant doit, sans contredit, avoir la priorité sur tous les autres. La plupart des articles de la loi morale traitent des rapports d’homme à homme ; mais ici, il ne s’agit de rien moins que des rapports de l’homme avec son Créateur. Les règlements de la loi cérémonielle n’entraînaient pour celui qui les violait, que des conséquences d’une portée secondaire ; mais la désobéissance à cet ordre fondamental provoque la colère de l’Éternel et attire sa malédiction sur la tête du transgresseur. Celui qui tue ou qui dérobe commet un forfait d’autant plus grave qu’en péchant contre son prochain, il viole du même coup l’injonction de mon texte ; mais en supposant que le vol ou l’homicide, ou tout autre péché n’impliquât pas nécessairement la violation du premier commandement, cette violation constituerait à elle seule la plus grave, la plus énorme des offenses. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu : c’est le prince des commandements, le souverain de la loi ; à lui appartient la préséance sur toutes ces règles augustes que Dieu jugea bon plus tard de donner à ses créatures.
Observons encore que ce commandement est le premier par sa justice. Si l’on ne peut toujours saisir l’équité de ce précepte : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » ; s’il m’est parfois malaisé de comprendre pourquoi je suis tenu d’aimer l’homme qui me hait et qui m’insulte, ici, nulle difficulté de ce genre ne saurait exister. L’ordre d’aimer le Seigneur notre Dieu s’adresse à nous avec une autorité si puissante ; il est tellement corroboré par les instincts de la nature et par la voix de la conscience, qu’en vérité il faut avoir perdu tout vestige de sens moral pour oser contester sa parfaite justice. Souviens-toi donc, ô homme, que c’est ici le premier commandement. A quelque loi que tu désobéisses, prends garde du moins d’observer celle-ci. Si tu avais enfreint les ordonnances de la loi cérémonielle, le sacrificateur aurait pu faire propitiation pour toi, mais comment échapperas-tu si tu pèches contre ce premier commandement ? L’ordre est formel, précis, inflexible. Tu peux violer les lois humaines, quitte à subir la peine prononcée contre ceux qui les violent, mais si tu foules aux pieds celle-ci, ta punition, sache-le, sera trop lourde pour que ton âme puisse la porter. Elle te précipitera, ô pécheur, elle te précipitera comme une meule de moulin, jusques aux plus bas fonds des enfers ! Prends donc garde à ce commandement plus qu’à tout autre ; tremble en sa présence, et applique-toi à lui obéir, car c’est le premier de tous les commandements.
Le Sauveur dit aussi que c’est le grand commandement, et cela est vrai. Il est grand par son étendue, ou, pour mieux dire, par son ampleur, car il renferme dans ses entrailles tous les autres. Quand Dieu dit : « Souviens-toi du jour du repos pour le sanctifier » ; quand il dit : « Tu ne te feras point d’images taillées et tu ne te prosterneras point devant elles, » ou bien encore : « Tu ne prendras point le nom de l’Éternel ton Dieu en vain, » il n’a fait que développer, à un point de vue particulier, l’idée générale contenue dans mon texte. C’est le sommaire et la substance de la loi. Il n’y a pas jusqu’au second commandement lui-même qui ne se trouve comme enveloppé dans les vastes plis du premier. Qui dit : « Tu aimeras ton prochain, » sous-entend, par le fait : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, » car l’amour du prochain ne saurait exister sans l’amour de Dieu, et l’amour de Dieu à son tour produit nécessairement l’amour du prochain.
De plus, le premier commandement est grand par ses exigences : exigences parfaitement justes, parfaitement légitimes, mais qui n’en sont pas moins d’une rigidité effrayante. Que nous demande-t-il, en effet ? Il nous demande nos pensées, notre force, notre cœur, notre vie ; en d’autres termes, il exige que nous concentrions dans l’amour de Dieu toutes les facultés de notre âme, toutes les puissances de notre être ! — Et celui qui désobéira jusqu’à la fin à ce commandement reconnaîtra, pour son éternel malheur, qu’il est grand encore dans un autre sens : grand dans sa puissance de condamnation, car il sera comme un glaive à deux tranchants pour frapper le transgresseur, comme une foudre vengeresse qui éclatera sur sa tête rebelle et qui le détruira entièrement. Ecoutez donc, ô vous Gentils, et vous aussi, ô maison d’Israël, écoutez ce premier et grand commandement que je viens vous répéter de la part de mon Maître : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. Je diviserai mon discours en deux parties, ou plutôt j’examinerai avec vous deux simples questions : la première : Que nous dit ce commandement ? La seconde : Qu’avons-nous à lui répondre ?
Et d’abord constatons que les premiers mots de mon texte nous imposent un devoir, le devoir d’aimer Dieu : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. Il y a bien des manières de manquer à ce devoir. Il est une classe d’hommes qui le méprisent sciemment et audacieusement, car ils haïssent Dieu. Ici, c’est l’incrédule sans pudeur qui grince des dents contre le très Haut ; là, c’est le sceptique plus raffiné qui lance le venin de ses blasphèmes contre la personne de son Créateur. Il ne manque pas de gens dans le monde qui se posent ouvertement en athées, et quoique, au fond de leurs consciences, ils sachent très bien qu’il y a un Dieu, néanmoins, de leurs lèvres, ils nient effrontément son existence. De tels hommes nient qu’il y ait un Dieu, parce qu’ils donneraient tout au monde pour qu’il n’y en eût point. La pensée est fille du désir ; mais il faut que le cœur soit parvenu à la dernière phase de l’endurcissement et de la corruption avant que cette pensée ose se traduire par des paroles, avant surtout que le malheureux qui prononce une impiété aussi monstrueuse, puisse le faire sans un certain sentiment de honte et de remords. Ai-je besoin de le dire ? Mon texte concerne en première ligne tous ceux qui haïssent, qui méprisent, qui insultent l’Éternel leur Dieu, qui mettent en doute son existence ou qui dénaturent son caractère. Oh ! incrédule ! Dieu t’ordonne de l’aimer de tout ton cœur ; puis donc que tu le hais, tu te places toi-même volontairement sous le coup de la sentence de condamnation qui fondra au dernier jour sur les transgresseurs de cette loi.
Une autre classe d’hommes savent qu’il y a un Dieu, mais ils le négligent. Ils traversent la vie avec indifférence, sans se mettre en peine des choses qui regardent l’éternité. « Après tout, disent-ils (si ce n’est par leurs paroles, du moins par leur conduite) ; après tout, peu nous importe qu’il y ait un Dieu ou qu’il n’y en ait point. » Ils ne se soucient nullement de connaître leur Créateur, et ses commandements ne leur inspirent pas la dixième partie du respect qu’ils éprouveraient pour une proclamation de leur souverain. Ils sont tout prêts à se soumettre aux puissances établies (Rom.13.1), mais quant à Celui par qui ces puissances subsistent, ils le mettent de côté et ils l’oublient. Trop prudents ou trop timides pour oser déclarer ouvertement qu’ils ne croient pas en Dieu, ces hommes ne se font aucun scrupule de vivre comme s’il n’y en avait pas. S’ils ne sont point athées en théorie, ils le sont en pratique. Aucune place dans leurs pensées n’est réservée au Seigneur. Ils se lèvent, le matin, sans songer à fléchir le genou devant lui ; ils se couchent, le soir, sans murmurer une prière. Jour après jour, semaine après semaine, ils s’occupent des affaires de la vie sans jamais avoir l’idée d’élever leurs âmes vers Dieu. Quelquefois, vous les entendrez parler de « chance, de hasard, de bonne ou de mauvaise fortune, » étranges divinités conçues dans leur cerveau ; mais Dieu, le Dieu tout-puissant, le Dieu de la providence, le Dieu vivant et vrai, jamais ils ne parlent de lui, si ce n’est quand ils prononcent son nom avec légèreté et inconvenance, ajoutant ainsi un péché de plus à la masse de leurs iniquités. — O vous, pécheurs, qui vivez ainsi dans l’oubli de Dieu, qui n’avez pour lui qu’une froide et dédaigneuse indifférence, sachez que ce commandement s’adresse aussi à vous : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme.
Mais ici, j’entends quelqu’un me dire : « Il est vrai, ministre de l’Évangile, que je n’ai aucune prétention à la piété, mais, à mon sens, je n’en vaux pas moins pour cela. Je suis tout aussi intègre, tout aussi moral, tout aussi charitable que les soi-disant dévots. Rarement, j’en conviens, je franchis le seuil d’un lieu de culte ; je ne pense pas que ce soit là un devoir delà première importance ; mais, à tout prendre, je le répète, je vaux autant que mes voisins : je suis un honnête homme ; personne n’a rien à me reprocher. D’ailleurs, s’il faut le dire, parmi vos gens d’église, il y a tant et tant d’hypocrites, que franchement je n’ai aucune envie de devenir des leurs. »
Arrête, mon cher auditeur, et permets-moi de te faire une simple observation. Que t’importe, je te prie, ce que font les autres ? La religion est une affaire toute personnelle, qui ne regarde que Dieu et toi. Or, ton Créateur t’a dit, à toi individuellement : « Tu m’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. » Qu’as-tu donc besoin de montrer au doigt tel pasteur dont la conduite n’honore pas toujours sa profession, ou tel ancien de l’Église qui marche avec la multitude pour mal faire, ou telle autre personne ayant l’apparence de la piété, mais dont la vie est en contradiction avec les principes ? Rien de tout cela ne te regarde. Quand ton Créateur te donne un ordre, il entend que tu t’en fasses l’application, et si tu lui objectais : « Seigneur, je ne veux pas t’aimer, parce qu’il y a des hypocrites, » est-ce que ta propre conscience, quelque faussée qu’elle soit par le péché, ne protesterait pas contre l’absurdité de ce raisonnement ? Est-ce que ton bon sens lui-même ne te dirait pas, ô homme : « Puisqu’il y a tant d’hypocrites, prends d’autant plus garde de n’en être pas un ; et puisqu’il y a tant de prétendus chrétiens qui déshonorent la cause du Seigneur par leur profession mensongère, à plus forte raison dois-tu t’efforcer d’être vrai, sincère, loyal et en édification à l’Église. » Mais, hélas, où sont-ils les hommes qui se donnent la peine de réfléchir à ces choses ?…
L’oubli du Seigneur est général. Les industriels de nos cités, les commerçants de nos rues, nos artisans et nos ouvriers vivent pour la plupart sans Dieu dans le monde. Je ne pense pas que la masse du peuple soit incrédule : je crois au contraire que les athées, et même peut-être les déistes, sont plus rares aujourd’hui qu’on ne pense. La grande plaie de notre époque, c’est l’indifférence. On ne se soucie point de savoir si la religion est vraie ou fausse. On est satisfait de rester dans le vague à cet égard. On n’a pas le temps de s’occuper des intérêts de son âme, on plaint la peine d’examiner où réside la vérité, et on ne songe même pas à cet Être puissant et bon par qui l’on subsiste. Quant au premier et grand commandement, on n’en tient absolument aucun compte, et ainsi on frustre le Seigneur de ce qui lui appartient. A vous donc, masses de la population ; à vous, âmes immortelles qui vivez sans Dieu et sans espérance, s’adresse la voix sévère et accusatrice de mon texte : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. »
Mais il y a une classe d’hommes qu’il serait injuste de confondre avec la multitude d’esprits étroits et vulgaires qui, absorbés par la recherche des jouissances sensuelles, permettent aux mesquins intérêts de la vie présente de leur voiler les sublimes profondeurs de la divinité. Oui, je me plais à le reconnaître : il y a des hommes aux instincts plus nobles, aux aspirations plus relevées. Ceux-là du moins n’oublient pas qu’il y a un Dieu. Oh ! non, loin de là. Peut-être sont-ils versés dans la merveilleuse science de l’astronomie, et quand ils élèvent leurs regards vers la voûte des cieux, quand ils contemplent les étoiles semées dans l’étendue, ils admirent en eux-mêmes la majesté du Créateur. Ou bien, ils fouillent dans les entrailles de la terre, et ils sont frappés d’étonnement en voyant la magnificence des œuvres anciennes de Dieu. Ou bien encore, ils examinent le corps de l’animal, et ils rendent hommage à la suprême sagesse qui a présidé à sa structure anatomique. Chaque fois qu’ils pensent à Dieu, ces hommes sont pénétrés d’une solennelle admiration, d’une crainte respectueuse. Jamais vous ne les entendrez blasphémer ou prononcer le nom du Seigneur à la légère : il est aisé de voir que leurs âmes sont animées d’une profonde vénération pour le Créateur de l’univers. C’est beaucoup, sans doute, — mais, est-ce assez ?… Non, mes chers auditeurs, non, ce n’est point assez ! Le premier et grand commandement demande autre chose. Dieu ne te dit point, ô homme : « Tu admireras ma puissance, tu vénéreras ma grandeur. » Il exige plus de toi ; il te dit : « Tu M’aimeras ! O toi qui suis du regard les globes célestes flottant dans l’immensité de l’espace, c’est quelque chose assurément que tu t’écries dans un transport d’enthousiasme :
Oh ! que tes cieux sont grands ! et que l’esprit de l’homme
Plie et tombe de haut, mon Dieu, quand il te nomme !…
Oh ! que suis-je, Seigneur, devant tes cieux et toi ?
De ton immensité le poids pèse sur moi ;
Il m’égale au néant, il m’efface, il m’accable,
Et je m’estime moins qu’un de ces grains de sable !a
a – Lamartine. Ces beaux vers rendent à peu près le sens des lignes de Milton citées dans l’original. (Note du Trad.)
Oui, c’est quelque chose, ô mon frère, que tu adores ainsi le puissant Créateur, mais cela ne suffit point. Oh ! plût à Dieu que tu pusses ajouter : « Celui qui a créé l’armée des cieux, Celui qui appelle les étoiles par leur nom, Celui-là est mon Père, et mon cœur bat d’affection pour lui ! » Alors, mais alors seulement tu aurais obéi au commandement de mon texte, car ce que Dieu demande de toi, ce n’est pas ton admiration, mais ton amour : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. »
Enfin, il y a des hommes qui vont encore plus loin. Non contents d’admirer Dieu dans ses œuvres, ils prennent plaisir à s’élever vers lui par la contemplation. Ils croient au Père, au Fils et au Saint-Esprit. Ils croient qu’il n’y a qu’un seul Dieu, et que ces trois personnes ne sont qu’un. Ils aiment à parcourir les pages de la révélation, tout comme ils parcourent les pages de l’histoire. La divinité est pour eux un sujet de curieuse étude, d’intéressantes recherches. Ils prennent plaisir à méditer sur son essence, sur ses attributs, sur ses perfections. Ils pourraient sans fatigue entendre exposer tout le jour les doctrines de sa Parole. Souvent même ces hommes sont d’une orthodoxie irréprochable ; personne n’a un credo plus pur que le leur, et en fait de matières religieuses, nul ne pourrait leur en apprendre. Aussi bien que qui ce soit, ils défendraient au besoin telle vérité de l’Évangile, et entreraient avec feu dans les discussions les plus approfondies sur les choses divines. Mais, hélas ! leur religion a un défaut : elle ressemble à un poisson mort ; elle est froide et raide comme lui, et pour peu que vous veniez en contact avec elle, vous sentez qu’elle n’a pas de vie. Jamais les croyances de ces hommes ne les ont remués jusqu’au fond de l’âme ; leurs cœurs y sont restés complètement étrangers. L’œil de leur esprit peu contempler Dieu, mais ils sont incapables de l’aimer ; ils peuvent méditer, mais non sentir ; penser à Dieu, mais non se jeter dans le sein de sa miséricorde et le serrer dans les bras d’une affection filiale. Ah ! froids penseurs, savants théoriciens à la vaste intelligence mais au cœur de glace, qui discourez si bien sur votre Créateur, mais qui ne savez pas l’aimer, puissiez-vous recevoir en ce jour instruction de mon texte : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu !
Mais il me semble voir un homme qui se lève dans cette assemblée, et qui me dit d’un air satisfait : « Quant à moi, ce commandement ne m’effraie point, car je le mets en pratique. J’assiste au service divin deux fois chaque dimanche ; je fais le culte domestique avec ma famille ; j’ai soin, tous les matins en me levant, de répéter une prière ; enfin, je lis ma Bible quelquefois et je souscris à beaucoup d’œuvres de bienfaisance… Ah ! mon cher auditeur, ne t’abuse point : tu peux faire tout cela, tu peux faire plus encore, et pourtant ne pas aimer Dieu. Autre chose est de servir Dieu comme un mercenaire, autre chose est de l’aimer comme un fils. Que de personnes qui se rendent à leur lieu de culte à peu près avec le même entrain que si elles marchaient au supplice ! C’est pour elles un pénible devoir, une tâche mortellement ennuyeuse. Elles observent extérieurement le sabbat, mais si elles l’osaient, elles s’affranchiraient de cette obligation. Elles assistent aux saintes assemblées, mais si ce n’était une affaire de convention, d’habitude ou de bienséance, elles préféreraient mille fois être partout ailleurs que dans la maison de Dieu. Pour ce qui est de la prière, il va sans dire que ces personnes n’en font pas leurs délices : elles prient, parce qu’elles croient ne pouvoir se dispenser de prier. Je ne sais quel vague sentiment de devoir les contraint parfois à fléchir le genou devant Dieu, mais elles n’y prennent aucun plaisir. Peut-être parlent-elles de Dieu avec convenance, mais jamais avec amour : jamais leurs cœurs ne bondissent à l’ouïe de son nom ; jamais leurs yeux n’étincellent à la pensée de ses attributs ; jamais leurs âmes ne tressaillent en méditant sur ses ouvrages, car la grâce de Dieu ne les a point touchées. C’est pourquoi, tandis qu’elles honorent Dieu de leurs lèvres, leur cœur est bien éloigné de lui, et ainsi, malgré leur vain formalisme, elles désobéissent, tout comme les incrédules, à ce commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. »
Mes chers auditeurs, comprenez-vous maintenant toute la portée de mon texte ? Hélas ! je crains que plusieurs d’entre vous ne cherchent encore des faux-fuyants pour échapper à sa condamnation. Je crains que beaucoup d’âmes ici présentes, au lieu de se reconnaître coupables, ne s’efforcent de faire une brèche à cette divine muraille, qui enserre dans ses vastes contours l’humanité tout entière. L’un de vous dit peut-être : « Mais je ne fais rien pour offenser Dieu… » Là n’est pas la question, mon ami. Il ne s’agit point de ce que tu ne fais pas ; il s’agit simplement de ceci : Aimes-tu Dieu ? — « Mais, reprend un autre, j’observe scrupuleusement tous les devoirs extérieurs de la religion… » Soit ! mais mon texte ne se contente pas de cela ; il dit expressément : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. — « Mais, ajoute un troisième, je fais beaucoup de choses pour le Seigneur ; je visite les pauvres, je suis moniteur dans une école du dimanche, etc… Je t’en félicite, mon frère ; toutefois, j’en reviens à ma question : Aimes-tu Dieu ? C’est ton cœur que Dieu demande, et sans ton cœur, il ne saurait être satisfait. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu : voilà le commandement ; et bien qu’aucun homme depuis la chute ne soit capable de l’observer, il n’est pas moins obligatoire pour tous les enfants d’Adam que lorsque l’Éternel le prononça pour la première fois.
Mais ce commandement ne nous impose pas seulement le devoir d’aimer Dieu, il nous dit encore quelle doit être la mesure de cet amour. Combien dois-je aimer Dieu ? Où fixerai-je la limite de mon affection pour lui ? Je dois aimer mon prochain comme moi-même : dois-je aimer mon Dieu plus encore ? Oui, les paroles de
mon texte ne laissent aucun doute à cet égard : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. Or, il ne nous est commandé nulle part de nous aimer nous-mêmes ou d’aimer notre prochain de cette manière ; donc, la mesure de l’amour que nous devons à Dieu est infiniment supérieure à celle de tout amour humain.
De là, nous induisons tout naturellement que Dieu veut être aimé par nous en première ligne. Mari, tu dois aimer ta femme ; tu ne saurais trop l’aimer, sauf dans un seul cas, — celui où tu l’aimerais plus que Dieu, où tu chercherais à lui plaire plutôt qu’à ton Créateur, où tu lui accorderais une préférence idolâtre. — Enfant, tu es tenu d’aimer tes parents ; tu ne saurais trop aimer le père qui t’engendra ou la mère qui te donna le jour ; toutefois, n’oublie point que ton affection pour eux ne doit être que secondaire. Plus que ton père ou ta mère, tu dois aimer le Seigneur ton Dieu. L’affection qu’il réclame de toi est une affection suprême. Sans doute il nous est permis d’aimer tous nos proches ; bien plus : cela nous est expressément ordonné. Celui qui n’aime pas ceux de sa famille est pire qu’un païen et qu’un péager : mais gardons-nous d’aimer autant que Dieu ces chers objets de nos affections. Vous pouvez dresser de petits trônes dans votre cœur pour les êtres chéris qui ont droit à votre tendresse, mais le trône de Dieu doit dominer tous les autres. Vous pouvez placer vos bien-aimés sur les degrés de l’autel, mais il faut que le Seigneur soit assis sur l’autel lui-même. Il doit être le monarque de vos affections, le souverain de votre cœur. — Dis, dis, ô mon frère, as-tu observé ce commandement ? Pour ma part, je sais que je ne l’ai point fait ; je me reconnais coupable devant Dieu ; je ne puis que me jeter à ses pieds et confesser mes transgressions…
Quoi qu’il en soit, le commandement subsiste dans toute son inflexible rigueur : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, » c’est-à-dire, « tu l’aimeras en première ligne. »
Une seconde induction qui découle de mon texte, est que nous devons aimer Dieu cordialement. Oui, il doit y avoir dans nos rapports avec Dieu cette chaleur, cette vie, cette puissance de sentiment qui sont les caractères de toute véritable affection. Il faut que nous nous donnions à lui tout entiers et de tout cœur. Oh ! de grâce, n’aimons pas Dieu comme beaucoup de gens aiment leur prochain, de cette étrange espèce d’amour qui fait bien dire à l’occasion : « Allez en paix, chauffez-vous et soyez rassasiés, » mais qui à ces froides paroles n’ajoute rien… Non, le Seigneur ne veut pas d’un amour de ce genre. Il faut que toutes les fibres de notre cœur palpitent d’affection pour lui, que nous nous absorbions pour ainsi dire en Dieu, en sorte qu’il devienne le grand objet de notre existence, le glorieux centre de notre tendresse. Le don libre et volontaire de nous-mêmes, le joyeux élan de toutes nos facultés aimantes vers un but suprême, voilà ce que doit être notre amour pour Dieu. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur. »
Mais ce n’est pas tout. Nous devons aussi aimer Dieu de toute notre âme, ou plutôt de toute notre vie, car c’est là le véritable sens de cette expression. En d’autres termes, nous devons aimer Dieu jusqu’à la mort. Si nous sommes appelés à verser notre sang pour la cause de notre Maître, il faut que, sans hésiter, nous lui sacrifiions notre vie. Nous n’atteindrons jamais la plénitude de l’obéissance à ce commandement, à moins que, comme les martyrs, nous ne soyons prêts à nous laisser jeter dans les bûchers ou dévorer par les bêtes féroces plutôt que de désobéir à Dieu. Patrie, famille, liberté, fortune, bien-être, joie et vie, le chrétien doit tout sacrifier au moindre appel de son Maître, sans quoi il n’accomplit point les paroles de mon texte : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton âme. »
Il y a plus encore : nous devons aimer Dieu de toute notre pensée. Notre intelligence doit aimer Dieu. Beaucoup de gens croient à l’existence du Créateur, mais sans aimer cette croyance. Ils savent qu’il y a un Dieu, mais ils voudraient de tout leur cœur qu’il n’y en eût point. S’ils pouvaient réussir à se persuader que Dieu est une vaine imagination, oh ! comme ils tressailleraient de joie ! Alors ils pourraient, sans scrupule, marcher comme leur cœur les mène ; ils pourraient sans trouble et sans remords se plonger dans toute sorte de débordements. Oui, ce serait pour bien des âmes la meilleure, la plus réjouissante des nouvelles, si on venait leur annoncer aujourd’hui que l’Éternel Dieu avait cessé d’exister. Quelle différence avec les sentiments du chrétien ! La pensée qu’il y a un Dieu est comme le soleil de sa vie. Son intelligence s’incline devant le très Haut, non comme l’esclave qui courbe le front devant son maître parce qu’il ne peut faire autrement, mais comme l’ange qui se prosterne devant son Créateur parce qu’il se plaît à lui rendre hommage. « Oh ! mon Dieu, s’écrie l’âme croyante dans un transport d’adoration, oh ! mon Dieu, je te rends grâces de ce que tu existes ; car tu es mon plus précieux trésor, ma plus riche et ma plus douce joie ! Je t’aime de toutes les puissances de mon esprit, de toutes les facultés de mon intelligence : raison, pensée, jugement, imagination, je dépose tout à tes pieds et le consacre à ta gloire. »
Enfin, l’amour que Dieu nous demande doit être caractérisé par l’activité ; car si nous devons l’aimer de tout notre cœur, c’est-à-dire cordialement, de toute notre âme, c’est-à-dire jusqu’à la mort, de toute notre pensée, c’est-à-dire avec nos facultés intellectuelles, nous devons aussi l’aimer de toute notre force, c’est-à-dire d’un amour actif et dévoué. Je dois mettre au service de mon Dieu tout ce que mon corps et mon âme renferment de forces vives. Je ne dois lui refuser ni une seule heure de mon temps, ni un seul denier de ma fortune, ni un seul talent de mon esprit, ni un seul atome de mon activité physique ou de mon énergie morale. En un mot, je dois l’aimer de toute ma force.
Mes chers auditeurs, je le demande, quel est l’homme qui ait obéi à l’ordre de mon texte ? Assurément, il n’en est aucun, et il ne saurait jamais y en avoir. De là résulte donc la nécessité d’un Sauveur. Oh ! si cette loi divine pouvait en ce jour nous faire tomber la face contre terre comme de misérables pécheurs ! si notre propre justice pouvait être mise en pièces par ce puissant marteau qui a nom « le premier et grand commandement » ! et surtout, oh ! surtout si nous pouvions parvenir à l’observer désormais ! L’homme qui ne violerait en aucune manière ce commandement, jouirait sur la terre d’un ciel anticipé, car les plus heureuses des créatures sont celles qui sont les plus saintes, et les plus saintes sont celles qui aiment Dieu de l’amour le plus pur.
Mais mon texte ouvre encore devant nous un autre ordre d’idées que je tiens à vous indiquer. Non seulement il dit à l’homme qu’il doit aimer Dieu et comment il doit l’aimer, mais il énumère pour ainsi dire les titres du Créateur à l’amour de sa créature. « Tu l’aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force » : et pourquoi ? D’abord, parce qu’il est le Seigneur, — c’est-à-dire l’Éternel, le Tout-Puissant, Jéhovah, — et ensuite parce qu’il est ton Dieu.
O homme, créature d’un jour, tu dois aimer Jéhovah, par cela seul qu’il est Jéhovah. Transporte-toi par la pensée en présence de l’Etre insondable qui échappe à ton regard. Elève tes yeux jusqu’au septième ciel. Vois-le, Celui dont la redoutable majesté, dont la splendeur sans égale forcent les anges eux-mêmes à se voiler la face, de peur qu’éblouis par tant d’éclat, ils ne soient frappés d’une cécité éternelle. Contemple-le, Celui qui a étendu les cieux comme un pavillon et qui a brodé sur leurs riches tentures, avec une aiguille d’or, les étoiles sans nombre qui scintillent dans les ténèbres. Considère-le, Celui qui fit sortir la terre du néant et qui créa l’homme pour y habiter. Et écoute ce qu’il est. Il est Jéhovah, l’Être des êtres, incréé, éternel, immuable, tout sage, tout-puissant. Il sait tout, il voit tout, il suffit à tout. Comment donc lui refuserais-tu ton hommage ? Comment ne te prosternerais-tu pas devant lui ? Il est bon, il est plein d’amour, il est miséricordieux, plein de pitié. Vois les richesses de sa Providence ; admire la plénitude de sa grâce. O homme ! comment n’aimerais-tu point Jéhovah, parce qu’il est Jéhovah ?
Mais il y a plus : tu dois l’aimer aussi et surtout parce qu’il est ton Dieu. Et d’abord, il est ton Dieu par droit de création. C’est lui qui t’a fait ; tu ne t’es point fait toi-même. Quoiqu’il lui eût été facile de se servir d’intermédiaire, le Dieu tout-puissant voulut être le seul Créateur du premier homme, et maintenant même qu’il lui plaît de nous appeler à l’existence par le moyen de nos parents, il n’est pas moins notre Créateur qu’il ne fut le Créateur d’Adam, alors qu’il le forma du limon de la terre et qu’il souffla en lui une âme vivante. Et observe, je te prie, ô homme, la merveilleuse structure de ton corps. Considère l’ingénieux agencement de tes os que Dieu a placés de la manière la plus propre à ce qu’ils te rendent le plus de services possible. Vois comment il a étendu tes nerfs et fait circuler ton sang dans des vaisseaux. Admire l’étonnant mécanisme qu’il a mis en jeu pour te conserver la vie. O dis, vermisseau d’un jour, ne veux-tu point aimer Celui qui te créa ? Serait-il possible que tu n’éprouves ni reconnaissance ni amour à la pensée du grand Être qui te forma de sa main et qui te façonna par sa volonté ?
Et Dieu n’est pas seulement ton Créateur ; il est aussi ton conservateur, et à ce titre encore, on peut dire qu’il est ton Dieu. Chaque jour ta table est dressée devant toi : or, qui est-ce qui la dresse, si ce n’est Dieu ? L’air que tu respires est un don de sa charité ; les vêtements qui te couvrent sont des gages de sa munificence ; la santé dont tu jouis est un bienfait de son amour ; ta vie dépend entièrement de lui. Je te vois devant moi plein de force et de vigueur, mais un simple vœu de sa volonté souveraine aurait suffi pour te coucher depuis longtemps dans le sépulcre et pour livrer ton corps à la corruption. La trame de tes jours est entre ses mains. Tu peux mourir sur-le-champ, ici même ; et si aujourd’hui tu n’es pas en enfer, si à l’instant où je te parle tu n’es point à te débattre dans les flammes éternelles, sache, ô homme, que c’est uniquement par un effet de sa pure miséricorde. Oui, tu as beau l’insurger contre la Providence, tu as beau haïr ton Sauveur et mépriser sa croix, Dieu n’en est pas moins ton Dieu, à ce double titre : qu’il t’a donné la vie et qu’il te la conserve. Et n’est-ce pas en vérité un prodige de condescendance que Dieu daigne te bénir, tandis que toi tu refuses de l’aimer ? Garderais-tu dans ta maison un cheval qui ne te serait bon à rien ? Retiendrais-tu à ton service un mercenaire qui t’insulterait sans cesse ? Continuerais-tu à fournir le pain et le vêtement à ton serviteur, si au lieu de faire ta volonté et d’obéir à tes ordres, il se posait en maître et contrariait tes désirs ? Oh ! non sûrement, tu ne le ferais point ! Et cependant, pécheur, c’est là ce que Dieu fait pour toi. Il te nourrit, il te protège, et tu te révoltes contre lui. Cette bouche impie, qui vient peut-être d’outrager le Créateur, est alimentée par sa main bienfaisante. Il n’est pas jusqu’à ces poumons dont tu te sers pour exhaler ta haine contre lui, qui ne reçoivent de sa bonté le souffle de vie nécessaire à ton existence. O étrange contradiction du cœur humain, que nous mangions ainsi le pain de Dieu, et puis que nous levions le talon contre lui ! O comble de l’ingratitude, que nous nous asseyions au banquet de sa Providence, que nous nous parions de la livrée de sa libéralité, et en même temps que nous nous retournions pour insulter le ciel et pour menacer de notre faible main notre suprême bienfaiteur ! Ah ! si au lieu d’avoir affaire à notre bon Dieu, nous avions affaire à une créature telle que nous, n’est-il pas vrai, mes chers auditeurs, qu’en moins d’une heure nous lasserions sa patience ? Pour ma part, lorsque je réfléchis à ces choses, je suis confondu de la longanimité de mon Dieu. Quoi ? voici un blasphémateur qui, dans son cynisme, maudit ouvertement Celui qui le créa. Et tu le supportes, ô Seigneur ! Et tu ne réduis pas en poussière l’insolent vermisseau qui te brave ! Mais si un moucheron m’importunait, ne l’écraserais-je pas en un moment ? Or, qu’est-ce que l’homme auprès de toi, mon Dieu ? N’est-il pas infiniment plus petit, comparé à ta grandeur, que ne l’est le plus chétif insecte comparé à l’homme ? Oh ! mes frères, mes chers frères, nous avons véritablement lieu de nous étonner que Dieu use encore de compassion envers nous après nos révoltes sans nombre, après nos violations sans cesse réitérées du premier et grand commandement. Et pourtant ne croyons pas que ce commandement soit une lettre morte ; il fait partie de cette divine Parole qui ne passera point, et nul ne l’enfreindra impunément. C’est pourquoi, je viens encore une fois, moi le serviteur de Dieu, réclamer solennellement pour mon Maître, de chacun de vous comme de moi-même, les affections de nos cœurs, l’obéissance de nos âmes, l’adhésion de nos esprits et la consécration de nos forces.
O peuple de Dieu, ai-je besoin de m’adresser à vous ? Vous savez que le Seigneur est votre Dieu dans un sens spécial ; c’est pourquoi vous lui devez un amour spécial. Vous savez qu’il est votre Père en Jésus ; c’est pourquoi vous devez l’aimer comme des fils et des filles.
Voilà, mes chers auditeurs, ce que nous disent les paroles de mon texte. Voyons maintenant, très brièvement, ce que nous avons à leur dire.
Parle, ô homme, mon frère ! Qu’as-tu à dire en face de ce commandement ? Y a-t-il ici quelque pauvre âme assez abusée, assez aveuglée par sa propre justice, pour me répondre : « J’ai la ferme intention de l’accomplir ; je me sens capable de le faire, et je crois que par mon obéissance j’arriverai au ciel. » Oh ! que tu es à, plaindre, pauvre âme ! Ou bien ton esprit lui-même est encore plongé dans une nuit profonde, ou bien tu te complais dans ton ignorance, car pour peu que tu connusses ton propre cœur et que tu comprisses ce commandement, tu t’écrierais bien plutôt avec désespoir : « Misérable que je suis ! Jamais je ne pourrai obéir pleinement à ces paroles ! Jamais une créature aussi souillée que moi ne pourra aimer Dieu comme il veut être aimé ! » Autant vaudrait-il, en vérité, que tu essayasses de t’élever jusques au ciel par les montagnes de la terre et que tu prisses les cimes de l’Himalaya pour ton premier échelon, que de chercher à parvenir au bonheur éternel par l’obéissance à ce premier et grand commandement. Et quand même tu réussirais à escalader les sommets les plus inaccessibles, encore devrais-tu désespérer, ô homme, de jamais t’élever à la hauteur infinie de ces simples paroles : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. Or, souviens-toi que jamais tu ne seras sauvé par tes propres mérites, si tu n’as tout d’abord obéi à cette loi fondamentale qui est à la base de toutes les autres, et si tu n’y as obéi complètement, constamment, parfaitement.
« Mais sûrement, dit un autre, si je fais mon possible pour observer ce commandement, cela suffira… » Non, pécheur, non ! cela ne suffira point. Dieu t’ordonne de l’aimer d’un amour parfait, et si tu ne l’aimes pas ainsi, il te condamnera. « Mais alors, t’écries-tu, qui peut donc être sauvé ? » Ah ! voilà justement, mes chers auditeurs, la conclusion à laquelle je voulais vous amener. Et en effet, qui pourrait être sauvé par ce commandement ? Personne au monde, c’est de toute évidence. Le salut par les œuvres de la loi est, et sera toujours pour l’homme, une impossibilité absolue. Qu’aucun de vous ne dise donc plus qu’il s’efforcera d’accomplir cette loi, afin d’être sauvé par elle, car une telle prétention est à la fois une folie et un mensonge.
Et que dit le chrétien, le meilleur, le plus fidèle des chrétiens en face des paroles de mon texte ? Ecoutez les plaintes et les gémissements qui s’échappent de ses lèvres. « O mon Dieu, soupire-t-il dans la tristesse de son âme ; ô mon Dieu, je suis coupable, je le sais, et si tu me précipitais en enfer, ce ne serait que justice ! J’ai violé ton premier et grand commandement dès ma jeunesse ; je l’ai violé même depuis ma conversion ; je le viole encore tous les jours. Je reconnais que si tu entrais en compte avec moi, que si tu voulais mettre le jugement à l’équerre et la justice au niveau (Esaïe.28.17), je ne saurais subsister un seul instant devant ta face. Seigneur, je ne place aucune confiance dans la loi, car je sais que par elle je ne serais point justifié auprès de toi ni admis en ta présence… »
Mais écoutez, encore ! J’entends le chrétien dire autre chose. Je l’entends s’écrier en s’adressant à mon texte : « Commandement ! je ne puis t’observer, mais mon Sauveur t’a observé dans ta plénitude, et ce que mon Sauveur a fait, il l’a fait pour tous ceux qui croient en lui. Ainsi donc, ô loi, ce que Jésus a fait est à moi. Que pourrais-tu exiger encore ? Tu me demandes une obéissance parfaite : or, mon Sauveur a parfaitement obéi pour moi ; il est mon représentant, mon substitut ; ce que je n’ai point fait moi-même, il l’a fait à ma place. Et tu ne peux pas rejeter l’œuvre de mon substitut, car Dieu l’a solennellement reconnu comme tel le jour où il le ressuscita des morts. N’essaie donc plus de me troubler, ô commandement ! jamais tu ne pourras me condamner. Quoique je t’aie transgressé mille fois, je me confie simplement et uniquement en Jésus. Sa justice est la mienne, et avec elle, je puis solder ma dette et satisfaire toutes tes exigences. Voilà le langage triomphant que peut tenir tout racheté de Jésus. — « Ah ! s’écrie peut-être quelqu’un dans cette assemblée, plût à Dieu que je pusse le tenir, moi aussi ! Plût à Dieu que je pusse échapper à la juste colère de la loi ! Plût à Dieu que Christ voulût être mon substitut ! Si tu es sincère dans ton désir, mon cher auditeur, écoute-moi. Te sens-tu en cet instant misérable, perdu, condamné ? Reconnais-tu avec larmes que Jésus peut seul te sauver ? Es-tu prêt à renoncer à toute confiance terrestre et à te jeter aux pieds de Celui qui est mort sur la croix ? Elèves-tu un regard de foi vers le Calvaire, et là, en présence du divin Crucifié, en face de son corps meurtri et de ses plaies sanglantes, t’écries-tu avec componction :
Tel que je suis, sans aucune défense,
N’espérant qu’en ton sang versé pour mon offense,
Vaincu par tes appels, qui font mon assurance,
Agneau de Dieu, je viens !
Peux-tu dire cela, mon frère ? Alors ne crains point ; Jésus a accompli la loi à ta place, et la loi ne peut condamner une âme que Christ a absoute. Si donc la loi te crie d’une voix menaçante : « Tu seras damné parce que tu as violé mes préceptes ! dis-lui qu’elle n’a pas le droit de toucher un cheveu de ta tête, car si tu ne lui as pas obéi, Christ l’a fait, et l’obéissance de Christ est à toi. Dis-lui que l’œuvre de Christ est ta rançon, que cette rançon, lui-même en a frappé la monnaie, et qu’ainsi, puisque tu lui paies ce qu’elle exigeait de toi, elle n’a plus rien à te réclamer. Tu es libre, car Christ a satisfait la loi.
Mais après cela, ô enfant de Dieu, — après que tu auras contemplé Jésus subissant, lui juste, la peine due aux transgresseurs de la loi, n’ajouteras-tu rien ? Oh ! si, je sais ce que tu ajouteras. Tu tomberas à genoux et tu diras du fond du cœur : « Seigneur, je te rends grâces de ce que je suis affranchi de la condamnation de la loi, car je crois en Jésus. Mais désormais, Seigneur, aide-moi à accomplir cette loi sainte, juste et bonne ; aide-moi en particulier à accomplir ton premier et grand commandement. Seigneur ! donne-moi un cœur nouveau, car ce vieux cœur de pierre ne saurait jamais t’aimer. Seigneur ! donne-moi une vie nouvelle, car ma vie passée est trop vile. Seigneur ! donne-moi une nouvelle intelligence ; lave mon entendement dans l’eau pure de ton Esprit ; viens habiter dans ma raison, dans ma mémoire, dans ma pensée. Enfin, mon Dieu, donne-moi une force nouvelle, la force de ton Esprit ; et alors toutes les puissances de mon nouveau cœur, de ma nouvelle vie, de mon intelligence renouvelée, de ma force spirituelle seront consacrées à t’aimer, dès maintenant et à toujours ! »
Mes chers auditeurs, puisse le Seigneur vous convaincre de péché, par l’énergie de son divin Esprit, et puisse-t-il bénir ce simple discours pour l’amour de Jésus ! Amen !