1.[1] Cependant la prospérité extérieure d'Hérode fut empoisonnée de chagrins domestiques par le sort jaloux ; l'origine de ses infortunes fut la femme qu'il aimait le plus. Arrivé au pouvoir, il avait répudié l'épouse qu'il s'était donnée dans une condition privée, Doris, originaire de Jérusalem, et pris pour nouvelle compagne Mariamme, fille d'Alexandre, fils d'Aristobule ; ce fut elle qui jeta le trouble dans sa maison. Ce trouble commença de bonne heure, mais s'aggrava surtout après le retour d'Hérode de Rome. Tout d'abord il chassa de la capitale le fils qu'il avait eu de Doris, Antipater, à cause des enfants que lui avait donnés Mariamme ; il ne l'autorisa à y paraître que pour les fêtes. Ensuite il mit à mort, sous le soupçon d'un complot, Hyrcan, grand-père de sa femme, qui était revenu de chez les Parthes auprès de lui[2]. On a vu que Barzapharnès, lorsqu'il envahit la Syrie, avait emmené Hyrcan prisonnier ; mais les Juifs qui habitaient au delà de l'Euphrate obtinrent, à force de larmes, sa mise en liberté. S'il avait suivi leur conseil de ne pas rentrer auprès d'Hérode, il aurait évité sa fin tragique ; le mariage de sa petite-fille fut l'appât mortel qui le perdit. Il vint, confiant dans cette alliance et poussé par un ardent désir de revoir sa patrie. Hérode fut exaspéré, non pas que le vieillard aspirât à la royauté, mais parce qu'elle lui revenait de droit.
[1] Section 1, jusqu'à ...le retour d'Hérode à Rome, pas de parallèle exact dans Antiquités. Après : Ant., XV, 2, 1-4 ; 6, 1-4.
[2] 31/30 av. J.-C.
2.[3] Hérode eut cinq enfants de Mariamme, deux filles[4] et trois fils. Le plus jeune de ceux-ci fut élevé à Rome et y mourut ; les deux aînés[5] reçurent une éducation royale, à cause de l'illustre naissance de leur mère et parce qu'ils étaient liés après l'avènement d'Hérode au trône. Plus que tout cela, ils avaient pour eux l'amour d'Hérode envers Mariamme, amour de jour en jour plus passionné, au point même de le rendre insensible aux chagrins que lui causait l'aimée ; car l'aversion de Mariamme pour lui égalait son amour pour elle. Comme les événements donnaient à Mariamme de justes motifs de haine, et l'amour de son mari le privilège de la franchise, elle reprochait ouvertement à Hérode sa conduite envers son aïeul Hyrcan et son frère Jonathas[6] ; car il n'avait pas même épargné cet enfant : investi à l'âge de dix-sept ans des fonctions de grand prêtre, il avait été mis à mort, aussitôt après son entrée en charge ; son crime fut qu'un jour de fête, comme, revêtu de la robe du sacerdoce, il montait à l'autel, le peuple assemblé en foule s'était mis à pleurer. Là-dessus Hérode le fit partir de nuit pour Jéricho, où, sur l'ordre du roi, les Gaulois[7] le plongèrent dans une piscine et le noyèrent.
[3] Section 2, pas de parallèle jusqu'à ...l'avènement d'Hérode au trône, après Ant., XV, 7, 1-2 (mort de Jonathan Aristobule) et XV, 3, 3.
[4] Salampsio et Cypros.
[5] Alexandre et Aristobule.
[6] Il est appelé Aristobule dans les Antiquités ; il portait sans doute deux noms, comme plusieurs princes juifs de cette époque.
[7] Anachronisme, car l'évènement est d'octobre 35, et Hérode n'a eu de garde gauloise qu'après la mort de Cléopâtre, en 30 (Ant., XV, § 217).
3.[8] Pour ces motifs Mariamme harcelait Hérode de ses reproches, poursuivant même de ses outrages la mère et la sœur du roi. Comme la passion d'Hérode continuait à le paralyser, ces deux femmes, bouillantes d'indignation, dirigèrent contre la reine la calomnie qui devait à leurs yeux toucher le plus vivement Hérode : l'adultère. Parmi tant d'inventions qu'elles imaginèrent pour le persuader, elles accusèrent Mariamme d'avoir envoyé son portrait à Antoine, en Égypte, et d'avoir poussé l'excès de son impudeur jusqu'à se montrer, absente, à un homme passionné pour le sexe et assez puissant pour la prendre de force. Cette accusation frappa Hérode comme un coup de tonnerre : l'amour allumait sa jalousie ; il se représentait avec quelle habileté Cléopâtre s'était débarrassée du roi Lysanias et de l'Arabe Malichos[9] ; il se vit menacé non seulement de perdre son épouse, mais la vie.
[8] Section 3 Ant., XV, 2, 6 ; mais il n'y est pas dit qu'Hérode ait connu l'envoi du portrait. L'affaire paraît être de 35 av. J.-C.
[9] L'exécution de Lysanias tombe bien en 36 (cf. Ant., XV, § 92), mais Malichos vivait encore en 31 av. J.-C. et il n'y a pas apparence que Cléopâtre l'ait jamais fait mourir.
4.[10] Comme il devait partir en voyage, il confia sa femme à Joseph, mari de Salomé sa sœur, personnage fidèle et dont cette alliance lui garantissait l'affection ; il lui donna en secret l'ordre de mettre à mort la reine, si Antoine le tuait lui-même. Là-dessus Joseph, sans aucune mauvaise intention, mais pour donner à la reine une idée de l'amour du roi, qui ne pouvait souffrir d'être séparé d'elle, même dans la mort, révéla le secret à Mariamme. Quand Hérode revint, il fit à Mariamme, dans l'effusion de leurs entretiens, mille serments de son affection, l'assurant qu'il n'aimerait jamais une autre femme. Alors la reine : « Tu l'as bien montré cet amour, dit-elle, par l'ordre que tu as donné à Joseph de me tuer ».
[10] Sections 4.5 Ant., XV, 3, 5.9 ; 7, 3-5. Mais dans le récit des Ant. on distingue : 1° l'indiscrétion de Joseph se place en 34, lors d'un voyage d'Hérode auprès d'Antoine, et n'est suivie que de l'exécution du coupable ; 2° une seconde indiscrétion, commise par Soaimos en 29 (après le voyage d'Hérode auprès d'Auguste), est suivie du supplice de la reine. Sur cette contradiction cf. ma note sur Ant., XV, § 239.
5. En entendant ce propos, Hérode devint comme fou : il s'écria que Joseph n'aurait jamais trahi à la reine sa mission, s'il ne l'avait d'abord séduite. Égaré par le chagrin, il s'élança du lit et courut çà et là dans le palais. Salomé, sa sœur, saisit cette occasion d'enfoncer ses calomnies et fortifia les soupçons du roi contre Joseph. Affolé par l'excès de sa jalousie, il donna aussitôt l'ordre de les tuer tous les deux. Le regret suivi de près cette explosion de douleur, et quand la colère fût tombée, l'amour se ralluma de nouveau. Telle était l'ardeur de sa passion qu'il ne pouvait croire sa femme morte ; dans son égarement[11] il lui parlait comme si elle respirait ; et quand enfin le temps lui eut fait comprendre sa perte, son deuil égala l'amour que vivante elle lui avait inspiré.
[11] ὑπὸ δὲ κακώστως, texte altéré.