L’épître de Jacques en 25 sermons

Guérison par la prière

Quelqu’un est-il malade parmi vous ? Qu’il appelle les anciens de l’Église, et qu’ils prient pour lui, l’oignant d’huile au nom du Seigneur : et la prière de la foi sauvera le malade, et le Seigneur le relèvera ; et s’il a commis des péchés, ils lui seront pardonnés.

Jacques 5.14-15

La pensée de la prière domine le commencement de l’épître de Jacques ; elle en domine aussi la fin. Aussi longtemps que se fait attendre l’avènement du Seigneur, c’est la prière qui met le peuple de Dieu en relation avec son Chef invisible, de telle sorte qu’il puise en lui patience et support dans ses afflictions. « Quelqu’un parmi vous souffre-t-il ? Qu’il prie ! »

En fait de souffrances, il en est une à laquelle s’arrête l’auteur sacré, pour nous rappeler de quel secours la prière doit nous être en pareil cas : c’est la maladie.

La recommandation qu’il donne sur ce point nous transporte dans un monde d’idées et d’habitudes si différent de celui où vit la généralité des chrétiens de nos jours que nous nous demandons, en la lisant, si elle peut nous concerner encore. En tout cas, elle soulève devant nous de graves problèmes qui feront moins pour nous en ce moment le sujet d’une prédication que d’une étude, pour laquelle nous demandons à Dieu son Esprit de sagesse.

Avant tout, cherchons à bien comprendre la pensée de Saint-Jacques. C’est seulement si nous y parvenons que nous pourrons nous demander dans quelle mesure sa recommandation nous concerne encore.

I

« Quelqu’un est-il malade, qu’il appelle les anciens de l’Église… » Ceux auxquels s’applique ce titre d’anciens semblent avoir occupé, du moins dans les premiers temps de l’Église, une position intermédiaire entre celle de nos pasteurs actuels et celle de nos anciens. Choisis avec soin, parfois même après un temps de jeûne et de prière, parmi les membres les plus zélés et les plus éclairés du troupeau, ils exerçaient une activité pastorale, en ce sens qu’ils avaient à veiller sur le troupeau, à présider à ses cultes, à régler l’emploi des dons divers répandus dans l’assemblée (Actes 14.23 ; 1 Pierre 5.1-4). Peu à peu, sans doute, à mesure que les Églises s’accrurent, les anciens, ou du moins certains d’entre eux, furent amenés tout naturellement à consacrer tout leur temps à l’accomplissement de leur ministère.

Il est probable que Jacques, en attirant sur eux l’attention des malades, veut opposer ces serviteurs de Jésus-Christ aux exorcistes qui étaient chez les Juifs, en l’absence de toute science médicale, les guérisseurs de l’époque. Ces exorcistes, que l’on honorait du titre de rabbi (maître), à cause de leur connaissance de la loi et de leur réputation de piété, avaient la prétention de guérir au moyen de certaines formules magiques transmises d’initiés en initiés dès les temps les plus anciens. Ils possédaient des recettes mystérieuses, des objets dont l’attouchement était censé produire et produisait parfois réellement des effets extraordinaires.

A côté de ces pratiques superstitieuses, il faut mentionner comme habituel ou du moins très fréquent en ce temps-là l’emploi de l’huile, soit qu’on attribuât à l’onction une valeur religieuse, soit qu’on en usât comme d’un simple adoucissant. L’huile, répandue sur les membres malades ou même sur le corps entier, calmait les douleurs et diminuait la fièvre. Dans la parabole du Samaritain, le Seigneur nous montre l’homme compatissant versant sur les plaies du blessé un peu d’huile et du vin que tout voyageur emportait avec lui : du vin, pour cicatriser les blessures, de l’huile pour calmer la souffrance.

Représentons-nous maintenant le cas que suppose Saint-Jacques. Un chrétien d’origine juive, — c’est à ces chrétiens-là spécialement que s’adresse notre épître — est tombé sérieusement malade. Les soins domestiques que l’on prodigue en de telles circonstances ont été impuissants ; le malade a prié, cela va sans dire, puisqu’il est chrétien, mais sans que le secours divin soit intervenu. Ce malade entend parler d’un docteur de la loi réputé pour ses cures merveilleuses. Ne va-t-il pas l’appeler et se soumettre à toutes les incantations et manipulations usitées en cas pareil ? Non, répond le serviteur de Christ, « qu’il appelle les anciens de l’Église. »

Pourquoi les anciens, plutôt que d’autres frères en la foi ? Sans doute parce qu’ils viendront comme représentants de l’Église et non en leur nom personnel. Peut-être est-ce aussi pour cela que Jacques ne parle pas d’un des anciens, mais les désigne dans leur ensemble. Par eux, c’est le corps de Christ qui prendra soin d’un de ses membres ; c’est l’Église qui sera là, munie des promesses que lui a faites son Chef. « Ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel… »

Mais que feront ces anciens ? Que pourront-ils faire, s’ils ne possèdent pas les formules des rabbis, les recettes transmises dès les temps de Salomon ? Ils prieront. Il est passé, le temps des formules magiques et des pratiques plus ou moins ténébreuses, pour ceux sur lesquels s’est levé le soleil de justice. La prière toute simple, en plein jour, à haute voix, la prière de ces deux ou trois dont la présence suffit pour que le Seigneur soit au milieu d’eux, la prière, fût-elle prononcée d’une manière presque enfantine par des hommes obscurs, mais pieux et fidèles, vaut mieux, infiniment mieux que les formules les plus réputées.

A la prière les anciens ajouteront l’onction d’huile faite au nom du Seigneur. Ces mots au nom du Seigneur nous montrent que c’est du sens religieux de l’onction qu’il est ici question, et non de la valeur médicinale de l’huile, qui d’ailleurs ne saurait être employée comme remède dans toutes les maladies. Non que Jacques attache à cet acte les idées plus ou moins superstitieuses des guérisseurs juifs ou qu’il y voie un rite sacramentel, ainsi que le fait l’Église romaine lorsqu’elle administre aux mourants l’extrême onction. Si c’eût été le cas, il se serait exprimé autrement ; il aurait dit : Qu’après avoir prié, ils l’oignent d’huile…, l’onction devenant ainsi l’acte le plus important, et il aurait ajouté : L’onction sauvera le malade. Au lieu de cela, nous lisons dans le texte grec : « Qu’ils prient, l’oignant au nom du Seigneur. » L’onction est donc un simple accompagnement de la prière. Et ce qui nous montre qu’il en est bien ainsi, c’est qu’au verset suivant il n’est plus fait mention que de la prière, comme seul acte essentiel : « la prière de la foi sauvera le malade. »

Toute secondaire que soit l’onction d’huile, elle a pourtant dans la pensée de Jacques sa valeur, puisqu’elle doit être administrée au nom du Seigneur. Vous savez que dans les cérémonies religieuses de l’ancienne alliance l’huile n’était rien moins que le symbole de l’Esprit de Dieu, dont l’action est aussi puissante que douce et pénétrante. Aussi ce que l’huile sainte avait touché : arche de l’alliance, autel des holocaustes, ustensiles sacrés, prêtres, rois, n’était-il plus aux hommes, ni au monde : il était consacré à Dieu, par là même inviolable : l’Esprit de l’Éternel en avait pris possession. La loi ne prescrivait rien sur l’emploi de l’huile en cas de maladie, si ce n’est pour les lépreux guéris, qui devaient être touchés successivement par le sang des victimes et par l’huile sainte. Le sang reléguait la lèpre dans le domaine de la mort ; l’huile replaçait le malade, autrefois exclu de l’assemblée d’Israël, au nombre de ceux qui formaient le peuple saint de l’Éternel.

On comprend d’après cela que les Israélites, habitués à donner à l’huile une valeur religieuse, aient généralisé son emploi en cas de maladie, et que ceux d’entre eux qui devinrent chrétiens aient conservé un usage devenu national. L’évangéliste Saint-Marc raconte que les disciples que Jésus envoya en mission guérissaient les malades en les oignant d’huile (Marc 6.12).

A la prière accompagnée d’onction d’huile doit correspondre non seulement la foi du malade, mais dans certains cas la confession des péchés dont il se sent coupable. Cette condition ressort avec évidence de ces mots : « S’il a commis des péchés, ils lui seront pardonnés. » De plus, au verset suivant, Saint-Jacques, comme pour compléter sa pensée en la généralisant, écrit : « Confessez vos fautes les uns aux autres et priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. »

Nous n’avons pas à traiter ici pour elle-même la grave question de la confession. Nous dirons seulement que dans la situation supposée par notre texte, cette recommandation n’a rien que de naturel. L’Église est là en la personne des anciens, mettant par la prière un malade en relation directe avec le Seigneur, lui appliquant le signe de l’onction du Saint-Esprit. Ce malade pourrait-il, sans aggraver sa condamnation et son châtiment, se soustraire au regard qui lit les secrets des cœurs ? Lors même qu’il ne se sentirait pas coupable, il faut qu’il s’humilie à la pensée de tout ce que Dieu voit de péché en lui, sans que lui-même s’en rende compte. Et si de sa conscience s’élève une voix accusatrice, qu’il n’hésite pas à faire sortir son péché des ténèbres où il s’est tenu caché jusqu’alors, qu’il l’amène à la lumière en présence de ceux dont il a réclamé l’intercession, qu’il le confesse, non pas à ses frères proprement, mais à Dieu devant ses frères. La prière du malade, aussi bien que celle de ses amis, ne saurait être la prière de la foi, s’il restait là quelque interdit qui ne fût pas confessé et rejeté.

C’est en effet en ce mot : prière de la foi, que Saint-Jacques résume l’acte tout entier dont nous venons d’indiquer les différentes parties. Cette prière, ajoute-t-il, si elle est bien la prière de la foi, sauvera le malade.

Etrange et puissante affirmation ! Pas une restriction, pas un peut-être. Elle sauvera le malade. Est-ce la guérison qui est annoncée ici d’une manière aussi positive ? On peut se le demander, puisque Saint-Jacques n’emploie pas ici le terme de guérir. Mais, il serait étrange que, s’adressant aux malades, leur recommandant telle et telle manière d’agir, il aboutit à un résultat qui n’aurait plus de rapport avec leur maladie. D’ailleurs, deux lignes plus loin, il dit positivement : « Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris. » Ce qu’il annonce, croyons-nous, par ce mot sauver, ce qu’il promet partout où aura lieu la prière de la foi, c’est plus qu’une simple guérison, c’est une intervention divine ayant pour résultat la délivrance de l’âme et celle du corps. La délivrance du corps il l’annonce d’une manière plus précise en ces mots : « le Seigneur le relèvera ; » celle de l’âme : « et s’il a commis des péchés, ils lui seront pardon-nés. »

Mais cette promesse ne va-t-elle pas trop loin ? Saint-Jacques n’aurait-il donc pas eu dans son ministère des cas semblables à celui de Trophime que Saint-Paul laissa malade à Milet ? N’avait-il pas vu déjà un grand nombre de chrétiens mourir, sans qu’aucune intercession eût pu les rendre immortels ? Cette question ne nous intéresse pas seulement ; elle nous poursuit, elle nous étreint, nous qui bien souvent avons dû constater en cas de maladie l’impuissance des prières ardentes, individuelles ou collectives.

La réponse ne se trouverait-elle pas dans le sens spécial que Saint-Jacques, ici comme au commencement de son épître, donne à l’expression : « prière de la foi. » Il est des cas nombreux où l’homme qui prie d’accord avec l’Esprit de Dieu sent qu’il ne doit pas insister pour obtenir ce qu’il désire. Il se soumet alors et se borne à dire : Que ta volonté soit faite ! Il ne peut pas présenter la prière de la foi, ou plutôt il se fait violence à lui-même, pour ne pas aller dans ses demandes au delà des limites qu’il se sent imposer par la volonté de Dieu. Ce n’est pas que d’une manière générale il ne soit pas assez croyant ; mais il ne veut pas devancer le Saint-Esprit. Il est d’autres cas où le croyant, porté par l’esprit de prière, mais dépouillé, insistons sur ce point, de toute volonté propre, plaidant en définitive la cause de Dieu même, se sent autorisé à franchir tous les obstacles et à demander l’impossible. Moïse intercédant pour Israël, eut la sainte. hardiesse de s’opposer dans ses prières à l’accomplissement de ce qui semblait irrévocablement décrété (Exode 32.11 ; Nombres 14.13), et en le faisant il se sentait, en dépit des apparences, d’accord avec Dieu même, parce que le désir qu’il avait de voir Dieu glorifié ne lui permettait pas de laisser se consommer la ruine d’Israël. Dans d’autres circonstances, après un premier refus de l’Éternel, il ne revint pas à la charge, parce qu’il ne s’agissait pour lui que d’un désir personnel. (Deutéronome 3.26)

Un malade des Églises auxquelles écrivait Jacques hésitait-il dans sa foi sur ce point spécial de la guérison ? Il ne se sentait pas libre d’appeler les anciens. Ou, s’il les appelait sans être lui-même au clair sur ce qu’il devait demander, la lumière se-faisait sans doute, en réponse aux prières réunies du malade et des anciens ; ils comprenaient que la parole du Seigneur était : Ma grâce suffit à ce malade. Même dans ce cas il y avait bénédiction, délivrance intérieure, victoire de l’esprit sur le corps malade, force dans la faiblesse. Mais répétons-le, car c’est bien ce qui nous semble ressortir de la déclaration de Jacques, partout où malade et anciens pouvaient dans la communion du Saint-Esprit adresser au Seigneur la prière de la foi, il y avait en même temps relèvement du corps et délivrance de l’âme. Le Seigneur n’a-t-il pas dit : « Tout ce que vous demanderez avec foi en priant, vous le recevrez ? »

II

De ce que nous venons de dire, qu’avons-nous à conclure sur ce qui nous concerne ? La recommandation de Jacques s’adresse-t-elle aux chrétiens de la fin du dix-neuvième siècle comme à ceux du premier ?

Sur deux points, en ce qui concerne cette question de la maladie, notre position est très différente de celle des premiers chrétiens. En premier lieu, la science médicale s’est remarquablement développée ; en second lieu, l’Église a plus ou moins perdu le sentiment de ses privilèges. De là, l’oubli presque total dans lequel est tombée cette recommandation et l’étonnement qu’elle produit sur ceux qui la lisent.

La science médicale, sauf en Grèce, n’existait pas au premier siècle, ou du moins n’était qu’à ses plus faibles débuts. Elle a grandi, elle a chassé graduellement les pratiques superstitieuses, les arts magiques, auxquels on ne recourt plus, dans nos contrées du moins, que pour certains cas particuliers. Disons en passant que ce qui s’est conservé de ces usages-là dans notre peuple est de trop. Pour le chrétien en communion vivante avec son Sauveur, des prières inintelligibles, des formules auxquelles on attribuerait une puissance surnaturelle seraient, alors même que le nom de Dieu y trouverait place, des actes d’idolâtrie.

Mais la médecine proprement dite, la condamnerons-nous ? L’Évangile ne condamne aucune science digne de ce nom ; il nous apprend au contraire à aimer toute vérité, même dans le domaine des choses passagères, et nous n’hésitons pas à répéter ce qui a été dit par de vrais savants, c’est que le magnifique développement de toutes les sciences modernes est dû au levain de foi et d’amour de la vérité jeté dans le monde par notre Seigneur Jésus-Christ.

Alors la médecine, de plus en plus perfectionnée, va donc prendre toute la place dans la chambre du malade ? Constatons que c’est déjà le cas dans un grand nombre de maisons. La maladie survient-elle ? la pensée du médecin est la première, la seule même qui se présente à l’esprit. Le mal se prolonge ? le traitement à suivre est la grande préoccupation. Il s’aggrave ? alors seulement on pense au pasteur, non pas même toujours pour l’appeler, mais pour s’étonner, s’indigner parfois, que de lui-même il ne soit pas accouru, comme s’il était dans ses attributions de deviner les cas de maladie dont personne ne lui a dit un mot. On pense, dis-je, au pasteur, parce que l’on attend de lui quelques consolations et que l’on ne voudrait pas mourir sans le secours de ses prières. Mais l’idée que l’intercession de l’Église pourrait changer le cours de la maladie, tout en secourant l’âme dans sa détresse, n’aborde pas les esprits.

Cela est-il bien, mes frères ? Et la science humaine, toute légitime qu’elle soit et toute merveilleuse qu’elle puisse devenir, doit-elle nous enlever tout à fait la foi au secours divin ?

Poser cette question, c’est y répondre. Non, il n’est pas de puissance au monde qui soit en droit de prendre pour nous la place de Dieu. Et s’il fallait choisir entre l’intervention humaine et l’intervention divine, repousser l’une pour réclamer l’autre, c’est l’intervention divine que je rechercherais, et vous aussi. Mais il n’y a pas lieu d’exclure l’une pour choisir l’autre. Il n’y a pas même à faire de compromis plus ou moins habile, pour accorder une part d’influence aux hommes, une part à Dieu. Rachetés par le don que Dieu nous a fait de son Fils, nous ne sommes plus à nous-mêmes, ni au monde, mais à Dieu ; nous sommes à lui, corps et âme. Seulement, il est évident que pour la vie de notre corps et dans une grande mesure aussi pour celle de notre âme, pour le développement de notre intelligence, de notre cœur, de la vie religieuse elle-même, il a plu à Dieu que nous fussions encore engagés dans toute espèce de relations avec le monde visible. Dieu ne nous nourrit pas directement, ainsi qu’il pourrait le faire ; il se sert pour cela de notre travail et des aliments variés que la nature prépare pour nous. Il met aussi à notre disposition pour les cas de maladie bien des secours naturels pour lesquels nous avons à lui rendre grâce, se réservant, je me hâte de le dire, lorsque cela est bon pour notre éducation spirituelle ou pour glorifier son nom, de rendre impuissants tous ces moyens naturels et d’intervenir directement.

Ce qui rend le secours de l’homme et l’usage des remèdes dangereux au point de vue spirituel, c’est notre tendance à rechercher ces choses dans un esprit païen, avec une inquiétude fébrile ou une confiance idolâtre. Le même danger se retrouve partout, dans l’usage des richesses, dans nos plaisirs… La conversion, par laquelle nous nous détournons des vaines idoles pour nous attacher au Dieu vivant et véritable, doit s’opérer dans ce domaine de la maladie comme ailleurs. Par cela même que la maladie est un désordre, sachons y voir avant tout une école spéciale par laquelle il plaît à Dieu de nous faire passer. Tournons-nous vers le Seigneur ; laissons-le nous parler ; plaçons-nous sous sa discipline sanctifiante, et cela dès le début. Cela ne nous empêchera pas de recevoir comme des dons de Dieu les secours humains. Nous en userons, ainsi que de toutes choses, comme n’en usant pas, c’est-à-dire sans y mettre notre confiance et notre cœur. Là est le nœud de la question. Attendons-nous du remède un résultat presque infaillible ? ce remède se place entre Dieu et nous, paralyse nos prières, offense le divin médecin. Usons-nous au contraire de tel moyen dans un esprit de foi, de confiance, d’obéissance envers Dieu ? il devient légitime.

Mais nous l’avons dit : il est des cas où Dieu se réserve d’intervenir d’une manière directe. C’est pourquoi le conseil de Jacques est loin d’avoir vieilli. Il pourra être suivi ; moins souvent peut-être qu’au temps où il n’y avait à choisir qu’entre cette manière de faire et les procédés des rabbis du premier siècle, mais il pourra l’être néanmoins. Quand ? A quelle période de la maladie ? Nous ne saurions le dire, car nous touchons ici au domaine intime et mystérieux des relations de Dieu avec chacun de ses enfants. L’école divine n’est pas la même pour tous, et la première condition pour que la prière, dans ce domaine, soit celle de la foi, c’est qu’elle ne se fasse pas au commandement de l’homme et d’après des règlements humains.

Ce ne sont donc pas les progrès de l’art médical qui nous éloignent de la pratique de l’Église primitive ; c’est bien plutôt l’incrédulité de l’Église. Incrédulité, entendons-nous bien, portant sur ce point spécial de l’intervention directe de Dieu en cas de maladie. Cette incrédulité-là peut exister chez des hommes très croyants, d’une piété et d’un zèle exemplaires ; elle est plutôt un préjugé qu’un acte formel d’incrédulité. Quelque nom qu’on lui donne, ce préjugé existe. Peut-être commence-t-il à s’affaiblir ; mais il est tenace, parce qu’il a ses racines dans l’état général de la vie spirituelle de nos troupeaux.

Il est certain que là où le pasteur, tout fidèle qu’il soit d’ailleurs, estime que la maladie ressort exclusivement du domaine de la médecine, l’opinion de cet homme seul sera d’un grand poids pour faire envisager comme vieilli un conseil vieux en effet de dix-neuf siècles. Quant à ceux que nous appelons anciens, s’ils se contentent et même se font un devoir de n’être que de simples administrateurs appelés à distribuer des aumônes, s’ils s’imaginent que le fait d’exercer en toute humilité une activité spirituelle, un peu de cure d’âme, serait un empiétement coupable sur les droits du pasteur, il va sans dire qu’ils ne sauraient s’associer à un acte tel que celui dont parle notre texte. S’ils y assistaient, l’étonnement provoqué en eux par une cérémonie dont le sens spirituel leur échapperait serait de nature à troubler, plus qu’à fortifier la foi du malade. La prière de la foi suppose non seulement chez le pasteur, mais chez ses aides, une vie spirituelle qui n’en soit pas à ses débuts, une communion réelle avec le Seigneur.

Cependant, n’exagérons pas les difficultés. Grâce à Dieu, cette vie spirituelle, si elle est trop rare, n’est pourtant pas ; absente de nos Églises ; partout ou presque partout dans nos villes et nos villages, il y a des hommes qui marchent avec Dieu, Cette condition première étant remplie, essayons de nous représenter comment ces hommes agiront quand leur concours sera demandé.

Nous n’abordons pas ici la question du don spécial de guérison, à laquelle Jacques ne fait aucune allusion. Il est évident d’ailleurs que la prière de la foi peut seule mettre en lumière ce don, à où il existe, et le révéler à ceux qui le possèdent, sans peut-être le savoir.

Tout d’abord, il faut que ce concours soit demandé, désiré, et non offert sans discernement. Que le malade « appelle les anciens de l’Église. » Cette demande ne doit pas venir d’une idée superstitieuse. Ce qui l’inspirera, ce ne sera pas la croyance aveugle à l’efficace d’une pratique antique, mais la foi au Dieu vivant, le désir d’entrer plus complètement dans sa communion, de lui appartenir sans partage, de lui consacrer en particulier tout ce qui touche à la vie corporelle. Une fois assurés que tel est le désir du malade, que ferons-nous ?

Le pasteur, qui est ici le premier en cause puisqu’il est le premier héritier de l’antique charge des anciens de la primitive Église, ne saurait faire un seul pas dans cette voie, sans s’être examiné lui-même devant Dieu dans le sentiment de la grande responsabilité qui lui incombe. On ne joue pas avec les choses spirituelles. Il ne peut être question, pour satisfaire un malade, d’accomplir certaines pratiques auxquelles on ne croirait pas. Il faut aussi déposer toute pensée d’orgueil et de confiance en soi-même. Pour que la rencontre de Dieu avec le malade puisse avoir lieu, une rencontre pareille doit avoir eu lieu auparavant entre Dieu et son serviteur, de telle sorte que celui-ci, humilié, jugé et affermi par là-même dans sa communion avec son Sauveur, soit en état de prier et d’agir par le Saint-Esprit.

Que le même travail préparatoire s’accomplisse aussi pour les aides du pasteur, car partout où la chose est possible, il faut que le pasteur ait des aides. Nous l’avons dit : ce n’est pas tel ou tel homme, c’est l’Église qui doit être là.

Le malade, de son côté, s’est examiné devant Dieu, humilié devant ses frères, en confessant les fautes que l’Esprit de Dieu lui a signalées.

Maintiendrons-nous l’onction d’huile ? Il faudrait pour cela, nous semble-t-il, que l’huile eut conservé pour nous la valeur symbolique qu’elle avait dans l’Ancienne Alliance, ce qui n’est pas le cas. La simple imposition des mains ne fera-t-elle pas sentir à nos malades, mieux que toute autre chose, que l’Esprit de Dieu prend possession de lui ? Toutefois, si l’emploi de l’huile peut aider au malade à se rendre compte de la réalité de la grâce divine, nous ne voudrions pas le blâmer, à condition qu’il fût absolument exempt de toute idée superstitieuse ou sacramentelle. Rappelons-nous que dans le précepte de Jacques tout l’accent est sur la prière de la foi.

Que cette prière soit là. Que du cœur du malade, aussi bien que du cœur des anciens, elle monte au Seigneur, audacieuse et pourtant profondément humble, moins désireuse du soulagement d’un frère souffrant que d’une réelle communication de vie divine. Qu’elle agisse, qu’elle lutte, s’emparant sans hésiter de tout ce que Christ nous a acquis par sa mort. Que, priant ainsi, pasteur, malade, témoins, entrent dans les lieux célestes, y prennent cette position qui leur a été faite en dépit de tous les efforts de l’accusateur, lorsque Dieu les a vivifiés avec Christ, ressuscités et fait asseoir avec lui au-dessus de tout ennemi ; qu’ils redescendent sur la terre, demandant au Seigneur la grâce de vivre pour lui ; de souffrir, s’il le faut, mais de souffrir pour lui et comme membres de son corps. Ce sont là, dans une vie humaine, dans un ministère pastoral, dans l’activité de l’Église, de ces moments où la communion avec Christ s’affirme avec force. La vie du Seigneur déploie sa puissance salutaire. Si dans la prière même le malade et ceux qui l’entourent ne se sentent pas autorisés à demander une complète guérison, c’est une bénédiction d’une autre nature, non moins précieuse sans doute, qui se répand sur eux. Si la prière de la foi peut s’affirmer pleinement et aller jusqu’au bout dans ses demandes, elle sauve le malade.

Le sujet qui vient de nous occuper peut paraître plus étrange que vraiment utile. D’autres questions, vitales pour l’Église, peuvent le reléguer plus ou moins dans l’ombre. Nous croyons cependant qu’il est plus important qu’il ne le semble que l’Église reprenne possession de ses droits. Or, ses droits, qui se confondent avec ses devoirs, se ramènent à un : celui d’être la servante de Jésus-Christ, l’habitation et l’organe du Saint-Esprit ; son organe, pour rappeler au monde les droits de Dieu sur son peuple, pour rendre manifeste la présence du Seigneur au milieu des siens, pour glorifier Celui auquel toute puissance a été donnée au ciel et sur la terre.

Soyons humbles, ne cherchons pas l’extraordinaire. Mais si le Seigneur veut donner au monde des signes de. sa puissance, à son peuple des encouragements, qu’il nous trouve assez soumis et assez croyants pour nous prêter à l’accomplissement de son bon plaisir. Amen !

Gustave Henriod

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