Il est difficile de synthétiser en un corps complet la doctrine pénitentielle de l’Église grecque du ive siècle, d’autant plus que les usages des églises particulières variaient ou ne nous sont qu’imparfaitement connus.
Dans les lettres festales de saint Athanase, les exhortations à la pénitence comme préparation aux fêtes pascales tiennent, ainsi qu’il est juste, une place importante, mais ne nous renseignent pas sur la façon pratique dont se faisait cette pénitence. Tout au plus peut-on citer la lettre xix, 8, dans laquelle le saint docteur presse les fidèles de se préparer à la communion de Pâques paenitente animo et confessione.
Les Cappadociens sont plus explicites. Saint Grégoire de Nazianze d’abord établit éloquemment, contre les novatiens, l’efficacité de la pénitence et la possibilité du pardon après le baptême. Saint Grégoire de Nysse et surtout saint Basile précisent les choses. L’un et l’autre parlent de l’aveu qui doit être fait des fautes commises, au moins des fautes relativement graves, et dont saint Grégoire de Nysse essaie de donner une classification. Cet aveu qui, en certaines circonstances du moins, est certainement secret, se fait à l’évêque seul peut-être (ἱερεῖ), ou, comme parle plus généralement saint Basile, à ceux à qui est confiée la dispensation des mystères de Dieu. Les épreuves imposées aux pénitents variaient de durée, et se proportionnaient non seulement à la gravité de la faute, mais aussi à la ferveur de la pénitence. Pour les apostats seulement l’épreuve durait toute la vie et la réconciliation n’avait lieu qu’à la mort. On sait que, dans les églises de Cappadoce, et cela depuis saint Grégoire le Thaumaturge, l’expiation consistait en une ségrégation de l’assemblée chrétienne pendant le service liturgique. Il y avait quatre degrés de la pénitence : la πρόσκλαυσις, l’état des pleurants qui se tenaient en dehors de l’Église ; l’ἀκροάσις, celui des écoutants qui assistaient à la lecture de l’Écriture sainte et à la prédication ; l’ὑπόστασις, celui des prosternés qui assistaient à genoux à la prière ; et enfin la σύστασις, où les pénitents assistaient debout à tout l’office, mais sans participer à la communion.
La situation de saint Jean Chrysostome, relativement à la question de la pénitence, fut un peu particulière, et il est nécessaire de ne pas confondre, à ce point de vue, les deux périodes de son ministère à Antioche et à Constantinople. Dans la première, on le voit affirmer que les prêtres ont le pouvoir de remettre les péchés, non pas de les déclarer remis, mais de les remettre proprement ; qu’il faut révéler au médecin ses blessures si l’on veut être guéri ; que la confession efface les péchés, les efface entièrement. Aussi exhorte-t-il les pécheurs à se confesser, à faire l’exomologèse avant de communier.
Mais, arrivé à Constantinople, le nouvel évêque se trouva en face de circonstances spéciales. Socrate nous apprend que, depuis le schisme des novatiens, c’est-à-dire depuis 250 environ, les évêques — probablement de la Thrace seulement — avaient décidé qu’il y aurait désormais dans chaque église un prêtre à qui les pécheurs confesseraient leurs fautes commises après le baptême, et sous la surveillance de qui ils accompliraient leurs exercices d’expiation. Cette institution subsista à Constantinople jusque vers l’an 391, époque à laquelle le scandale causé par la révélation d’une faute commise par une noble dame avec un diacre amena le patriarche Nectaire à supprimer non seulement l’office du prêtre pénitencier, mais encore probablement l’obligation pour les pécheurs d’accuser leurs fautes et d’en obtenir le pardon avant de s’approcher des saints mystères, chacun étant laissé à sa conscience pour savoir ce qu’il avait à faire. Cette mesure trop radicale, remarque Socrate vers 440, eut pour effet déplorable que beaucoup de chrétiens ne se soucièrent plus de faire pénitence avant de communier.
[Sozomène, qui reproduit Socrate en le commentant, ajoute que presque partout — c’est-à-dire dans l’Orient grec — les évêques suivirent l’exemple de Nectaire. La preuve cependant que ce témoignage doit s’entendre d’une partie restreinte de l’Orient grec est qu’Asterius d’Amasée (fin du ive siècle) recommande au contraire aux fidèles de prendre un prêtre comme confident de leurs fautes et témoin de leur contrition (Homil. XIII, Adoration ad paenitentiam, P. G., XL, 369) ; Sur toute cette question, v. P. Batiffol, Études d’histoire et de théologie positive, 1, p. 149 et suiv.]
Quelle fut l’attitude de saint Chrysostome dans ces conjonctures ? Nous ne le savons pas absolument. Cependant son homélie ix sur l’Épître aux Hébreux, prêchée à Constantinople en 402, combinée avec les faits qui lui furent reprochés plus tard, peut jeter quelque jour sur ses sentiments à cette époque. Dans cette homélie (4), l’orateur, après avoir observé que la pénitence (μετανοία) efface tous les péchés, expose comment il la faut faire. Elle comporte d’abord la condamnation (κατάγνωσις) et la confession (ἐξαγόρευσις) des péchés ; puis l’humiliation et la contrition du cœur (συντριβὴ) ; puis les prières, les larmes, les aumônes qui donnent à la pénitence son efficacité et sa valeur, en un mot les bonnes œuvres satisfactoires. il n’est point question d’absolution ; mais, revenant au n° 5 sur l’examen et l’aveu des péchés, saint Chrysostome insiste sur la nécessité, pour le pécheur qui veut se corriger, de s’accuser en détail (κατ’ εἶδος), de ne point se contenter de dire en général qu’il a péché, mais bien de dire ὅτι τόδε καὶ τόδε ἥμαρτον.
Dans tout ce passage néanmoins, il n’est pas expressément question de prêtre ou d’évêque recevant l’aveu ; et même on ne voit pas clairement, au n° 5, s’il s’agit d’un aveu proprement dit ou seulement d’un examen détaillé par lequel le pécheur se rend compte à lui-même de sa conduite. Mais d’autre part, nous savons qu’une des accusations portées contre saint Chrysostome au concile du Chêne fut qu’il autorisait, qu’il exhortait même les pénitents relaps à venir à lui pour être guéris aussi souvent qu’ils retomberaient dans leurs fautes ; et Socrate lui reproche en effet d’avoir, contre la décision des évêques qui n’autorisaient qu’une fois la pénitence pour les fautes commises après le baptême, permis cette pénitence aussi souvent qu’on le désirerait. En rapprochant les faits et les textes, on peut conclure, pensons-nous, que, sans revenir violemment sur la mesure de Nectaire, saint Chrysostome conserva sa doctrine d’Antioche et insista pour que le cursus de la pénitence fût repris tel qu’il se pratiquait auparavant. Quant au reproche qui lui fut fait au conciliabule du Chêne, il repose vraisemblablement sur un malentendu. Ce n’est pas la pénitence canonique publique que l’évêque aura autorisé à renouveler : ce sera probablement la pénitence absolument privée, comportant l’accusation, l’expiation et l’absolution secrètes.
Sur l’extrême-onction on ne trouve rien à mentionner chez les Grecs, à cette époque, si ce n’est peut-être la prière in oleum aegrotorum qui se lit dans l’euchologe de Sérapion (xxix).
C’est dans les écrits disciplinaires surtout qu’il faut chercher les renseignements relatifs aux ordres et à l’ordination. A la fin du ive siècle, les ordres se sont multipliés en Orient, et à l’évêque, au prêtre, au diacre s’ajoute maintenant le sous-diacre. Les lecteurs existaient déjà ; les exorcistes font leur apparition, mais les Constitutions apostoliques (viii, 26) déclarent qu’ils ne forment point un ordre proprement dit. On trouve également nommés chez elles les portiers et les chantres. Saint Épiphane, de son côté, signale les exorcistes, les interprètes (ἑρμηνευεταì γλώσσης εἰς γλῶσσαν), les fossores et enfin les portiers. Les diaconesses continuaient de remplir un rôle important. Tous les ordres se donnaient par l’imposition des mains ; mais cette imposition des mains (χειροτονία) était expressément réservée à l’évêque, même pour les ordres inférieurs. Elle était accompagnée de prières dont l’euchologe de Sérapion (xxvi-xxviii) et les Constitutions apostoliques (viii, 5 ; 16-22) donnent les formules. L’effet de ces rites, observe saint Grégoire de Nysse, est de séparer le prêtre du commun et d’opérer en lui, bien que, extérieurement, il paraisse rester le même, une transformation intérieure par une grâce et une vertu invisible. Saint Grégoire compare cette transformation à la consécration des autels ou même à la conversion eucharistique, ce qui indique bien qu’elle emporte, à ses yeux, un caractère permanent et stable. J’omets les règles canoniques qui regardent le choix des sujets à ordonner et les devoirs qui leur incombent : objet de discipline plus que de dogme.
Le mariage, bien que son caractère sacramentel ne fût pas clairement reconnu encore, était cependant l’objet de l’attention des docteurs et de règlements ecclésiastiques assez précis. Le mariage était nul s’il était contracté sans le consentement du père ou du maître. Il était interdit entre beau-frère et belle-sœur. Le divorce était permis pour cause d’adultère, mais d’adultère seulement ; et encore saint Basile explique-t-il que, par suite d’une coutume qu’il trouve anormale mais qui s’impose, ce privilège n’existait qu’en faveur du mari. Le mari qui aura répudié sa femme ne sera donc pas adultère s’il se remarie : la femme ne pourra ni répudier son mari même adultère, ni se remarier si elle est répudiée par lui. Même solution à peu près dans saint Chrysostome. Il dit nettement que, du côté de la femme, l’indissolubilité est absolue : répudiée pour n’importe quelle raison, elle ne peut se remarier : liée à son époux, elle reste, tant qu’elle vit, sa femme. Relativement au mari, il est moins catégorique, et, bien que généralement il insiste sur l’indissolubilité absolue du lien conjugal, on ne voit pas qu’il interdise clairement à l’époux légitimement divorcé de se remarier ; car d’ailleurs il déclare que par l’adultère de la femme le mariage est déjà délié (ὁ γάμος ἤδη διαλελύσεται), et que le mari n’est plus mari (μετὰ τὴν πορνείαν ὁ ἀνὴρ οὐκ ἔστιν ἀνήρ)a.
a – In epist. I ad Corinth., hom.19.3. Saint Épiphane ne permet les secondes noces qu’après la mort du conjoint : Il ne parle pas du divorce pour cause d’adultère (Expositio fidei, 20).
Quant aux secondes et surtout troisièmes et quatrièmes noces, elles étaient mal vues ou même tout à fait condamnées : « Les premières [noces], dit saint Grégoire de Nazianze, sont la loi, les secondes la tolérance, les troisièmes sont l’iniquité (παρονομία). » Les quatrièmes ne sont le fait que des pourceaux. Les Constitutions apostoliques ont à peu près reproduit ce jugement (iii, 2, 2). Saint Basile soumet les digames à un an ou deux de pénitence : il déclare que les mariages des trigames sont contractés en dehors de la loi et regardés comme des souillures (ῥυπάσματα) ou comme une fornication modérée : les trigames sont soumis à cinq ans de pénitence. Il est probable que, au canon 80 de l’Epistula ccxvii, il s’agit des tétragames : ils sont soumis à quatre ans de pénitence, mais parmi les pleurants et les prosternés.