Au principe protestant, qui fait consister la seule marque formelle de la vraie Église dans la pureté de la doctrine, les catholiques opposent diverses difficultés. — Ils disent que c’est livrer toutes choses au jugement individuel et ouvrir la voie à des écarts et à des dangers innombrables ; — que « la marquea » d’un objet quelconque doit avoir une évidence propre tellement sensible, qu’elle frappe et se légitime par elle-même ; — que l’examen de l’Église, avec ses caractères et ses titres extérieurs, est aisé et sûr, tandis que celui de la doctrine est difficile, incertain et périlleux ; — que nous méritons bien plus qu’eux le reproche que nous leur adressons de rouler dans une sorte de cercle, puisque nous basons l’obligation de s’attacher à l’Église la plus pure sur ce qu’elle nourrit les âmes de la vérité salutaire, et que nous supposons ensuite la connaissance de cette vérité pour discerner entre les églises quelle est la plus pure et la plus sainte.
a – Je rappelle que le point de vue catholique porte à préférer ici cette expression à celle de « preuve », et que cette terminologie fut retenue dans la controverse pendant fort longtemps.
Sans discuter ces objections en détail, bornons-nous à répondre : — que la pureté de la doctrine constituant la pureté de l’Église, puisque la direction de la vie spirituelle en dépend, il est impossible de juger l’Église autrement que par la doctrine ; c’est une nécessité qui sort de la nature des choses, ainsi que nous l’avons déjà vu, et à laquelle les catholiques eux-mêmes ne peuvent échapper, quoi qu’ils fassent ; — que, soit qu’on procède par l’examen de l’Église ou par celui de la doctrine, on fait également appel au jugement particulier, et qu’on ne saurait faire peser sur un seul parti la responsabilité d’une méthode à laquelle on a recours des deux côtés ; — que l’examen de l’Église, pour peu qu’on aille au fond des choses, soulève autant de difficultés que celui de la doctrine qu’il implique en dernière analyse ; — que le paralogisme dont on nous accuse serait réel si nous ne connaissions la doctrine que par l’Église, comme le veulent les catholiques ; mais, en dehors et au-dessus des églises et des doctrines, il y a pour nous l’Ecriture, charte éternelle de la Chrétienté, qui les juge les unes et les autres parce qu’elle les fonde seule. Dieu nous dit : « A la loi et au témoignage ! ». Jésus-Christ et les apôtres recourent sans cesse à l’Ancien Testament pour démontrer la divinité de leur mission et de leur parole ; c’est la marque ou la preuve à laquelle ils en appellent le plus fréquemment ; leur exemple doit être ici notre règle ; notre sûreté, aussi bien que noire obligation, étant de nous soumettre à l’ordre établi de Dieu. Ce fut, au fond, le principe des anciens Pères : « Ceux qui veulent connaître quelle est la vraie Église, dit saint Chrysostômeb, ne le peuvent que par les Ecritures. »
b – Homélie sur Matthieu 24.
En résumé, nous n’avons d’autre critère positif de la vérité d’une église que la vérité de sa doctrine, ni d’autre moyen de constater la vérité d’une doctrine que l’Ecriture sainte, méditée dans un esprit de foi, d’humilité et de prière, avec la confiance que le secours d’En Haut, qui nous est promis (Luc 11.13 ; Jacques 1.5), ne nous manquera point si nous l’implorons. Chacun est tenu de puiser à ses risques et périls, pour ainsi parler, dans le Livre des révélations, car chacun rendra compte pour soi-même.
En vain signalerait-on les inconvénients de cet ordre de choses, et montrerait-on qu’il y en aurait un autre plus simple et plus sûr, si l’on ne prouve d’abord que ce dernier existe réellement. Les utopies ne mènent à rien, au contraire elles égarent. Une église infaillible, qui se légitimerait par elle-même, qui séparerait sans cesse la vérité de l’erreur dans le cours des âges et tiendrait les âmes éloignées des voies de la perdition, que l’esprit de mensonge essaie d’ouvrir devant elles, serait une excellente institution, nous pouvons l’accorder ; une panacée universelle serait aussi très précieuse. Mais il ne paraît pas que Dieu ait voulu nous donner ni l’une ni l’autre ; et, certainement, Dieu sait mieux que nous ce qui convient. Usons, avec une humble gratitude, des dons et des secours qu’il nous offre sous la dispensation où il nous a placés, au lieu de nous en priver peut-être en voulant nous placer nous-mêmes sous une dispensation imaginaire.
Le principe que tout croyant est appelé, quant à ce qui le concerne, à être juge en dernier ressort des doctrines et des églises, ou plutôt de les traduire au Tribunal suprême de l’Ecriture, règle souveraine de la vérité, que c’est là un droit en tout temps, que ce peut être un devoir en certaines circonstances, ce principe n’est au fond que le principe de la liberté de conscience et de culte, universellement reconnu aujourd’hui, sinon encore universellement appliqué, et concédé plus ou moins par les catholiques eux-mêmes.
Du reste, l’exercice de ce droit, l’accomplissement de ce devoir dans ses limites scripturaires, n’est pas aussi difficile, il faut le répéter, qu’on veut bien le dire et qu’il pourrait le sembler au premier abord. La vérité chrétienne se révèle surtout aux âmes simples, aux esprits et aux cœurs bien disposés qui veulent réellement être enseignés de Dieu. Les grandes doctrines dogmatiques et morales, celles qui intéressent réellement la vie spirituelle, sont à la surface du Nouveau Testament ; on en ressent partout la présence quand on le lit avec la docilité de la foi ; tout en porte à l’âme l’impression, si ce n’est la notion abstraite et la formule théologique. Le savant n’a, à cet égard, aucun avantage sur l’homme du peuple, car ce ne sont pas seulement les gens sans culture « dont le dieu de ce siècle aveugle l’entendement, afin qu’ils ne soient pas éclairés par la lumière du glorieux Évangile de Christ » (1 Corinthiens 4.4). Le Sauveur n’a-t-il pas dit : « Je te loue, ô Père, etc. » (Luc 10.21) ?
La voie de la vérité et de la vie est clairement marquée dans les Saintes Ecritures. Les doctrines essentielles au salut y sont répandues de manière à être sensibles à tous les yeux et à tous les cœurs qui veulent s’ouvrir. Le témoignage de l’Eternel est assuré et donne la sagesse aux simples (Psaumes 19.7). Dieu enseigne sa voie aux humbles (Psaumes 25.9, 4, 5, 12, 14 ; Matthieu 11.25-26). Est-il possible, par exemple, à moins d’être aveuglé par l’esprit de système, de ne pas voir dans la Bible la Providence, l’immortalité de l’âme, la résurrection des corps, le jugement, les rétributions éternelles, l’état de corruption et de condamnation où se trouve l’homme, la venue du Fils de Dieu sa mort pour la rédemption du monde, la justification par la foi, la promesse du Saint-Esprit, la nécessité de la sanctification, etc. Et n’est-ce pas là ce qui importe réellement ?
Il existe des préventions scientifiques aussi bien que des préjugés populaires. Le goût des spéculations, l’orgueil de la raison, le désir de comprendre pour croire, l’esprit de système, l’influence de certaines idées érigées en principes peuvent, comme l’ignorance et plus peut-être, jeter sur le cœur ce voile qui cache la vérité ; outre que la grande cause de l’incrédulité et de l’erreur étant essentiellement morale, agit avec la même force à tous les degrés de développement intellectuel. Faut-il beaucoup de science, ne suffit-il pas d’une attention impartiale et docile pour reconnaître, par exemple, que le système socinien ou rationaliste et le système romain ne sont point bibliques ? que l’un tronque l’Évangile et en retranche tout ce qui en fait la vertu vivifiante, et que l’autre y ajoute des doctrines et des observances qui le dénaturent ? Les faits ne sont-ils pas là d’ailleurs pour démontrer que dans les contrées protestantes le socinianisme tombe à mesure que l’autorité de la Bible se relève, que le rationalisme ne s’y maintient qu’en déclinant cette autorité (Allemagne). Les faits ne sont-ils pas là encore pour prouver que dans les contrées catholiques où le Livre saint a été répandu, bien des personnes, en le lisant avec simplicité, ont été détachées peu à peu, à leur insu, presque malgré elles, de leurs idées anciennes et se sont effrayées de se trouver protestantes lorsqu’elles ont voulu se rendre compte de leur foi. Rome a tremblé avec raison devant les Sociétés bibliques. Nos dissensions intestines l’ont peut-être seules sauvée d’une nouvelle Réforme.
Dans la question actuelle, ne l’oublions pas, il ne s’agit que des grandes doctrines, de ce qui concerne directement la voie du salut et le moyen de justification et de régénération, de ce qui intéresse essentiellement la foi, la conscience, la vie, de ce qui constitue le fond substantiel du Christianisme. Sur tout ce qui est secondaire, le Nouveau Testament prescrit le support par ses préceptes et ses exemples. Chercher la vérité et la pureté parfaites dans une communion extérieure, ce serait méconnaître la nature de l’homme ainsi que celle de l’Église visible. La perfection n’est ici-bas le partage d’aucun individu, ni, à plus forte raison, d’aucune société. Or, dans l’examen des grands principes, seuls en cause ici, il n’est besoin que de ce degré de lumière, de ce genre d’évidence qui est à la portée de tout le monde. C’est en ce sens que chacun est obligé, quant à lui, de juger d’après l’Ecriture l’enseignement, le culte, la tendance religieuse des églises, comme firent les juifs de Bérée pour la prédication de saint Paul (Actes 17.11) ; c’est en ce sens que nous pouvons accepter ce vers fameux :
Tout protestant est pape, une Bible à la main.