Notre épître est une de celles dont nous pouvons retrouver les traces jusque dans la plus haute antiquité. Il est impossible de méconnaître une allusion à 2 Thessaloniciens 2.3 dans cette parole de Justin Martyr vers l’an 150, Dial. ch. 110 : « Lorsque l’homme d’apostasie, qui prononce des choses orgueilleuses contre le Tout-Puissant, se sera enhardi à faire sur la terre contre nous, les chrétiens, des choses iniques… » Plus tôt encore, entre 110 et 120, elle est employée par Polycarpe (ch. II, 4). « Agissez avec modération, vous aussi, en ceci (l’exercice de la discipline) et ne traitez pas de tels hommes comme des ennemis, mais cherchez à les regagner comme des membres malades et égarés. » C’est là incontestablement une réminiscence de 2 Thessaloniciens 3.15. Il y en a plusieurs autres, non moins évidentes. Un peu plus tôt, dans l’épître dite de Barnabas (fin du premier siècle), nous lisons ce qui suit : « Lorsque son Fils à sa venue mettra fin au temps du méchant et jugera les impies. » Les termes ὁ ἄνομος, καταργήσει, κρινεῖ sont empruntés à 2 Thessaloniciens 2.8, 12. — A la fin de la Didaché des douze apôtres (dont nous ne nous permettons pas de fixer l’époque, mais qui est certainement l’un des produits les plus antiques de la littérature chrétienne) il est dit : « L’iniquité augmentant, ils se haïront et se livreront les uns les autres, et alors celui qui égare le monde paraîtra comme un fils de Dieu et fera des signes et des prodiges ; la terre sera livrée entre ses mains, et il fera des choses iniques, comme il ne s’en est pas fait depuis l’existence du monde. » Cette description reproduit exactement celle de l’homme de péché dans les Thessaloniciens.
Notre épître se trouvait dans le recueil de Marcion ; elle est mentionnée avec les douze autres dans le Fragment de Muratori ; elle avait sa place dans l’Itala et dans la Peschito ; elle est déclarée unanimement reçue par Origène et par Eusèbe.
Holtzmann accorde ces faits, mais selon lui ces citations, même les plus anciennes, celles des Pères apostoliques, ne prouvent rien. Car à supposer que cette lettre ait été composée vers l’an 70, quelques années après la mort de Paul, elle pouvait bien une trentaine d’années plus tard passer déjà pour être de lui. A un point de vue purement abstrait, cela serait possible en effet. Mais si nous nous mettons en face de la situation réelle, si nous tenons compte de la continuité de la tradition, et du fait que ceux qui désiraient obtenir la copie d’une lettre apostolique, s’adressaient naturellement à l’église qui devait l’avoir reçue, et si nous pesons bien la difficulté de persuader à celle-ci qu’une lettre à elle adressée, qui lui arrivait longtemps après la mort de Paul et dont elle n’avait point entendu parler jusqu’alors, fût réellement de lui, on ne trouvera pas la réussite de la fraude si facile que la représente Holtzmann.
Schmidt fut le premier qui en 1804 énonça des doutes, au point de vue interne, sur l’authenticité de cette lettre ; il les motivait par l’étrangeté de l’enseignement sur l’homme de péché, par certaines différences avec la 1re aux Thessaloniciens, par la singularité de la précaution 3.17, etc. De Wette, qui les avait accueillis d’abord, les écarta lui-même dans les éditions subséquentes, à la suite des observations de Guericke et de Reiche. Kern renouvela l’attaque avec de toutes nouvelles armes en 1839, dans la Tübinger Zeit-schrift. Baur, dans son Apostel Paulus (1845) et plus tard dans une dissertation spéciale, reprit et renforça les arguments de Kern. Dès lors le rejet est devenu général dans son école ; voir Hilgenfeld, Volkmar, Holsten, Lipsius, Hausrath, Pfleiderer, Bahnsen, Steck, Hollzmann, Weizsæcker, v. Soden. L’authenticité a été défendue par Reuss, Sabatier, Hofmann, Weiss et Renan. Ce dernier s’exprime ainsi (les Apôtres, p. XLI) : « Les raisons par lesquelles on a voulu attaquer les deux épîtres aux Thessaloniciens sont sans valeur. » Récemment Paul Schmidt a cherché une voie moyenne (dans la Protestanten-Bibel) ; il admet une courte épître de Paul qui aurait été postérieurement amplifiée.
Les objections les plus sérieuses contre l’authenticité sont les suivantes :
Notre seconde lettre, sauf sur un point (l’homme de péché), est calquée sur la première quant à la marche générale ; dans le détail elle ne fait que l’amplifier ; voir Weizsæcker.
Elle contredit la première et l’annule en quelque sorte ; car, tandis que dans celle-ci la Parousie est présentée comme devant être incessamment attendue, la seconde épître la présente comme un événement encore éloigné, qui doit être séparé du moment actuel par une crise extraordinaire ; voir Hilgenfeld.
L’auteur de cette épître se montre dépendant des idées apocalyptiques juives dans une mesure incompatible avec le spiritualisme de l’apôtre Paul. La 1re aux Corinthiens (ch. 15) nous fait connaître Paul sous un autre jour ; voir Baur.
La manière dont Paul parle du travail par lequel il a subvenu à son entretien diffère dans les deux lettres. Tandis que d’après la première il agit ainsi pour n’être pas à charge à l’Église, dans la seconde il énonce le motif presque trivial de donner un bon exemple aux fidèles ; voir Weizsæcker.
Le fait d’une lettre apocryphe, mentionné 2.2, est invraisemblable à une époque si reculée. Le faussaire, qui a composé la nôtre, se trahit lui-même par ce petit détail ; voir Baur et Hilgenfeld.
La forme tout exceptionnelle en laquelle est présentée la signature de Paul, 3.17, confirme le soupçon qu’a fait naître 2.2. Cette signature propria manu, au lieu d’être présentée comme une marque d’affection, ainsi qu’elle l’était dans les vraies lettres de Paul, prend l’apparence d’une mesure de précaution, et trahit ainsi elle-même le faussaire. Elle supposerait d’ailleurs qu’en écrivant la première de ses lettres (Baur place 2 Thessaloniciens avant 1 Thessaloniciens) l’apôtre savait déjà qu’il en écrirait beaucoup d’autres. Celui qui a écrit ainsi ne peut être qu’un faussaire qui avait devant lui une série de lettres de l’apôtre. Enfin cette précaution ne pouvait servir à rien, puisque chacun pouvait imiter l’écriture de l’apôtre ; voir Baur.
La raison la plus grave est celle que Kern et Baur ont tirée du tableau de l’homme de péché. La clef de cette prophétie se trouve, selon eux, dans l’Apocalypse de Jean, écrite vers 68. Cette dépendance nous force à placer la composition de notre épître vers l’an 70 au plus tôt, plusieurs années après la mort de Paul. En effet l’homme de péché décrit dans la 2e aux Thessaloniciens ne peut être que le personnage désigné dans l’Apocalypse sous le nom de la Bête (l’Antichrist) ; et ce personnage ne peut être que Néron, dont on attendait la réapparition après sa mort réelle ou prétendue et qui, après que Vespasien et Titus seraient tombés, devait remonter sur le trône, et jouer le rôle de persécuteur de l’Église. C’est là l’attente que l’auteur a voulu faire pénétrer dans l’Église, en se servant pour cela du nom de Paul.
Nous croyons pouvoir laisser de côté les objections qui ont trait aux différences du style, à sa prolixité, à l’emploi prétendu du mot Κύριος pour désigner Dieu, et à d’autres particularités, dont l’appréciation dépend des impressions personnelles du critique (voir surtout Paul Schmidt), et nous nous bornons à examiner les objections que nous venons d’exposer. Et d’abord une remarque générale. Lorsque la critique trouve une certaine analogie entre deux écrits de Paul, elle s’en prévaut pour ne voir dans l’un qu’une imitation de l’autre par un faussaire, et dès qu’elle rencontre une différence, elle y voit une contradiction ; d’où il suivrait qu’en définitive le vrai Paul n’aurait pu écrire qu’une seule épître, puisque, s’il en avait écrit une seconde, elle ne pourrait ou que répéter la première ou qu’en différer ; ce qui, dans les deux cas, la rendrait suspecte. Quant aux épîtres aux Thessaloniciens, le fait est qu’il y a une certaine analogie entre la marche de nos deux lettres. Mais comment cette ressemblance rendrait-elle douteuse l’authenticité de la seconde, puisqu’elles ont été écrites à si peu de distance l’une de l’autre et dans des circonstances à peu près semblables ? Et d’autre part, la différence entre elles est si bien marquée qu’on signale même une contradiction entre l’une et l’autre et que l’on va jusqu’à prétendre que la seconde a été écrite pour remédier à l’effet fâcheux produit par la première (Hilgenfeld). En réalité, elles ne se contredisent pas, mais elles se complètent. Dans la première Paul n’avait point dit que la Parousie fût imminente, mais seulement qu’elle arriverait à l’improviste pour le monde plongé dans la sécurité, tandis que les chrétiens y sont constamment préparés par la vie dans la lumière qui a commencé pour eux. Dans la seconde, Paul, voyant l’attente du jour du Seigneur s’exalter dans l’église jusqu’à apporter une perturbation dans le genre de vie d’une partie de ses membres, donne un signe propre à calmer cette impatience malsaine. Si les fidèles ne doivent pas cesser de veiller par la raison que l’on ignore le moment, d’autre part il ne faut pas fixer ce moment de manière à cesser d’agir. Quelle contradiction y a-t-il là ? Le même prédicateur ne pourrait-il pas traiter sans inconséquence deux dimanches de suite ces deux sujets ?
Les idées eschatologiques exposées par Paul se retrouvent (en partie) dans le livre de Daniel, et surtout dans les discours de Jésus Matthieu ch. 24 ; Luc ch. 17 et 21 ; Marc ch. 13. Et il est impossible de voir en quoi elles seraient contraires au spiritualisme de Paul. Son spiritualisme n’a jamais dégénéré en vague idéalisme ; 1 Corinthiens ch. 15 et Romains ch. 11 prouvent au contraire qu’il comportait une attente très concrète du terme auquel marche l’économie actuelle.
L’apôtre n’a-t-il pas pu présenter le travail manuel auquel il se livrait, sous deux aspects un peu différents, correspondant à deux buts qu’il se proposait simultanément, d’un côté celui d’éviter d’être à charge à ceux auxquels il prêchait l’Évangile, et de l’autre, celui de leur donner l’exemple d’une conduite réglée, laborieuse, pleine de dignité, capable de contribuer à l’honneur de l’Évangile aux yeux des païens qui les entouraient ? Nous ne voyons pas ce qu’il peut y avoir de trivial dans ce dernier but. Paul l’exprime d’une manière pleine de noblesse et toute semblable dans son allocution d’adieu aux presbytres d’Éphèse (Actes 20.34-35) : « Vous savez vous-mêmes que ces mains (y aurait-il rien de trivial dans le geste qui accompagna ce mot ?) ont fourni aux besoins et de moi et de ceux qui travaillent avec moi ; je vous ai montré que c’est ainsi qu’en travaillant, nous devons subvenir aux faibles et nous souvenir de la parole du Seigneur Jésus qu’il est plus doux de donner que de recevoir. » Si l’on y regarde bien, Paul combine également dans ce passage les deux buts indiqués dans les Thessaloniciens. Dans le passage 1 Corinthiens 9.15-18, Paul présente cette même manière d’agir sous un jour encore un peu différent. Et cependant Weizsæcker ne combat ni l’authenticité de 1 Thessaloniciens, ni celle de 1 Corinthiens.
Il n’y aurait rien d’impossible à ce qu’à cette époque déjà quelque fanatique, croyant se souvenir de certaines déclarations de l’apôtre, les eût mises par écrit et fait circuler dans un billet qui était donné comme venant de lui. Mais les termes de Paul, 2.2, n’impliquent pas même nécessairement cette supposition ; l’expression : « une lettre comme venant de nous, » peut désigner une lettre due à quelque chrétien exalté et que l’on avait attribuée par erreur à Paul lui-même. C’est en tout cas par une imposture ou une erreur de ce genre qu’il faut expliquer la manière toute particulière en laquelle Paul annonce le fait de sa signature à la fin de la lettre. Il veut certainement donner au lecteur un signe qui prévienne à l’avenir tout accident semblable. Il pouvait avoir écrit déjà un certain nombre de lettres, aujourd’hui perdues, dans lesquelles il n’avait pris aucune précaution pareille. Mais l’expérience venait de lui apprendre qu’il devait en user autrement à l’avenir dans sa correspondance avec les églises. Qu’y a-t-il là d’invraisemblable ? Il pouvait dès ce moment donner à ce signe naturel d’affection une signification nouvelle (voir Mangold dans l’introduction de Bleek, § 14, note). Le fait que l’instant où Paul prend la plume, indiqué dans 1 Corinthiens et Colossiens, ne l’est pas dans les autres épîtres, ne prouve absolument rien. Il peut avoir ajouté sa salutation et sa signature, sans l’indiquer expressément, soit lorsqu’il écrivait à des églises qui connaissaient son écriture, soit quand aucun soupçon de fraude n’était possible, parce que l’envoyé qui portait la lettre, en garantissait l’origine. L’objection tirée de la possibilité d’imiter cette signature prouve trop ; car elle se heurte à un usage universel.
Ce qu’on a avancé de plus spécieux, c’est la relation de dépendance qui existerait entre notre lettre et l’Apocalypse. Mais cette objection méconnaît le fait possible que nos deux écrits aient puisé à une source commune. L’idée d’un Anti-Messie, en qui se concentrera l’impiété et la perversité humaine comme en son dernier mot, se trouve nettement exprimée dans la prophétie de Daniel que Paul pouvait lire aussi bien que l’auteur de l’Apocalypse, et dont il a pu par conséquent reproduire le contenu avant ce dernier. L’un des traits les plus saillants du tableau de Paul, celui du κατέχων, le retenant, qui manque dans Daniel, manque aussi dans l’Apocalypse. Il révèle une autre source, qui ne peut être qu’une révélation spéciale ; car il ne se trouve pas non plus dans l’enseignement eschatologique de Jésus. Il en est de même de cette déclaration : « Le mystère travaille déjà, » qui indique une vue très arrêtée et propre à Paul. Remarquons aussi que dans l’Apocalypse, c’est l’Antichrist qui provoque et dirige l’œuvre diabolique, tandis que chez Paul l’apostasie précède l’apparition de l’homme de péché qui en est le point culminant. Enfin du fait que le personnage du faux prophète est ajouté à celui de la Bête, dans l’Apocalypse, il résulte que le second a un caractère tout différent de celui de l’homme de péché chez Paul. Nous traiterons plus loin la question de l’homme de péché. Pour le moment nous nous contentons d’avoir constaté l’originalité et l’indépendance de notre lettre par rapport à l’Apocalypse.
Une fraude doit avoir un but. On se demande quel serait dans cette circonstance celui du faussaire. Holtzmann répond : « Il a voulu faire pénétrer l’eschatologie apocalyptique dans l’intuition des églises pauliniennes et réprimer certains effets de la préoccupation apocalyptique, qui devenaient déplaisants dans la pratique. » Mais ces deux buts n’ont rien qui caractérise une époque postérieure au temps de Paul. Bien au contraire, c’est au moment de la fondation de l’Église qu’ils conviennent le mieux, à ce temps où la pensée du retour de Christ se présentait dans toute sa nouveauté à l’esprit des païens convertis et où ils s’y livraient avec tout l’empressement d’une première ferveur. C’est dans ces circonstances que cette surexcitation s’explique le plus naturellement ainsi que l’enseignement destiné à la calmer. Au commencement du second siècle, il fallait expliquer pourquoi le Christ ne revenait pas, bien plutôt que réprimer l’attente trop vive de sa venue ; voir le troisième chapitre de la 2e de Pierre. Cette situation parfaitement naturelle des deux épîtres aux Thessaloniciens est la meilleure preuve de leur authenticité.
Ajoutons enfin que le procédé qu’il faudrait attribuer au faussaire qui aurait eu le courage d’écrire 3.17, dépasse les bornes de ce qui est moralement possible. Quoi ! L’auteur de cette apostille aurait raisonné ainsi : « Pour mieux réussir à déguiser ma fraude, je vais prêter à l’apôtre l’emploi d’une précaution destinée à écarter le danger d’une fraude. » Ceci est tout autre chose que la fraude pieuse, par laquelle on excuse le procédé des faussaires de cette époque ; ce serait, de la rouerie ; et l’esprit de toute la lettre ne permet pas cette supposition.
Néanmoins la question de l’authenticité ne pourra être envisagée comme complètement résolue qu’après que nous aurons étudié le problème soulevé par le tableau de l’homme de péché, au ch. 2.