Car elle renie Dieu, l’hérésie en délire, elle renie ce qui caractérise la foi véritable ! Elle se sert de ce qui est à la base de notre culte pour établir sa doctrine impie. L’exposé de cet enseignement infidèle, déjà cité dans les livres précédents, commence ainsi : « Nous confessons un seul Dieu, seul à ne pas avoir été fait, seul éternel, seul sans commencement, seul vrai, jouissant seul de l’immortalité, seul très bon, seul puissant[3] ». Ainsi elle s’approprie les premiers mots de notre propre confession qui se lit comme suit : « Un seul Dieu, seul à ne pas avoir été fait, seul sans commencement ». Ce début d’une juste profession de foi lui permet d’en introduire une autre qui n’a rien de juste ! Car après plusieurs phrases qui avancent au sujet du Fils, une déclaration encore acceptable, bien qu’il s’agisse d’une piété simulée, le texte ajoute : « Créature parfaite de Dieu, mais non pas au niveau d’une de ses créatures : c’est l’ouvrage de Dieu, mais il reste différent de toutes ses autres œuvres ».
[3] Lettre d’Arius à Alexandre, voir Trinit. IV, 12 ; VI, 5.
Suit alors un long passage où certaines formules exactes dissimulent le dessein de l’hérésie impie, qui est de prétendre, par la virtuosité de sa subtile exégèse, que le Fils est sorti du néant. Puis on lit : « Le Fils est créé et établi avant tous les siècles ; Il n’était pas avant de naître. » Et pour terminer, comme si maintenant, cet étalage d’arguments protégeait efficacement leur mauvaise foi de toute attaque, comme s’il était bien entendu qu’on ne doive plus regarder le Fils, ni comme Fils, ni comme Dieu, ils ajoutent : « Il est des phrases, par exemple : “de lui”, “de son sein”, “je suis sorti du Père et je suis venu”, qu’il ne faut pas entendre comme si le Père projetait une partie de sa substance unique, comme s’il la développait ; le Père serait alors une nature composée, divisible, muable, corporelle ; le Dieu incorporel serait alors soumis aux propriétés des corps[4] ». Et puisque nous en sommes venus à exposer intégralement l’enseignement de l’Evangile pour lutter contre cette doctrine impie, il nous a semblé bon d’insérer ici encore, dans ce sixième livre, tout ce document hérétique, bien que nous en ayons donné une copie dans notre premier livre[5]. De la sorte, une nouvelle lecture nous permettra de comparer point par point ce texte avec notre réponse ; celle-ci, appuyée sur les écrits des Evangélistes et des Apôtres, fera ressortir où se trouve la vérité, et nos adversaires se verront forcés de la reconnaître. Voici donc ce qu’ils affirment :
[4] Cf. chap. 5 et 6. Les « phrases » citées viennent respectivement de : Romains 11.36 ; Psaumes 109.3 ; Jean 16.28.
[5] Livre IV, 12 et 13.
[6] Ibid.
Tels sont leurs blasphèmes :
« Nous confessons un seul Dieu, seul à ne pas avoir été fait, seul éternel, seul sans commencement, seul vrai, jouissant seul de l’immortalité, seul très bon, seul puissant, créateur de tous les êtres, les ordonnant et les gouvernant, immuable, invariable, juste et bon, le Dieu de la Loi, des Prophètes et du Nouveau Testament.
Ce Dieu a engendré un Fils Unique avant tous les siècles, par lequel il a fait le temps et toutes choses. Il ne l’a pas seulement engendré en apparence mais en vérité ; Il l’a appelé à l’existence par sa propre volonté. Immuable et invariable, c’est une créature parfaite de Dieu, mais non pas au niveau d’une de ses créatures : c’est l’ouvrage de Dieu, mais il reste différent de toutes ses autres œuvres.
Le Fils n’est pas, comme le présente Valentin, une émanation du Père, ni, comme l’avancent les Manichéens, un Fils, partie de l’unique substance du Père. Il n’est pas, comme le veut Sabellius qui divise l’unité[7], la même personne que le Père, ni comme le prétend Hiéracas, lampe à huile à deux becs[8] ou lampadaire à deux branches. Il n’est pas non plus celui qui, existant d’abord, a été ensuite engendré ou supercréé comme Fils, enseignement que toi-même, Vénérable Père, tu as souvent combattu au milieu de l’Eglise, dans l’assemblée.
[7] « Qui divise l’unité. » Le contexte nous montre qu’il s’agit de l’unité de la personne du Christ. Sans cette précision, ces deux membres de phrases apparaîtraient contradictoires.
[8] « Lucerna de Iucema ». Lucema désigne aussi la lampe à huile. Le contexte permet de se rendre compte de ce que signifie cette « lampe à huile », lucema. Il s’agit d’une lampe à deux becs (Reviseur). Mgr Martin traduisait : « lumière de la lumière ».
Non, nous le déclarons créé par la volonté de Dieu, avant les temps et avant les siècles ; il reçoit du Père sa vie et son être, et celui-ci lui communique sa propre gloire. Car le Père, en lui donnant l’héritage de tout, ne se dépouille pas de biens qui n’auraient pas été faits par lui ; Il est la source de tous les êtres.
C’est pourquoi il y a trois hypostases : le Père, le Fils, l’Esprit-Saint. Dieu est cause de tout, Il est le seul à exister sans aucun commencement. Le Fils est engendré par le Père en dehors du temps, il est créé et établi avant tous les siècles ; Il n’était pas avant de naître. Mais, seul à être né en dehors du temps et avant toutes choses, il tient son existence du Père seul. Car il n’est pas éternel, ni coéternel, ni incréé comme le Père et avec lui ; Il n’a pas non plus la propriété d’être avec le Père, et comme lui, « tourné vers », selon l’expression de certains, qui introduisent ainsi deux principes inengendrés. Puisqu’il est l’unité et le principe de tout, Dieu est forcément avant toutes choses. Et par conséquent, Il est avant le Fils, comme nous l’avons entendu de ta propre bouche, lorsque tu prêchais au milieu de l’Eglise. En suite de quoi le Fils reçoit donc de Dieu d’exister et de le glorifier ; la vie et tous les biens lui sont remis, et par suite : Dieu est sa source. Dieu lui est supérieur, en tant que son Dieu, puisqu’il était avant lui. Il est des phrases, par exemple : a de lui », « de son sein », « Je suis sorti du Père et je suis venu », qu’il ne faut pas entendre comme si le Père projetait une partie de sa substance unique, comme s’il la développait ; le Père serait alors une nature composée, divisible, muable, corporelle ; le Dieu incorporel serait soumis aux propriétés des corps. »
Qui ne sent dans ces lignes le cheminement sinueux et glissant du serpent ? Qui ne perçoit les nœuds de vipère que forment ces spirales embrouillées ? Les replis du corps roulé en boule cachent la puissance maléfique de la gueule, l’arme principale chargée de venin ! Mais lorsque nous aurons déroulé les sinuosités du reptile, dénoué ses anneaux, tout le venin caché dans cette gueule apparaîtra au grand jour.
Nos beaux parleurs commencent en effet, par nous servir des formules orthodoxes pour nous inoculer ensuite le viras de l’erreur. Leur bouche abonde en bonnes paroles, pour semer ensuite en nous le mal dont leur cœur est rempli. Dans tous ces textes, je ne les entends jamais parler d’un Dieu, Fils de Dieu. Jamais je ne trouve le Fils présenté comme Fils. S’ils lui prodiguent le nom de Fils, c’est pour taire sa nature : lui ravir sa nature leur permet de montrer ensuite que le nom de Fils lui est étranger. Ils signalent à grand bruit les autres hérésies, pour masquer leur propre hérésie. On les entend répéter : Dieu est seul et unique, Il est seul vrai Dieu, pour ne pas laisser au Fils de Dieu ce qui lui appartient en toute vérité et en propre : être ce que Dieu est.
Les livres précédents se sont appuyés sur renseignement de la Loi et des prophètes, pour montrer l’existence d’un Dieu et d’un Dieu, d’un vrai Dieu et d’un vrai Dieu. Nous avons expliqué qu’il fallait comprendre dans le vrai Dieu Fils et le vrai Dieu Père, un seul vrai Dieu par unité de nature et non par union des personnes. Toutefois, peur justifier parfaitement notre foi, il nous faut apporter les témoignages des Evangiles et des Apôtres. Es nous permettront d’établir que le Fils de Dieu est vrai Dieu, qu’il ne possède pas une nature étrangère à celle du Père ni différente de celle-ci, mais qu’il partage la même nature divine, de par la vérité de sa naissance. Or je ne pense pas qu’il puisse exister un homme assez dénué d’esprit pour ne pas comprendre les déclarations que Dieu fait à son sujet, ou pour ne pas vouloir les approfondir lorsqu’il en a eu connaissance, ou encore pour s’imaginer que les vues d’une sagesse toute humaine puisse leur apporter quelque retouche !
Mais avant de commencer à présenter ces textes où se trouvent exposées ces vérités mystérieuses qui nous assurent le salut, et pour empêcher la déclaration hérétique de cacher son jeu en exibant les noms d’autres hérésies, il nous faut soulever le masque qui couvre cette subtile malice. Ainsi ce venin latent se verra mis à jour et dévoilé par cela même qui lui servait à se dissimuler, et tout le monde prendra conscience que cette doctrine est un appât empoisonné.
Les hérétiques veulent donc que le Fils de Dieu ne procède pas de Dieu, qu’il ne soit pas Dieu né de Dieu, de la nature et dans la nature de Dieu. A cette fin, étant donné qu’ils ont rappelé au début de leur déclaration qu’il y a : « un seul Dieu, seul vrai », et n’ont pas ajouté : « et Père », il leur faut nier que le Père et le Fils possèdent une seule vraie nature divine ; comme ils ont exclu la naissance du Fils, ils disent : « Le Fils n’est pas, comme le présente Valentin, une émanation du Père »[9]. Pour donner le change, ils avancent l’hérésie de Valentin, dénoncent le terme d’émanation et rejettent du même coup la naissance de Dieu à partir de Dieu.
[9] Et non génération.
Valentin, en effet, est l’auteur de spéculations ridicules et repoussantes. Outre le Dieu principe, il invente toute une famille de dieux et une foule de puissances éternelles[10]. Il enseigne aussi que notre Seigneur Jésus-Christ avait été « émis », par l’action mystérieuse d’une volonté secrète. Or la foi de l’Eglise, la foi de l’Evangile et des Apôtres, ne connaît rien de cette émanation imaginaire, fruit du délire d’un cerveau téméraire et sot. Elle ignore en effet, l’Abîme et le Silence de Valentin* et ses trois groupes de dix Eons[11]. Elle ne connaît qu’un seul Dieu, le Père « de qui tout vient », et un seul Seigneur, notre Christ Jésus, « par qui tout existe » (1 Corinthiens 8.6), né de Dieu comme Dieu. Et parce qu’il est Dieu né de Dieu, sa naissance n’enlève pas à Dieu d’être ce que Dieu est ; dans sa naissance, il est pleinement Dieu. Et parce qu’il est Dieu, il n’a pas commencé d’exister, mais il est né de Dieu. Or puisque, selon les vues de la nature humaine, le fait d’être né peut paraître une émanation, la naissance du Fils pourrait sembler être une émanation. C’est pourquoi, en avançant l’hérésie de Valentin, on a tenté de rejeter ce nom d’émanation pour détruire ensuite la foi en la véritable naissance du Fils. Car selon les vues de l’intelligence courante, le concept d’émanation n’est pas très différent de celui de naissance corporelle.
[10] Il s’agit de la cascade d’éons, que le gnosticisme place entre Dieu et la création.
[11] Irénée, Adversus haer. I, 1.
L’homme, de par sa nature, est lourd, il a du mal à comprendre les réalités divines. Il doit se rappeler constamment les principes déjà établis plus d’une fois[12] : les analogies tirées de la vie humaine ne sauraient exprimer parfaitement les mystères de la puissance divine ; mais si nous empruntons l’image de la génération terrestre, c’est seulement pour former notre esprit et lui faire comprendre d’une manière spirituelle les réalités célestes. Ainsi notre nature nous servira d’échelle pour nous élever à l’intelligence de la majesté divine.
[12] Voir Trinité, I, 19 ; IV, 2.
La naissance de Dieu ne doit donc pas être jugée à la mesure des émanations que sont les naissances humaines. Car une naissance terrestre nous permet de comprendre qu’un seul naisse d’un seul, et que Dieu est né de Dieu ; mais pour le reste, cette analogie de la naissance humaine reste insatisfaisante : elle suppose l’accouplement, la conception, le temps où le fœtus est porté, l’accouchement, alors que, si nous enseignons que Dieu est né de Dieu, nous devons comprendre que Dieu est né, et rien d’autre. D’ailleurs nous parlerons en son lieu[13] de la vraie naissance de Dieu, selon la foi enseignée par les Evangélistes et les Apôtres. Pour le moment, notre devoir était de montrer l’habileté du procédé de l’hérétique qui efface le mot « émanation » pour rejeter la vraie naissance.
[13] Cf. chap. 23, et Livre VII.
De fait, la suite du texte nous le montre fidèle à la même tactique, à sa fourberie calculée : on lit : « Le Fils n’est pas, comme l’avancent les Manichéens, une partie de la substance unique du Père. » L’émanation avait été rejetée pour nier la naissance ; maintenant on avance qu’il faut repousser aussi la partie de la substance unique comme doctrine manichéenne, pour nous empêcher de croire que Dieu procède de Dieu.
Car Mani, dont la rage hargneuse déclarait qu’il faut proscrire la Loi et les Prophètes, qui s’avouait champion déclaré du diable, adorateur ignare de son soleil, nous annonce que celui qui fut dans le sein de la Vierge, est partie de l’unique substance divine ; il veut nous laisser entendre que le Fils est cet être apparu dans la chair et provenant de quelque partie de la substance de Dieu. Pour nier la naissance du Fils Unique et le nom de « substance unique », on met en avant, à propos de la naissance du Fils, l’expression : « partie de la substance unique ». De la sorte, puisque c’est un blasphème inouï de parler d’une naissance, résultat de la division d’une substance unique, on rejette d’emblée cette naissance qui se trouve condamnée dans la proposition manichéenne qui mentionne la « partie ». Puis on supprime l’appellation : « substance unique » et la foi en cette substance unique, étant donné que chez les hérétiques, elle est associée à l’idée de « partie ». De ce fait, il n’y a pas de raison de parler d’un Dieu, né de Dieu, puisqu’il n’y aurait pas en lui cette qualité d’être de nature divine[14].
[14] La divinité est indivise, selon les hérétiques comme selon les catholiques.
Pourquoi donc, sous un faux-semblant de dévotion, leur rage impie simule-t-elle une préoccupation farouche d’orthodoxie ? Certes la foi sainte condamne le manichéisme, tout comme ceux qui se font les champions insensés de l’hérésie. Car elle ne reconnaît pas dans le Fils une « partie de la substance divine ». Elle le regarde comme Dieu entier, procédant du Dieu entier. Elle le considère comme l’Unique de l’Unique, non pas séparé de lui, mais né de lui. Elle en est sûre : la naissance de Dieu n’implique ni diminution chez celui qui l’engendre, ni infériorité chez celui qui naît.
Si l’Eglise invente cette doctrine, tu es en droit de lui reprocher d’étaler à tort et à travers une science qu’elle n’a pas ; mais si elle l’a apprise de son Seigneur, permets au Fils de savoir le mode de sa naissance. Car l’Eglise a reçu de Dieu, le Fils Unique, cette révélation que le Père et le Fils sont un[15], et que la plénitude de la divinité est dans le Fils[16]. C’est pourquoi elle n’accepte pas que l’on attribue au Fils une « partie de la substance unique », mais elle vénère dans le Fils la vraie nature divine, par suite de sa vraie naissance. Mais remettons à plus tard de traiter plus à fond chacun de ces points ; parcourons ce qui suit.
[15] Cf. Jean 10.30 et 14.10.
[16] Cf. Colossiens 2.9.
Nous lisons ensuite : « Le Fils n’est pas, comme le veut Sabellius qui divise l’unité, la même personne que le Père. » Sabellius soutient cette opinion dans l’ignorance complète des mystères révélés par les Evangélistes et les Apôtres. Mais ne nous y trompons pas : il ne s’agit pas simplement ici d’un hérétique qui dénonce un autre hérétique. Leur désir qu’il n’y ait rien d’identique entre le Père et le Fils, pousse nos adversaires à reprocher à Sabellius de diviser l’unité[17] ; or cette division de l’unité n’implique pas la naissance (éternelle du Fils), mais c’est le Père lui-même que Sabellius divise en le faisant Fils dans le sein de la Vierge.
[17] Pour Sabellius, Père et Fils ne sont que des manières de parler de la même réalité.
Mais pour nous, la naissance (éternelle du Fils) fait partie intégrante de notre foi. Nous repoussons l’unicité de personne, mais maintenons l’unité de la nature divine, à savoir que le Dieu né de Dieu, est un avec son Père, sur le plan de la nature, puisqu’il existe comme Dieu procédant de Dieu par une vraie naissance, étant donné qu’il ne reçoit l’être d’aucun autre que de Dieu. Or, tant que demeure le fait de ne recevoir l’être que de Dieu, demeure nécessairement dans le Fils, la vraie nature par laquelle il est Dieu. Dès lors, les deux sont un, puisque le Dieu qui procède de Dieu est Dieu et n’a pas d’autre origine qu’une origine divine. C’est pourquoi, si l’on relève chez Sabellius l’impiété qu’est la confusion des personnes, c’est pour arracher du cœur de l’Eglise sa foi en une seule nature divine.
Continuons maintenant à inventorier les autres rases qui caractérisent l’hérésie. Ainsi on ne pourra m’accuser d’interpréter avec malveillance une doctrine innocente qui me serait étrangère, poussé par des sentiments de défiance plutôt que par le souci de la vérité. Je montrerai, par la conclusion de toute cette profession de foi, jusqu’où peut aller la présentation de telles supercheries !
[18] Sabellius introduit une division dans l’unique et indivisible personne du Père et il affirme l’existence de deux personnes dans le Christ : Dieu et l’homme.
La lettre continue : « Le Fils n’est pas, comme le prétend Hiéracas, lampe à huile à deux becs ou lampadaire à deux branches. Il n’est pas non plus celui qui, existant d’abord, a été ensuite engendré, ou supercréé, comme Fils. »
Hiéracas qui ignore la naissance du Fils Unique, n’a pas pénétré la sublimité de la doctrine cachée dans l’Evangile. Il nous parle de deux flammes jaillies d’une seule lampe ; de la sorte, il assimile la substance du Père et du Fils aux deux becs d’une lampe d’où naît la lumière à partir de l’huile d’un unique vase ; comme si la substance divine était extérieure à ces deux personnes comme l’est celle de l’huile dans la lampe, cette huile qui contient en elle le principe de la lumière qui jaillit des deux becs. Il présente encore la même idée d’une façon plus précise en parlant de lampadaire dont l’éclat viendrait d’une même mèche insérée de part et d’autre de sa partie supérieure ; cette mèche serait la matière d’où naîtrait la lumière, à droite comme à gauche.
L’erreur qui est le lot de la sottise humaine, a donné le jour à toutes ces rêveries : on préfère son savoir au savoir qui vient de Dieu ! Mais une foi véritable l’atteste : Dieu vient de Dieu comme la lumière vient de la lumière, parce que Dieu communique de lui-même sa nature sans en souffrir aucun dommage : Il donne ce qu’il a et possède ce qu’il donne ; il naît ce qu’il est, puisqu’il ne naît pas autrement que ce qu’il est. Le Fils, en naissant, reçoit ce qu’il est et ne prive pas le Père de ce qu’il reçoit. Les deux sont donc un, puisque le Fils naît de celui dont il possède la nature, et puisque celui qui naît ne vient pas d’un autre, ni d’une autre nature. Car il est Lumière de Lumière.
C’est donc pour détourner la foi de son vrai sens que l’hérésie met en avant le lampadaire et la lampe à huile d’Hiéracas ; elle en fait grief à ceux qui proclament que le Fils est Lumière de Lumière. Elle craint qu’on emploie dans un sens légitime ce qui, maintenant comme dans les temps passés, a été reconnu hétérodoxe et condamné.
Laisse de côté cette crainte, laisse-la de côté, toi, le plus chimérique des hérétiques ! Beau défenseur de la foi de l’Eglise, ne mens pas sous le faux-semblant d’une sollicitude inquiète ! Pour nous, il n’y a rien de corporel en Dieu, rien d’inanimé ; Dieu est tout entier ce qu’est Dieu. Il n’y a en lui que puissance, vie, lumière, béatitude, esprit. La nature divine ne contient aucune pesante matière, elle ne se compose pas de plusieurs éléments qui lui permettraient de subsister. Dieu, parce qu’jî est Dieu, demeure ce qu’il est, et ce Dieu qui demeure ce qu’il est, engendre Dieu. Nous n’avons pas affaire ici à une nature extérieure qui contiendrait les personnes divines comme le seraient un lampadaire et un lampadaire, une lampe et une lampe. La naissance du Fils Unique, né de Dieu, n’est pas un prolongement de Dieu, mais une génération. Le Fils n’est pas une extension de la nature divine, mais il est Lumière, né de la Lumière. Il y a unité de nature entre la lumière et la lumière, et non prolongement qui serait la conséquence d’une union.
Voyons maintenant la suite de leur déclaration, quelle astuce et quelle fourberie déploie l’hérétique dans ce texte : « Il n’est pas non plus celui qui, existant d’abord, a été ensuite engendré, ou supercréé Fils de Dieu. » C’est évident ! Le Dieu qui est né de Dieu, n’est pas né de rien ni tiré du néant, mais il possède une nature vivante, due à sa naissance. Il n’est pas le même que le Dieu qui était, mais il est Dieu, né de celui qui était, et le Fils de Dieu reçoit dans sa naissance, la même nature que celui qui l’engendre. Si nous parlons ici de notre propre fonds, nous témoignons d’une certaine impudence ; mais si Dieu lui-même nous a enseigné le langage à tenir, nous n’avons plus qu’à proclamer la naissance de Dieu, puisque c’est la doctrine révélée par Dieu.
Or la furie de l’hérétique tente de briser cette unité de nature entre le Père et le Fils, elle s’efforce de repousser ce mystère inénarrable de la naissance du Vivant. Elle prétend : « Il n’est pas non plus celui qui, existant d’abord, a été ensuite engendré ou supercréé comme Fils. »
Mais qui donc serait assez insensé pour supposer que le Père se soit renié lui-même au point que celui qui était naisse ensuite ou soit supercréé comme Fils ? Ce serait supprimer Dieu, pour qu’après cette suppression advienne une naissance, alors que cette naissance prouve la permanence de celui qui en est l’auteur. Ou encore, qui serait assez stupide pour soutenir qu’un fils puisse recevoir l’existence autrement que par une naissance ? Qui serait assez fou pour aller proclamer que, puisque Dieu est né, Dieu n’existe pas ? Car le Dieu qui est né, n’est pas le Dieu qui subsistait comme Dieu, mais le Dieu qui vient de ce Dieu, et il possède la nature de celui qui l’engendre, en naissant dans cette nature. Or la naissance de Dieu, cette naissance où, en Dieu, Dieu vient de Dieu, ne donne pas au Fils d’obtenir des biens qui n’étaient pas, mais, du fait qu’il naît vraiment, elle lui permet de posséder les biens de Dieu, ces biens qui demeuraient et demeurent en Dieu. Celui qui est né n’est donc pas celui qui était, mais le Dieu né existe, à partir des biens qui existaient en Dieu, et en eux.
Tout ce long prélude de l’hérésie perfide prépare les voies à la doctrine d’une incomparable impiété qui est la leur : elle se propose de rejeter Dieu, le Fils Unique ; aussi commence-t-elle par mettre en avant une sorte d’énoncé de la vérité, puis elle nous annonce que le Fils est né du néant, plutôt que de Dieu, rapportant sa naissance à une volonté de création à partir du néant.
Enfin, après avoir si bien préparé son approche, l’hérésie se déchaîne : « Le Fils, dit-elle, est engendré en dehors du temps, il est créé et établi avant tous les siècles, il n’était pas avant de naître. »
L’hérétique a modéré son langage, ou du moins, il le croit : pour confirmer son impiété et pour excuser son blasphème, au cas où on lui poserait quelque question, il précise : « Il n’était pas avant de naître. » Ainsi, puisque le Fils n’existait pas avant de naître, on peut assurer qu’il ne possède pas la nature du Dieu subsistant qui lui donne son éternelle origine ; il aurait donc commencé d’être à partir du néant, lui à qui on ne donne pas un « auteur » existant avant sa naissance. Au moins, si ce langage semble impie, la réponse est toute prête : celui qui était n’a pas pu naître, il ne saurait avoir une cause qui le fit être, puisqu’une naissance, c’est par définition, l’entrée dans l’être de celui qui naît.
Oh sot et impie ! Qui attendrait une naissance en celui qui subsiste sans naissance ? Ou comment penser que celui qui est doive naître, puisqu’une naissance, de par sa nature, consiste à naître ? Mais tu ruses et tu t’efforces de nier la naissance du Fils Unique de Dieu en portant ton argumentation sur Dieu, le Père. En disant : « Il n’existait pas avant de naître », tu cherches une porte de sortie, mais tu n’y arrives pas, puisque Dieu, de qui est né le Fils de Dieu, était et demeurait dans la nature de Dieu, en cette nature même par laquelle le Fils de Dieu existe, de par sa naissance. Si donc le Fils est né de Dieu, il faut reconnaître la naissance de cette nature immuable, non pas la naissance du Dieu qui était, mais la naissance du Dieu procédant du Dieu qui était[19].
[19] Distinction qui renverse le système de Sabellius.
Or la fièvre de l’hérétique est incapable de modérer ses ardeurs impies, et par cette phrase : « Il n’existait pas avant de naître », elle s’échauffe et cherche à prouver que le Fils est né du néant, c’est-à-dire qu’il ne vient pas de Dieu le Père, en tant que Dieu le Fils, par une naissance véritable et parfaite. Pour aller jusqu’au bout du blasphème, dans la conclusion de tout cet exposé, on voit encore le feu de sa hargne se déchaîner par ces mots : « Il est des phrases, par exemple : de lui, de son sein”, “je suis sorti du Père et je suis venu”, qu’il ne faut pas entendre comme si le Père projetait une partie de sa substance unique, comme s’il la développait ; le Père serait alors une nature composée, divisible, muable, corporelle ; et le Dieu incorporel serait soumis aux propriétés des corps ».
Défendre la vraie foi contre la fausse doctrine que répand l’impiété, serait une tâche lourde et hérissée de difficultés, si la prudence nous dictait autant de précautions que l’impiété montre d’audace ! Heureusement pour nous, leur volonté d’hétérodoxie vient d’un manque de savoir. Et dès lors, il est facile de répondre à leur folie, bien qu’il soit difficile d’amender ces insensés, d’abord parce qu’ils ne cherchent pas à comprendre, et ensuite parce qu’ils ne reçoivent pas ce qu’on leur enseigne.
Mais si quelques-uns sont agis par la crainte de Dieu, et s’ils se trouvent dans l’erreur par suite de l’ignorance d’une bonne interprétation des textes, et non par l’entêtement à contrer la foi en donnant à ces textes un sens absurde, ceux-là, je l’espère, seront enclins à rectifier leur position lorsque la mise au jour de la vérité totale leur fera ressortir la stupidité de la doctrine impie.
Vous disiez donc, insensés, et vous le répétez encore aujourd’hui, vous qui ne savez pas vous ranger aux vues de Dieu : « Il est des phrases, par exemple : “de lui”, “de son sein”, “je suis sorti de Dieu et je suis venu” ». Je te le demande : ces phrases ont-elles été, oui ou non, prononcées par Dieu ? Certainement, elles l’ont été. Alors, si Dieu les a dites, entendons-les comme il les a dites ! Nous parlerons en temps opportun de ces textes, et nous démontrerons la force de chacun. Pour le moment, je m’en rapporte à l’intelligence de mon lecteur : lorsqu’on dit : « de lui » (Rm 11,36), doit-on interpréter ce mot comme l’équivalent de cette formule : « d’un autre » ou « du néant » ou doit-on croire qu’il s’agit de celui-là même[20] ? Le Fils n’est pas « d’un autre », parce qu’il est « de lui », c’est-à-dire que Dieu ne vient pas d’ailleurs que de Dieu, car on nous montre ici la nature d’où il naît. Il n’est pas lui-même son principe, mais il est « du Père », la naissance du Fils se rapporte au Père.
[20] C’est-à-dire du Père.
Considérons maintenant l’autre formule : « de son sein » (Psaumes 111.3). Allons-nous croire que le Fils est né du néant, lorsque la vérité de sa naissance nous est révélée clairement par un mot emprunté aux réalités accomplies par les corps. Car, bien que Dieu n’ait pas un corps doté d’organes corporels, l’Ecriture nous parle de la génération du Fils en ces termes : « Je t’ai engendré de mon sein avant l’aurore » (Psaumes 111.3). Si elle emploie ce langage, c’est pour aider notre foi à comprendre cette naissance ineffable du Fils Unique, à partir du Père, et l’assurer de la vérité de sa divinité. Son dessein est d’élever l’intelligence de l’homme à la connaissance de foi, en révélant les réalités divines à l’aide de vocables empruntés à l’humaine nature. Ainsi, par cette expression : « de son sein », Dieu nous enseigne que son Fils n’est pas une créature tirée du néant, il nous fait part de la naissance naturelle de son Fils Unique, engendré à partir de lui-même.
Le dernier texte : « Je suis sorti du Père et je suis venu » (Jn 16,28), laisserait-il encore quelque doute en notre esprit ? Allons-nous comprendre que le Fils tire sa nature divine d’ailleurs que du Père ? Car, sortant du Père, il ne reçoit pas une autre nature que celle qu’il a par sa naissance. Au reste, nous le voyons se rendre à lui-même le témoignage que le Père est son auteur, puisqu’il reconnaît être sorti de lui.
Mais je préciserai plus tard le sens et la portée de ces paroles.
En attendant, voyons du moins quelle autorité humaine les empêche d’accepter comme venant de Dieu ce que Dieu dit à son sujet, ce témoignage dont ils ne nient pourtant pas l’authenticité.
A quelle énormité peut aboutir la sottise et la suffisance humaine ! Non seulement on réfute, sans y croire, ce que Dieu affirme de lui-même, mais on le condamne en le corrigeant ! Et l’on altère, et l’on combat au nom de considérations humaines, le mystère ineffable qui concerne la nature et la puissance de Dieu ! Et l’on va jusqu’à dire : « Si le Fils procède de Dieu, Dieu est corporel et sujet au changement, puisqu’il s’est étendu et développé pour devenir lui-même Fils. » Pourquoi crains-tu tellement que Dieu soit sujet au changement ? Nous, nous reconnaissons la naissance du Fils, nous le proclamons Fils Unique de Dieu, car Dieu nous a enseigné qu’il en était bien ainsi. Toi, pour qu’il n’y ait pas naissance, pour que l’Eglise ne croie pas au Fils Unique, tu nous objectes la nature du Dieu immuable qui ne peut s’étendre ni se développer !
Misérable erreur ! Même parmi les choses de ce monde, je pourrais prendre bien des exemples de créatures qui sont engendrées, et les choisir de manière que tu puisses conclure qu’une naissance n’est pas une extension, ou qu’un être peut venir à l’existence sans dommage pour celui qui l’engendre ; ne serait-ce que toutes ces âmes qui, en dehors de toute union charnelle, sont engendrées dans les vivants par les vivants. Oui, je t’apporterais tous ces exemples, si ce n’était pas un crime de ne pas ajouter foi à la parole divine, et si cela ne passait pas pour l’ultime délire de la folie d’enlever sa garantie à une foi qui, en échange de ton adhésion, te promet de te donner la vie. Car si nous ne possédons la vie que par Dieu, comment n’aurions-nous pas en lui la foi qui nous assure la vie ? Or comment cette foi, condition de la vie, serait-elle en celui qui témoigne lui-même qu’il n’a pas la foi ?
En effet, toi le plus impie des hérétiques, tu attribues la naissance du Fils à un acte de la volonté créatrice : il n’est pas né de Dieu, mais il vient à l’existence par création, selon la volonté de celui qui l’a créé. Et pour toi, le Fils n’est donc pas Dieu, puisque, Dieu demeurant Un, son Fils ne reçoit pas dans sa naissance la nature qui est celle de son Principe ; créature dotée d’une autre substance, il l’emporte comme Fils Unique sur toutes les autres créatures et œuvres de Dieu. Toutefois, puisqu’il possède l’adoption, faveur qui lui a été accordée à sa création, sa génération ne lui confère pas la nature divine. Il est donc né, dis-tu, en ce sens qu’il est tiré du néant. Par ailleurs, tu l’appelles Fils, non parce qu’il est né de Dieu, mais parce que Dieu l’a créé. Car tu te rappelles que Dieu qualifie de ce nom les hommes saints, dignes d’être habités par lui ; alors, tu lui concèdes le nom de Dieu, exactement dans le même sens que revêt cette appellation dans ce texte : « Je l’ai dit, vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut » (Psaumes 82.6). On en use ainsi par convenance, en se servant d’un terme particulier pour le désigner, et non par souci de la vérité, en utilisant un nom qui caractérise sa nature. A tes yeux, il serait fils par adoption, dieu par appellation, fils unique par privilège, premier-né par son rang, créature en totalité et Dieu en aucun sens. Sa génération ne serait pas une naissance de Dieu selon la nature, mais la production d’une substance créée.
Dieu Tout-Puissant, je t’en prie, pardonne ma douleur ; je n’arrive pas à la maîtriser. Souffre que je te parle : bien que terre et cendre, je suis pourtant enchaîné par le lien de ton amour, aussi permets-moi de m’épancher en toute liberté devant toi.
Il fut un temps où le pauvre homme que je suis, n’était rien : privé du sentiment de la vie, je ne me connaissais pas moi-même, je ne possédais pas ce qui fait que je suis. Mais ta miséricorde m’a donné la vie, et je ne doute pas que toi qui es bon, tu aies jugé qu’il était bon peur moi d’être né. Car toi qui n’avais pas besoin de moi, tu ne m’aurais pas donné un commencement d’existence qui aboutirait à mon malheur. Après m’avoir accordé la vie des sens, tu m’as gratifié aussi de l’intelligence et de la raison ; grâce aux livres saints, par tes serviteurs Moïse et les Prophètes, tu m’as formé à la connaissance de toi, j’en suis certain ; dans leurs écrits, tu t’es révélé adorable, mais non pas sous l’aspect d’un Dieu solitaire. Là, j’ai appris qu’il y avait avec toi un Dieu qui n’est pas d’une nature autre que la tienne, mais qui t’est uni dans le mystère de ton unique substance. Je t’ai connu Dieu en Dieu, non par confusion ou mélange, mais par la puissance de ta nature, puisque tu es Dieu présent en celui qui procède de toi. Non pas qu’une même personne, à la fois habite et se voie habitée, mais la vérité d’une naissance parfaite m’enseignait que tu habitais en celui qui procède de toi.
J’entendais aussi la voix des Evangélistes et des Apôtres me donner le même enseignement, et les paroles sorties de la bouche de ton Fils Unique et consignées dans leurs livres, m’en donnaient l’assurance : ton Fils, le Dieu Unique-Engendré, sorti de toi, le Dieu Inengendré, naquit homme de la Vierge, pour accomplir le mystère de notre salut ; vraiment engendré par toi, il te contient en lui et tu le retiens demeurant en toi, par la nature que tu lui donnes en cette naissance.
Dis-moi, je t’en supplie, quel est donc cet abîme d’erreur dans lequel tu m’as plongé sans espoir de retour ? Car voilà bien l’enseignement que j’ai reçu, voilà ce que j’ai cru, telle est la foi que je tiens si ferme en mon cœur que je ne pourrais ni ne voudrais croire autre chose ! Pourquoi donc as-tu trompé à ton sujet, le pauvre misérable que je suis ? Pourquoi as-tu perdu corps et âme ce malheureux par une doctrine qui te présente sous un angle qui n’est pas le bon ?
La gloire dont rayonne Moïse, lorsqu’il descend de la montagne après avoir séparé les eaux de la Mer Rouge, était donc un faux-semblant ! Il voyait en toi tous les secrets des mystères célestes, et je l’ai cru lorsqu’il me rapportait tes propres paroles ! David, l’homme trouvé selon ton cœur, m’a donc perdu ! Et Salomon, jugé digne du cadeau de la Sagesse divine ! Et Isaïe qui proclamait avoir vu le Seigneur des Armées ! Et Jérémie, ce prophète sanctifié dès le sein de sa mère, avant sa naissance, pour déraciner et planter les nations ! Et Ezéchiel, le témoin du mystère de la résurrection ! Et Daniel, « l’homme de désirs » (Daniel 9.23), qui avait reçu la connaissance des temps à venir ! Et le chœur consacré des prophètes !
Et si je me tourne vers le saint enseignement qui nous fut donné lors de la prédication évangélique, voici Matthieu, le publicain choisi pour devenir apôtre, voici Jean que son intimité avec le Seigneur a rendu digne de se voir révéler les mystères célestes, voilà Simon, proclamé bienheureux après sa confession de foi : il devient alors la pierre d’assise sur laquelle l’Eglise est bâtie, et reçoit les clés du royaume des deux. Et ce sont encore tous les autres Apôtres qui s’en vont prêchant sous l’action du Saint-Esprit. C’est enfin Paul, ce persécuteur que tu as transformé en Apôtre, ton « instrument de choix » (Actes 9.15) ; au plus profond de la mer il reste en vie ; tout homme qu’il était, le voilà ravi au troisième ciel ; il entre au paradis avant son martyre, et dans son martyre, le voilà « répandu en libation » (2 Timothée 4.6) par une foi parfaite[21].
[21] Cf. Exode 34.29 ; Actes 13.22 ; 1 Rois 3.12 ; Ésaïe 6.1 : Jérémie 1.5 ; Ezéchiel 37.3 ; Matthieu 16.17 ; 2 Corinthiens 11.25 ; 2 Corinthiens 12.2.
Tous ces hommes m’ont enseigné la doctrine que je professe. J’en ai été imprégné et il est impossible de me guérir ! Pardonne, Dieu Tout-Puissant, si, ancré en eux, je ne puis me corriger, et si je suis capable de mourir avec eux ! L’époque actuelle a fait germer un peu trop tard pour que je puisse en profiter, ces docteurs qui, à mes yeux, figurent parmi les plus impies. Trop tard ma foi, formée par toi, a découvert ces maîtres ! Je n’avais pas encore entendu leurs noms lorsque j’ai cru en toi de cette manière que tu sais ; j’avais déjà été régénéré par toi de cette manière, et dès lors je suis à toi de cette manière. Je te connais pour être le Tout-Puissant, mais je n’attends pas que tu m’expliques le mystère de cette naissance ineffable, connu de Toi seul et de ton Fils Unique. Rien en effet, ne t’est impossible, et je ne doute pas que le Fils engendré par Toi soit le fruit de ta Toute-Puissance. En douter serait refuser de te croire Tout-Puissant. Ma propre naissance m’apprend que Tu es bon ; aussi je suis sûr que dans la naissance de ton Fils Unique, tu n’as pas retenu jalousement tes biens. Je crois en effet, que tout ce qui est à Toi, est aussi à ton Fils, et que tout ce qui lui appartient, t’appartient, à Toi[22]. La création de ce monde est pour moi une preuve évidente que Tu es sage ; et ta sagesse, j’en ai conscience, Tu l’as engendrée de toi, semblable à Toi. Tu es pour moi le Dieu Un et Vrai ; mais je ne croirai jamais qu’il y ait en celui qui procède de Toi autre chose que ce qui est en Toi-même. Et voilà, juge-moi sur ce point : peut-on me faire grief d’avoir trop cru en ce que la Loi, les Prophètes et les Apôtres me disaient de ton Fils ?
[22] Cf. Augustin, Sermon 139,5.
Non, ce langage téméraire doit cesser ! Jusqu’à présent notre ton avait une certaine violence nécessitée par la folie qu’est cette hérésie ; en ce qui nous reste à dire, il nous faut plutôt céder le pas à ce moyen d’argumentation qu’est la raison. Ainsi ceux qui peuvent encore être sauvés en croyant, suivront le chemin de la doctrine annoncée par l’Evangile et les Apôtres. Ils reconnaîtront que le vrai Fils de Dieu l’est par nature et non par adoption. Car notre réponse doit garder cet ordre : d’abord enseigner qu’il est Fils de Dieu, et par conséquent possède en lui d’une manière parfaite la nature divine, du fait qu’il est Fils. Car le but de l’hérésie dont nous nous occupons, est de mer que notre Seigneur Jésus-Christ soit le vrai Dieu, Fils du vrai Dieu[23].
[23] L’hérésie arienne écarte a priori l’hypothèse d’une réelle génération de Dieu. Hilaire cherche à démasquer cette fin de non-recevoir.
Or que notre Seigneur Jésus-Christ soit Dieu, Fils Unique du vrai Dieu, c’est un fait, et cela nous a été enseigné ; nous le savons de multiples manières : le Père en rend témoignage, le Fils lui-même l’affirme, les Apôtres le proclament, les fidèles le croient, les démons l’avouent, les Juifs le nient, et les païens l’ont reconnu durant sa Passion. Car si on le dit : Fils, c’est parce que l’on croit qu’être Fils est la qualité qui lui appartient en propre et non pas simplement un nom qu’il partagerait avec d’autres. Et comme toutes les actions et tous les enseignements du Seigneur Christ sont bien au-delà de ce que peuvent faire ou dire ceux qui portent ce nom de fils, et puisque, parmi tout ce qui pourrait passer pour être les privilèges du Christ, on nous enseigne que le premier est qu’il est Fils de Dieu, ce nom de Fils ne lui vient pas en raison d’une appartenance à la famille de Dieu qu’il partagerait avec d’autres.