A partir du Décalogue (Exode 20) on trouve disséminées dans le Pentateuque plusieurs autres lois sabbatiques directes, mais ne faisant qu’expliquer, préciser et compléter le 4e Commandement. Nous examinerons leurs données au triple point de vue du repos du sabbat, de son caractère religieux, de la bénédiction qu’il renferme. Mais auparavant passons en revue ces lois elles-mêmes, pour constater les occasions dans lesquelles elles furent prononcées, leurs contextes respectifs dans nos saints Livres, les vénérables documents d’où la plupart furent extraites.
Elles se trouvent Exode 23.12 ; 31.12-17 ; 34.21 ; 35.1-3 ; Lévitique 19.3, 30 ; 23.3, 38 ; 26.2 ; Nombres 15.32-36 ; 28.9-10. Nous ne reparlerons guère du seul passage Deutéronome 5.12-15 qui ait trait au sabbat.
Exode 23.12 fait partie du Livre de l’Alliance, c’est-à-dire des premières lois données par l’Éternel après le Décalogue et par le moyen de Moïse, mais avant le solennel sacrifice de l’Alliance (Exode 24.3-11). Avant de répandre sur le peuple le sang d’un des deux bassins, est-il dit v. 7, Moïse prit le livre de l’alliance et le lut en présence du peuple. Ils dirent : Nous ferons tout ce que l’Éternel a dit. — D’après les v. 3, 4, Moïse avait fait une première communication des paroles qu’il avait entendues sur la montagne, puis les avait écrites.
Le Livre de l’Alliance devait donc s’étendre de Exode 20.22 à la fin du ch. 23. Il ne comprenait pas proprement le Décalogue, que le peuple avait ouï de la voix même de Jéhovah et que Jéhovah s’était réservé d’écrire sur des tables de pierre. Mais l’Alliance n’en impliquait pas moins l’obéissance au Décalogue, qui pouvait même être appelé les paroles l’Alliance (Exode 34.28). N’avait-il pas, d’ailleurs, la plus intime connexité avec les instructions données à Moïse sur le Sinaï, peu après l’éclatante promulgation ? N’était-il pas en quelque sorte leur constante préoccupation, leur thème fondamental, leur racine et leur centre ? Conf. Dillmann Exo. Lev. p. 256.
L’importance du Livre de l’Alliance ressort bien des lignes suivantes : « Le Décalogue (Exode 20), que tous les narrateurs font remonter à Moïse et qu’ils mettent aussi, comme parole immédiate de Dieu, au-dessus de toutes les autres lois, et le Livre de l’Alliance prouvent déjà que de bonne heure il y eut en circulation des lois rangées par groupes de 5 ou de 10. Il n’y a aucune raison de se refuser, avec Wellhausen et Kuenen, à les placer avant le 8e ou le 7e siècle, puisque l’affirmation de Kuenen que la littérature israélite n’aurait commencé qu’avec le 8e siècle, est contredite par de nombreux restes d’écrits plus anciens et par des données comme celles de Nombres 21.4 ; 2 Samuel 1.17 ; 1 Rois 11.41, etc. »
[Ed. Naville, rendant compte dans la Biblioth. univers. de mars 1890, d’une « découverte archéologique qu’on peut appeler l’une des plus importantes de notre siècle, » à savoir la trouvaille, vers la fin de 1887, des tablettes cunéiformes de Tell-el-Amarna, s’exprime ainsi, p. 605 : « Un fait demeure établi, c’est qu’on écrivait le babylonien dans les villes du pays de Canaan deux siècles avant l’établissement des lsraélites. Ce n’était donc pas une contrée tout à fait illettrée, bien au contraire. Je ne puis que mentionner ici l’importance capitale de ce fait pour la critique de l’Ancien Testament, quelle que soit la tendance avec laquelle on l’aborde. Il est évident que l’idée, fort à la mode aujourd’hui, que les écrits des Hébreux ne peuvent pas remonter à une haute antiquité, parce que, pratiquement, l’écriture était chose inconnue en Judée avant l’âge de David, il est évident, dis-je, que cette idée a reçu un rude coup. En revanche, il est clair aussi que l’influence de Babylone sur le pays de Canaan, la diffusion de l’écriture et des traditions babyloniennes en Palestine, remontent beaucoup plus haut qu’on ne pensait, au delà même de la naissance des Israélites comme peuple. » Le Journal de Genève du 7 août 1888, parlant déjà de cette découverte d’après un article de Sayce, disait : « Nous sommes sûrs désormais, non seulement que le peuple de Canaan savait lire et écrire avant la conquête israélite, mais qu’il écrivait sur brique. Les « scribes » mentionnés au livre des Juges dans la chanson de Déborah, sont devenus une réalité historique. » Ces derniers mots doivent faire allusion à Juges 5.14, où la Version de Lausanne avait déjà bravement traduit : De Makir sont descendus ceux qui commandent, et de Zabulon, ceux qui portent le bâton de l’écrivain (משׁכים בשׁבט ספר). — « Les résultats auxquels nous conduit l’étude des inscriptions, a dit Ph. Berger (Leçons d’ouvert. p. 44), semblent suivre une marche inverse de ceux auxquels aboutit la critique pure (pour nous, l’hypercritique). A mesure que la critique rajeunit les textes, les inscriptions tendent à en relever la valeur historique et à en rehausser l’antiquité. On a dit que les Juifs n’ont pu avoir connaissance des cosmogonies chaldéennes qu’à l’époque de la captivité, et voici que plusieurs centaines de tablettes cunéiformes viennent d’être trouvées à Tell-el-Amarna en Egypte. S’il faut en croire M. Oppert, dont la compétence est si grande en ces matières, elles prouveraient que l’assyrien était écrit et parlé sur la côte de Syrie et jusqu’en Palestine 1700 ans avant notre ère. » A. Sabatier a cité ces mêmes paroles, en se les appropriant, comme conclusion d’un article sur La modernité des prophètes, par E. Havet (Journ. de Genève, 29 mars 1891).]
« Les raisons alléguées dans mon commentaire sur l’Exode, de même que le témoignage du Deutéronome, font penser beaucoup plus aux premiers siècles de la possession du pays, pour le plus tard aux temps de Samuel, bien que la rédaction porte des traces d’une époque plus récente (par exemple Exode 23.31). Tout l’essor que prit le peuple à partir de Saül et de David, suppose que la loi de Jéhovah avait déjà exercé une action éducative. » (Dillmann, Numer. p. 644.) — « Tout le morceau Exode 20.22-23.33, dit le même théologien, peut se diviser en 2 sections : a) Prescriptions Exode 20.22-23.19 ; b) Promesses Exode 23.20… Les prescriptions, rédigées avec concision et extrêmement variées de contenu, forment proprement tout un recueil de lois, dont la plupart sont du domaine légal et éthico-religieux, tandis que d’autres, relativement courtes et auxquelles nulle prééminence n’est attribuée, sont cérémoniales… Du reste, ce code a été rédigé pour le peuple, et c’est aussi pour cette raison que les diverses prescriptions ont été très brièvement formulées. »
Exode 31.12-17 renferme un dernier message donné par l’Éternel après les instructions relatives au Tabernacle et aux vêtements sacerdotaux, et avant la remise des Tables du Témoignage. C’est en descendant de la montagne que Moïse aperçut le veau d’or. — Dillmann rapporte que selon l’opinion ordinaire des théologiens juifs ou chrétiens, cette prescription sabbatique aurait été ajoutée afin que les Israélites observassent le sabbat pendant la construction du Tabernacle ; mais il ne voit dans le texte aucune trace de ce but spécial, il remarque que l’enseignement sur le sabbat comme signe de l’Alliance, qui est joint à la prescription, ne se retrouve pas ailleurs dans le Pentateuque, et il en conclut que c’est à cause de l’importance intrinsèque du passage qu’il a été placé à la fin d’une série d’instructions données sur le Sinaï. Toutefois la traduction que donne Dillmann des premiers mots du message que Moïse devait transmettre, traduction pleinement autorisée, sans être nécessaire, nous paraît appuyer elle-même l’opinion commune, qu’il faudrait peut-être associer à la considération émise par le professeur de Berlin.
Exode 34.21 figure dans une nouvelle série de lois données à Moïse sur le Sinaï (v. 10-26). Elles le furent après le renouvellement de l’Alliance et ont beaucoup de rapport avec celles du Livre de l’Alliance, tout en étant moins nombreuses et en se rapportant au culte. D’après le v. 27, l’Éternel dit à Moïse : « Ecris ces paroles, car c’est conformément à ces paroles que je traite alliance avec toi et avec Israël. » Cette série de lois, appelée d’ordinaire la loi des secondes Tables, a été aussi nommée la Loi du renouvellement de l’Alliancea et pourrait être encore désignée comme le Second livre de l’Alliance.
a – Lotz, Quæstiones, p. 82.
De même que les instructions sur le Tabernacle et les vêtements sacerdotaux avaient été terminées par le rappel de la loi sabbatique, Moïse, avant de communiquer au peuple ces instructions, débute par lui rappeler cette loi (Exode 35.1-3). Les deux places opposées qui lui sont ainsi successivement données, peuvent s’expliquer également par son importance et son actualité. « Que la loi doive être aussi observée pendant la construction du Tabernacle, dit Dillmann, cela se comprend de soi-même, mais ce n’est pas là le motif de la place qui lui est ici donnée : le v. 3 montre que la portée de la loi est générale el que celle-ci est donnée pour le temps de l’établissement en Canaan. »
Les livres dits de l’Exode, du Lévitique et des Nombres sont étroitement liés et présentent en gros un ordre fort remarquable, comme le montre l’analyse du théologien que nous sommes heureux de pouvoir citer aussi souvent. Il range Exode 35 à Nombres 10.10 sous ce seul titre : Etablissement au Sinaï des institutions de la communauté, et il divise cet ensemble en 6 sections : 1° Construction du Tabernacle et confection des vêtements sacerdotaux, Exode 35 à ch. 40 ; 2° Loi sur les sacrifices, Lévitique 1 à ch. 7 ; 3° Installation du sacerdoce, ch. 8 à 10 ; 4° Lois sur la pureté et le jour des expiations, ch. 11 à 16 ; 5° Autres lois, ch. 17 à 27 ; 6° Ordre du camp et distribution des Lévites, autres lois et préparatifs pour le départ du Sinaï, Nombres 1 à Nombres 10.10.
La 5e de ces sections, qui nous intéresse spécialement, compte 6 parties : A) Prescriptions sur l’immolation des animaux, le lieu des sacrifices, la manipulation du sang, Lévitique 17 ; B) Lois de sainteté, ch. 18 à 20 ; C) Prescriptions sur les prêtres, les offrandes, les sacrifices, ch. 21 à 22 ; D) Loi sur les fêtes, ch. 23 ; E) Divers, ch. 24 ; F) Les années saintes, exhortation finale, ch. 15 à 26 ; G) Vœux, interdits, dîmes, ch. 27.
La partie B embrasse elle-même 3 chap. du Lévit., pouvant constituer autant d’articles : chap. 18, lois sur le mariage et la chasteté ; ch. 19, lois sur la vie religieuse, morale et civile ; ch.20, pénalités et exhortation.
Le ch. 19 vise à deux reprises le sabbat. Après une introduction historique : L’Éternel parla à Moise et dit : Parle à toute l’assemblée des enfants d’Israël, viennent, d’abord, une exhortation générale formulant un des plus grands principes de l’Alliance mosaïque (v. 2) : Soyez saints, car je suis saint, moi l’Éternel votre Dieu, puis toute une série de prescriptions à la seconde personne du singulier ou du pluriel, fort diverses de nature, mais toutes reliées au grand principe et justement comparées au Livre de l’Alliance. La première de ces prescriptions, concernant en partie le sabbat, est ainsi conçue (v. 3) : Chacun de vous respectera sa mère et son père, et observera mes sabbats. Je suis l’Éternel votre Dieu. Dillmann croit pouvoir diviser toutes ces prescriptions en 2 séries, l’une allant du v. 2b (ou 3) au v. 29 ; l’autre, du v. 30 au v. 36 (ou 37), même discerner un parallélisme entre chaque série et le Décalogue (v. 3-10, 11-18 ; 30-32, 33-36). Quoi qu’il en soit de cette hypothèse, l’ordre d’observer le sabbat revient v. 30, en ces mots : Vous observerez mes sabbats et vous révérerez mon sanctuaire. Je suis l’Éternel.
La partie de beaucoup la plus considérable de Lévitique 23, se rapporte aux fêtes à sainte convocation, sur lesquelles nous reviendrons. Le sabbat est nommé en 1re ligne, v. 3. Il en est de nouveau question v. 37, 38, où le sabbat est distingué des autres fêtes mentionnées et fait l’objet d’une exhortation particulière.
Lévitique 26.2 est identique à Lévitique 19.30, mais le nouveau contexte est très significatif. Après qu’il a été parlé ch. 25 des années saintes (année sabbatique et jubilé), Lévitique 26.1-2 renferme trois des prescriptions les plus fondamentales de la Loi (point d’idolâtrie ; respect des sabbats et du Sanctuaire) ; puis vient, dans le reste du chapitre, l’énumération des bénédictions ou des malédictions, qui seront le partage d’Israël suivant sa conduite, énumération dont la portée générale ressort du dernier verset du chapitre : Tels sont les statuts, les ordonnances et les lois que l’Éternel établit entre lui et les enfants d’Israël sur la montagne du Sinaï par Moïse.
Le livre des Nombres ne renferme que deux passages sabbatiques : Nombres 15.32-36 ; 28.9-10. Dans le premier, qui se rattache à la marche des Israélites du Sinaï au désert de Paran (Nombres 10.11-22.1), il est dit : Comme les enfants d’Israël étaient dans le désert, on trouva un homme qui ramassait du bois le jour du sabbat. Ceux qui l’avaient trouvé… l’amenèrent à Moïse, Aaron et toute l’assemblée. On le mit sous garde, car ce qu’on devait lui faire n’avait pas été déclaré. L’Éternel dit à Moïse : Cet homme sera puni de mort ; toute l’assemblée le lapidera hors du camp. Toute l’assemblée le fit sortir du camp et le lapida. Dillmann suppose que cet épisode a été placé ici comme exemple de la désobéissance « à main levée, » dont il est parlé v. 30-31. Mais comment ne savait-on pas la peine méritée par ce coupable ? N’avait-il pas été déjà révélé que c’était la mort (Exode 31.15 ; 35.2) ? On pouvait ignorer le genre de mort, ignorer en particulier si le peuple devait sévir lui-même ou s’en remettre à l’Éternel. En fait, ici seulement la lapidation est stipulée comme peine de la violation du sabbat. Nombres 28.9-10 est relié au séjour d’Israël en Moab (Nombres 22.2-36.13) et se trouve dans un chap. qui ne traite que des temps fixés pour les sacrifices. Aussi indique-t-il le sacrifice, l’offrande et la libation pour le sabbat.
Si, parmi les passages passés en revue, Exode 23.12 appartient au Livre de l’Alliance, plusieurs paraissent provenir en tout ou partie d’un autre document presque de même importance et que de récents travaux ont mis de plus en plus en lumière. On l’appelle tantôt le Livre de sainteté ou la Loi de sainteté, tantôt Lois du Sinaï. Nous adoptons la 1re de ces dénominations, comme plus compréhensive que la 2de et plus précise que la 3e, car les lois provenant de ce document ne furent pas les seules données à Moïse sur le Sinaï. Il y eut en outre, tout au moins, celles de Exode 20.22-23.33 ; 25.1-31.17 ; 34.10-26, à l’exception de quelques versets peut-être.
[Lotz, Quæstiones, p. 103, etc. Le 2d de ces noms a été donné par Klostermann en 1877 et adopté par Delitzsch. Voir Zeitsch., 618. —- Dillmann dit à propos de Lévitique 17-27 : « Ces chap. renferment diverses lois sur les obligations des Israélites comme membres du peuple de Dieu. Malgré leur variété, elles sont toutes présentées comme lois du Sinaï, c.-à.-d. comme communiquées à Moïse sur le Sinaï et non à son pied, selon la teneur des souscriptions. Il n’y a, il est vrai, de suscription correspondante que 25.1, mais on ne voit pas pourquoi celle-ci ne se rapporterait qu’aux lois des ch. 25-27, et on comprend très bien son insertion à cause du récit intercalé ch. 24. Ce qui est encore plus important, c’est le caractère spécial, plus ou moins prononcé, qui se remarque dans le style de la plupart des morceaux à partir du ch. 17. Voilà pourquoi nous groupons les ch. 17-27, brièvement, sous le nom de Lois du Sinaï, dans le sens précisé plus haut. » Dans la page suivante, Dillmann annonce qu’il désignera désormais le document utilisé pour ces chap. par la simple lettre S.]
Ewald a le premier signalé et caractérisé ce document. La 2de moitié du Lévitique, observe-t-il, renferme une masse de lois formulées très brièvement ou plutôt sous forme d’oracles, qui ont été certainement retravaillées par le rédacteur du Livre des origines, mais qui pour le fond ont un cachet très particulier et d’une très haute antiquité. Elles se distinguent par les mots solennels : Je suis l’Éternel, placés au début ou à la fin, et désignant ces lois comme émanées directement de l’Éternel, et elles représentent le prophète des plus anciens temps comme absolument dominé par le divin message. Déjà les prophètes du ixe et du viiiesiècle s’expriment autrement, en disant : Ainsi parle l’Éternel. On reconnaît aussi dans ces lois, surtout dans celles du ch. 19, des traces irrécusables de leur ancien groupement quinaire, analogue à celui du Décalogue. La langue de ces lois paraît refléter le vrai mosaïsme de la plus haute antiquité. Le Livre de l’Alliance a lui-même une manière beaucoup plus détaillée et plus précise.
Plus tard, Kayser, de l’école Reuss-Wellhausen, frappé de certaines ressemblances entre les lois du Livre de sainteté et le livre d’Ezéchiel, voulut prouver que comme Graf l’avait déjà supposé, ce prophète était aussi l’auteur du premier livre. Mais il fut si fortement réfuté soit par Klostermann, soit par Nöldeke et Kuenen, que la thèse fut dès lors abandonnée. Le Livre de sainteté ne fut plus regardé par l’école hypercritique comme l’œuvre d’Ezéchiel, mais Wellhausen ne l’en envisagea pas moins comme se rattachant à la période de l’exil, et même Smend, comme décidément postérieur à Ezéchiel.
D’un autre côté, Delitzsch a consacré une de ses Etudes critiques sur le Pentateuque à ce qu’il appelle la Loi de sainteté. Il voit son caractère le plus saillant, d’une part, en ce qu’elle appuie ses prescriptions par la formule : Je suis l’Éternel ; de l’autre, en ce qu’elle insiste sur ce que Jéhovah est le Saint et celui qui sanctifie Israël. Mais, comme d’autres théologiens, il reconnaît des extraits de ce recueil ailleurs que dans Lév. ch. 17 à 26, p. ex., Exode 31.12-14 ; Lévitique 11.43-45 ; Nombres 16.37-41. Il va de soi que les lois du recueil lui sont antérieures. Il serait vraisemblablement postérieur au document jéhoviste et au Deutéronome, antérieur au document élohiste. Son contenu à la fois est présupposé par le Deutéronome et le présuppose.
Mais c’est Dillmann qui nous paraît avoir fait l’étude la plus complète de ce document, soit dans ses Commentaires sur l’Exode, le Lévitique et les Nombres, soit dans la dissertation générale qui suit son Commentaire sur Nombres-Josué. Après avoir, dans cette dissertation, analysé le document, il s’occupe spécialement de sa date et dit en particulier : « Il faudrait donc considérer comme résultat que dans l’Exode, le Lévitique et les Nombres, il y a toute sorte de lois qui trahissent par certains caractères de fond ou de langage une source commune, à savoir Lév. ch. 17 à 26 ; Exode 31.13 ; Lévitique 5.1-6, etc. Ces fragments ne suffisent pas pour la reconstruction d’un tout complet avec plan et ordonnance précises. Mais on peut dire que le commandement de la sainteté, qui dans le Livre de l’Alliance (Exode 22.30) n’apparaît qu’à côté de plusieurs autres, est ici présenté comme idée directrice et que les prescriptions sur la pureté comme sur les sacrifices, les offrandes, les fonctions des prêtres, lui sont également rattachées. Les lois renfermées dans ce recueil étant présentées comme données par Dieu à Moïse sur le Sinaï, nous les avons réunies sous la rubrique S. Si l’on considère, en outre, que le discours final (Lévitique 26.3-45), qui en fait sûrement partie, correspond exactement par son plan et sa tenue à celui du Livre de l’Alliance (Exode 23.20-23) et à celui du Deut. (ch. 27), on est conduit à conjecturer que ce recueil avait une fois son introduction historique et formait ainsi un vrai tout, mais que les rédacteurs du Pentateuque, n’ayant pas besoin de cette introduction à côté de Exo ch. 19 à 24 (et aussi de Deut. ch. 1 à 4), la laissèrent de côté et intercalèrent ici et là, fragmentairement, quelques-unes des lois du recueil, n’en insérant un gros bloc que dans Lév. ch. 17…, comme à la place la plus convenable. » Dillmann dit un peu plus loin : « Dans Lév. ch. 19, où l’ordre primitif est le mieux conservé, l’antique division quinaire et la forme d’oracle (אני יהוה), dans laquelle de semblables lois furent d’abord promulguées au Sanctuaire comme paroles de Dieu, sont encore tout à fait reconnaissables. Le témoignage du Deutéronome, qui reconnaît comme mosaïques de nombreuses lois de S, a aussi un grand poids. En outre, on voit dans A des fragments de S employés ou retravaillés, et plusieurs de ses expressions techniquesb. Mais il faut aussi reconnaître que tous morceaux de S ne sont pas également anciens… Si quelques expressions plus jeunes se trouvent dans le texte actuel, il y en a, par contre, une multitude déjà remplacées dans le Deutéronome par des expressions plus courantes. On ne pourra donc pas admettre que le document ait été composé ou assemblé après Ezéchiel, mais bien qu’il a été retravaillé après l’exil (en profitant aussi d’Ezéchiel), surtout Lévitique 26.3 et ss., fait d’autant plus admissible qu’il y a eu quelque chose d’analogue pour Deut. ch. 28 à 30. En tout cas, même Lévitique 26.3, avec sa menace de l’exil, n’a de sens qu’en face d’un peuple encore dans son pays, et cela confirme que le recueil est antérieur à l’exil, peut-être même au Deutéronome. Il serait difficile d’être plus précis, car on ne peut ni conclure de la date des divers éléments celle du recueil, ni méconnaître la possibilité qu’il ait été peu à peu augmenté et étendu, ni démontrer que tous les morceaux qui lui sont attribués lui appartiennent certainement. »
b – En particulier le אני אהוה אלהיכם, Exode 6.2, 7, 29 ; 12.12 ; 29.46 ; Nombres 3.13.
Parmi les passages sur le sabbat énumérés précédemment, il en est quatre ou cinq qui proviennent directement du Livre de sainteté et en relèvent au plus haut degré, à savoir : Lévitique 19.3, 30 ; 23.3, 38 ; 26.2, ce dernier identique à Lévitique 19.30.
La question est beaucoup moins simple pour Exode 31.13-17. Les v. 13, 14 sont, il est vrai, généralement reconnus comme empruntés à ce Livre. Mais le v. 15 paraît à Lotz avoir été écrit par l’Elohiste ; et quant aux v. 16, 17, Delitzsch estime que peut-être le v. 17, qui a une importance particulière, faisait partie du Livre ; Dillmann serait disposé à y voir l’influence du rédacteur du Pentateuque, et Lotz estimerait, en définitive, que les deux versets se trouvaient dans le Livre avant de lui être empruntés par l’Elohiste. L’opinion de Lotz sur le v. 15 nous paraît venir de ce que selon lui on ne peut prouver que les anciens Israélites eussent déjà envisagé la violation du sabbat comme digne de mort ; mais comment partager ce scrupule en présence non seulement du verset lui-même, mais encore de Exode 35.2 et du récit Nombres 15.32-36 ? — D’autre part, nous serions porté à admettre, avec Lotz et Delitzsch, que les vers. 16 et 17 faisaient partie du Livre de sainteté. Ils sont bien dignes d’y avoir figuré, et nous sommes très frappé de l’originalité du 2d mot hébreu par lequel le repos de Dieu au 7e jour est désigné dans le verset 17 (וינפשׁ). Ce mot ne se retrouve ni dans Genèse 2.2-3, ni dans Exode 20.11, et Dillmann lui-même reconnaît qu’il est étranger à l’Elohiste.
Quant aux autres passages sabbatiques qui ne semblent pas empruntés au Livre de sainteté, d’après Dillmann, Exode 34.21 viendrait du document C ; Exode 35.1-3, de A, mais non sans abréviation de la part du rédacteur du Pentateuque ; Nombres 15.32-36 pourrait très bien provenir de A (sauf vers. 34b), mais aussi avoir été intercalé plus tard ; Nombres 28.9-10, serait vraisemblablement une addition complémentaire faite à A, assez récente ou retravaillée plus tard, dans le genre de Lévitique 4, etc.