Importance de cette doctrine considérée au double point de vue du système chrétien et de l’organisation ecclésiastique. — Distinction en points fondamentaux de « premier ordre » et de « second ordre », légitimée 1° par le raisonnement analogique ; 2° par l’Ecriture ; 3° par l’opinion générale et constante. — Doctrine rejetée par l’extrême latitudinarisme et l’extrême séparatisme ; toujours combattue par le Catholicisme, qui la retient pourtant. — Objections de Lamennais.
Nous arrivons à une doctrine jugée fort importante autrefois et presque abandonnée en ces derniers temps, celle des « articles » ou « points fondamentaux ». Il nous semble qu’on a eu tort de la négliger ainsi. Nous croyons qu’elle est fondée dans la nature des choses et dans l’esprit général du Christianisme, qu’essentielle en tout temps, elle l’est surtout à une époque de transition comme la nôtre, où les Églises réformées tendent, au travers de leurs luttes, à une organisation nouvelle, et qu’elle doit tôt ou tard reprendre en théologie la haute place dont on l’a dépouillée, car elle peut seule fournir la base de l’unité protestante. Sans doute, elle soulève des difficultés nombreuses et graves ; mais ce n’est pas une raison de la laisser tomber si elle est vraie en elle-même. Quelle est la doctrine qui ne donne lieu à des objections plus ou moins fondées ?
On peut considérer les points fondamentaux dans leur rapport avec le salut individuel, ou avec le système chrétien, ou avec l’organisation ecclésiastique ; on peut s’en occuper dans le but de déterminer le degré de connaissance et de foi nécessaire pour avoir la vie éternelle, ou de constater quels sont les traits dominants, et en quelque sorte les principes générateurs de la dogmatique, ou de fixer et de garantir les grandes croyances essentielles à l’ordre et au gouvernement de l’Église, et qui doivent former comme sa charte constitutionnelle.
C’est au premier égard, comme moyen de déterminer les croyances essentielles au salut, qu’on envisage ordinairement la doctrine des points fondamentaux. Or, c’est justement en la prenant sous cet aspect qu’on y rencontre des difficultés infinies et insurmontables. Comment établir avec quelque certitude, comment déterminer avec quelque précision la somme de lumières absolument indispensable pour participer aux grâces ou aux espérances évangéliques ? Comment marquer avec exactitude ce qu’il faut que chacun sache et croie, soit de l’ensemble des doctrines soit de telle ou telle doctrine en particulier, avant d’être réellement en Christ ? Quelle main d’homme oserait tracer entre la vérité et l’erreur, entre la conviction et le doute, entre la connaissance et l’ignorance, la limite rigoureuse qui sépare fatalement le salut de la perdition ? Dans l’immense variété des circonstances ou les fils d’Adam se trouvent placés, l’obligation est-elle la même pour tous ? Et puis, la connaissance est-elle le seul élément de la vie religieuse ? N’y a-t-il pas, par-delà, les dispositions intérieures, auxquelles Dieu a surtout égard ? Si du moins l’adhésion de l’esprit à la vérité, si l’acquiescement de l’intelligence entraînait toujours la soumission du cœur et de la volonté, alors la connaissance ou la croyance pourrait servir en effet de mesure et d’échelle proportionnelle. Mais il n’en est pas ainsi, bien s’en faut. On rencontre mille fois la mort spirituelle avec des notions très étendues et très exactes de l’Évangile, et la vie spirituelle avec des lacunes ou même des erreurs graves dans la foi. Supposerons-nous la vie où nous voyons la mort, et la mort où nous voyons la vie ? Ou plutôt, comme Pierre en présence de l’effusion du Saint-Esprit sur les Gentils, ne reconnaîtrons-nous pas le don de Dieu partout où il se manifeste ? (Actes 11.15-17).
Sans doute, la vérité et la sainteté sont étroitement unies ensemble, l’une étant la rectitude intellectuelle, l’autre la rectitude morale, l’une étant la lumière de la foi, l’autre la vie de la foi ; elles s’appellent, se soutiennent, s’engendrent mutuellement, et, dans leur plein développement, elles s’identifient et se confondent peut-être. Mais tout est imparfait chez l’homme, et par cela même désordonné et anormal ; il existe en lui des anomalies étranges, des péripéties et des irrégularités inconcevables, des mystères qu’on ne saurait sonder. Quelques rayons brisés de la vérité qui affranchit et sanctifie font une plus vive impression chez certaines âmes, et y éveillent plus de foi et de piété qu’une lumière abondante et pure chez beaucoup d’autres : de même que de pauvres aliments entretiennent ici une santé vigoureuse et brillante, tandis que la nourriture la plus substantielle laisse là dans la faiblesse et la langueur. Or, il faut se souvenir qu’au point de vue du salut, ce qui importe, c’est moins l’admission ou la profession de la vérité, que son action sur le cœur.
Sans doute encore, partout où existe la vie, dans le sens évangélique, il existe aussi nécessairement le fond de la vérité chrétienne ; partout où se montrent le besoin de pardon et de régénération, la faim et la soif de la justice, le recours à la grâce, la confiance en la céleste miséricorde, etc., il doit y avoir une connaissance plus ou moins développée de la corruption humaine, du Dieu saint et bon, de la loi et de l’Évangile ; mais tout cela peut être un sentiment plutôt qu’une notion claire, et laisser subsister beaucoup de lacunes, et se mêler à beaucoup de ténèbres et d’erreurs. Ce n’est pas assez pour la question théologique et ecclésiastique en même temps que religieuse, qu’il s’agit de décider ; il y faut une formule précise des dogmes ou des faits évangéliques, puisqu’il faut marquer le degré de connaissance et de croyance avec lequel on est sauvé, sans lequel on ne l’est pas. Et c’est bien ainsi qu’on l’a entendu.
Il est évident que la doctrine des points fondamentaux, envisagée à ce point de vue, présente des difficultés invincibles, dès qu’on veut aller tant soit peu au fond des choses. De là, plus que de toute autre cause, le discrédit et l’abandon où elle est tombée.
Mais les difficultés ne sont plus les mêmes, quand on la pose et qu’on l’étudie simplement dans ses rapports avec la dogmatique chrétienne ou avec l’organisation ecclésiastique. On n’entre plus alors dans ces profondeurs insondables, dans ces mystérieuses anomalies que présente l’âme mise en contact avec la vérité ou en communion avec Dieu et avec le Sauveur. On est sur un terrain plus ferme et mieux connu ; on juge ce qu’on a droit de juger, car on peut, certes, constater et déterminer quels sont, parmi les dogmes du Christianisme, ceux qui tiennent tellement à son essence, à son but, à son plan, à son caractère propre que, si on les néglige ou si on les nie, on soit conduit logiquement et forcément à changer la forme, la tendance, la nature de tout le système évangélique. On peut déterminer également quelles sont les doctrines générales dont la profession est nécessaire à une église pour qu’elle ait cette unité d’enseignement et de direction, cette communauté de vie qu’exige l’association religieuse. Ces deux points de vue, qu’il est facile de réunir en un, laissent les choses cachées « qui sont pour l’Eternel » et ne s’arrêtent qu’aux choses révélées « qui sont pour nous et pour nos enfants » ; ils placent dans des recherches pleinement légitimes, et tout à fait analogues à celles de l’histoire, de la philosophie et de la haute politique. L’histoire de la philosophie expose, compare, juge les systèmes en les ramenant à leurs principes caractéristiques bu générateurs ; la haute politique dégage des règles générales celles qui, donnant en quelque sorte l’esprit de la législation, doivent entrer dans la loi constitutionnelle, afin de garantir à la fois la liberté et l’ordre et d’imprimer à l’être une forme et une marche déterminées. Voilà précisément ce qu’on essaie vis-à-vis du Christianisme et de l’Église, par la doctrine des points fondamentaux. On s’y propose d’établir quels sont les éléments intégrants du système évangélique et de l’association religieuse, c’est-à-dire ceux qu’il faut revêtir d’un caractère spécial et normatif, en laissant libre tout le reste. Ainsi envisagée, cette doctrine devient infiniment plus simple, plus certaine, plus positive. Et, au fait, ce n’est que sous cette face qu’elle a réellement de l’intérêt et de la valeur. Traitée dans ses rapports avec le salut, elle ne mène qu’à des résultats douteux et à de stériles discussions, par l’impuissance où l’on est de tenir compte de toutes les causes qui influent sur le développement intérieur de l’homme, et, ce qui est pire, elle peut jeter dans le formalisme de l’orthodoxie, car le cœur est prompt à s’appuyer sur la lettre-morte d’un symbole, de l’admission duquel la grâce et la vie semblent dépendre avant tout. (Symb. d’Athanase, par exemple).
Certaines directions théologiques et critiques du moment rendent nécessaire une autre observation préalable. Nous supposons l’autorité théopneustique de l’Ecriture pleinement reconnue, c’est-à-dire que nous faisons du principe protestant notre point de départ et d’appui. Il est bien clair que ces recherches seraient plus que vaines sur le terrain de l’idéalisme ou du rationalisme, qui substituent à la révélation biblique une philosophie dite chrétienne, dont les principes changent du tout au tout à chaque revirement de la pensée. — Il est clair encore que si nous n’avions pas un document assuré du contenu substantiel et vital du Christianisme, nous n’aurions pas non plus de critère certain pour y discerner ce qui est vraiment fondamental. Substituez à la norme scripturaire la simple conscience religieuse et morale, ou même ce qu’on nomme, en un sens si indéfini, la conscience chrétienne, vous intronisez un individualisme dogmatique illimité, d’où résultera un individualisme ecclésiastique correspondant.
Ces remarques faites, venons à la doctrine même.
On appelle « points » ou « articles de foi », (αρθρα τῆς πιστεως), les diverses croyances évangéliques. La division de ces articles en fondamentaux et non fondamentaux paraît avoir son origine dans la représentation de l’Église et de la doctrine chrétienne sous l’emblème d’un édifice ou d’un temple, image fréquente chez les écrivains du Nouveau Testament. (1 Corinthiens 3.9,17 ; Éphésiens 2.20 ; 1 Pierre 2.4, 7 ; Matthieu 7.21-26). Dans cet édifice spirituel, il y a d’abord le fondement sur lequel tout repose (1 Corinthiens 3.11 ; Matthieu 21.42 ; Actes 4.11 ; Éphésiens 2.20-21). Ce qui tient au fondement, au point de ne pouvoir en être séparé sans renverser ou ébranler le fondement lui-même, est dit fondamental de premier ordre ; ce qui y tient d’une manière moins étroite et moins nécessaire, quoiqu’il y soit pourtant indispensable, est dit fondamental de deuxième ordre ; ce qui ne tient pas essentiellement au fondement et ne sert qu’au complément ou à l’ornement de l’édifice, est dit non fondamental. — (On distingue ce qui est fondamental a parte an te et ce qui l’est a parte post, en d’autres termes les points fondamentaux antécédents et les points fondamentaux subséquents. On nomme fondamental a parte ante ce que le fondement suppose. Le salut par Christ étant le fait dominant, le but suprême de l’Évangile, et en un sens l’Évangile même, et ce fait impliquant l’existence de Dieu, la Providence, les rétributions futures, la corruption de l’homme et sa condamnation, etc., ces dogmes sont des points fondamentaux a parte ante, ou antécédents. On nomme fondamental a parte post ce qui sort nécessairement du fondement, une fois posé et reconnu ; ainsi le salut en Jésus-Christ entraînant la rédemption par son sang, la justification par la foi ou par grâce, la régénération par le Saint-Esprit, etc., ces dogmes sont des points fondamentaux a parte post, ou subséquents).
Deux questions s’offrent ici : 1° Cette division des articles de foi en fondamentaux et non fondamentaux est-elle légitime ? 2° Comment l’établir ou l’opérer ?
a) Par le raisonnement analogique. — En tout système, théologique ou philosophique, il y a des principes généraux qui le dominent, lui donnent son caractère, sa forme, sa tendance propre, le font ce qu’il est, et avec lesquels il tombe ou se maintient. Personne ne songe à le contester pour le panthéisme ou le théisme, par exemple, ni pour certaines formes du Christianisme telles que le Catholicisme et le Protestantisme, ni pour des théories chrétiennes particulières, comme le Jansénisme et le Molinisme chez les catholiques, ou le Calvinisme et l’Arminianisme chez les réformés. Il doit donc en être ainsi dans le Christianisme lui-même, quoiqu’il n’ait pas reçu un arrangement systématique. Il s’y trouve, en effet, des doctrines qui le caractérisent et le constituent, qui font sa force et sa vie, qui lui sont absolument essentielles, et d’autres qui éclaircissent ou complètent seulement les premières. On en est bientôt convaincu, pour peu qu’on l’examine au point de vue dogmatique, ou au point de vue pratique, ou au point de vue ecclésiastique.
On ne pourrait le nier qu’en soutenant que rien n’est fondamental ou que tout l’est également ; car il faut choisir entre ces deux alternatives si l’on rejette la distinction ; et l’une comme l’autre mène à l’absurde, puisque, d’après l’une on pourrait être chrétien en niant tous les articles de la foi chrétienne, tandis que, d’après l’autre, on ne pourrait l’être si on en méconnaissait un seul.
b) Par l’Ecriture. — Bien certainement l’Ecriture sainte ne donne pas d’une manière directe, explicite, formelle, la théorie des points fondamentaux telle que nous la discutons aujourd’hui, elle ne la pose pas comme nous la posons ; mais elle l’autorise manifestement, elle en renferme le germe et, si je puis ainsi dire, l’esprit. Saint Paul décrit (1 Corinthiens 3.10-15) l’œuvre des docteurs chrétiens ; il les montre posant sur le fondement, les uns de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, les autres du bois, du foin, du chaume, c’est-à-dire que les uns unissent aux vérités capitales les vérités secondaires, élevant leur système entier selon l’analogie de la foi, tandis que les autres y mêlent des opinions humaines, des vues étrangères ou fausses. Au jour de l’épreuve, l’ouvrage des premiers demeure et ils en sont récompensés ; celui des autres périt, mais ils se sauvent eux-mêmes, au milieu des ruines, parce qu’ils avaient pourtant bâti sur le Rocher des siècles, en d’autres termes parce que, malgré leurs aberrations, ils avaient retenu les doctrines essentielles et vitales. La distinction des points fondamentaux et non fondamentaux est bien positivement impliquée dans ce passage ; elle en forme la base évidente ; toute la série des idées s’y rapporte, toute l’argumentation s’y appuie, et ce seul texte démontrerait la conformité de notre doctrine avec l’esprit des Ecritures ; mais il n’est pas le seul.
Il est parlé, Hébreux 5.12, des στοιχεῖα τῆς ἀρχῆς (πρώτα) τῶν λογίων τοῦ Θεοῦ, et Hébreux 6.1, du θεμέλιονc; c’est-à-dire des éléments du Christianisme, de ces vérités premières et fondamentales qui firent plus tard l’objet capital de la catéchétique. — Il est parlé, Romains 6.17, d’un type de doctrine, τύπος διδαχῆς et 2 Timothée 1.13, d’une forme ou règle des saines instructions, ὑποτύπωσις ὑγιαινοντων λόγων ; ce qui semble indiquer une sorte de Sommaire des principales croyances chrétiennes, car ὑποτύπωσις signifie une esquisse, où se trouvent les grands traits, les linéaments constitutifs, τύπος s’emploie dans le même sens.
c – Le θεμέλιον ne désigne point ici Jésus-Christ lui-même comme 1 Corinthiens 3.11, mais certaines doctrines énumérées en partie dans le texte, le λόγον τῆς ἀρχῆς τοῦ Χριστοῦ.
Dans d’autres passages, nous avons des résumés plus ou moins succincts de la doctrine chrétienne. — Actes 16.31 : « Crois au Seigneur, etc. ». C’est le premier et le grand article de foi, ou pour mieux dire c’est le fondement. — Actes 20.21 : « Prêchant tant aux Juifs qu’aux Grecs la repentance envers Dieu, et la foi en Jésus-Christ. ». La repentance et la foi se présentent dans plusieurs passages comme les deux conditions générales du salut, les deux grandes bases de la vie spirituelle, les deux points fondamentaux, dans la conception la plus large de l’Évangile (Marc 1.15 ; Actes 2.38 ; 5.32 ; 26.18, 20) ; elles correspondent, en effet, aux deux grâces qui nous ouvrent le Ciel, la justification et la régénération. — Un autre résumé analogue, et assez fréquent chez saint Paul, est celui qui réduit le Christianisme à la foi et à la charité (Galates 5.6 ; 1 Corinthiens 13.13 ; 1 Thessaloniciens 5.8 ; 2 Thessaloniciens 1.3 ; 1 Timothée 1.14 ; 2 Timothée 1.13 ; 1 Jean 3.23). — Ailleurs, le premier article fondamental, la foi en Jésus-Christ, Fils de Dieu et Sauveur du monde, s’ébranche en d’autres articles également fondamentaux. Ainsi 1 Corinthiens 2.2 : « Je n’ai voulu savoir, etc. » ; texte auquel viennent se joindre ceux où l’Évangile est appelé la parole ou la prédication de la Croix (1 Corinthiens 1.18). L’une de ces déclarations les plus dignes de remarque est 1 Corinthiens 15.3-4 : « Je vous ai enseigné, parmi les choses (ou les doctrines) premières (εν πρώτοις),… que Jésus-Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures, qu’il est ressuscité, etc. »
Dans ces textes, et dans les autres de la même classe, les auteurs sacrés relèvent certaines données évangéliques comme particulièrement importantes et essentielles, c’est-à-dire qu’ils procèdent d’après la doctrine des points fondamentaux, dont ils recommandent ainsi, par leur exemple,’ le principe et l’usage. Ils l’appliquent, en divers cas, dans le même sens et dans le même but que nous. Saint Paul veut que les Philippiens suivent une même règle dans les choses capitales où ils sont d’accord et, quant à celles sur lesquelles ils diffèrent, qu’ils se supportent et restent unis ensemble (Philippiens 2.1-5, 15-16). Une foi vivante, une association intime peuvent donc subsister, au jugement de l’Apôtre, avec un certain degré d’ignorance ou même d’erreur ; d’après lui, lorsque l’essentiel est admis on doit passer sur des divergences secondaires ; il faut regarder au fondamental, afin de conserver « l’unité de l’Esprit par le lien de la paix » (Éphésiens 4.3).
Ainsi, quoique les apôtres ne donnent nulle part un formulaire de doctrine, un catalogue des points fondamentaux (car ils n’ont voulu laisser à l’Église ni un catéchisme, ni une liturgie, ni une confession de foi), il est pourtant, sous le triple rapport du dogme, de la morale et de la discipline, des articles qu’ils relèvent spécialement, en raison de leur importance. Ils posent d’abord le fondement objectif : Christ ; puis le fondement subjectif : la foi ; ailleurs la foi et la régénération, ou la foi et la charité, et ils spécialisent quand les circonstances l’exigent. Partout ils insistent sur les vérités essentielles, et tout en prescrivant le support pour les diversités secondaires, ils deviennent d’une extrême sévérité pour les erreurs qui altèrent ou compromettent le fondamental du Christianisme (2 Timothée 2.17-18 : Hyménée et Philète ; 1 Jean 4.1-3 : tendances docètes ; et tous les textes sur lesquels on a fondé le droit de l’excommunication.)
Si la doctrine des points fondamentaux n’est pas là catégoriquement posée, elle y est manifestement impliquée. Ce n’en est pas la formule, mais c’en est l’esprit, le principe ; et c’est tout ce qu’il faut pour la légitimer.
c) Par l’opinion générale et constante. — Notre doctrine a tenu une grande place dans la théologie protestante depuis la Réformation jusqu’à la fin du xviiie siècled. Sans l’avoir traitée directement, les Pères parlent aussi de vérités principales qu’ils nomment « τα στοιχεια, τα πρώτα, τα αναγκαία ». De là, les professions de foi exigées des catéchumènes, les symboles ou formulaires imposés à l’Église, qui n’étaient que des sommaires des croyances qu’on jugeait indispensables ou fondamentales. C’est l’esprit de la maxime de saint Augustin : « In necessariis unitas, in dubiis libertas, in omnibus charitas. » — Le même principe et le même usage se retrouvent chez les docteurs juifs ; ils parlent également de vérités premières et essentielles qu’ils appellent colonnes, racines, fondements.
d – Calvin, I.C. 4.1.12
La doctrine des points fondamentaux est donc légitimée par la Bible, par l’usage universel, par la nature même des choses. Aussi se montre-t-elle, bon gré mal gré, jusque dans les discours et les écrits de ceux qui la repoussent en théorie. Tous élèvent certaines vérités, qu’ils font, en réalité, fondamentales à leur point de vue. Suivez-les, pour vous en convaincre, auprès des catéchumènes ; ou demandez-leur simplement une exposition succincte de leur système religieux, toujours ils mettent et tiennent en saillie les points qui forment pour eux comme la charpente du Christianisme. C’est une nécessité, fondée sur l’esprit de l’Évangile aussi bien que sur une loi de l’intelligence humaine. Nous tendons d’un côté à ramener nos croyances à des principes généraux qui en deviennent à nos yeux les traits essentiels et dominants, de telle sorte que quand ils sont une fois reçus, nous passons aisément sur le reste ; d’un autre côté, et tout le monde l’accorde, l’Évangile ne présente pas tout ce qu’il renferme comme également important, ni dans les faits : (la mort et la résurrection de Jésus-Christ, par exemple, occupent une tout autre place que ses miracles) ; — ni dans les dogmes.
Non seulement les dogmes diffèrent les uns des autres en valeur théorique et pratique ; — ainsi, celui de la rédemption nous touche certes infiniment plus que celui de l’existence des anges ; — mais dans le même dogme il y a des parties plus ou moins essentielles ; — ainsi, dans la doctrine générale du péché originel, la corruption de notre nature est certainement d’un plus haut intérêt que la question de son origine ou de sa transmission ; — ni dans les préceptes ; (le Seigneur lui-même place les devoirs de charité avant ceux de culte : « Je veux la miséricorde et non pas le sacrifice. » (Matthieu 9.13)
Il peut sembler extraordinaire qu’une doctrine si simple, si évidente, si nécessaire, quand on la considère en principe et en dehors de ses applications, ait toujours été si contestée. Elle est repoussée aujourd’hui par deux opinions contraires, l’extrême latitudinarisme et l’extrême séparatisme, dont l’un ne veut rien admettre d’absolument essentiel, parce qu’il ne veut de formulaire d’aucune espèce, tandis que l’autre semble tenir tout comme également essentiel et impose une complète unité dogmatique et disciplinaire. Cette dernière opinion s’est appuyée sur quelques textes tels que Romains 15.4 : « Toutes les choses qui ont été écrites, ont été écrites pour notre instruction, etc. » et 2 Timothée 3.16 : « Toute l’Ecriture est divinement inspirée, et utile pour enseigner, etc. ». Mais ces déclarations ne touchent pas à la question, car les partisans des points fondamentaux admettent pleinement ce qu’elles établissent ; ils ne mettent en doute ni l’inspiration des Ecritures ni leur vertu salutaire.
Réponse aux Objections. — La doctrine des Points fondamentaux a été de tout temps combattue par le Catholicisme. Voici ses principales objections, rajeunies par M. de Lamennaise :
e – Essai sur l’indiff., T. I.
1° Elle ne peut se prouver par l’Ecriture. — Si l’on veut dire qu’elle n’est pas un objet direct de révélation, en d’autres termes que nos auteurs sacrés n’ont pas fait un article de foi de la distinction théologique des vérités chrétiennes en « fondamentales » et « non fondamentales », qu’ils n’ont pas dressé non plus le catalogue des unes et des autres, nous l’accordons. Mais si l’on veut dire que l’Ecriture ne légitime ni n’autorise cette distinction, nous le nions, en nous référant à nos observations précédentes.
2° En établissant une différence aussi considérable entre les enseignements de la Bible, qui donne tout comme également divin, on renverse son autorité. — Cette accusation a sa source dans une fausse notion de la doctrine contre laquelle on la dirige. Notre doctrine n’implique nullement que toute l’Ecriture ne soit pas divinement inspirée, ni qu’on puisse rejeter ou négliger sans crime aucun de ses enseignements quand on l’a reconnu, ni que ce qui est nommé « non fondamental » soit inutile ou indifférent. Elle ne porte point atteinte au devoir, prescrit à tous les chrétiens, de « croître continuellement dans la connaissance et dans la grâce de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ ». Si elle distingue des points principaux et des points secondaires, en se fondant sur la nature des choses ainsi que sur l’esprit et sur le langage du Nouveau Testament, c’est uniquement pour grouper autour des premiers, pour en faire la base, la loi constitutive de l’Association religieuse, pour concilier la fidélité et la tolérance, la foi et la charité ; et elle laisse ensuite chacun à sa conscience et à la Bible devant Dieu, n’exigeant de personne le sacrifice de ses convictions particulières, n’arrêtant en aucune manière le développement religieux du chrétien. Elle ne se pose que sous un rapport extérieur, comme règle d’ordre, comme moyen d’union. Elle n’a d’autre but que d’entretenir, au milieu de diversités inévitables, cette communauté de croyance, qui, dans la Société religieuse, est nécessaire à la communauté de vie et d’action. Regardant aux relations de l’homme avec l’homme plutôt qu’aux relations de l’homme avec Dieu, elle se propose d’établir dans l’Église l’harmonie générale de direction, tout en laissant une large place aux opinions et aux tendances individuelles ; elle veut, en un mot, fonder l’ordre à côté de la liberté. L’humble et respectueuse soumission due aux Saintes-Ecritures, l’obligation de les méditer et d’en suivre les enseignements avec une religieuse fidélité, restent donc absolument intactes, et l’objection ne porte pas. Elle pourrait, tout au plus, nous atteindre si nous nous servions de la théorie des points fondamentaux pour déterminer ce qui est et ce qui n’est pas nécessaire au salut, car nous paraîtrions alors mettre entre les révélations divines une différence de nature comme de degré. Mais nous n’en faisons pas cet usage.
Le Catholicisme devrait, ce semble, être moins ardent à combattre notre doctrine, car il l’admet sous une forme différente. Sa distinction entre ce qui est de foi et ce qui est de simple opinion, entre ce qui est nécessaire et ce qui demeure libre, n’est pas autre chose. Il tolère une foule d’opinions et de croyances particulières, par la raison que l’Église n’a point prononcé à leur égard. Le fondamental pour lui, c’est ce que l’Église a décidé et dont elle a fait, en le décidant, la loi de son enseignement ou de son culte. Nous ne demandons pas davantage en principe ; pour nous, le fondamental est aussi ce que l’Église juge indispensable de poser pour sa charte constitutionnelle.
3° Elle méconnaît l’enchaînement des vérités religieuses. — Non ; elle se borne à tenir en lumière les principales de ces vérités, pour en faire la base de l’enseignement public et le lien de l’Église : chacun conserve la pleine liberté de coordonner ses croyances selon les besoins de son esprit ou de son cœur. Une confession de foi n’est pas une dogmatique ; elle ne doit pas l’être, et elle laisse une entière latitude à l’œuvre de la théologie. — « Tout se tient, dit M. de Lamennais, rejeter un point, c’est les rejeter tous, et il n’y a pas de milieu entre le catholicisme et l’athéisme » ; M. Maret dit aujourd’hui : « entre le catholicisme et le panthéisme » ; M. Nicolas : « et le socialisme » ; Bossuet disait : « et le déisme ». —
D’abord, dans la doctrine des points fondamentaux on ne rejette pas les points secondaires ; c’est un fait qu’il ne faut pas se lasser de répéter : on leur laisse leur place et leur importance relative, on veut que tout ce que la conscience individuelle trouve dans les Livres saints soit reçu par elle avec foi et appliqué avec soumission ; seulement, on n’exige pas que tous les docteurs de l’Église soient parvenus sur ces points là au même degré de lumière, à la même conception ou à la même formule. Ensuite, le simple bon sens fait justice de cette logique absolue qui dit toujours : tout ou rien. Tant pis pour le système qui ne peut céder sur un seul iota, sans s’en aller tout entier ! L’incrédulité, qui dévore la partie éclairée de l’Église romaine, et la superstition, qui enchaîne et dégrade l’autre, nous donnent sur la valeur du principe qu’on nous oppose un bien solennel avertissement. Et puis, l’argument atteindrait le Catholicisme lui-même ; car le Catholicisme distingue profondément, répétons-le, entre les dogmes définis par l’Église et les théories théologiques. Les décisions de l’Église ne forment un système, ni dans leur ensemble, ni sur aucun article pris à part. On peut donc leur reprocher aussi de méconnaître l’enchaînement des vérités religieuses.
4° On a varié sur la nature, sur le nombre des points fondamentaux et sur les caractères auxquels ils se font reconnaître. — Mais, parce qu’on a voulu en établir la nomenclature et la preuve par des méthodes diverses, s’ensuit-il qu’ils n’existent pas ? Quelle est la doctrine contre laquelle on ne puisse diriger plus ou moins des arguments de cette sorte ?
Les deux objections les plus communes au sein du Protestantisme sont que : poser des points fondamentaux et des points non fondamentaux, c’est 1° nier le salut des personnes qui n’admettent pas les premiers dans l’étendue et sous la forme qu’on leur donne ; 2° attacher peu d’importance aux derniers et les négliger plus ou moins. — Ces objections ne font que reproduire celles du Catholicisme, sous une autre forme. Elles tombent aussi, par conséquent, dès qu’on envisage la doctrine des points fondamentaux dans ses rapports avec l’Église, comme principe d’ordre, comme moyen d’union, au sein des innombrables diversités de vues et de tendances individuelles qu’il ne serait ni possible ni bon de comprimer, mais qu’il faut régler au degré nécessaire pour maintenir dans la Société religieuse l’harmonie générale de direction, d’enseignement et de culte. Ainsi envisagée, cette doctrine ne préjuge rien, ni sur le sort des âmes qui ne reçoivent pas intégralement les articles de foi qu’elle pose, ni sur l’importance propre des points qu’elle laisse indéterminés.