Or cinq jours après, le souverain sacrificateur, Ananias, descendit avec quelques anciens et un certain orateur, nommé Tertulle : ils portèrent plainte auprès du gouverneur contre Paul.
Quant à ce que Ananias descend en Césarée pour accuser saint Paul, cela rend plus probable la conjecture que j’ai ci-dessus amenée de sa sacrificature. Car la dignité de souverain Sacrificateur ne permettait pas qu’il entreprît de faire un tel voyage, vu que c’était une commission un peu trop basse pour cet état. Il y avait donc pour lors un autre souverain Sacrificateur ; mais Ananias étant des plus apparents entre les Sacrificateurs gouvernait, et était homme de grand courage, et ainsi il a bien pu faire cet ambassade. Or il amena avec soi une troupe de gens, voire de la compagnie vénérable des anciens, afin que cette belle apparence de gens honorables émeuve le Gouverneur à condamner Paul. Mais d’autant que Paul n’usait point de paroles exquises, pour le moins il n’était point besoin de louer un Orateur contre lui, qui débattît la cause par grande faconde de rhétorique. Joint que ses adversaires étaient élevés en dignité, et qu’il y avait avec eux grande compagnie de gens, en sorte qu’il leur était bien facile d’accabler ce pauvre homme destitué de toute aide. Ainsi donc quand ceux-ci qui étaient expérimentés de long usage, exercés dans les affaires publiques, et accoutumés à procédures en jugement, louent maintenant un Orateur, c’est un signe de mauvaise conscience. Il est vrai que l’éloquence est un don de Dieu ; mais en cette cause on n’a cherché autre chose sinon un fard et couleur pour éblouir les yeux du Juge. Or saint Luc explique ceci, afin que nous sachions que les Juifs n’ont rien omis, par quoi ils pussent complètement opprimer Paul ; et non seulement renverser son innocence, mais lui ôter toute défense, en l’assommant et le rendant confus, et par ainsi considérions que c’est une chose qui s’est faite par une merveilleuse grâce de Dieu, que saint Paul ait soutenu courageusement de si rudes assauts. Par quoi s’il advient quelque fois qu’un homme fidèle seul soit assiégé d’un grand nombre d’adversaires, qu’il se rappelle cette présente histoire, et recueille son esprit ; en lieu de demeurer saisi de frayeur ; comme aussi David nous exhorte à son exemple, disant, (Psaumes 27.3) Quand plusieurs armées m’environneraient, si ne craindrais-je point ; car tu es avec moi.
Et celui-ci ayant été appelé, Tertulle commença à l’accuser, en disant :
C’est par toi, très excellent Félix, que nous jouissons d’une paix profonde et des réformes que ta prévoyance a procurées à cette nation ; nous le reconnaissons en tout et partout avec une entière gratitude.
Ce gentil Orateur Tertulle fait ici une préface sans rapport avec la cause. Car il loue la prudence et les vertus de Félix, afin de l’amadouer et gagner sa grâce. Voilà donc un commencement plein de flatterie affectée. Non pas que je m’accorde à l’opinion de ceux qui blâment Tertulle, de ce qu’il attirait le juge par compliments et flatteries. Car louer le Juge, n’est pas toujours chose mal convenable à la forme droite et légitime de plaider. Et c’est un point qui pourrait être débattu tant d’un côté que d’autre. Mais de moi, je ne réprouve autre chose, sinon ce qui est ouvertement vicieux. Car cet Orateur s’insinue ici obliquement par louanges fausses, afin qu’il obscurcisse le fait duquel il est question. Car à quel propos parle-t-il de la paix et de l’état bien ordonné, sinon afin que Félix pensant que la conservation de l’état de tout le pays de Judée réside en la condamnation de saint Paul, ne connaisse point du fait ?
Davantage, on peut connaître par ce que Josèphe explique, comment Félix s’est malheureusement porté en cette province en toute avarice, cruauté et paillardise. déjà il avait occis vilainement et cruellement Jonathas souverain Sacrificateur, d’autant qu’il avait bien osé s’opposer à sa tyrannie exorbitante. Finalement, presque en ce même temps l’Empereur Claude fut contraint par les prières et requêtes importunes de tout le peuple, de le rappeler à rendre compte de son administration, et mettre un autre Gouverneur en sa place, à savoir Festus. Ainsi peut-on bien voir comment ce bel Orateur a vilainement menti et sans honte quelconque. Et en ce que les adversaires de Paul tous d’une bouche crient qu’il est ainsi, nous voyons qu’étant aveuglés de haine et de malice ils trahissent vilainement l’état et le bien commun du pays, et ne se soucient de rien, pourvu que Paul soit adjugé à mort. Là où Erasme a traduit : Beaucoup de choses soient bien administrées par toi, ou : beaucoup de bonnes choses aient été faites par toi ; l’ancien traducteur Latin semble approcher plus près de l’intention de saint Luc. Car la traduction ancienne porte, beaucoup de choses soient corrigées ; et le mot duquel use S. Luc, signifie Réformations ou Corrections. Ainsi donc Tertulle loue la dextérité et le soin de Félix, en tant qu’il a purgé le pays de Judée de beaucoup de corruptions, et a rétabli en meilleur ordre beaucoup de choses qui autrement s’en allaient en décadence. Or il fait cette belle préface, afin que Félix soit plus enclin a faire mourir un homme, et par la mort de celui-ci racheter la bonne grâce de tout le peuple, auquel autrement il savait bien qu’il n’était guère agréable.
Mais pour ne pas te retenir plus longtemps, je te prie de nous écouter brièvement selon ta clémence.
Nous avons en effet trouvé cet homme, qui est une peste et qui excite des séditions parmi tous les Juifs, par toute la terre, qui est chef de la secte des Nazaréens,
Ce Tertulle a deux buts. Il pourchasse premièrement, que Paul soit livré aux Juifs, d’autant que la connaissance leur appartient, quand il est question du service de Dieu, et de la Loi de Moïse. Que si cela lui est dénié, il a puis après un autre but, c’est qu’il intente un crime capital, à savoir que Paul a ému bruit et sédition entre le peuple des Juifs. Ils savaient bien que les Romains n’estimaient autre crime plus odieux ; par quoi sur tout il charge S. Paul de ce crime. Et ce bel Orateur amplifie cela même, quand il dit que S. Paul émut sédition par tout le monde entre les Juifs. Mais il y a de quoi s’étonner, en ce qu’il l’appelle chef de la secte des Nazaréens ; ce que nous savons avoir été plutôt digne de louange que de vitupère entre les Juifs. Or quant à moi, je pense que ceci se doit entendre, non pas de ceux qui se consacraient à Dieu selon l’observation légitime et cérémonie ancienne de la Loi ; mais de ces brigands séditieux qui se renommaient aussi de ce nom favorable de Zélateurs. Laquelle ligue se leva environ ce temps-là ; et même il apparaît par l’histoire de Josèphe, que dès lors elle était en sa furie. D’autres estiment que le nom de Nazaréens, est ici pris pour Chrétiens ; à quoi je m’accorde aisément. Toutefois si on trouve bonne la première exposition, Tertulle fait finement d’alléguer contre Paul qu’il est de cette secte, laquelle est odieuse aux Romains. Car comme ainsi soit que ces zélateurs-là voulaient être par-dessus les autres estimés les plus excellents observateurs de la Loi, sous couleur de zèle ils levaient (par manière de dire) la bannière pour irriter les cœurs du peuple. Cependant ces bons zélateurs de la Loi n’épargnent les principaux défenseurs de celle-ci, pourvu qu’ils enveloppent Paul en la rage qui était sur ceux-là. Hors cette cause ils eussent grandement favorisé aux Nazaréens que j’ai dit, comme à ceux qui étaient vaillant et hardis protecteurs de la Loi. Maintenant comme si leur contagion infectait tout le monde, ils chargent Paul comme par grand déshonneur, qu’il est de leur compagnie. Joint qu’ils calomnient Paul fort impudemment. Car nul ne le tenait pour suspect de cela. Ils jettent donc sur lui autant malicieusement qu’impudemment un blâme, comme tiré d’une rumeur d’un carrefour, et forgé sans quelque couleur. Mais voilà comment les hypocrites se fourrent sans se soucier non plus que des bêtes, pensant que toutes choses leur sont licites, moyennant qu’ils se couvrent de quelque fard de zèle.
qui a même tenté de profaner le temple. Aussi l’avons-nous arrêté.
Cette accusation était bien légère, et presque du tout frivole devant un Gouverneur Romain, lequel eût désiré que le temple eût été rasé par le pied. Mais pour ce qu’il n’y avait rien plus propre pour émouvoir les tumultes et bruits que la profanation du temple, il fait finement d’accuser Paul de cela, comme s’il disait qu’il n’a point tenu à Paul que la cité n’ait été en trouble, et qu’il avait été comme le flambeau pour allumer un feu qui eût apporté beaucoup de maux, si on n’y eût remédié de bonne heure. Et en même temps il mêle l’autre point, que pour ce que Paul avait violé la religion, le jugement de ce fait appartenait proprement aux Juifs. Et sur cela il se plaint du Capitaine Lysias, qu’il leur a ôté leur droit par force, il tâche donc de faire que le Gouverneur leur rende ce que le Capitaine leur avait ôté. Et ceci aussi n’est point sans astuce, que Tertulle tâche à ce que foi ne soit ajoutée à Lysias, qui s’était porté envers Paul plus humainement que les Sacrificateurs n’eussent voulu ; et qu’il le rend suspect obliquement, pour ce qu’il n’ose pas l’accuser et blâmer ouvertement. Mais on pourrait demander, s’ils ont pu espérer du Gouverneur, qu’il leur octroyât une chose si grande ; vu que pour lors il n’y avait que les Magistrats Romains qui connussent des causes criminelles ? Je réponds qu’ils font semblant de se montrer humains, comme ayant délibéré de traiter Paul plus doucement qu’il ne méritait. Car combien qu’ils ne condamnassent point un homme à mort, toutefois quelque léger châtiment leur était permis, comme de battre de verges. Cependant Tertulle ne laisse point de demander devant le Gouverneur, qu’il soit mis à mort.
[et nous voulûmes le juger selon notre loi : mais le tribun Lysias étant descendu, l’a enlevé de nos mains avec beaucoup de violence, ordonnant que ses accusateurs vinssent devant toi.]
Tu pourras toi-même, en l’interrogeant, apprendre de lui toutes les choses dont nous l’accusons.
Voici une requête bien raisonnable, que le Gouverneur ne juge point, sinon que le fait soit bien connu ; et qu’il ne condamne point Paul, que premièrement il ne soit dûment convaincu. Mais comment osent-ils plaider sous cette condition, comme ainsi soit qu’ils ont une si mauvaise conscience ? Je réponds à cela, qu’ils ont eu des témoins forgés à leur poste, et qu’ils ne s’offrent point de prouver, sinon à leur fantaisie et appétit, combien qu’il y avait une autre fin. Car ils espéraient bien que le Gouverneur Félix serait facilement persuadé par telles belles protestations de paroles, à délivrer Paul entre leurs mains comme déjà condamné, pour en faire à leur plaisir. En somme, tant plus qu’ils se seront orgueilleusement élevés, et se seront magnifiés en grande audace, tant mieux aussi pensent-ils par ce moyen obtenir la victoire, d’autant que tout accès sera fermé à l’accusé pour maintenir sa cause, et alléguer ses défenses. Voilà comment les calomniateurs ont accoutumé de procéder, n’est qu’ils se vantent assurément, qu’ils ne mettent rien en avant que chose bien prouvée, afin d’éblouir les yeux aux juges.
Les Juifs aussi se joignirent à lui, prétendant que les choses étaient ainsi.
Mais Paul, après que le gouverneur lui eut fait signe de parler, répondit : Sachant que depuis plusieurs années tu es juge de cette nation, c’est avec confiance que je parle pour ma défense.
Le principal point de la défense de S. Paul, ne consiste point en la qualité, c’est-à-dire à savoir si ce qu’on dit qu’il a fait est bon ou mauvais ; mais il nie le crime qui lui était imposé. Non pas qu’il eût honte de l’Evangile, ou qu’il évitait la croix ; mais pour ce que lieu ne lui était donné pour lors de faire plus pleine confession de sa foi. Laissant donc la cause de l’Evangile, à laquelle son accusateur n’avait point touché, il répond simplement aux calomnies et fausses accusations qui lui avaient été mises en avant. Mais avant que venir là, il fait cette préface, qu’il défendra sa cause devant Félix de meilleur courage, d’autant qu’il a longtemps tenu le gouvernement de Judée ; à savoir pour ce que par aventure quelque nouveau Gouverneur eût été étonné d’une accusation si énorme, comme n’étant bien encore instruit. Il ne loue point les vertus du Gouverneur, mais il dit qu’il est joyeux de ce qu’il est exercé de long usage pour juger plus paisiblement. Et cette façon de se défendre est franche et faite en rondeur, quand le défenseur oppose le fait aux paroles de ses accusateurs. Toutefois il semble bien que saint Paul fait une mauvaise conséquence, que Félix peut bien connaître le temps auquel il est venu, pour ce qu’il y a longtemps qu’il est Gouverneur. Je réponds que ceci est dit, pour ce qu’il est bien convenable que le Gouverneur se porte en plus grande modération ; comme s’il disait : D’autant que déjà il y a longtemps que tu es accoutumé à leurs mœurs et façons de faire, je n’ai point si grand peur que tu sois circonvenu par eux. Car l’ignorance rend volontiers les juges trop faciles à croire, Et les pousse à s’avancer plus qu’il ne faut.
Tu peux savoir qu’il n’y a pas plus de douze jours que je suis monté à Jérusalem pour adorer.
Premièrement il est bien certain qu’il était venu en Jérusalem pour d’autres causes ; et ci-après il confessera que la principale cause était pour y apporter des aumônes, pour subvenir à la nécessité et indigence des frères. Mais ceci est bien facile à excuser, que pour ce qu’il n’a point eu besoin de rendre compte de sa venue, il lui a suffi qu’en passant il se purgeât de ce qu’on l’accusait d’avoir violé la religion. Et pourtant combien qu’en entreprenant le voyage il eût autre but, si est-ce que toujours cela demeure vrai, qu’il n’est point venu d’autre affection que pour faire profession du service de Dieu, et même approuver la sainteté du temple en adorant là. Il y a une autre question où il y a plus de difficulté, à savoir comment il dit qu’il est venu pour adorer en Jérusalem, vu que la dévotion du temple était déjà abolie, et toute différence de temple était ôtée. A ceci aussi je réponds que combien qu’il ne déclare son intention, néanmoins il ne controuve rien de faux. Car l’adoration au temple n’était point défendue aux fidèles de Jésus-Christ, moyennant qu’ils n’attachassent aucune sainteté au lieu, mais qu’ils levassent les mains pures librement et sans aucune différence des lieux. Quand S. Paul est venu en Jérusalem, il lui a été licite d’entrer au temple, pour témoigner de sa religion, et là user des cérémonies du service Divin, comme on avait coutume, d’autant qu’il était pur de superstition, pourvu qu’il n’entreprît point des satisfactions pour les péchés, lesquelles fussent contraires à l’Evangile. La religion donc ne l’a point poussé à venir en Jérusalem selon les ordonnances de la Loi, comme si le Sanctuaire eût été la face de Dieu, ainsi qu’il avait été anciennement sous la Loi ; tant il y a toutefois qu’il n’a point dédaigné l’adoration externe, laquelle fut un témoignage de sa piété devant les hommes.
Et ils ne m’ont trouvé ni dans le temple, ni dans les synagogues, ni dans la ville, discutant avec quelqu’un ou provoquant une sédition de la foule.
S. Paul n’a point eu besoin de nier aucune de ces choses, s’il les eût faites ; car il pouvait bien défendre qu’il avait droitement fait. Il avait été un des Scribes, lesquels disputaient ordinairement. Et aussi il ne leur était défendu ni par la Loi, ni par aucune coutume, de s’assembler par compagnies ou groupes pour enseigner. Et qui plus est, les synagogues étaient ordonnées en divers lieux de la ville à cette fin, dans lesquelles ils fissent leurs assemblées. Joint qu’il savait bien que cela avait été fait tant par Jésus-Christ que par les apôtres. Il pouvait aussi renvoyer sur les adversaires ce qu’ils lui avaient objecté pour crime, vu qu’eux-mêmes avaient cette coutume ordinaire de s’assembler. Mais pour ce qu’il n’a autre but pour le présent, sinon de repousser les calomnies de ses ennemis, et de montrer évidemment que ses adversaires ont eu grand tort de se jeter ainsi à la volée sur lui avec tel bruit ; il ne dispute point du droit, mais du fait tant seulement. Et sur tout il insiste à montrer et découvrir que c’est une calomnie frivole, quand ils l’ont accusé comme auteur de trouble et sédition. Pourtant il conclut qu’il a été faussement et à tort accusé, d’autant que ses parties adverses ne pourront jamais prouver les choses qu’ils avaient amenées en jugement. Or cela était suffisant pour le faire absoudre, de voir qu’on chargeait vilainement par mensonge un homme, auquel il n’y avait soupçon du monde tant peu qu’on eût su dire.
Et ils ne peuvent prouver les choses dont ils m’accusent maintenant.
Mais je te confesse ceci : que, selon la voie qu’ils appellent secte, ainsi je sers le Dieu de mes pères, croyant tout ce qui est écrit dans la loi et dans les prophètes ;
Pour ce qu’ils avaient reproché à Paul qu’il était sans religion, et qu’il avait violé le temple ; maintenant il se purge de ces deux crimes, à telle fin que Félix entende que ses adversaires n’étaient poussés que de haine et malveillance. Car encore que la religion que des adversaires objectent, soit fausse et mal réglée, si est-ce que le zèle de celle-ci trouve quelque faveur souvent envers les gens qui ne regardent pas les choses d’assez près. Par quoi il était bien à craindre que Félix non seulement ne pardonnât au zèle des Sacrificateurs, mais aussi leur octroyât ce qu’ils requéraient, s’il eût eu quelque mauvais soupçon de saint Paul. Et pourtant saint Paul répond à cette partie de l’accusation ; voire en telle sorte, qu’il ne touche point à la foi de l’Evangile ; car (comme j’ai dit) il n’était point encore temps d’en faire confession alors. Mais que veut dire ceci, qu’il confesse qu’il sert à Dieu selon la voie qu’ils appellent Secte ? Il y en a d’aucuns qui pensent que ceci soit ajouté comme par forme de concession, pour ce que les adversaires de S. Paul tiraient faussement en mauvaise part ce qui devait être attribué à bon jugement et droit choix ; comme si saint Paul eût dit : il est bien vrai que la forme de religion que j’ai suivie, est appelée secte, mais c’est à tort. Mais comme ainsi soit que ce nom d’Hérésie que nous traduisons secte, ne fut point infâme alors, ni entre les Juifs ni entre les Gentils, il n’est point vraisemblable que S. Paul se défend ? et excuse devant un homme profane d’une chose laquelle par tout on estimait louable plutôt que vicieuse. Si on parle entre les Chrétiens, l’Esprit de Dieu veut qu’on ait en détestation les hérétiques et faiseurs de sectes ; et enseigne qu’il se faut bien garder des sectes et hérésies, d’autant qu’elles apportent une dissipation pernicieuse à l’Eglise. Ainsi donc ce n’est point une chose à endurer entre le peuple de Dieu, le salut duquel réside en l’unité de la foi. Mais pour ce que les Juifs se glorifiaient pour lors ouvertement de leurs sectes, c’eut été une chose superflue d’amener cette excuse, de laquelle il a été naguère parlé. Et pourtant il reste, ou qu’il entende qu’il est Pharisien, ou qu’il appelle hérésie ou secte la religion Judaïque, ou bien la profession de l’Evangile (sans toutefois le noter de quelque mauvaise note) d’autant qu’elles étaient distinctes de l’usage et coutume de toutes autres nations. Vu qu’il a confessé ci-dessus qu’il était Pharisien, il n’y aura nul inconvénient, si nous disons qu’il répète maintenant le même ; vu même qu’incontinent après mention est faite de la résurrection des morts. Toutefois, pour ce que ce premier article contient seulement confession touchant le service du Dieu des Pères ; de ma part, il me semble que plutôt est dénotée en général la religion Judaïque ou la foi Chrétienne qui en procédait. S. Paul était bourgeois de Rome ; toutefois comme il était sorti des Juifs, il confesse qu’il demeure en la religion laquelle il avait apprise de ses pères. Et à ceci appartient ce mot Ainsi : car il démontre une chose toute connue, à savoir la forme du service Divin auquel les Juifs étaient adonnés. Il fait mention expresse du Dieu des Pères ; pour ce qu’il n’était licite à un homme Romain de venir à la doctrine de la Loi, s’il n’eut été Juif de race. Il taxe aussi ses adversaires, par lesquels il est si cruellement assailli, comme ainsi soit toutefois qu’ils consentent d’un côté et d’autre au service d’un même Dieu. Pour moi, dit-il, je sers à Dieu selon la façon enseignée par nos prédécesseurs, aussi bien qu’ils font. Et à ceci n’est point contraire ce qu’il avait laissé les cérémonies de la Loi, et se contentait du service spirituel de Dieu. Car c’était assez à S. Paul de se purger de la tache d’impiété, laquelle lui était faussement attribuée. Par quoi les Papistes se montrent bien sots, qui imaginent que l’exemple de saint Paul soit pour approuver toute ancienneté. Nous servons au Dieu de nos Pères avec saint Paul, disent-ils, comme la coutume nous a été donnée de main en main. Voire, comme s’il suffisait (au jugement même des Papistes) aux Turcs et aux Juifs de mettre au devant le même bouclier contre la foi de Jésus-Christ. Or tant y a que le saint apôtre n’avait rien moins délibéré que de fonder simplement la religion sur l’autorité des ancêtres, et de maintenir sa piété par une défense qui devait être commune à toutes les superstitions des Gentils. Seulement il a voulu fermer la bouche à ses adversaires. Cependant il prenait ceci pour tout résolu, que les Pères desquels était venue la religion Judaïque, avaient bien et dûment servi Dieu ; en sorte que les Juifs non abâtardis se pouvaient glorifier à bon droit que le Dieu de leurs Pères, auquel ils servaient, était seul Créateur du ciel et de la terre ; et que les dieux des autres nations de tout le reste du monde, n’étaient que vaines inventions.
Croyant à toutes les choses. C’est une brève exposition de la sentence précédente. Car pour ce qu’il n’avait pas affirmé simplement qu’il servait Dieu, mais avait ajouté le mot Ainsi, maintenant il déclare comment il sert à Dieu. Dont il apparaît qu’il se garde soigneusement de s’envelopper dans des superstitions controuvées qui régnaient entre les Juifs. Comme si quelqu’un d’entre nous répondait aujourd’hui aux Papistes, qu’il sert au Dieu duquel ils font profession, comme nous sommes enseignés par la Loi et l’Evangile. De ceci apprenons que Dieu n’est point dûment servi comme il n’appartient, à ce que notre service lui soit agréable, si la foi n’y est, laquelle est le fondement de la piété. Car pour prouver qu’il est serviteur, il n’allègue point les cérémonies simplement, mais il met expressément : Qu’il croit. Or ce passage contient une doctrine fort utile et grandement nécessaire, que c’est le seul fondement de la vraie foi Chrétienne, quand nous nous soumettons en toute obéissance à la sainte Ecriture, et recevons en vraie humilité la doctrine de celle-ci. Au reste, S. Paul fait ici une division de l’Ecriture, mettant d’un côté la Loi, et d’autre part les Prophètes, afin qu’il montre plus clairement qu’il n’a rien de divers du consentement universel de toute l’Eglise.
ayant en Dieu cette espérance, laquelle eux-mêmes attendent aussi, qu’il y aura une résurrection des morts, tant des justes que des injustes.
Il nous faut bien noter la continuation de ce propos. Car après qu’il a protesté qu’il croyait à l’Écriture, maintenant il ajoute l’espérance de la résurrection, afin qu’on connaisse qu’il ne l’a point conçue par raison ou sens de la chair, ou par les folles fantaisies des hommes, mais par la parole de Dieu. Par ce moyen la révérence de la parole de Dieu va devant, afin que l’autorité de celle-ci nous tienne astreints ; et elle est le commencement de la foi ; puis après vient la connaissance des choses que Dieu nous y a manifestées, conjointe avec une certaine et ferme espérance. Quant à ce qu’il se conjoint avec eux, cela se rapporte à la meilleure part ; combien qu’il n’y a point de doute qu’il ne tâche par ce moyen de les tirer hors de leurs creux, pour les amener en lumière devant Félix, comme on pourra derechef facilement connaître par la fin de sa défense. Au surplus, la résurrection générale est ici maintenue contre aucuns esprits fantastisques, lesquels la restreignent aux membres de Jésus-Christ. Mais tout ainsi qu’en ce passage saint Paul dit que tous hommes ressusciteront ; aussi tous indifféremment sont convoqués par le Fils de Dieu haut et clair, les uns a vie, les autres à jugement, Jean 5.29.
C’est pourquoi moi-même aussi, je m’efforce d’avoir constamment une conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes.
Il n’y a point d’aiguillon plus poignant pour inciter à bien et saintement vivre, que la ferme espérance de la résurrection dernière, comme nous sommes bien souvent exhortés par l’Écriture. Et pourtant quand saint Paul veut exhorter les fidèles avec efficace, il les renvoie à la mémoire de la résurrection, Philippiens 3.20. Par quoi ce n’est point sans cause qu’il dit en ce passage, qu’étant appuyé sur cette foi, il a mis peine de vivre purement devant Dieu, et de se gouverner justement entre les hommes. Et de fait, une mauvaise conscience vaut bien mille témoins pour convaincre les hommes de stupidité ; en sorte qu’on peut bien pour certain recueillir, que vu qu’ils n’aspirent point à la vie éternelle, aussi ils ne la croient pas a bon escient. Il dit qu’il a eu sa conscience sans aucune offense ; c’est quand les serviteurs de Dieu s’emploient à ôter les scandales et obstacles qui les empêchent de faire leur cours. Or il met deux parties de la conscience. Il y a un sentiment intérieur du cœur, qui regarde seulement à Dieu. De là vient puis après la fidélité et rondeur de laquelle nous usons envers les hommes. Finalement, quand il dit qu’il a constamment persévéré à se montrer religieux envers Dieu, et juste envers les hommes, il signifie que ceux qui ne se lassent jamais à bien faire, sont ceux qui attendent et espèrent vraiment la dernière résurrection. Car le mot toujours, signifie persévérance et continuation d’un train égal.
Or après plusieurs années, je suis venu pour faire des aumônes à ma nation et pour présenter des offrandes.
Le sens est tel, qu’il y avait déjà longtemps qu’il n’avait été en Jérusalem, mais bien qu’il avait conversé en d’autres régions lointaines, et qu’après beaucoup d’années il est maintenant venu pour apporter des aumônes, et pour offrir à Dieu sacrifice d’action de grâces. Dont aussi on peut connaître leur inhumanité, et en même temps ingratitude ; en tant qu’en lieu qu’il avait mérité en toutes sortes que toute la nation lui favorisât, maintenant ils lui rendent une si vilaine récompense. Or ce passage est une exposition du précédent, où mention a été faite de l’adoration. Car c’est une chose bien certaine que S. Paul n’était pas venu de propos délibéré pour offrir au temple ; d’autant qu’il n’a point pris conseil de ce faire, sinon après qu’il a été arrivé. Mais seulement il explique ce que les Juifs ont aperçu en lui ; ce qui était le point qui avait plus grande importance touchant la cause présente. Et quand il dit finalement qu’il a été trouvé au temple faisant cela, et même ayant usé auparavant d’une purification solennelle ; puis après qu’ils ont trouvé qu’il était paisible, n’émouvant aucun tumulte ne bruit ; il repousse derechef ces deux crimes. Car la purification servait de bon témoignage qu’il n’avait point profané le temple ; en après, puis qu’il se portait paisiblement sans aucun amas de peuple, on ne le pouvait soupçonner de sédition.
Comme je les présentais, ils m’ont trouvé purifié dans le temple, sans attroupement ni tumulte ;
c’étaient certains Juifs d’Asie, qui devraient comparaître devant toi et m’accuser, s’ils avaient quelque chose contre moi.
Le sens est clair, qu’il y a eu aucuns Juifs d’Asie qui sans cause ont ému ce grand bruit ; et se plaint de ce qu’ils sont absents ; comme s’il disait : Vous autres qui amassez tant de crimes sur moi, vous ne pouvez pas bien affirmer comment la chose va ; mais vous apportez ici devant le siège judicial du grand Gouverneur un bruit que vous avez cru à la volée. Mais ceux qui sont coupables de tout ce mal, et qui ont été comme les soufflets pour allumer ce feu, ne comparaissent point. Or après que S. Paul a rejeté le crime sur les autres, maintenant comme s’il reprenait courage, il dépite ses adversaires qui étaient la présents, afin qu’ils disent franchement s’ils ont connu quelque chose. Combien qu’en ce passage je ne suis pas de l’opinion d’Erasme et de l’ancien traducteur Latin ; car ils traduisent ceci au temps présent : Devant lequel j’assiste ; et par le mot de Conseil, entendent la cour du grand Gouverneur. Ce qui me semble n’être point de l’intention de S. Paul. Car selon mon jugement, il veut dire qu’en leur Conseil il a été prêt de rendre raison de tous les points ; mais que lors ils n’ont rien connu qu’ils puissent blâmer ; et d’autant que pour un seul mot ils se sont effarouchés, quand il disait qu’il était accusé de la résurrection des morts ; qu’il n’y a autre cause pourquoi ils lui font toute cette fâcherie, sinon pour ce qu’il attend la résurrection. Dont il apparaît que non sans cause maintenant ils forgent une nouvelle accusation, pour ce que s’il y eût eu quelque faute en lui, ils ne l’eussent pas cachée alors. Il est vrai qu’il y a apparence que lors il y eût d’autres propos tant d’une part que d’autre, et qu’ils choquèrent de plus près comme main à main (car nous verrons ailleurs qu’ils eurent débat touchant Christ) mais l’intention de S. Luc a été seulement de montrer comment saint Paul s’était fort bien purgé des faux blâmes que lui imposaient ses accusateurs.
Ou bien, que ceux-ci disent eux-mêmes de quel crime ils m’ont trouvé coupable, lorsque j’ai comparu devant le sanhédrin ;
à moins que ce ne soit cette seule parole, que j’ai dite hautement pendant que je comparaissais au milieu d’eux : C’est pour la résurrection des morts que je suis aujourd’hui mis en jugement devant vous.
Mais Félix, qui connaissait assez exactement ce qui concernait cette voie, les ajourna en disant : Quand le tribun Lysias sera descendu, j’examinerai votre affaire.
Il apparaît que combien que Félix ne prononçât rien de la cause, néanmoins il a bien aperçu que ce que Paul était chargé, ce n’était point pour quelque offense qu’il eût commise, mais par la malice des Sacrificateurs. Car quand saint Luc explique que le plaidoyer a été remis à la venue de Lysias, en même temps pour raison il entrelace que le Gouverneur a connu pour certain les choses qui concernaient cette voie. Par lesquels mots je pense qu’il signifie, ou que Félix était exercé de long usage, en sorte qu’il entendait bien la façon de faire des Sacrificateurs, et comme ils avaient accoutumé de se gouverner, ou qu’il a bien connu par les choses qui avaient été dites tant d’un côté que d’autre, combien cette accusation était frivole. Et ceci est confirmé par ce qu’il traite Paul un peu plus humainement, et qu’il lui donne quelque relâche. Car il le confie à un Centenier, comme le mettant en une garde plus souple. Les autres aiment mieux lire ceci tout d’un fil en la personne de Félix : Quand Lysias sera venu qui entend mieux les affaires, alors j’en jugerai. Mais ils se fondent sur une raison qui n’est pas guère ferme, pour en tirer ce sens contraint. Ils disent que le mot de voie seul sans autre chose ne se trouve jamais pris pour la doctrine de la Loi. Aussi ne l’exposé-je pas de la Loi, mais des sectes qui étaient entre les Juifs, desquelles les étrangers qui fréquentaient le pays, n’étaient pas ignorants. Certes il n’y avait celui qui ne sache bien que les Pharisiens tenaient l’immortalité des âmes. Vu donc que c’était une chose tout communément notoire, ce n’est pas merveille si Félix tient S. Paul pour innocent. Au reste, de prendre le mot de voie pour connaissance du cas, ce serait une exposition un peu dure. D’autre part, je ne vois point quelle apparence il y avait que le grand Gouverneur attribuât plus de connaissance de la Loi au Capitaine qu’il n’en avait lui-même. Or son innocence est mieux connue par ceci, qu’un homme profane a incontinent conçu telle opinion de celle-ci, que comme l’exemptant du rang des prisonniers liés, il a permis qu’il fut par ses amis visité familièrement, et qu’on lui fît tous plaisirs. Nous pouvons bien aussi recueillir de ce passage, que les compagnons de Paul, et le résidu de l’Eglise ne l’ont point abandonné. Car à quel propos eût-on permis entrée à ses familiers, s’ils n’eussent été là présents, et ne se fussent montrés soigneux, et eussent désiré de faire leur devoir ? Apprenons donc par cet exemple, que nous ne devons point frauder les Martyrs de notre Seigneur Jésus d’aucune sorte de soulagement, autant que notre puissance se pourra étendre, et qu’il nous sera libre, quand ils travaillent pour l’Evangile.
Il ordonna au centenier de garder Paul, et qu’il eût quelque liberté, et qu’on n’empêchât aucun des siens de le servir.
Quelques jours après, Félix étant venu avec Drusille sa femme, qui était juive, envoya chercher Paul, et l’entendit parler de la foi en Christ Jésus.
Nous avons déjà touché quelque chose ci-dessus de l’avarice et des corruptions de Félix. Maintenant quant à Drusille sa femme, les lecteurs doivent être avertis qu’elle était fille d’Agrippa le grand, de la vilaine mort duquel S. Luc a parlé ci-dessus Actes 12.23. Or elle avait été promise à Epiphanes fils du roi Antiochus. Mais comme ainsi soit que ce jeune homme eût en horreur de recevoir les cérémonies des Juifs, il refuse ce qu’il avait promis de faire ; et son frère Agrippa le jeune, duquel mention sera faite au chapitre suivant, après la mort de son père la donna pour femme à Azizus Roi des Eméséniens ; de la compagnie duquel elle fut retirée par les cadeaux et flatteries de Félix. Car Félix épris de la beauté singulière de celle-ci, suborna un certain Juif nommé Simon, Chypriote de nation, qui par ses maquerellages et douces paroles l’incitât à laisser son mari, et à contracter un nouveau mariage. Il advint donc par ce moyen que cette femme lascive rompit la foi de son mariage, et contre la Loi se maria à un homme incirconcis. Au surplus, combien qu’elle se fût polluée de ce mariage profane, toutefois on peut facilement recueillir de ce passage, que le sentiment de la religion qu’elle avait reçu dès son enfance, n’était pas du tout effacé de son cœur. Car Félix ne se fut point soucié d’écouter S. Paul, et n’eût daigné ouvrir la bouche pour parler à lui, si ce n’eût été pour l’amour de sa femme. Il est vrai que saint Luc n’exprime pas cela ; tant il y a toutefois qu’en nommant Drusille, il démontre assez que saint Paul a été appelé pour l’amour d’elle, afin qu’il traitât de l’Evangile ; combien que quand tels apostats viennent à cela, c’est plutôt quelque curiosité qui les chatouille, qu’une droite affection d’apprendre qui les y pousse.
Et l’entendit parler de la foi qui est en Christ. Cette confession de saint Paul rend témoignage, que quand auparavant il s’est tu sur Jésus-Christ, ce n’a pas été qu’il eût crainte pour sa personne, ou qu’il se retirât, ne voulant point sentir de la fâcherie de la croix ; mais pour ce que le temps n’était pas encore venu, qu’on lui peut donner quelque bonne audience. Vu qu’il était convoqué pour comparaître comme criminel devant le siège du Juge, il lui a fallu répondre des crimes, lesquels on lui avait mis dessus ; afin que puis après il fut à délivre pour faire ouverte confession de la foi de Jésus-Christ. Maintenant donc voyant qu’il y avait entrée pour parler, il ne craint point si le Gouverneur est offensé, et ne s’inquiète point du danger, pour dissimuler finement, et faire semblant qu’il n’est point Chrétien. Par quoi nous voyons bien qu’il a été muni d’un côté d’une constance invincible, et d’autre part de prudence et jugement ; et qu’il n’a jamais eu cette intention de supprimer la lumière de l’Evangile ; mais seulement il a prudemment regardé au temps. Cependant il est bon que nous observions ici le conseil admirable de Dieu, qu’il veut que quelque fois l’Evangile soit proposé aux réprouvés, non pas à ce qu’ils en fassent aucunement leur profit, mais plutôt afin qu’ils soient rendus inexcusables. Il eût beaucoup mieux valu à Félix et à sa femme Drusille, qu’ils n’eussent jamais entendu un seul mot de Jésus-Christ ; car ils ne sont point demeurés impunis, d’avoir méprisé ou rejeté avec dédain la grâce de salut qui leur a été offerte. Il nous faut aussi noter que certains par une semence naturelle de piété qu’ils ont en eux, désirent l’Evangile ; lesquels après l’avoir entendu, ou ils s’en fâchent, ou ne le peuvent porter. Cependant, quelque issue que puisse avoir l’Evangile, soit qu’il vivifie les hommes, ou qu’il les tue, si est-ce qu’il est toujours une suave et bonne odeur devant Dieu.
Mais comme il parlait de justice et de tempérance, et du jugement à venir, Félix, effrayé, répondit : Pour le présent, va-t’en, mais quand j’en trouverai l’occasion, je te rappellerai.
Félix s’attendait bien d’avoir du passe-temps par le discours de Paul ; comme ceux qui sont convoiteux de choses nouvelles, remplissent volontiers leurs oreilles de disputations subtiles. Avec ce il voulait bien obtempérer au désir de sa femme, en une chose en laquelle il n’aurait point matière de se fâcher. Or il est maintenant contraint de sentir une autre efficace de la parole de Dieu, qu’il n’avait conçu en son esprit ; laquelle lui ôte tout passe-temps. Paul étant prisonnier expose le jugement de Dieu. Celui qui avait puissance sur lui ou de le faire mourir, ou de lui sauver la vie, est tout étonné et saisi de frayeur ; et ne trouve autre soulagement, sinon en le faisant retirer de devant soi. Apprenons de ceci en premier lieu, quelle vertu et combien grande efficace de l’Esprit de Dieu il y avait tant au cœur qu’en la langue de saint Paul. Pour ce qu’il voit bien qu’il lui faut parler au nom du Seigneur Jésus, il ne parle point d’un style bas et pour faire du marmiteux ; mais il exécute magnifiquement l’ambassade qui lui est ordonnée ; comme s’il était éminent en quelque haut lieu, et mettant en oubli son emprisonnement, il exerce le jugement céleste en la personne du Fils de Dieu. Et quand nous voyons que le cœur de Félix est ainsi piqué à la voix d’un homme captif, en cela se montre bien aussi la majesté du Saint Esprit, laquelle Christ magnifie en disant : Quand l’Esprit sera venu, il jugera le monde, etc. et cette grande vertu et force de la Prophétie, laquelle saint Paul lui-même loue si hautement 1 Corinthiens 14.24. De même est accompli ce qu’il dit ailleurs : Que la parole du Seigneur n’a point été liée avec lui quand il était prisonnier, laquelle non seulement il a affirmée en liberté et sans crainte, mais laquelle a pénétré avec grande efficace dedans les cœurs des hommes (voire d’hommes enflés d’orgueil à cause de leur grandeur) comme si elle eût tonné et foudroyé du ciel. Davantage, il nous faut noter que combien que les réprouvés soient stupéfaits du jugement de Dieu ; tant il y a toutefois que pour ce seul étonnement ils ne sont point renouvelés à repentance. Il est vrai que Félix est bien ému, entendant que Dieu sera juge du monde ; mais cependant concevant horreur et frayeur du siège judicial de celui-ci, il le fuit aussi ; en sorte qu’il y a en lui seulement une tristesse feinte, laquelle n’amène point à salut. La repentance donc requiert une crainte, laquelle vienne à engendrer une haine volontaire de péché, et faire comparaître l’homme devant la face de Dieu, tellement qu’il souffre volontiers d’être jugé par la parole de celui-ci. Et c’est un signe qu’on a vraiment et bien profité, quand le pécheur cherche médecine de là même d’où il a reçu le coup. De plus, ce passage nous enseigne que lorsque les hommes sont au vif examinés par la parole de Dieu, quand celle-ci leur exposant les vices desquels ils sont entachés, leurs consciences sont convoquées au jugement à venir. Car saint Paul disputant de justice et de modération, a piqué vivement l’ulcère de Félix ; comme ainsi soit qu’il fut homme confit en paillardise, d’une vie complètement dissolue, et abandonnée à toute iniquité.
En même temps aussi, il espérait que Paul lui donnerait de l’argent ; c’est pourquoi aussi il l’envoyait chercher assez fréquemment, et s’entretenait avec lui.
Combien que Félix connut bien l’intégrité et innocence de saint Paul, en sorte qu’il avait honte de vendre la condamnation de celui-ci aux Juifs, nonobstant comme il était homme avare et adonné aux corruptions, il ne l’a point voulu absoudre pour néant. Pour cette raison il fait appeler Paul souvent, afin que par ses douces paroles il lui donne espérance de pouvoir racheter sa délivrance. Car c’est ainsi que s’insinuent les juges qui aiment l’argent, quand ils veulent faire ouverture aux corruptions. Dont nous pouvons recueillir que la crainte que Félix avait conçue de la prédication de saint Paul n’était pas ferme, mais s’est bientôt évanouie ; vu que l’espérance de quelque gain l’incite et contraint de faire venir Paul à soi, lequel il avait été contraint de faire retirer à cause de la peur qu’il avait. Comment est-ce que Félix a pu espérer quelque somme d’argent d’un homme pauvre et dénué ? Car ce gouffre ne se fût point contenté d’une petite somme. Pour ma part, je ne fais point de doute que, comme ceux qui exposent la justice en vente, sont gens qui flairent de loin, et subtils, celui-ci voyant les Juifs pourchasser si diligemment à ruiner saint Paul, n’ait senti de loin quelque chose de lui ; à savoir que ce n’était point un homme de petite conséquence, mais qui était favorisé de plusieurs. Par quoi il a tenu pour certain qu’il y avait plusieurs de ses amis, qui contribueraient volontiers et de bon cœur pour le délivrer.
Or, après deux ans accomplis, Félix eut pour successeur Porcius Festus ; et voulant s’assurer la reconnaissance des Juifs, Félix laissa Paul dans les chaînes.
Vu que Paul savait bien que ce juge mercenaire lui serait favorable quand on lui aurait présenté de l’argent, et comme ainsi soit qu’il ait eu assez bon loisir d’amasser quelque somme, il est vraisemblable que non seulement il a épargné les frères, mais aussi qu’il a eu en horreur telles pratiques et trafics, par lesquelles la sainteté de l’ordre politique est vilainement polluée. Or là-dessus au lieu que les Gouverneurs étant venus au bout de leur administration et gouvernement ont accoutumé de lâcher les prisonniers, lesquels ils auront connu n’être coupables de crime, Félix a tenu un moyen tout contraire pour se gratifier. Les Juifs s’étaient plaints souvent de son avarice et gain déshonnête, de ses rapines et concussions, de sa cruauté, et de tout son gouvernement exorbitant. L’empereur Claude ayant la tête rompue de tant de complaintes, le retirait du pays de Judée. Or afin qu’ils ne soient point tant envenimés contre lui, il laisse Paul emprisonné. Ainsi pour récompense de ses maléfices il substitue un serviteur de Dieu innocent, afin d’apaiser par cela les Sacrificateurs.