Dans l’Église grecque du ive siècle le millénarisme a disparu : l’autorité d’Origène lui a donné le coup fatal. On ne paraît même pas admettre une dilation quelconque pour les justes de leur entrée dans la gloire. Saint Jean Damascène a cité, il est vrai, comme de saint Athanase, un fragment qui supposerait leur félicité retardée jusqu’après la résurrection ; mais l’authenticité de ce texte est douteuse, et l’on peut citer, en sens inverse, un passage bien authentique de la Vie de saint Antoine (66), où le saint docteur suppose, au contraire, que les âmes justes sont immédiatement reçues au ciel. C’est aussi le sentiment de Macaire d’Alexandrie, des deux Grégoire et de saint Jean Chrysostome.
La résurrection de la chair était un dogme admis dès le principe, et que l’on devait seulement défendre contre les multiples objections des hérétiques et des philosophes, comme l’ont fait saint Chrysostome et saint Epiphane. Mais on avait à déterminer de plus près le comment de cette résurrection. Les théories d’Origène avaient jeté sur ce point des obscurités qui troublaient la simple foi primitive ; et d’ailleurs il fallait expliquer comment les mêmes éléments du corps antérieur et vivant sur la terre pouvaient se réunir de nouveau et se joindre à l’âme. Relativement aux théories origénistes, il serait intéressant de connaître exactement les vues de Didyme sur la question. Malheureusement, ce qui en reste est trop incomplet pour qu’on puisse l’apprécier. En revanche, nous voyons saint Epiphane diriger contre Origène une réfutation vigoureuse et prolixe. C’est bien notre corps actuel, encore que transformé et, en un sens, spiritualisé, qui ressuscitera. Même doctrine dans Amphiloque et dans saint Cyrille de Jérusalem : αὐτὸ τοῦτο (σῶμα) ἐγείρεται : τοῦτο, mais non pas τοιοῦτον, car le corps des justes revêtira des propriétés surnaturelles, et celui des méchants deviendra capable de brûler éternellement sans se consumer. Quant à la manière dont on peut concevoir la possibilité de la résurrection et, malgré la mobilité des éléments matériels, l’identité du corps ressuscité avec le corps vivant, on en trouve un long essai d’éclaircissement dans saint Grégoire de Nysse, qui a consacré à cette question une partie de son traité De anima et resurrectione. Grégoire pose en principe que la résurrection sera pour nous une restitution dans l’état premier que le péché d’Adam nous a fait perdre : ἀνάστασίς ἐστιν ἡ εἰς τὸ ἀρχαῖον τῆς φύσεως ἡμῶν ἀποκατάστασις (col. 148). Dès lors sera exclu des corps ressuscités tout ce qui est la conséquence du péché, la mort, les infirmités, difformités, maladies, blessures, la faiblesse, la vieillesse et la différence des âges. La nature humaine ne cessera point d’être humaine (ἑαυτὴν οὐκ ἀφίησιν) mais elle passera en un état spirituel et impassible supérieur (εἰς πνευματικήν τινα καὶ ἀπαϑῆ κατάστασιν), indépendant de la quantité de matière première qui sera successivement entrée en composition du corps sur la terre.
Mais comment l’âme, qui devra, au dernier jour, se réunir avec une certaine quantité au moins de ces éléments matériels, qui entraient dans son corps, les retrouvera-t-elle dans la masse commune ? L’auteur répond en remarquant que chaque corps, malgré l’incessant tourbillon auquel ses éléments sont soumis, offre un type parfaitement reconnaissable et qui ne change point quant au fond. Ce type est connu de l’âme : il a été comme imprimé en elle pendant la vie mortelle : elle conserve donc, même après la mort, vis-à-vis de ce type et pour la matière dont son corps était composé, une attraction, une affinité qui lui permet de reconnaître les éléments qui lui appartiennent dans la masse commune où ils sont tombés. Elle suit d’ailleurs ces éléments, et veille pour ainsi dire toujours auprès d’eux jusqu’au moment de la résurrection, moment où elle en ressaisit ce qui lui est nécessaire pour son corps nouveau.
La résurrection sera suivie du jugement, dont saint Grégoire de Nazianze donne quelque description. Les justes seront récompensés suivant leur mérite, les méchants punis. Cette peine des damnés sera-t-elle éternelle ? Par la réponse qu’ils font à cette question, on peut juger de l’influence d’Origène sur nos auteurs. Or nous constatons que, si la plupart d’entre eux ont conservé, sur ce point, le langage traditionnel, d’autres ont été ébranlés ou même gagnés par l’autorité du maître. La doctrine de Didyme, pour autant que nous la connaissons, est correcte. Saint Basile, saint Cyrille de Jérusalem, saint Epiphane, saint Chrysostome sont très fermes. Dans, l’enfer, remarque saint Basile, l’Esprit-Saint est complètement séparé de l’âme pécheresse, et dès lors celle-ci devient incapable de pénitence. Fidèle à sa méthode d’exégèse littérale, saint Chrysostome trace un tableau, d’après l’Écriture, de ce qu’est l’enfer ; puis il ajoute que ni le corps devenu immortel, ni l’âme ne périront dans ces tortures. Ni le temps, ni l’amitié, ni l’espérance, ni l’attente de la mort, ni même la vue des infortunés punis comme eux n’adouciront les peines des damnés. Ces peines seront éternelles. Saint Basile est bien obligé toutefois de constater que la plupart des hommes (τοὺς πολλοὺς τῶν ἀνϑρώπων), trompés par les artifices du démon, se persuadaient que les châtiments de l’autre vie auraient une fin. Hélas ! parmi ces hommes se trouvaient son propre frère, Grégoire de Nysse et, dans une certaine mesure, son intime ami, Grégoire de Nazianze. Celui-ci n’est évidemment pas complètement fixé sur la question. Si, en certains endroits de ses ouvrages, il enseigne nettement l’éternité des peines, ailleurs il paraît hésiter : il ne veut pas se prononcer, ou il insiste principalement sur le caractère moral de la peine des réprouvés. Grégoire de Nysse, lui, n’hésite pas ; et l’on trouve bien, sans doute, dans ses écrits, quelques passages où il parle de peines éternelles ; mais du reste il se prononce catégoriquement pour une restauration finale universelle, englobant tous les hommes, les démons et leur chef. C’est absolument la théorie d’Origène. La purification des méchants après la mort sera plus ou moins longue suivant leurs crimes, mais enfin il faudra que le mal vaincu disparaisse et que Dieu règne tout en tous, que tous participent à ces biens que ni l’oreille, ni les yeux, ni l’esprit de l’homme ne sauraient atteindre et comprendre.
L’erreur de saint Grégoire de Nysse, on l’a vu, n’a pas été généralement partagée des auteurs grecs du ive siècle. Deux d’entre eux cependant sont disposés à croire non à la cessation mais à un adoucissement de la peine des damnés par la charité et les suffrages des fidèles. Saint Chrysostome enseigne que, par l’aumône et les prières, on peut apporter quelque soulagement aux défunts morts sans baptême ou condamnés par Dieu. D’autre part, saint Cyrille de Jérusalem, parlant du memento des trépassés dans la liturgie, se fait l’objection qu’il est inutile de prier pour ceux qui sont morts avec des péchés (μετὰ ἁμαρτημάτων). A quoi il répond que, de même que l’on peut obtenir d’un roi irrité, en lui offrant une couronne, la relaxation de la peine de l’exil qu’il aurait infligée à des coupables, aussi nous offrons à Dieu, pour les défunts même pécheurs, le Christ immolé, nous efforçant de rendre propice à eux et à nous le Dieu plein de bonté. Il se peut, à la rigueur, qu’il s’agisse ici de fautes légères ou déjà pardonnées en principe et par conséquent du purgatoire : il est cependant plus vraisemblable que le saint docteur veut parler d’un adoucissement obtenu dans le châtiment des réprouvés.
Le sort des élus sera la félicité éternelle et la possession de Dieu. Sur ce dernier point toutefois, il faut signaler l’opinion spéciale de saint Chrysostome et de l’école d’Antioche. Entraîné par la lutte contre les eunomiens, et d’ailleurs défiant des théories qui absorbent l’âme en Dieu, saint Chrysostome admet bien sans doute que les élus voient Dieu comme il leur est possible (ὡς αὐτοῖς δυνατόν) ; mais il nie qu’ils voient réellement l’essence divine. Ni les prophètes, dit-il, ni les anges et les archanges n’ont vu et ne voient ce qu’est proprement Dieu : Αὐτὸ ὅπερ ἐστὶν ὁ ϑεὸς οὐ μόνον προφῆται ἀλλ᾽ οὐδὲ ἄγγελοι εἶδον οὔτε ἀρχάγγελοι. Le Fils et le Saint-Esprit seuls l’ont vu et le voient, « car la nature créée tout entière, comment pourrait-elle voir l’incréé ? »