Histoire de la Réformation au temps de Calvin

Chapitre 10
Le maître d’école et Claudine Levet

(Novembre et décembre 1532)

5.10

Froment part pour Genève – D’abord mal reçu – Il veut quitter Genève – Il se fait maître d’école – Ses écriteaux – Grand succès – Froment enseigne – Différence entre Rome et la Réforme – Les enchantés – Le folâton – Paule entraîne Claudine vers l’enchanteur – Claudine se signe puis écoute – Elle s’enferme trois jours et trois nuits – Sa conscience trouve la paix – Entrevue de Claudine et de Froment

Farel, voyant ses travaux couronnés, dans ces diverses localités, d’un triomphe que tout annonçait devoir être définitif, portait ses regards avec d’autant plus d’ardeur sur Genève. Les nombreuses victoires de Neuchâtel et de Vaud lui semblaient garantir celles qu’il remporterait dans la ville des huguenots. Il y avait pourtant de grands obstacles. Un parti fanatique dirigé par les moines et les prêtres, était opposé à tout changement, et même les catholiques éclairés qui voulaient l’abolition de criants abus, ne cessaient de répéter que l’Église devait être premièrement maintenue et ensuite seulement améliorée. « Ce n’est pas assez d’une épuration, disait Farel, il faut une transformation ! » Mais qui l’opérera ? Il avait été banni de Genève, et pour le moment, il ne pouvait y retourner.

Froment, jeune, pauvre, simple, mais intelligent, s’était refusé à entreprendre une tâche si difficile. Farel revint à la charge. Froment ne comprenait pas que ce fût à un jeune homme de vingt-deux ans que l’on confiât l’attaque de l’un des postes les plus forts de l’ennemi. « Ne crains rien, lui dit Farel, tu trouveras à Genève des hommes tout prêts à te recevoir, et ton obscurité même te gardera ; Dieu sera ton conducteur et protégera ta sainte entreprisea. » Froment se rendit, mais humilié ; et voyant la tâche qui lui était confiée, il tomba à genoux : « Dieu, dit-il, je ne me fie à nulle puissance humaine, je me remets entièrement à toi. A toi je remets la cause, te priant de la conduire puisqu’elle est tienneb. » Il n’était pas seul à prier. Le troupeau d’Yvonand, ému de cette vocation qui allait lui enlever son pasteur, disait : « Dieu, donne-lui la grâce d’être utile pour l’avancement de ta Parole ! » Les frères s’embrassèrent et Froment partit, « s’en allant à Genève, dit-il lui-même, avec prières et oraisons. » C’était le 1er novembre 1532.

a – « Obscuritatem nominis præsidio futuram, Deum itineri ducem et cœpto patronum. » (Spanheira, Geneva restituta, p. 47.)

b – Froment, Gestes de Genève, p. 12.

Il arriva à Lausanne ; de là, longeant le lac, il se dirigea vers Genève. Le pauvre jeune homme s’arrêtait quelquefois sur la route, et se demandait si l’entreprise qu’il allait commencer n’était pas une folie. « Non, disait-il, je ne reculerai pas ; c’est par les choses petites et débiles de ce monde que Dieu vient à confondre les grandes. » Et il se remettait en chemin.

Les Genevois étaient alors fort préoccupés des signes du ciel. Une lueur étrange brillait dans le firmament ; toutes les nuits les regards étaient fixés sur une longue traînée de lumière ; et les plus savants cherchaient à deviner les pronostics que l’on pouvait faire là-dessus : « Au renouvellement de la lune, dit un manuscrit, apparut une comète, à deux heures du matin, qui fut en vue du 26 septembre jusqu’au 14 du mois suivant ; en ce temps là arriva à Genève Antoine Fromentc. » Plusieurs huguenots, indignés de l’accueil fait à Farel, désespéraient de voir Genève se réformer et ses libertés assises sur une solide base. Quelques-uns, toutefois, amateurs d’astrologie, se demandaient si cette lueur merveilleuse n’annonçait pas qu’une divine lumière allait aussi éclairer le pays. On attendait ; Froment parut.

c – Msc. de Badollet. — Biblioth. de Berne, Hist. helv.

Le jeune Dauphinois fut d’abord fort embarrassé. Il cherchait à lier conversation avec l’un ou avec l’autre ; mais on était fort bref avec l’étranger. Il espérait trouver quelque connaissance avec qui il « pût se retirer sûrement, familièrement ; » mais il ne rencontrait que des visages inconnus. « Hélas ! disait-il, je ne sais plus que faire, sinon m’en re tourner, car je ne trouve nulle entrée pour prêcher la Paroled. » Se rappelant alors les noms des principaux huguenots, des amis de Farel, qui selon celui-ci devaient lui faire le meilleur accueil, Froment résolut de s’adresser à eux et il alla heurter à la porte de Baudichon de la Maisonneuve, de Claude Bernard, de J. Goulaz, de Vandel, d’Ami Perrin… Mais, chose étrange, il trouve partout des airs embarrassés, des figures allongées. La chétive apparence du jeune Dauphinois déconcertait même les mieux disposés. Farel, pensaient-ils, aurait bien pu envoyer un docteur et non un ouvrier… Genève était une ville importante, lettrée. Il y avait dans le clergé romain des hommes de capacité. Il fallait leur opposer un ministre de bonne apparence, un docteur bien affermi… Les huguenots éconduisaient le chétif. « Ah ! se disait Froment en retournant dans son hôtellerie, je les ai trouvés tant froids, tant craintifs et si effarouchés de ce qu’on a fait à Farel et à ses compagnons, qu’ils n’osent se manifester, et encore moins me recevoir dans leurs maisons… » Confus, attristé, de voir tous ses plans renversés, il s’en allait rêveur dans la rue, les yeux en terre. Il rentra dans son auberge, s’enferma dans sa petite chambre et se demanda ce qu’il devait faire. Ceux qui semblaient vouloir ouïr l’Évangile, le regardent d’un œil de mépris. S’il aborde quelqu’un, on lui tourne le dos. Pas une seule porte ne s’ouvre à la Parole de Dieu… Son esprit s’aigrit au dedans de lui. Ennuyé, abattu, il plie sous le poids et perd courage. « Je suis grandement tenté de repartir, » dit-ile.

d – Froment, Gestes de Genève, p. 13.

e – Froment, Gestes de Genève, p. 13.

Froment se rendit vers le maître de l’hôtellerie, paya son compte, se chargea de son petit paquet et, sans prendre congé des huguenots, il se dirigea vers la porte de Suisse, et sortit de la ville. Mais à peine avait-il fait quelques pas, qu’il s’arrêta ; il lui semblait qu’une main invisible le retenait : une voix s’élevait dans sa conscience et lui criait qu’il était coupable ; une force plus grande que celle de l’homme le contraignait à retourner sur ses pas. Il regagne sa chambre, s’y enferme, s’assied, pose les deux coudes sur la table et mettant la tête dans ses deux mains, il se demande ce que Dieu veutf. Il se mit à prier et il lui sembla voir se réaliser cette promesse : Je t’enseignerai te chemin dans lequel tu dois marcher. Il se rappela ce que lui avait dit Farel et ce que ce réformateur avait fait à Aigle. Un éclair illumina son âme. On ne veut pas de lui dans Genève parce que son aspect est méprisable. Eh bien, il entreprendra dans l’humilité l’œuvre que Dieu lui donne ; et puisqu’on le rejette comme évangéliste, il se fera maître d’école.

f – « Cum jam pedem ex urbe efferret, nescio qua vi humana majore, se vel reluctantem revocari sensit. » (Spauheim, Geneva restituta, p. 47. — Froment, Gestes de Genève, p. 13.)

Froment, dans ses courses, avait rencontré un nommé Le Patu, homme peu connu du reste. Froment lui demanda s’il pourrait lui procurer un local pour une école. Le Patu répondit qu’il y avait la grande salle de chez Boytet à la Croix d’Or, près de la place du Molardg. Ils s’y rendent ensemble ; Froment en mesure de l’œil les dimensions et loue cette chambre. Il respire ; il a maintenant le pied à l’étrier ; il ne lui reste plus qu’à se mettre en selle et commencer la course. Il fallait trouver des écoliers ; avec l’aide de Dieu, Froment ne désespère de rien. De retour dans son auberge, il rédige un avis, en fait plusieurs copies de sa plus belle main, sort avec ces feuilles et les placarde lui-même dans tous les carrefours. Voici ce qu’on lisait sur ces écriteaux : « Il est venu un homme en cette ville, qui veut enseigner à lire et à écrire, en français, dans un mois, à tous ceux et celles qui voudront venir, petits et grands, hommes et femmes, même ceux qui jamais ne furent en école. Et si dans le dit mois, ils ne savent lire et écrire, ne demande rien de sa peine. Lequel ils trouveront en la grande salle de Boytet, près du Molard, à l’enseigne de la Croix d’Or. Et là on guérit beaucoup de maladies pour néant. »

g – L’enseigne de la Croix d’Or est encore sur la maison ; mais ce n’était pas une auberge comme on l’a dit.

Ces « écriteaux ayant été plaqués par la ville » beaucoup de passants s’arrêtèrent pour les lire. Les avis étaient partagés. « Je l’ai ouï parler, » disaient quelques-uns avec lesquels il s’était entretenu, il dit bien. » — D’autres trouvaient que la promesse d’apprendre à lire et à écrire en un mois était suspecte. A quoi des hommes plus bienveillants répliquaient qu’en tout cas ce n’était pas à leur bourse qu’il en voulait. Mais les prêtres et les dévots étaient irrités. « C’est un diable, s’écriait un prêtre du milieu de la foule ; il enchante tous ceux qui vont l’entendre. A peine l’a-t-on ouï que ses mots magiques vous ensorcellenth. »

h – Froment, Gestes de Genève, p. 14.

Toutefois l’école s’ouvrit, et il ne manqua pas de jeunes écoliers. Froment qui avait de l’esprit (son livre sur les Actes et Gestes de Genève le prouve), enseigna simplement et clairement. Avant de congédier son jeune auditoire, il ouvrit le Nouveau Testament, il en lut quelques versets, et les expliqua d’une manière pleine d’intérêt, puis (il avait quelques connaissances en médecine) il demanda à ses jeunes auditeurs s’il se trouvait un malade dans leur famille et distribua d’innocents remèdes. C’était par l’enseignement de l’esprit et la guérison du corps que l’évangéliste se frayait le chemin pour parvenir à la conversion du cœur. L’école et la médecine sont de grands aides missionnaires. Les enfants coururent à la maison et racontèrent le tout à leurs parents. Les mères interrompaient leurs occupations pour les écouter ; les pères même, surtout les huguenots, se faisaient tout raconter. Il y avait de ces filles et de ces garçons dont le babil ne tarissait pas ; ils abordaient même plusieurs hommes et femmes dans la ville, les invitant à venir ouïr cet hommei. » Bientôt la cité fut pleine du maître d’école qui parlait si bien le français.

i – Froment, Gestes de Genève, p. 14.

Plusieurs adultes se décidèrent à l’entendre, ou pour s’instruire, ou par curiosité, ou par moquerie. Des femmes pourtant arrêtaient leurs maris ; des plaisants lançaient leurs brocards et des prêtres leurs anathèmes. Mais rien ne put arrêter le courant, car on pensait que le maître parlerait contre la vie des prêtres, contre la messe, contre le carême… Ces bons huguenots, en traversant les rues, entendaient autour d’eux de grands murmures, moqueries et autres dictonsj. » Ils se placèrent derrière les enfants et prêtèrent l’oreille. Froment commença. « Il dit bien ! » remarquaient ses auditeurs. Il tint même plus qu’il n’avait promis ; il enseigna l’arithmétique, ce qui fut très agréable aux Genevois, un peu calculateurs de leur nature. Toutefois c’était le sermon que les auditeurs attendaient ; ce fut tout autre chose que ce qu’ils avaient cru : une homélie au lieu d’une philippique. Froment, dans ses leçons, lisait tantôt une histoire de la Bible, tantôt un discours du Sauveur, donnant l’Écriture comme Écriture de Dieu, expliquant en passant quelques mots difficiles, puis appliquant affectueusement la doctrine à la conscience de ses auditeurs. Ils étaient tout oreilles ; la tête en avant, la bouche ouverte ; chacun semblait craindre de perdre une parole ; quelques garçons jetaient un regard de triomphe à ceux qu’ils avaient amenés. Froment remarquait avec joie l’effet produit par son enseignement. Ils étaient fort étonnés, car jamais ils n’avaient ouï telle doctrinek. » Quelques-uns commençaient à comprendre que le christianisme évangélique ne consistait pas à se moquer des prêtres et de la messe, mais à connaître et aimer le Sauveur. Ceux qui l’entendaient concevaient en leur cœur quelque intelligence de la véritél. »

jIbid.

k – Froment, Gestes de Genève, p. 14.

lIbid.

Les succès de cette simple instruction dépassèrent bientôt les espérances du maître. Ceux qui l’avaient entendu racontaient les beaux discours qui se faisaient à la Croix d’Or. « Venez, disaient-ils, car il enseigne autrement que les prêtres et il ne demande rien pour sa peine ! » « Bien, disaient quelques bourgeois plus ignorants que les autres, nous irons l’entendre ; nous apprendrons à lire et à écrire, et nous verrons ce que c’est qu’il ditm. » Hommes, femmes et enfants accouraient dans la salle ; c’était à qui serait le premiern. Le pauvre homme, que les Genevois avaient repoussé, avait tout à coup grandi à leurs yeux. Les discussions entre huguenots et mamelouks, les prétentions du duc de Savoie et de l’évêque de La Baume furent oubliées ; il ne fut plus question que de l’évangéliste. A l’époque de la Réformation, rien ne frappait plus que la grande différence qui se trouvait entre l’instruction donnée par les prêtres et celle des réformateurs. « Leur enseignement, disait-on, n’est pas chose tant froide, tant maigre et tant morte, comme celle de la papauté. Messieurs nos maîtres entonnent il est vrai assez haut, et proclament tout ce qui plaît à leurs chaperons ; mais ils gazouillent les choses divines d’une manière profane ; leurs propos n’ont aucune révérence de Dieu et l’on n’y voit que braverie et affectation… Dans ceux-ci, au contraire, au lieu de paroles et caquet, il y a vertu et efficace, un esprit vivifiant et une puissance divineo … »

m – Froment, Gestes de Genève, p. 14.

n – « A viris et fœminis certatim ad Fromentium itum. » (Spanheim, Geneva restituta, p. 48.)

o – Calvin, passim.

Les amis des prêtres ne pouvaient entendre des discours semblables, sans concevoir les plus vives alarmes. « Bah ! bah ! disaient-ils, vous parlez comme si cet homme vous avait enchantés. Par quels sons, par quelles figures, par quelles opérations magiques, vous a-t-il ensorcelés ? Ou bien est-ce peut-être par de belles paroles, de belles promesses, ou d’autres moyens de séduction, — des espèces sonnantes ?… » Dès lors quand on voyait passer dans la rue une femme qui suivait les assemblées de la Croix d’Or : « C’est une enchantée, » disait-on tout haut ; et si un homme survenait : « Oh ! oh ! l’enchantép, écoute ! » lui criait-on. On faisait des plaintes, des reproches amers ; on entendait des signes d’improbation. Mais « malgré tout ce mouvement contraire, le nombre des auditeurs croissait de jour en jour. Plusieurs même de ceux que la curiosité avait amenés, étaient intéressés, éclairés, émus, et en s’en retournant, ils louaient et glorifiaient Dieuq. »

p – Msc. de Badollet, Biblioth. de Berne, Hist. helv.

q – Froment, Gestes de Genève, p. 14 et 15.

Tous n’étaient pourtant pas gagnés à l’Évangile. Certains chefs huguenots, Ami Perrin, Jean Goulaz, Etienne d’Adda et d’autres encore ne prenaient pas grand goût aux sermons du prédicant ; mais ils croyaient que cette nouvelle doctrine qui tombait du ciel, renverserait la domination des prêtres et des mamelouks ; aussi n’hésitèrent-ils pas à se ranger parmi les auditeurs de Froment et à l’appuyer énergiquement dans la viller. Bientôt ce fut bien pis encore. Quelques auditeurs de Froment invitèrent certains prêtres un peu libéraux à venir entendre le maître d’école. La pensée de s’asseoir sur les bancs de la Croix d’Or, effrayant ces ecclésiastiques, les huguenots leur répétèrent les paroles du Français : « Vraiment, dirent les prêtres, ces doctrines sont bonnes et on ferait bien de les recevoir. » « Oh ! disaient certains bourgeois, les clercs qui faisaient tant les braves, sont maintenant eux-mêmes convertis !… »

r – Registres du Conseil du 31 décembre 1532.

L’alarme s’accrut. Les moines et les prêtres les plus bigots entraient dans les maisons, s’adressaient aux groupes formés sur la place publique, et se moquaient de la doctrine de Froment et de sa personne… « Voulez-vous vous arrêter après ce diable ? disaient-ils. Que peut savoir ce petit folâton qui n’a que vingt-deux ans ? — Ce fou, répondaient les amis de Froment, vous apprendra à être sages… Ce diable chassera le diable du milieu de vouss. »

s – Froment, Gestes de Genève, p. 13.

Il se faisait alors en effet dans Genève une œuvre étonnante ; plusieurs âmes étaient gagnées à la foi évangélique, et comme aux temps des apôtres, ce furent des femmes de distinction qui crurent les premièrest. Paule, femme de Jean Levet, probablement la même que Pernette de Bourdigny, dont le mari s’appelait en effet Jean Levet, était fille du seigneur de Bourdigny, dans le mandement de Peney ; les membres de cette maison étaient qualifiés de nobles ou damoiseaux dès le treizième siècle, et plusieurs d’entre eux furent syndics à Genèveu. Cette dame, préparée par les enseignements des évangélistes qui avaient précédé Froment, était devenue fort fervente à la Parole. » Elle désirait vivement amener à l’Évangile sa belle-sœur Claudine, épouse d’un bon citoyen, Aimé Levet. Celle-ci « honnête femme, fort dévote, superstitieuse à merveille », était droite, sincère, et plus d’une fois avait combattu avec zèle les opinions de sa belle-sœur. Un jour que Paule était chez Claudine, elle la conjura de venir entendre le maître d’école. « J’en ai une si grande horreur, répondit la belle-sœur, que de crainte d’être enchantée, je ne veux ni le voir, ni l’ouïr. — Il parle comme un ange, répondit Paule. — Je l’estime, moi, être diable, repartit Claudine. — Si tu l’entends, tu seras sauvée. — Et moi, je crois que je serais damnée. » Ainsi luttaient ces deux femmes. Paule ne se découragea pas. « Entends-le au moins une fois, » dit-elle ; puis elle ajouta avec émotion : « De grâce, une fois pour l’amour de moi ! » Elle l’obtint enfin, quoique avec grande peine.

t – « Des femmes de qualité se joignirent à Paul et à Silas. » (Actes 17.4.)

u – Galiffe, Notices généalogiques, I, p. 446. Les deux noms de baptême commençant par un P, l’erreur a pu être facile.

Dame Claudine, tout en cédant aux instances de sa sœur, résolut de bien se défendre. Elle s’arma soigneusement de tous les antidotes indiqués en pareils cas ; elle fixa sur ses tempes des feuilles de romarin fraîchement cueillies ; elle frotta son sein d’une cire viergev ; elle suspendit à son cou des reliques, des croix, des chapelets et, munie de toutes ces amulettes, se rendit à la Croix d’Or avec Paule. « Je vas, disait-elle, trouver un enchanteur, » tant elle était embabuynée (enjôléew). Elle se promettait alors de ramener dans le bercail la damoiselle de Bourdigny.

v – « Recente verbena tempora victa, cera virgine pectus munita. » (Spanheim, Geneva restituta, p. 50.)

w – Froment, Gestes de Genève, p. 16.

Claudine entre dans la salle et s’assied en face du magicien par moquerie et dérision, dit le chroniqueur. Froment paraît ; il a un livre à la main. Il monte, selon sa coutume, sur une table ronde, afin d’être mieux entendux ; il ouvre son Nouveau Testament, en lit quelques paroles, puis il les applique. Claudine, sans se soucier nullement de l’assemblée, et voulant afficher son catholicisme, se signe à plusieurs reprises, faisant avec la main de grandes croix sur sa poitrine, et prononce en même temps quelques prières. Froment continue son discours et déploie les trésors de l’Évangile. Claudine lève enfin les yeux, étonnée de ce qu’elle entend, et regarde le ministre. Elle écoute ; bientôt il n’y a pas dans toute l’assemblée un auditeur plus attentif. La voix de Froment toute seule se fût « évanouie, » mais elle entre dans l’entendement de cette femme, comme portée par l’Esprit de Dieu. On dirait qu’elle mange les paroles du prédicateur. Cependant un grand combat se livre en elle. Cette doctrine est-elle vraie, se disait-elle, puisque l’Église n’en parle pas ? Ses regards se portaient obstinément sur le livre du maître. Ce n’était pas un missel, pas un bréviaire… Il lui semblait tout plein de vie.

x – La sœur J. de Jussie, le Levain du Calvinisme, p. 49.

Froment « ayant parachevé le sermon, » les enfants et les adultes se levèrent et s’apprêtèrent à sortir. Claudine restait à sa place ; elle regardait le maître ; enfin elle s’écria à haute voix : « Ce que vous avez dit est-il véritable ? — Oui, dit le réformateur.— Se prouve-t-il tout par l’Évangile ? — Oui. — Est-ce que la messe ne s’y trouve point ? —Non. —Et votre livre, duquel vous avez prêché, est-il un vrai Nouveau Testament ? — Oui. » Madame Levet désirait ardemment l’avoir. Elle prit courage et dit : « Eh bien, prêtez-le moi. » Froment le lui donna ; Claudine le plaça soigneusement sous sa mantille, au milieu de ses reliques et de ses chapelets, et sortit avec sa belle-sœur qui commençait à voir tous ses vœux accomplis. Claudine, en se retirant, ne conversa pas beaucoup avec Paule ; elle était de ces natures profondes qui parlent peu avec les hommes et beaucoup avec Dieu. Étant rentrée dans sa maison, elle alla droit à sa chambre et s’y enferma, ne prenant avec elle que son livre, et décidée à ne pas sortir, qu’elle n’eût trouvé la solution du grand problème dont sa conscience était occupée. De quel côté la vérité se trouve-t-elle ? Est-ce à Rome, est-ce à Wittemberg ? Elle demanda et obtint qu’on ne l’attendît à aucun repas, qu’on ne vînt point heurter à sa porte. « Elle se sépara à part, dit Froment, pendant trois jours et trois nuits, sans boire, ni manger, avec prières, jeûnes et oraisons. » Le livre était ouvert sur une table devant elle. Elle y lisait constamment, et tombant à genoux, demandait que la lumière divine resplendît dans son cœur. Claudine n’avait peut-être pas une intelligence de la plus haute portée, mais elle avait une conscience délicate. Pour elle, le premier devoir était de se soumettre à Dieu, le premier besoin était de lui ressembler, le premier désir était de trouver en lui un bonheur éternel. Ce ne fut pas par l’entendement qu’elle vint à Christ ; la conscience fut le chemin qui l’y amena. Une conscience qui se réveille, tel est le premier moment de la conversion et par conséquent de la réformation. Quelquefois Claudine entendait dans son cœur une voix qui la pressait de venir à Christ. Puis, tout à coup, ses idées superstitieuses revenaient, et elle repoussait l’invitation du Seigneur. Mais bientôt elle reconnaissait que les pratiques auxquelles elle avait été adonnée étaient des fontaines taries, où il n’y avait jamais eu d’eau. Décidée à ne plus vaguer, elle voulait aller droit à Christ. C’est alors que redoublaient « ces prières et ces oraisons » dont Froment nous parle, et qu’elle lisait avec avidité la Parole de Dieu. Elle comprit enfin cette Parole divine qui lui disait : « Ma fille, tes péchés te sont pardonnés. » miracle ! elle est sauvée. Ce salut ne l’enorgueillit pas. Elle reconnaît que « la grâce de Dieu ne dégoutte que petitement en elle ; » mais la moindre goutte du Saint-Esprit lui semble une fontaine qui ne tarit jamais. Trois jours s’étaient écoulés ainsi ; c’était pendant le même espace de temps que Paul était demeuré à Damas en prièrey.

y – Froment, Gestes de Genève, p. 16. — Msc. de Gautier.

Madame Levet, ayant « parachevé » de lire et de relire l’Évangile, désira revoir celui qui le premier lui avait fait connaître ce livre ; elle envoya querir cet homme. » Froment traversa le Rhône, car Claudine demeurait au bout du pont, du côté de Saint-Gervais. Il entra. En le voyant, Claudine émue se leva, s’approcha de lui, et hors d’état de parler, fondit en pleurs. « Ses larmes, dit l’évangéliste, tombaient en terre ; » elle n’avait pas d’autre langage. Madame Levet se remit pourtant, pria Froment avec douceur de s’asseoir, et lui raconta comment Dieu lui avait ouvert la porte du ciel. En même temps elle se montra décidée à professer sans crainte devant les hommes la foi qui faisait son bonheur. « Ah ! disait-elle, puis-je jamais rendre assez grâces à Dieu qui m’a illuminée ? » Froment était venu pour affermir cette femme et il en était affermi lui-même. Il était en grande admiration de l’ouïr parler ainsi qu’elle parlaitz. » Une conversion si spirituelle, si sérieuse, devait avoir une grande signification pour la Réformation de Genève et comme le dit Calvin dans une autre circonstance où une seule femme aussi semblait avoir été convertie : « De ce bien petit surgeon devait sortir une Église excellentea. »

z – Froment, Gestes de Genève, p. 16.

a – Calvin sur Lydie. (Actes 16.14)

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