Le Culte du Dimanche : 52 simples discours

25.
Le bon Berger

En vérité, en vérité, je vous le dis : Celui qui n’entre pas par la porte dans le bercail des brebis, mais qui y monte par ailleurs, est un voleur et un brigand. Mais celui qui entre par la porte est un berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis entendent sa voix, et il appelle par leur nom ses propres brebis, et les mène dehors. Quand il a fait sortir toutes ses propres brebis, il marche devant elles, et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix. Mais elles ne suivront point un étranger ; au contraire, elles fuiront loin de lui, parce qu’elles ne connaissent point la voix des étrangers.

(Jean 10.1-6)

Jésus est ici comparé à un berger, et ses disciples à des brebis. La distance entre l’homme et la brute est grande sans doute ; mais celle entre Jésus et nous n’est pas moindre. Si l’homme a une âme vivante que l’animal n’a pas, Jésus a un esprit vivifiant que n’a pas l’homme, et, à le bien prendre, l’abîme entre deux créatures est bien moins profond que celui qui sépare une créature de son Créateur. Un million de brebis ne valent pas un berger, des milliards d’hommes ne valent pas Jésus-Christ. Quelle conscience droite oserait mettre en comparaison tous les troupeaux d’Abraham avec l’âme de sa dernière servante ? De même, qui oserait comparer toutes les générations passées, présentes et futures de pécheurs, qui ont souillé la terre, à Jésus, le Juste, le Saint, le Dieu ? Personne. Eh bien, ce berger que vous voyez à la tête de son troupeau qu’il pourrait dépouiller de sa toison pour se vêtir, priver de la vie pour se nourrir, ce berger se jette dans la gueule du lion pour le satisfaire, et sauver ses brebis, pauvres et viles créatures. Ce Jésus Dieu, qui pourrait, nous demander de travailler pour sa gloire et nous laisser ensuite tomber dans le néant d’où nous sommes sortis, ou nous abandonner à la condamnation que nous avons méritée, ce Jésus Dieu donne sa vie pour nous. « Personne, dit-il, ne me l’ôte, je la donne de moi-même. »

Mais, hélas ! cette vérité nous a si souvent été présentée qu’elle ne nous impressionne plus. Faisons donc effort pour en raviver l’effet par la comparaison du Sauveur. Un homme riche possède un nombreux troupeau qu’il mène paître lui-même, non par intérêt, mais par affection. Tandis que, paisiblement assis, il veille à quelques pas sur ses brebis, une bête féroce s’élance de la forêt voisine et fond sur le troupeau. Le berger pourrait fuir ; car, que lui importe un agneau de plus ou de moins ? Mais non, il les aime tous ; il se lève ; il court au-devant du monstre, et, loin de se défendre, lui donne son propre corps à dévorer pour laisser aux brebis le temps de regagner la bergerie. Comment qualifierez-vous une telle conduite ? C’est de l’affection jusqu’à la folie, diriez-vous. Oui, eh bien, c’est la folie de Jésus, la folie de la croix ; c’est l’amour poussé si loin que nous ne pouvons plus le comprendre, et que trop souvent, comme la stupide créature que le berger a voulu sauver, nous fuyons la vue de Golgota, ou bien nous en restons impassibles spectateurs.

Encore si nous avions l’intelligence et l’affection de ces brebis chaque jour témoins du dévouement de leur berger pour leur choisir les meilleurs pâturages, porter la plus faible, panser la blessée et courir après celle qui s’égare ! Ces brebis du moins s’attachent à leur maître ; à son approche elles lèvent la tête, si elles ne le voient pas, elles le devinent à sa voix. Qu’un troupeau étranger entende ce même appel, il ne s’y rendra pas, tandis que les brebis du maître l’écoutent avec plaisir, le reconnaissent de loin, se rendent au premier cri.

Oui, cette circonstance est remarquable : que Jésus parle dans l’Évangile, et aussitôt le cœur attentif du chrétien découvre un sens clair, où l’esprit de l’incrédule ne saisit que des mots inintelligibles et peut-être fatigants. L’oreille chrétienne écoute les discours de Jésus comme la plus suave des musiques ; ces promesses lui vont au cœur ; ses menaces, sans lui inspirer la crainte, impriment en lui un saint respect et le font songer aux dangers de ceux qui vivent hors de la bergerie. Les paroles de l’Évangile ne sont-elles cependant pas les mêmes, que ce soit l’incrédule ou le croyant qui les lise ? Comment se fait-il donc qu’elles soient si différemment entendues, ou plutôt que l’un comprenne et non pas l’autre ? Donnez à ces deux hommes un livre quelconque, mais un livre autre que la Sainte-Écriture ; à coup sûr, tous deux en saisiront le sens ; peut-être l’un y pénétrera-t-il plus avant que l’autre, mais enfin tous deux attribueront la même pensée à l’auteur. Cependant dès qu’il s’agit de la Bible, il n’en est plus ainsi : les uns admirent ce que les autres prennent en pitié ; ceux-ci reconnaissent la voix d’un Dieu où ceux-là n’entendent que celle d’un homme ; telle page, lumineuse pour les premiers, est obscure pour les seconds. Bien plus, le même homme devenu chrétien a fait les deux expériences ; avant qu’il eût été appelé par le Sauveur, il restait froid en face des mêmes paroles qui, aujourd’hui, l’émeuvent ; à cette heure, il se demande comment il a pu jadis être assez stupide pour ne pas saisir ce qui est si clair à cette heure. Mais bientôt il revient de sa surprise et s’explique son passage des ténèbres à la lumière par l’action du Saint-Esprit sur son cœur.

Pour mieux apprécier cette pensée, demandez-vous si un homme du monde, quelque érudit qu’il fût, pourrait reconnaître un mot de son auteur favori transporté dans l’ouvrage d’un autre auteur ? Non. C’est cependant là ce que peut faire un chrétien pour un seul mot de son Maître. Faites plus : en conservant la pensée, changez-en l’expression ; l’érudit sera bien plus embarrassé pour la rendre à son écrivain ; mais, faites entendre au chrétien des pensées évangéliques même dans les termes du monde, et le chrétien reconnaîtra le bien de son Sauveur ; tant il est vrai de dire de lui que, brebis divinement instruite, il connaît la voix de son divin Berger.

Mais si le troupeau connaît son conducteur, celui-ci connaît bien mieux encore les êtres qu’il conduit. Jésus nous dit même : « Il les appelle par leur nom. » Des voyageurs rapportent qu’en Orient les bergers ont l’habitude de donner un nom à chaque membre du troupeau, et qu’il leur suffit de le prononcer pour que celui qui le porte vienne à l’appel du maître. C’est à cette coutume que Jésus fait ici allusion ; et remarquez combien il est doux de penser que Jésus nous connaît plus particulièrement, nous connaît par nos noms propres, nous connaît, vous et moi ! Nous ne sommes pas pour Jésus ce que serait pour son propriétaire une pièce d’or au milieu de ses richesses, ou bien pour son général, un soldat au sein de son armée ; pièce d’or ou soldat appréciés comme unité dans un grand tout. Non, Jésus nous connaît nous-mêmes ; nous, individuellement ; nous par notre nom, en sorte que, de même que le berger fait lever une seule tête dans le troupeau à son appel, de même Jésus nous distingue chacun dans la foule et pourrait nous appeler nommément. Il nous suit du regard ; il veille sur nous ; il nous désigne à son Père et prie pour nous en particulier. Nous, si petits, connus d’un être si grand ! Nous, si ingrats aimés d’un être si bon ! Nous, tellement oublieux du Sauveur sur la terre, présents à sa mémoire dans les cieux ! Que notre nom soit connu de Jésus ; entendu par les anges, prononcé devant Dieu et inscrit en toutes lettres dans le livre de vie, oh ! voilà de ces pensées qui transportent l’âme de joie et mouillent les yeux de larmes. Hélas ! pourquoi les pensées de Dieu ne sont-elles pas plus souvent nos pensées ?

Si Jésus nous connaît d’une manière si particulière, il ne peut donc pas nous oublier, nous perdre de vue, et nous abandonner à notre propre direction ou bien au hasard des événements. Aussi en avons-nous fait plus d’une fois l’expérience. Par moment, les affaires de ce monde s’arrangent si bien, à notre convenance, qu’il semble qu’elles soient dirigées en vue de nous-mêmes. Nous ne voyons pas la main qui les pousse, mais elles nous suivent ; et, tout étonnés, nous nous écrions : « Qui l’aurait prévu ! » Qui ? demandez-vous ? Celui qui aurait véritablement cru que Jésus le connaissait par son nom.

« Quand il les a mises dehors, ajoute notre texte, il va devant elles. » Ce n’est pas ainsi qu’en agissent tous les bergers. Quelques-uns, au lieu d’aller devant le troupeau, le suivent et le font avancer à coups de fouet. De même, jadis, nous avions pour conducteur le berger de Madian, Moïse, la loi à la main, nous menaçant sans cesse de punition. Aussi était-ce en tremblant qu’alors nous essayions d’obéir ; mais aujourd’hui nous ayons changé de maître, bien que nous tenions la même direction. Les menaces du législateur sur le Sinaï ne nous poussent plus ; c’est l’amour du Sauveur sur Golgota qui nous attire. Jésus passe devant, nous montre la route, nous appelle, nous soutient, et, au besoin, nous porte dans ses bras. Après une chute sur le chemin, nous n’entendons plus un dur reproche du maître, mais une douce exhortation qui nous donne la force de nous relever et de marcher ? ce n’est plus le cri de la colère, c’est l’appel de l’amour. Aussi n’est-ce plus la marche incertaine de la peur, mais la marche assurée de la liberté ; nous ne regardons plus avec un soupir à la limite du devoir ; nous voudrions pouvoir la dépasser ; nous n’enregistrons plus nos bonnes œuvres ; nous savons qu’il n’y en aura jamais trop et toujours assez ; notre désir, et non plus notre tâche, c’est de suivre Jésus. Jadis, l’accompagner de loin nous semblait suffisant ; nous nous contentions d’être dans le troupeau, fût-ce parmi les attardés ; aujourd’hui notre bonheur serait d’atteindre au premier rang, de toucher à Jésus, de placer nos pieds sur ses traces, de marcher à ses côtés, notre main dans la sienne, assurés que nous sommes que le suivre est une joie et non une fatigue, et qu’il nous mène dans le pâturage du Ciel et non à la boucherie de l’enfer !

Oui, voilà ce qui a transformé le troupeau : c’est la certitude que, maintenant, il ne peut plus être voué à la mort, ou plutôt la certitude qu’une vie éternelle lui a été donnée ! Les appels, les cris, les coups de Jésus ne peuvent être des punitions, ni même des menaces ; ce sont des encouragements, des moyens pour vaincre les difficultés. Nous pouvons avancer sans regarder de côté ni au loin ; car nous avons l’assurance qu’il n’y a ni précipice autour de nous ni abîme au terme de la carrière. Nous savons que nous allons droit au Ciel, et voilà ce qui change en plaisir la sanctification que nous demande le Seigneur.

« Mais les brebis, dit Jésus ne suivront point un étranger ; » en d’autres termes, les chrétiens refuseront d’obéir à toute autre voix qu’à celle de Jésus-Christ, ou du moins qu’à celle qui répétera ses paroles aussi fidèlement que l’écho des montagnes répète le cri du berger. Dès que le disciple de Jésus a reconnu la voix de son maître, il en retient si bien l’accent divin que tout autre lui paraît dur et discordant. Celui qui a compris l’Évangile sent qu’il possède la vérité. Vous seriez dix mille à lui dire le contraire que vous n’ébranleriez pas sa conviction ; vous seriez le génie le plus sublime, vous auriez compté les étoiles, que votre savoir pas plus que votre nombre n’aurait d’autorité sur son esprit. Il sait, pesez bien ce mot, il sait en qui il a cru, et cette science, ou pour mieux dire cette conscience qu’il est dans la vérité, n’est pas moins inébranlable que la terre sur ses fondements. Présentez-lui toute autre doctrine que celle de l’Évangile, entourez-la des séductions de l’éloquence et de la poésie, il restera froid, dédaigneux de vos paroles ; il aura pitié de vous. « Telle doctrine n’est pas conforme à l’Évangile, » répondra-t-il ; et pour lui tout sera dit.

En présence de cette fermeté de foi, mettez l’oscillation constante des hommes du monde. Ceux-ci vous diront qu’ils cherchent la vérité sans être encore certains de l’avoir trouvée ; ou, s’ils éprouvent un moment d’enthousiasme pour leur idole, attendez un peu, et l’enthousiasme se calmera. Le plus sage d’entre eux modifie ses pensées avec l’âge, accommode ses principes aux circonstances ; c’est même en cela qu’il place sa sagesse ! Aussi, à la merci des événements, il avance et recule, espère et craint, vogue à tous vents de doctrine, jusqu’à ce qu’il aille échouer sur l’écueil de la mort, où il reconnaît la vanité de son passé. Quel homme du monde a conservé sa philosophie, de l’école à la tombe ? et quel chrétien, au contraire, n’a pas gardé la croix de Jésus, du jour de sa conversion au jour de son triomphe sur la mort ?

Ah ! cette différence seule devrait ouvrir les yeux de ceux qui cherchent encore la vérité, et leur faire sentir qu’elle est nécessairement où se trouve la conviction profonde, et surtout la conviction sanctifiante.

Oui, c’est à ce dernier trait qu’on reconnaît le mieux la vérité : c’est qu’elle sanctifie ; et la simple réflexion dit que celui-là seul pourra résister à ses passions dont les principes resteront inébranlables ; si mon esprit doute, ma vie varie ; si mon cœur espère, déjà ma conduite s’améliore ; si mon âme croit, mes actions se transforment. Que sera-ce donc si je crois jusqu’à la certitude, si je crois jusqu’à la pleine assurance ? Ce sera la reconnaissance pour mobile et la sainteté pour vie.

« Jésus leur dit cette similitude, ajoute l’Évangéliste, mais ils ne comprirent point ce qu’il voulait dire. » Hélas ! peut-être se trouve-t-il aussi parmi ceux qui nous lisent des hommes qui n’ont pas compris non plus la parabole de Jésus et qui ne trouvent dans cette nourriture ni force, ni saveur. Ces personnes peuvent se diviser en deux classes : celles qui ne comprennent pas aujourd’hui, ne comprendront pas demain, mourront impénitentes et seront finalement rejetées ; de telles personnes il peut s’en trouver en face de ce livre, ou ce livre dans la main ! Sont-elles à notre droite, à notre gauche ? Sont-elles de nos parents, de nos amis ? Que dis-je ! seraient-ce celles mêmes qui se font cette question ? Pensée terrible et bien propre à réveiller quiconque n’est pas encore dans le sommeil de la mort.

Mais parmi ceux qui n’ont pas compris Jésus est une autre classe, ceux qui le comprendront un jour, ceux que Jésus mentionne en disant plus loin : « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie ; il faut aussi que je les amène et elles entendront ma voix. » Vous donc, élus de Dieu non révélés, vous encore mêlés au monde, connaissez qui vous êtes, sortez de cette foule ; Jésus vous appelle, entendez votre nom dans le cri de votre conscience ! Détachez-vous du troupeau corrompu des hommes, sachez que vous êtes un racheté, un bienheureux, un ange, futur habitant du Ciel ! Relevez-vous de la boue de la terre ! Enfant de Dieu, sens ta dignité, réponds à l’amour de Jésus, et vis ici-bas comme fils adopté du Prince qui règne dans les Cieux !

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