En France
La Société britannique ne se borna pas à aider la Société de Paris. Celle-ci, comme nous l’avons dit, limitait son action aux protestants. La Société britannique voulut rester fidèle, en France comme ailleurs, à la catholicité de son programme et étendre son activité à tous. Elle fonda en 1820 un dépôt à Paris, sous la direction de M. Kieffer[a], laïque luthérien, professeur au Collège de France et interprète pour les langues orientales au Ministère des affaires étrangères. M. Kieffer était assisté d’un comité formé par quelques membres de la Société de Paris. Telle fut l’origine de l’agence française de la Société biblique britannique et étrangère.
[a] M. Kieffer était un savant. Tout en travaillant à la diffusion de la Bible en France, il rendit de grands services en révisant la Bible turque et en surveillant l’impression, à Paris, des livres saints en basque, en breton, en italien, en arménien, en syriaque et en carschoun.
[Il semble qu’il y ait eu quelque hésitation quant au meilleur nom à donner en français à la Société. Sur une Bible de 1807, elle porte le nom de Société pour l’impression de la Bible en langue anglaise et en langues étrangères, et sur une Bible de 1819 elle porte le nom d’Association anglaise et étrangère de la Bible.]
En 1826, sous la pression de l’opinion publique et à la suite de polémiques retentissantes, la Société britannique cessa de distribuer les Apocryphes et de subventionner les Sociétés qui les distribuaient, parmi elles la Société de Paris.
A M. Kieffer succéda, en 1834, à M. Victor de Pressensé, en 1871, M. Gustave Monod, administrateur admirable, vrai père pour les colporteurs ; à M. Gustave Monod, en 1901, l’auteur de ces lignes.
[Directeur de l’agence française de la Société de 1833 à 1871, M. Victor de Pressensé (père d’Edmond de Pressensé, grand-père de M. F. de Pressensé), a été l’une des personnalités les plus marquantes du protestantisme français au siècle dernier. Fils d’un père catholique et d’une mère protestante, il fut élevé dans la religion catholique, comme les fils devaient l’être d’après une convention mutuelle. Toute la famille émigra en Hollande lors de la Révolution. Le fils devint élève des Jésuites, et fut rebaptisé par eux en grande pompe. La famille s’étant transportée à Lausanne, le jeune Victor se trouva sous une influence protestante, et surtout sous celle d’une sœur plus âgée que lui, qui, toujours maladive, toujours étendue dans un fauteuil, ne trouvait de consolation que dans la Bible de famille, constamment ouverte devant elle. Chaque jour elle faisait venir son frère auprès d’elle pour lui parler, avec une onction et un ravissement qui auraient ému le cœur le plus dur, de ses espérances et de ses joies spirituelles. Sentant sa fin approcher, elle parla à son frère avec plus d’énergie que jamais. Elle lui lut plusieurs passages des plus frappants de l’Écriture, et le supplia de donner son cœur au Seigneur. On l’entendit fréquemment implorer le Seigneur pour que son frère devint un serviteur de sa Parole. Cependant, celui-ci devait rester dans l’indifférence religieuse jusqu’en 1830. Le beau mouvement religieux qui se produisit alors à Paris et fut un véritable réveil des âmes, l’entraîna et le gagna pour toujours. Ce fut la consécration exclusive de sa vie au service de Dieu et de Jésus-Christ. Dans son grand zèle, il collabora à toutes les fondations qui surgirent alors au sein des Églises.]
La Société se proposait de répandre la Bible parmi les catholiques. A plusieurs reprises, le croirait-on, ce fut le gouvernement lui-même qui lui en fournit l’occasion. En 1831, le ministre de l’instruction publique lui commanda 20 000 Nouveaux Testaments pour être employés dans les écoles comme livres de classe, et les paya 10 000 francs. L’année suivante, les membres du conseil royal demandaient, aux mêmes conditions, 20 000 Nouveaux Testaments, et un membre de ce conseil, inspecteur des écoles primaires, en demandait 20 000 autres pour être distribués dans les écoles de seize départements.
Dans le rapport de l’année 1834, nous relevons cette phrase : les sommes reçues par M. de Pressensé s’élèvent à 41 350 francs[b], dont 15 000 reçus du ministre de l’instruction publique. Cette dernière somme était évidemment destinée à payer les volumes envoyés cette année-là aux écoles : 239 Bibles et 23 683 Nouveaux Testaments. L’année suivante la Société disposa en faveur des écoles de 14 560 exemplaires.
[b] Il semble donc qu'alors on donnait largement en France pour la Société. Une autre année. M. de Pressensé reçut pour la Société un don de 25 000 francs.
[Qui dira tout le bien dont ces exemplaires distribués dans les écoles furent le moyen ? Nés catholiques, le père et la mère de M. Sainton, l’évangéliste bien connu, ont été convertis par la lecture d’un Nouveau Testament, qui, à l’école primaire, avait servi de livre de classe à M. Sainton.]
Comme distributions, signalons 71 612 Nouveaux Testaments aux soldats français pendant la guerre de Crimée ; 6000, aux troupes en partance pour le Mexique ; un million de volumes aux soldats français et allemands pendant la guerre de 1870 ; 200 000 Nouveaux Testaments aux familles françaises et allemandes qui avaient perdu l’un des leurs pendant cette même guerre ; 400 000 Évangiles distribués à l’Exposition universelle de Paris en 1900 ; 4500 volumes aux victimes des inondations de 1875 ; 10 500, aux victimes des inondations de 1907 ; plus de 35 000 aux victimes des inondations de 1910 ; 400 Évangiles aux forçats de la Guyane en 1909, etc. A la suite d’une souscription spéciale, 602 Nouveaux Testaments furent envoyés, pour le 1er janvier 1906, aux gardiens des phares de France, et 24 aux gardiens des phares de Belgique.
Toutefois, le principal moyen d’action de la Société, ce fut le colportage biblique. A peine l’agence française est-elle fondée, qu’on voit à l’œuvre un peu partout des colporteurs bibliques par lesquels elle répand la parole de Dieu parmi les catholiques. Dans plusieurs départements du nord, il y en avait qui travaillaient sous la direction des pasteurs protestants, par exemple de M. Guillaume Monod, à Saint-Quentin. Dans le midi, les frères Louis, Frank et Armand Courtois de Toulouse, dirigeaient une œuvre étendue de colportage, et répandaient les livres saints que leur fournit la Société pendant des années[c] dans tout le midi de la France, dans les Pyrénées, et jusqu’en Espagne, dans les campagnes, dans les villes, parmi les pauvres, parmi les prisonniers, parmi les soldats, parmi les forçats. A Paris même, des colporteurs travaillaient avec succès. Les gens les appelaient parfois de leurs boutiques et leur achetaient avec joie. Plus tard, il y eut des concierges qui acceptaient des livres saints en dépôt et les vendaient. Les colporteurs qui n’étaient pas sous une direction particulière gagnaient leur vie par le bénéfice réalisé sur la vente des volumes que la Société leur laissait avec une forte remise.
[c] De 1832 jusque, sans doute, à 1848, année où le rapport de la Société mentionne les frères Courtois pour la dernière fois. En 1832, M. Frank Courtois écrivait : « Le grand nombre d'exemplaires du Nouveau Testament répandus parmi les couches inférieures de la Société ont positivement agi sur l'opinion publique ».
Aussitôt fondée, en 1830, la Société évangélique de Genève employa treize colporteurs, et depuis lors ne cessa de développer le colportage biblique. Elle s’est toujours pourvue de livres saints auprès de la Société britannique.
C’est sous M. Victor de Pressensé et par son initiative que commença, en 1837, le colportage organisé et surveillé par la Société. Sous sa direction, le nombre des colporteurs varia de 80 à 110. Il faudrait un volume pour parler des résultats de l’œuvre du colportage. Que de conversions de bon aloi dues à la lecture des livres saints vendus par les colporteurs ! Un seul trait suffira à donner une idée du nombre d’âmes ainsi amenées à Jésus-Christ : Plus de la moitié des 1800 ou 1900 colporteurs employés pendant ces trente dernières années, écrivait M. de Pressensé en 1863, étaient d’anciens catholiques, et c’est par la lecture d’une Bible ou d’un Nouveau Testament acheté à un colporteur qu’ils ont été convertis à Jésus-Christ. Depuis lors, le ministère des colporteurs n’a pas cessé de se poursuivre avec labeur, mais avec bénédiction.
[On lira avec intérêt l’appréciation de Vinet sur les premiers succès du colportage en France. Elle date de près de quatre-vingts ans. Vinet parle des encouragements obtenus par les premiers colporteurs bibliques employés par la Société évangélique de Genève : « Voilà ce qui se passe, sans bruit, au milieu des événements qui en font tant, des craintes et des espérances vaines qui en font davantage encore. Je ne sache pas que nos journaux, à l’affût des moindres nouvelles, aient fait la plus légère mention de ce mouvement religieux, qui, s’il se soutient, prépare à la France la plus bienfaisante et la plus radicale des révolutions. Il révélerait aux hommes d’État, s’ils y voulaient prendre garde, dans l’esprit national, un élément caché, inaperçu, dont on peut tirer le plus grand parti ; il leur ferait voir que la religion, traitée par eux avec trop de légèreté, vit, du moins sous forme de besoin, dans les cœurs de la multitude, et qu’il y a encore dans cette nation, qu’on a tant travaillé à rendre frivole et légère, l’étoffe d’un peuple sérieux, par conséquent d’un peuple paisible et d’un peuple libre (L’Éducation, la Famille et la Société, p. 153).]
Il y a eu plus que l’action sur les individus. Bien souvent, le colportage biblique a été l’instrument principal d’un réveil religieux et de la fondation d’une église. En 1844, M. Victor de Pressensé écrivait, à propos d’un mouvement religieux en Saintonge : « Plus de soixante communes réclament des pasteurs évangéliques. Ce mouvement, qui est vraiment extraordinaire, est le résultat des travaux d’un colporteur ». Des indications de ce genre reviennent souvent sous sa plume. Les églises de Thiat, de Rouillac, de Limoges, de Villefavard, d’Auxerre, de la Chapelle-aux-Neaux (près Tours), de Fleurance, de Madranges, de Malataverne, de Notre-Dame-de-Commiers (Isère), de Monteynard (Isère), sont dans une mesure plus ou moins grande, et pour quelques-unes très grande les fruits du colportage biblique ou de la distribution des livres saints. Ceci dit sans songer à diminuer en rien la part importante que d’autres œuvres et d’autres hommes ont eue à ces conquêtes.
En 1909, la Société avait répandu en France, depuis 1804, 13 143 031 volumes, dont 5 844 643 par le colportage biblique.
Dans les colonies
Comme la Société britannique a été la première Société qui ait évangélisé la France, elle a aussi été la première Société qui ait travaillé à l’évangélisation des populations européenne, arabe, kabyle, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Tripolitaine. Lorsque, en 1882, la Société établit une agence à Alger, et commença à employer des colporteurs dans le nord de l’Afrique, il n’y avait en Algérie et en Tunisie que deux Sociétés missionnaires anglaises à l’œuvre parmi les juifs. Quand M. Pearce commença son œuvre parmi les Kabyles, la Société avait déjà fait traduire dans le dialecte berbère une partie de l’Évangile selon saint Luc.
De 1882 à la fin de 1908, l’agence de la Société a répandu 275 000 livres saints en Algérie, en Tunisie et dans la Tripolitaine. De même, la Société biblique britannique et étrangère aura été la première et est actuellement la seule Société à évangéliser les païens de l’Annam.
[Précédemment, les missionnaires de l’Église presbytérienne des États-finis ont travaillé sur la rive gauche du Mékong, puis dans la partie française du Siam. Les indigènes convertis ont émigré depuis dans la partie siamoise. Une station missionnaire a été fondée en 1902 à Song-Khône (Laos) par MM. Willy et Contesse. Les missionnaires de Song-Khône et l’agent de la Société britannique sont donc actuellement les seuls représentants de l’Évangile établis parmi les païens de l’Indochine française.]
Lorsque M. Ch. Bonnet s’établit à Tourane en 1902, il arrivait dans ce pays comme le premier représentant de l’Évangile apostolique et non romain. En 1898, la Société britannique avait déjà fait un essai en Cochinchine. Les missionnaires catholiques sont dans ce pays depuis 1620. Pendant les six ans et demi (1902 à 1909) que M. Bonnet vient de passer en Indo-Chine, il a fait avec deux aides indigènes des tournées de colportage, non seulement en Annam, mais jusqu’à Hanoï au nord et jusqu’au Cambodge au sud, et a vendu 97 741 volumes. Il a pu lire et expliquer l’Évangile partout, dans les maisons, sur les marchés, chez les maires, chez les préfets et jusque dans les pagodes bouddhistes.
De même, la Société biblique britannique et étrangère sera la première à évangéliser le Soudan français. Un jeune proposant méthodiste, M. Mesnard, a été nommé, en 1908, comme sous-agent pour répandre les Écritures dans la vallée du Niger, et éventuellement jusqu’à Tombouctou.
Pour nos missions françaises
Il faut aussi parler de ce que la Société fait pour les missions françaises. Elle les fournit gratuitement (sauf à rentrer par la vente des volumes dans une partie de ses débours) de ces livres saints sans lesquels on ne peut former ni des chrétiens ni des évangélistes indigènes, sans lesquels il n’est pas de mission prospère. Aussi, il faut voir avec quel enthousiasme, avec quelle reconnaissance, les missionnaires, sans exception, parlent de la Société ! Le service rendu, incommensurable au point de vue spirituel, n’est pas à dédaigner à un point de vue inférieur. Quel surcroît de dépenses se trouve ainsi épargné à la direction de la Mission ! Quelle charge, s’il avait fallu débourser, par exemple, 100 000 francs pour la publication de la Bible en sessouto (c’est ce qu’elle a coûté à la Société), et à l’avenant pour les Écritures en d’autres langues !
Aux missionnaires français, la Société fournit la Bible en sessouto (elle a envoyé au Lessouto, de 1881 à 1908, 165 944 exemplaires des Écritures, soit 36 244 Bibles, 125 700 Nouveaux Testaments, 4000 portions), en malgache, en tahitien, en maréen ; le Nouveau Testament en kabyle ; Matthieu et Marc en pahouin, le Pentateuque, les Psaumes et le Nouveau Testament en galwa, la Genèse et Matthieu en fang (Congo) ; Matthieu en wolof, les quatre Évangiles en mandingue (Sénégal) ; Marc, Jean, en annamite ; Luc en cambodgien ; Jean en laotien (le premier livre imprimé au Laos. Luc est en préparation).
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